CA Rennes, 2e ch., 1 décembre 2023, n° 21/01622
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA), MJS Partners (Selas)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
M. Jobard, M. Pothier
Avocats :
Me Chaudet, Me de Lambert, Me Castres, Me Reinhard
EXPOSE DU LITIGE :
Le 29 février 2016, M. et Mme [D] ont régularisé un bon de commande auprès de la société ATE Isoleo pour la livraison et la pose d'une installation photovoltaïque, en revente totale et la pose d'une isolation.
Afin de financer ces prestations, ils souscrivaient, auprès de Sygma Banque aux droits de laquelle vient désormais BNP Paribas Personal Finance, un contrat de crédit affecté, selon offre préalable acceptée le 29 février 2016 d'un montant initial de 23.500 euros, remboursable en 96 mensualités (hors différé d'amortissement) au taux nominal de 5,76 % l'an.
Par jugement du 19 juillet 2019, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la société Ate Isoleo.
Par acte du 22 août 2019, M. et Mme [D] ont assigné la société BNP Paribas Personal Finance aux fins d'obtenir d'être dispensés de remboursement du crédit affecté.
Par ordonnance du 2 juillet 2020, le Président du tribunal de commerce de Bobigny a désigné la SELAS MJS Partners prise en la personne de Me [X] [L] ès qualité de mandataire ad'hoc pour représenter la société Ate Isoleo devant le tribunal de Lorient.
Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Lorient a :
Débouté M. et Mme [D] de leurs demandes à l'encontre de la société BNP Paribas Personal Finance venant aux droits de Sygma Banque.
Condamné M. et Mme [D] à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entier dépens.
M. et Mme [D] sont appelants du jugement et par dernières conclusions notifiées le 16 juin 2023, ils demandent de :
- réformer le jugement
- Juger recevables M. et Mme [D] en leurs demandes et les y dire bien fondés,
- Juger nul le contrat de vente du 29 février 2016,
- Juger nul le contrat de prêt adossé au contrat de vente du 29 février 2016,
- Condamner la société BNP Paribas Personal Finance à rembourser l'intégralité des sommes versées par M. et Mme [D] en application du contrat de prêt adossé au contrat de vente du 29 février 2016,
- Juger que M. et Mme [D] ne sont pas redevables des échéances restantes dues au titre du contrat de prêt adossé au contrat de vente du 29 février 2016,
- Débouter la société BNP Paribas Personal Finance de toutes ses demandes,
Si la Cour jugeait que la société BNP Paribas Personal Finance apporte la preuve de la remise des fonds,
- Juger que M. et Mme [D] ne sont pas tenus de restituer la somme de 23 500 euros avec intérêts à la société BNP Paribas Personal Finance venant aux droits de la SA Sygma Banque,
- Condamner la société BNP Paribas Personal Finance à verser à M. et Mme [D] la somme de 2 500 euros au titre de I'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel,
Moyens
Par dernières conclusions notifiées le 31 mai 2023, la société BNP Paribas Personal Finance demande de :
Déclarer irrecevables les demandes d'annulation des contrats,
Confirmer la décision entreprise pour le surplus,
Subsidiairement, en cas d'annulation des contrats,
Débouter les époux [D] de leur demande visant à voir la société BNP Paribas Personal Finance privée de son droit à restitution du capital prêté dès lors qu'elle n'a commis aucune faute,
Débouter les époux [D] de leur demande visant à voir la société BNP Paribas Personal Finance privée de son droit à restitution du capital prêté dès lors qu'ils ne justifient pas de l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité à son égard,
Condamner solidairement M. [M] [D] et Mme [G] [J] épouse [D], à porte et payer à BNP Paribas Personal Finance la somme de 23 500 euros, correspondant au montant du capital prêté, outre intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition des fonds
Juger que BNP Paribas Personal Finance devra restituer aux époux [D] les échéances versées, après justification de leur part, de la résiliation du contrat conclu avec EDF et de la restitution à EDF des sommes perçues au titre de la revente d'énergie,
Débouter M. et Mme [D] de toute autre demande, fin ou prétention,
En tout état de cause,
Condamner solidairement M. [M] [D] et Mme [G] [J] épouse [D], à porte et payer à BNP Paribas Personal Finance une indemnité à hauteur de 2 500 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 juin 2023.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la mise en cause de la société Ate Isoleo :
S'il est constant que par ordonnance du 2 juillet 2020, le président du tribunal de commerce de Bobigny a désigné Me [L] ès qualité de mandataire ad'hoc pour représenter la société Ate Isoleo devant le tribunal de Lorient dans l'instance engagée par les époux [D], le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a constaté que Me [L] ès qualité n'a pas été assigné devant le tribunal judiciaire et n'est pas volontairement intervenu à l'instance.
Il en résulte que c'est à tort que le jugement mentionne en son entête en qualité de 'défendeur' la SELAS MJS Partners prise en la personne de Me [X] [L].
