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Décisions

CJUE, 2e ch., 14 décembre 2023, n° C-457/21 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne

Défendeur :

Grand-Duché de Luxembourg, Amazon.com Inc., Amazon EU Sàrl, Irlande

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Prechal

Juges :

M. Biltgen, Wahl (rapporteur), M. Passer, Mme Arastey Sahún

Avocat général :

Mme J. Kokott

Avocats :

Me Paemen, Me Petite, Me Tombiński

CJUE n° C-457/21 P

13 décembre 2023

LA COUR (deuxième chambre),  

1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2021, Luxembourg et Amazon/Commission (T‑816/17 et T‑318/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:252), par lequel celui-ci a annulé la décision (UE) 2018/859 de la Commission, du 4 octobre 2017, concernant l’aide d’État SA.38944 (2014/C) (ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon (JO 2018, L 153, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).

Les antécédents du litige

2 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 71 de l’arrêt attaqué, dans sa version publique, dans les termes suivants :

« 1 Amazon.com, Inc., dont le siège social est établi aux États-Unis, et les entreprises qui sont placées sous son contrôle (ci-après, dénommées ensemble, le “groupe Amazon”) exercent des activités en ligne, et notamment des opérations de vente au détail en ligne et de fourniture de divers services en ligne. À cette fin, le groupe Amazon gère plusieurs sites Internet en différentes langues de l’Union européenne, parmi lesquels amazon.de, amazon.fr, amazon.it et amazon.es.

2 Avant mai 2006, les activités européennes du groupe Amazon étaient gérées à partir des États-Unis. En particulier, les activités de vente au détail et de services sur les sites Internet européens étaient exploitées par deux entités établies aux États-Unis, à savoir Amazon.com International Sales, Inc. (ci-après “AIS”) et Amazon International Marketplace (ci-après “AIM”), ainsi que par d’autres [entités] établies en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. 

3 En 2003, une restructuration des activités du groupe Amazon en Europe a été planifiée. Cette restructuration, qui a effectivement été mise en œuvre en 2006 (ci-après la “restructuration de 2006”), était articulée autour de la création de deux sociétés établies à Luxembourg (Luxembourg). Plus précisément, il s’agissait, d’une part, d’Amazon Europe Holding Technologies SCS (ci-après “LuxSCS”), une société en commandite simple luxembourgeoise, dont les associés étaient des entreprises américaines, et, d’autre part, d’Amazon EU Sàrl (ci-après “LuxOpCo”), qui, comme LuxSCS, avait son siège social à Luxembourg.

4 LuxSCS a, dans un premier temps, conclu plusieurs accords avec certaines entités du groupe Amazon établies aux États-Unis, à savoir :

– des accords de licence et de cession pour les droits de propriété intellectuelle préexistants (License and Assignment Agreements For Preexisting Intellectual Property, ci-après, dénommés ensemble, l’“accord d’entrée”) avec Amazon Technologies, Inc. (ci-après “ATI”), entité du groupe Amazon établie aux États-Unis ;

– un accord de répartition des coûts (ci-après l’“ARC”) conclu en 2005 avec ATI et A 9.com, Inc. (ci-après “A 9”), une entité du groupe Amazon établie aux États-Unis. En vertu de l’accord d’entrée et de l’ARC, LuxSCS a obtenu le droit d’exploiter certains droits de propriété intellectuelle et les “travaux dérivés” de ceux-ci, qui étaient détenus et mis au point par A 9 et ATI. Les actifs incorporels visés par l’ARC comportaient essentiellement trois catégories de propriété intellectuelle, à savoir la technologie, les données clients et les marques. En vertu de l’ARC et de l’accord d’entrée, LuxSCS pouvait également concéder les actifs incorporels en sous-licence, notamment dans le but d’exploiter les sites Internet européens. En contrepartie de ces droits, LuxSCS devait verser des paiements d’entrée et sa quote-part annuelle aux coûts liés au programme de développement de l’ARC.

5 Dans un deuxième temps, LuxSCS a conclu avec LuxOpCo un accord de licence, qui a pris effet le 30 avril 2006, portant sur les actifs incorporels susmentionnés (ci-après l’“accord de licence”). En vertu de celui-ci, LuxOpCo a obtenu le droit d’utiliser les actifs incorporels en échange du paiement d’une redevance à LuxSCS (ci-après la “redevance”).