Il convient d'ordonner la rectification du jugement en conséquence.
La SELAS MJS Partners a été appelée à l'instance d'appel suivant assignation du 15 juin 2021.
Sur les demandes nouvelles :
La société BNP Paribas Personal Finance soutient que la demande des époux [D] tendant à voir annuler les contrats de vente et de crédit affecté sont irrecevables par application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile comme étant des demandes nouvelles en cause d'appel.
Les époux [D] avaient saisi le tribunal de demandes tendant à ce qu'ils obtiennent du tribunal de :
- Déclarer que M. [M] [D] et Madame [G] [D] ne sont pas tenus de restituer la somme de 23 500 euros avec intérêts à la SA BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma Banque ;
- Prendre acte que les consorts [D] ne conserveront pas les matériels à l'issue du jugement, les démonteront à leurs frais, les restitueront à la SELAS MJS PARTNERS prise en la personne de Me [L], ès qualité de mandataire ad hoc de la SARL Ate Isoleo France (et en apporteront la preuve à la SA BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma France si elle en fait la demande) ;
- Condamner la SA BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la SA Sygma Banque à restituer à M. [M] [D] et Madame [G] [D] l'intégralité des sommes prélevées sur leur compte bancaire ;
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
L'article 565 du code de procédure civile énonce que «Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ».
L'article 566 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret 2017-891du 6 mai 2017, énonce que «Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Les époux [D] forment en cause d'appel des demandes tendant à l'annulation du contrat de vente et en conséquence celle du contrat de crédit alors que le premier juge n'avait été saisi au terme du dispositif des conclusions des époux [D] d'aucune demande à ces titres.
En ce que ces demandes emportent des effets juridiques qui leur sont propres notamment en ce qu'elles impliquent des obligations à restitution réciproque, elles ne tendent pas aux mêmes fins que les demandes formées devant le premier juge tendant uniquement à obtenir une dispense de remboursement du capital emprunté et sont des demandes nouvelles en appel. En ce qu'elles constituent le fondement des demandes formées en cause d'appel, elles ne sauraient être retenues comme en étant l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formées devant le premier juge.
C'est en conséquence à bon droit que le prêteur soutient le caractère irrecevable des demandes en annulation des contrats formées en cause d'appel.
Il est cependant de principe qu'en matière de crédit affecté le prêteur commet une faute susceptible d'exclure le remboursement du capital emprunté lorsqu'il libère la totalité des fonds, alors qu'à la simple lecture du contrat de vente il aurait dû constater que sa validité était douteuse au regard des dispositions protectrices du code de la consommation relatives au démarchage à domicile.
Il convient de relever que s'agissant de l'existence du déblocage lui-même, le prêteur établit suffisamment la réalité de ce déblocage par la production de l'historique du compte portant mention d'un déblocage au profit du vendeur comme étant intervenu le 23 mars 2016 ce qui n'est aucunement contesté.
Aux termes des articles L. 121-18-1 et L. 121-17 devenus L. 221-9, L 221-5, L. 111-1, R. 111-1 et R. 111-2 du code de la consommation, les ventes et fournitures de services conclues à l'occasion d'une commercialisation hors établissement doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis au client et notamment comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :
le nom du professionnel, ou la dénomination sociale et la forme juridique de l'entreprise, l'adresse géographique de son établissement et, si elle est différente, celle du siège social, son numéro de téléphone et son adresse électronique,
le cas échéant, son numéro d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers,
les informations relatives à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte,
son éventuelle garantie financière ou assurance de responsabilité professionnelle souscrite par lui, ainsi que les coordonnées de l'assureur ou du garant,
les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du bien ou service concerné,
le prix du bien ou du service,
les modalités de paiement,
en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service,
les modalités prévues par le professionnel pour le traitement des réclamations,
s'il y a lieu, les informations relatives à la garantie légale de conformité, à la garantie des vices cachés de la chose vendue ainsi que, le cas échéant, à la garantie commerciale et au service après-vente,
la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation,
lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit, ainsi que le formulaire type de rétractation.
Les époux [D] font valoir sur ce point que le bon de commande est irrégulier faute de préciser la nature des biens objets du contrat, en ce qu'il ne mentionne qu'un prix global et ne précise pas les délais d'installation et de mise en fonctionnement ; que le vendeur ne les a pas renseignés sur son statut et sa forme juridique ni n'a fourni d'indication sur les assurances souscrites ; qu'il n'a pas fourni d'indications sur les pièces composant l'installation conformément à l'obligation qui était la sienne par application de l'article L. 111-3 du code de la consommation.
Il convient sur ce dernier point de relever que par application des dispositions des articles L. 121-18-1 et L. 121-17 les obligations du vendeur prévues à l'article L. 111-3 ne sont pas prescrites à peine de nullité du contrat de vente.
Si la forme sociale de la société Ate Isoléo n'est pas précisée au bon de commande, son identité est suffisamment établie par la mention sur le bon de commande du numéro de SIRET de la société, de son adresse postale ainsi que des coordonnées téléphoniques, fax et courriel conformément aux dispositions susvisées.