6 Enfin, LuxSCS a conclu un accord de licence et de cession de droits de propriété intellectuelle avec Amazon.co.uk Ltd, Amazon.fr SARL et Amazon.de GmbH, en vertu duquel LuxSCS a reçu certaines marques et les droits de propriété intellectuelle sur les sites Internet européens.

7 En 2014, le groupe Amazon a fait l’objet d’une deuxième restructuration et l’arrangement contractuel existant entre LuxSCS et LuxOpCo n’a plus été d’application.

A. Sur la décision fiscale anticipative [...] en cause

8 En préparation de la restructuration de 2006, Amazon.com et un conseiller fiscal ont, par lettres des 23 et 31 octobre 2003, demandé à l’administration fiscale luxembourgeoise l’adoption d’une décision fiscale anticipative confirmant le traitement réservé à LuxOpCo et à LuxSCS aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés.

9 Par sa lettre du 23 octobre 2003, Amazon.com a demandé que soit approuvé le calcul du taux de la redevance que LuxOpCo était censée verser à LuxSCS à partir du 30 avril 2006. Cette demande d’Amazon.com s’appuyait sur un rapport de prix de transfert préparé par ses conseillers fiscaux (ci-après le “rapport sur les prix de transfert de 2003”). Les auteurs de ce rapport proposaient, en substance, une méthode de fixation des prix de transfert qui, selon eux, permettait de déterminer la dette de l’impôt sur le revenu des sociétés dont LuxOpCo devait s’acquitter au Luxembourg. Plus particulièrement, par [cette] lettre [...], Amazon.com avait demandé confirmation sur le fait que la méthode de fixation des prix de transfert aux fins de la détermination du taux de la redevance annuelle due par LuxOpCo à LuxSCS au titre de l’accord de licence, telle que cette méthode ressortait du rapport sur les prix de transfert de 2003, procurait à LuxOpCo un “bénéfice approprié et acceptable” au regard de la politique en matière de prix de transfert et de l’article 56 et de l’article 164, paragraphe 3, de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, telle que modifiée [...]

10 Par la lettre du 31 octobre 2003 rédigée par un autre conseiller fiscal, Amazon.com a demandé confirmation du traitement fiscal réservé à LuxSCS, à ses associés établis aux États-Unis et aux dividendes perçus par LuxOpCo dans le cadre de cette structure. Il était expliqué dans la lettre que LuxSCS, en tant que société en commandite simple, n’avait pas une personnalité fiscale distincte de celle de ses associés et que, en conséquence, elle n’était assujettie ni à l’impôt sur le revenu des sociétés ni à l’impôt sur la fortune au Luxembourg.

11 Le 6 novembre 2003, l’Administration des contributions directes du Grand-Duché de Luxembourg (ci-après l’“administration fiscale luxembourgeoise” ou les “autorités fiscales luxembourgeoises”) a adressé à Amazon.com une lettre (ci-après la “[décision fiscale anticipative] en cause”) qui se lit, pour partie, comme suit :

“[...] Monsieur,

Après avoir pris connaissance de la lettre du 31 octobre 2003, que [votre conseiller fiscal] m’a adressée, ainsi que de votre lettre du 23 octobre 2003 exposant votre position à l’égard du traitement fiscal au Luxembourg dans la perspective de vos futures activités, j’ai le plaisir de vous informer que je peux approuver le contenu des deux lettres. [...]”

12 À la demande d’Amazon.com, l’administration fiscale luxembourgeoise a prorogé la validité de la [décision fiscale anticipative] en cause en 2010 et l’a effectivement appliquée jusqu’en juin 2014, lorsque la structure européenne du groupe Amazon a été modifiée. Ainsi la [décision fiscale anticipative] en cause a été appliquée de 2006 à 2014 (ci-après la “période considérée”).

B. Sur la procédure administrative devant la Commission

13 Le 24 juin 2014, la Commission européenne a demandé au Grand–Duché de Luxembourg de lui fournir des informations sur les décisions fiscales anticipatives accordées au groupe Amazon. Le 7 octobre 2014, elle a publié la décision d’ouverture d’une procédure formelle d’examen, au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

[...]

15 [Dans le cadre de cette procédure,] Amazon.com a présenté à la Commission un nouveau rapport sur les prix de transfert rédigé par un conseiller fiscal, dont l’objectif était de vérifier a posteriori si la redevance versée par LuxOpCo à LuxSCS, conformément à la [décision fiscale anticipative] en cause, était conforme au principe de pleine concurrence  (ci-après le “rapport sur les prix de transfert de 2017”).

C. Sur la décision [litigieuse]

16 Le 4 octobre 2017, la Commission a adopté la décision [litigieuse].

17 L’article 1er de cette décision se lit, en partie, comme suit :

“La [décision fiscale anticipative] [en cause], par laquelle le Grand-Duché de Luxembourg a avalisé une méthode de fixation des prix de transfert [...] permettant à [LuxOpCo] de déterminer sa dette d’impôt sur le revenu des sociétés au Luxembourg de 2006 à 2014, d’une part, et l’acceptation ultérieure de la déclaration annuelle à l’impôt sur le revenu des sociétés fondée sur ladite décision, d’autre part, constituent une aide d’État [...]”

1. Sur la présentation du contexte factuel et juridique

[...]

a) Sur la présentation du groupe Amazon

[...]

21 Pour la période considérée, la structure européenne du groupe Amazon a été schématisée par la Commission comme suit :

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22 Premièrement, s’agissant de LuxSCS, la Commission a relevé que cette société n’avait aucune présence physique, ni aucun salarié au Luxembourg. Selon la Commission, au cours de la période considérée, LuxSCS intervenait uniquement en tant que société détenant des actifs incorporels pour les activités du groupe Amazon en Europe, dont LuxOpCo était responsable en qualité d’opérateur principal. Elle a indiqué toutefois que LuxSCS avait consenti également des prêts intragroupes à plusieurs entités du groupe Amazon. La Commission a précisé en outre que LuxSCS était partie à plusieurs accords intragroupe conclus avec ATI, A 9 et LuxOpCo [...]

23 Deuxièmement, s’agissant de LuxOpCo, la Commission a mis un accent particulier sur le fait que, au cours de la période considérée, LuxOpCo était une filiale à part entière de LuxSCS.

24 Selon la Commission, à compter de la restructuration de 2006 des activités européennes du groupe Amazon, LuxOpCo remplissait les fonctions de siège social du groupe Amazon en Europe et était l’opérateur principal des activités de vente au détail en ligne et de services du groupe Amazon en Europe réalisées par le canal des sites Internet européens. La Commission a indiqué que, en cette qualité, LuxOpCo avait dû gérer la prise de décisions relatives aux activités de vente au détail et de services menées par l’intermédiaire des sites Internet européens ainsi que les principales composantes physiques des activités de vente au détail. En outre, en sa qualité de vendeur officiel des stocks du groupe Amazon en Europe, LuxOpCo aurait été également responsable de la gestion des stocks sur les sites Internet européens. Elle aurait été propriétaire desdits stocks et en aurait assumé les risques et les pertes. La Commission a précisé, par ailleurs, que LuxOpCo avait enregistré dans ses comptes le chiffre d’affaires généré aussi bien par les ventes de produits que par le traitement de commandes. Enfin, LuxOpCo aurait également exercé des fonctions de gestion de la trésorerie des activités européennes du groupe Amazon.

25 Ensuite, la Commission a indiqué que LuxOpCo avait détenu des participations dans Amazon Services Europe (ci-après “ASE”) et Amazon Media Europe (ci-après “AMEU”), deux entités du groupe Amazon résidentes au Luxembourg, ainsi que dans les filiales d’Amazon.com constituées au Royaume-Uni, en France et en Allemagne (ci-après les “sociétés liées européennes”), qui auraient fourni divers services intragroupe à l’appui des activités de LuxOpCo. Durant la période considérée, ASE aurait géré le service du groupe Amazon pour les vendeurs tiers dans l’Union, dénommé “MarketPlace”. AMEU aurait géré quant à elle les “activités numériques” du groupe Amazon dans l’Union, telles que, par exemple, la vente de MP3 et de livres numériques. Les sociétés liées européennes auraient fourni quant à elles des services pour l’exploitation des sites Internet européens.

26 De plus, la Commission a relevé que, pendant la période considérée, LuxOpCo constituait avec ASE et AMEU, lesquelles étaient résidentes au Luxembourg, un groupe fiscal au regard du droit fiscal luxembourgeois, au sein duquel LuxOpCo jouait le rôle de société intégrante. Ces trois entités auraient donc constitué un seul et même contribuable.