Il peut être constaté que le bon de commande comporte une désignation précise des matériels vendus en ce qu'il est indiqué pour l'isolation qu'elle concerne des combles aménagés pour une surface de 25 m² par laine de roche ; que s'agissant de l'installation photovoltaïque, elle précise la marque des 12 panneaux d'une puissance totale de 3 000 Wc ainsi que celle de l'onduleur, comprend un kit de pose en intégration et indique que l'installation est prévue pour une revente totale à EDF. L'indication du prix unitaire de chaque prestation n'est pas imposée par les textes précités à peine de nullité de la convention.
S'agissant des garanties, si le contrat précise au verso que la société bénéficie d'une garantie décennale et d'une garantie responsabilité professionnelle, le bon de commande ne comporte pas les coordonnées de l'assureur de responsabilité civile professionnelle et décennale de la société Ate Isoleo.
Si l'absence de communication de l'information sur les coordonnées des assureurs de la société Ate Isoléo, constitue une cause de nullité du contrat, cette information obéit au régime de l'article R. 111-2 du code de la consommation. Si le professionnel doit mettre spontanément cette information à disposition du consommateur, il n'est pas tenu de faire figurer ces éléments sur le bon de commande, le vendeur pouvant satisfaire à cette obligation par tout autre moyen utile. Il ne saurait en conséquence être reproché au prêteur de ne pas avoir décelé l'irrégularité non apparente à la lecture du bon de commande dans la mesure où le prêteur n'avait pas à assister les emprunteurs lors de la conclusion du contrat principal.
Il apparaît en revanche que le bon de commande ne prévoit pas de délai de livraison. Dans les conditions générales, il est mentionné que la livraison doit intervenir dans un délai maximal de 200 jours, à compter de la prise d'effet du contrat. Il est également précisé que la livraison dans les délais ne peut intervenir que si le client est à jour de ses obligations envers le vendeur. Ces indications étant sujettes à interprétation sont insuffisamment précises pour qu'il puisse être retenu que le vendeur a satisfait à son obligation d'indiquer les délais de l'installation.
Le contrat principal encourt donc bien l'annulation.
La BNP Paribas Personal Finance soutient cependant que les irrégularités du bon de commande ne seraient sanctionnées que par une nullité relative que l'acquéreur aurait renoncé à invoquer en laissant les travaux s'exécuter, en signant la fiche de réception de ceux-ci pour donner l'ordre au prêteur de se dessaisir des fonds entre les mains du fournisseur, en revendant l'électricité produite à EDF.
Toutefois, la confirmation d'une obligation entachée de nullité est subordonnée à la conclusion d'un acte révélant que son auteur a eu connaissance du vice affectant l'obligation et l'intention de le réparer, sauf exécution volontaire après l'époque à laquelle celle-ci pouvait être valablement confirmée.
À cet égard, la BNP caractérise bien l'exécution volontaire du contrat principal par les époux [D]
En outre, les conditions générales du bon de commande reproduisent les dispositions des articles L. 111-1, L. 121-17 et L. 121-18-1 du code de la consommation exigeant, à peine de nullité, l'indication lisible et compréhensive des caractéristiques des biens fournis et de la date ou du délai de livraison et d'exécution de la prestation accessoire de pose.
Dès lors, les époux [D] ne pouvaient ignorer, l'absence d'indication du délai de livraison dans le bon de commande au moment où ils ont laissé les travaux s'exécuter, signé la fiche de réception de ceux-ci pour donner l'ordre au prêteur de se dessaisir des fonds entre les mains du fournisseur ultérieurement mis l'installation photovoltaïque en service et régularisé le contrat de revente de l'électricité produite à EDF, ce dont il se déduit qu'ils ont entendu renoncer à s'en prévaloir. En tout état de cause, ils ne justifient d'aucun préjudice en lien avec la seule faute susceptible d'être imputée au prêteur.
Il convient donc de constater la confirmation du contrat irrégulier et de débouter M. et Mme [D] de leurs demandes tendant à obtenir le remboursement des sommes versées au prêteur.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les époux [D] de leurs demandes formées à l'encontre de la société BNP Paribas Personal Finance et les a condamnés aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure.
Les appelants succombant en cause d'appel seront condamnés aux dépens et à payer à la société BNP Paribas Personal Finance une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Ordonne la rectification de l'entête du jugement rendu le 21 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Lorient
Ordonne la suppression dans la rubrique "Défendeur" de l'entête du jugement de la mention :
- SELAS MJS Partners prise en la personne de Me [L] [X] [Adresse 5], non comparant'.
Déclare M. [M] [D] et Mme [G] [J] épouse [D] irrecevables en leurs demandes d'annulation des contrats.
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
Condamne M. [M] [D] et Mme [G] [J] épouse [D] à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. et Mme [D] aux dépens d'appel.
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.