27 Enfin, outre l’accord de licence, conclu par LuxOpCo avec LuxSCS, la Commission a décrit de manière détaillée certains autres accords intragroupe auxquels LuxOpCo était partie pendant la période considérée, à savoir certains accords de prestation de services conclus le 1er mai 2006 avec les sociétés liées européennes et des accords de licence sur la propriété intellectuelle conclus le 30 avril 2006 avec ASE et AMEU, en vertu desquels des sous-licences non exclusives sur les actifs incorporels auraient été accordées à ces deux entités.

b) Sur la présentation de la [décision fiscale anticipative] en cause

28 Après avoir examiné la structure du groupe Amazon, la Commission a décrit la [décision fiscale anticipative] en cause.

29 À cet égard, premièrement, elle a fait état des lettres des 23 et 31 octobre 2003, mentionnées aux points 8 à 10 [de l’arrêt attaqué].

30 Deuxièmement, la Commission a expliqué le contenu du rapport sur les prix de transfert de 2003, sur la base duquel a été proposée la méthode de détermination du montant de la redevance.

31 Tout d’abord, la Commission a indiqué que le rapport sur les prix de transfert de 2003 fournissait une analyse fonctionnelle de LuxSCS et de LuxOpCo aux termes de laquelle il était indiqué que les activités principales de LuxSCS se seraient limitées à celles d’une société détenant des actifs incorporels et d’un participant au développement constant des actifs incorporels dans le cadre de l’ARC. LuxOpCo aurait été décrite dans ce rapport comme gérant la prise de décisions stratégiques relatives aux activités de vente au détail et de services des sites Internet européens ainsi que des principales composantes physiques des activités de vente au détail.

32 Ensuite, la Commission a indiqué que le rapport sur les prix de transfert de 2003 comportait une section relative à la sélection de la méthode de fixation des prix de transfert la plus appropriée pour déterminer la conformité du taux de redevance avec le principe de pleine concurrence. Deux méthodes auraient été examinées dans le rapport : l’une fondée sur la méthode du prix comparable sur le marché libre (ci-après la “méthode CUP”) et l’autre sur la méthode du partage des bénéfices résiduels.

33 D’une part, en application de la méthode CUP, un intervalle de pleine concurrence pour le taux de redevance de 10,6 à 13,6 % aurait été calculé dans le rapport sur les prix de transfert de 2003, sur la base d’une comparaison avec un certain accord conclu par Amazon.com avec un détaillant des États-Unis [...]

34 D’autre part, en application de la méthode du partage des bénéfices résiduels, le rapport sur le prix de transfert de 2003 aurait contenu une estimation du rendement associé aux “fonctions courantes de LuxOpCo dans son rôle de société d’exploitation européenne” sur la base de la marge sur les coûts supportés par LuxOpCo. Pour ce faire, il aurait été considéré que la “marge nette sur coûts” (net cost plus mark up) aurait été l’indicateur de bénéfice permettant de déterminer la rémunération de pleine concurrence pour les fonctions prévues de LuxOpCo. Il aurait été proposé d’appliquer une marge de [confidentiel] sur les charges d’exploitation corrigées de LuxOpCo. La Commission a fait observer que, selon le rapport sur les prix de transfert de 2003, la différence entre ce rendement et le résultat d’exploitation de LuxOpCo aurait correspondu au bénéfice résiduel, qui aurait été entièrement imputable à l’utilisation des actifs incorporels donnés en licence par LuxSCS. La Commission a également précisé que, sur la base de ce calcul, les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 avaient conclu qu’un taux de redevance compris entre 10,1 et 12,3 % du chiffre d’affaires net de LuxOpCo aurait satisfait au critère de pleine concurrence, conformément aux lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

35 Enfin, la Commission a indiqué que les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 avaient considéré que les résultats étaient convergents et avaient mentionné le fait que l’intervalle de pleine concurrence pour le taux de la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS allait de 10,1 à 12,3 % des ventes de LuxOpCo. Les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 auraient toutefois considéré que l’analyse du partage des bénéfices résiduels aurait été davantage fiable et qu’il convenait donc de la retenir.

36 Troisièmement, [...] la Commission a indiqué que, par la [décision fiscale anticipative] en cause, l’administration fiscale luxembourgeoise avait confirmé que la méthode de détermination du taux de la redevance, qui, lui-même, avait déterminé le revenu annuel imposable de LuxOpCo au Luxembourg, était conforme au principe de pleine concurrence. Elle a ajouté que, pour remplir ses déclarations fiscales annuelles, LuxOpCo s’était fondée sur [cette décision].

c) Sur la présentation du cadre juridique national applicable

37 S’agissant du cadre juridique national applicable, la Commission a cité l’article 164, paragraphe 3, de la [loi concernant l’impôt sur le revenu]. Selon cette disposition, “les distributions cachées de bénéfices [étaie]nt à comprendre dans le revenu imposable” et “il y a[vait] distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé re[cevai]t directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité”. Dans ce contexte, la Commission a exposé notamment que, pendant la période considérée, l’article 164, paragraphe 3, de la [loi concernant l’impôt sur le revenu] aurait été interprété par l’administration fiscale luxembourgeoise en ce sens qu’il consacrait le “principe de pleine concurrence” en droit fiscal luxembourgeois.

d) Sur la présentation du cadre de l’OCDE sur les prix de transfert

38 Aux considérants 244 à 249 de la décision [litigieuse], la Commission a présenté le cadre de l’OCDE sur les prix de transfert. Selon elle, les “prix de transfert”, tels que compris par l’OCDE dans des lignes directrices publiées par cette organisation en 1995, en 2010 et en 2017, sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées. En vertu du principe de pleine concurrence, tel qu’appliqué aux fins de l’imposition des sociétés, les administrations fiscales nationales ne devraient accepter les prix de transfert convenus entre les entreprises associées au sein d’un groupe pour leurs transactions intragroupe que s’ils correspondent à ce qui aurait été convenu dans le cadre de transactions sur le marché libre, c’est-à-dire des transactions entre des entreprises indépendantes négociant dans des circonstances comparables sur le marché. En outre, la Commission a précisé que le principe de pleine concurrence reposait sur l’approche de l’entité distincte, selon laquelle, à des fins fiscales, les membres d’un groupe d’entreprises étaient traités comme des entités distinctes.

39 La Commission a également relevé que, pour établir une approximation des prix de pleine concurrence pour les transactions intragroupe, les lignes directrices de l’OCDE (dans leurs versions de 1995, de 2010 et de 2017) énuméraient cinq méthodes. Seules trois d’entre elles auraient été pertinentes dans le cadre de la décision [litigieuse], à savoir la méthode CUP, la méthode transactionnelle de la marge nette (ci-après la “MTMN”) et la méthode du partage des bénéfices. Aux considérants 250 à 256 de la décision [litigieuse], la Commission a décrit en quoi ces méthodes consistaient.

2. Sur l’appréciation portée sur la [décision fiscale anticipative]  en cause

[...]

44 S’agissant de la troisième condition d’existence d’une aide d’État, [prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE,] la Commission a exposé que, lorsqu’une [décision fiscale anticipative] avalisait un résultat qui ne reflétait pas de manière fiable le résultat qui aurait été obtenu en appliquant normalement le régime de droit commun, sans justification, une telle décision procurait un avantage sélectif à son destinataire, dans la mesure où ce traitement sélectif entraînait une diminution de l’impôt dû par le contribuable par comparaison avec les entreprises se trouvant dans une situation juridique et factuelle similaire. La Commission a également considéré que, en l’espèce, la [décision fiscale anticipative] en cause avait conféré un avantage sélectif à LuxOpCo en réduisant l’impôt sur le revenu des sociétés qu’elle devait payer au Luxembourg.

a) Sur l’analyse de l’existence d’un avantage

[...]

46 À titre liminaire, la Commission a rappelé que, s’agissant de mesures fiscales, un avantage, au sens de l’article 107 TFUE, pouvait être procuré à un contribuable du fait d’une réduction de sa base imposable ou du montant de l’impôt dû par celui-ci. Elle a rappelé, au considérant 402 de la décision [litigieuse], que, selon la jurisprudence de la Cour, pour examiner si la détermination de revenus imposables procurait un avantage au bénéficiaire, il y avait lieu de comparer ledit régime à celui de droit commun fondé sur la différence entre produits et charges pour une entreprise exerçant ses activités dans des conditions de libre concurrence. En conséquence, selon la Commission, une “[décision fiscale anticipative] permettant à un contribuable d’utiliser, dans des transactions intragroupe, des prix de transfert qui ne refl[étai]ent pas les prix [qui auraient été] pratiqués dans des conditions de libre concurrence entre des entreprises indépendantes négociant dans des conditions comparables selon le principe de pleine concurrence, procur[ait] un avantage à ce contribuable en ce qu’elle débouch[ait] sur une réduction de ses revenus imposables et, partant, de sa base imposable dans le cadre du système commun de l’impôt sur les sociétés”.

47 Au regard de ces appréciations, la Commission a conclu, au considérant 406 de la décision [litigieuse], que, pour établir que la [décision fiscale anticipative] en cause conférait un avantage économique à LuxOpCo, elle devait démontrer que la méthode de fixation des prix de transfert avalisée dans [cette dernière décision] produisait un résultat qui s’écartait d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché, ce qui avait eu pour effet de réduire la base imposable de LuxOpCo aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu des sociétés. Selon la Commission, la [décision fiscale anticipative] en cause avait produit un tel résultat.

48 Cette conclusion repose sur un constat principal et trois constats subsidiaires.

1) Sur le constat principal de l’avantage

49 Dans [...] la décision [litigieuse], [...] la Commission a estimé que, en approuvant une méthode de fixation des prix de transfert qui attribuait une rémunération à LuxOpCo uniquement pour des fonctions dites “courantes” et qui attribuait la totalité du bénéfice généré par LuxOpCo au-delà de cette rémunération à LuxSCS sous la forme d’une redevance, la [décision fiscale anticipative en cause] avait produit un résultat qui s’écartait d’une approximation fiable d’un résultat de marché.

50 En substance, par son constat principal, la Commission a considéré que l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo et de LuxSCS retenue par les auteurs du rapport de prix de transfert de 2003 et, en fin de compte, par l’administration fiscale luxembourgeoise était erronée et ne permettait pas d’aboutir à un résultat de pleine concurrence. Au contraire, l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dû conclure que LuxSCS n’exerçait pas des fonctions “uniques et de valeur” en rapport avec les actifs incorporels pour lesquels elle ne détenait que le titre de propriété légale.

[...]

62 En conclusion de son premier constat de l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission a indiqué que la “rémunération de pleine concurrence” pour LuxSCS en vertu de l’accord de licence aurait dû être égale à la somme des coûts d’entrée et des coûts au titre de l’ARC, supportés par cette société, sans marge, majorée de tous les coûts pertinents supportés directement par LuxSCS, auxquels une marge de 5 % devait être appliquée, dans la mesure où ces coûts correspondaient à des fonctions réellement exercées au nom de LuxSCS. Ce niveau de rémunération correspondait à ce qu’une partie indépendante, dans une situation similaire à LuxOpCo, aurait été disposée à payer pour les droits et obligations assumés en vertu de l’accord de licence. En outre, selon la Commission, ce niveau de rémunération aurait été suffisant pour permettre à LuxSCS de couvrir ses obligations de paiement au titre de l’accord d’entrée et de l’ARC (considérants 559 et 560 de la décision [litigieuse]).

63 Or, selon la Commission, dans la mesure où le niveau de rémunération de LuxSCS calculé par la Commission aurait été inférieur au niveau de rémunération de LuxSCS résultant de la méthode de fixation des prix de transfert avalisée par la [décision fiscale anticipative] en cause, ladite décision aurait conféré un avantage à LuxOpCo sous la forme d’une réduction de sa base imposable aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés, par rapport au chiffre d’affaires des sociétés dont le bénéfice imposable correspondait à des prix négociés selon le principe de pleine concurrence (considérant 561 de la décision [litigieuse]).

2) Sur les constats subsidiaires de l’avantage

64 Dans [...] la décision [litigieuse], [...] la Commission a exposé sa constatation subsidiaire de l’avantage, selon laquelle, à supposer même que l’administration fiscale luxembourgeoise ait eu raison d’accepter l’analyse des fonctions de LuxSCS effectuée dans le rapport sur les prix de transfert de 2003, la méthode de fixation des prix de transfert approuvée par la [décision fiscale anticipative] en cause aurait été, en tout état de cause, fondée sur des choix méthodologiques inappropriés qui auraient produit un résultat s’écartant d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché. Elle a précisé que son raisonnement [...] ne visait pas à déterminer une rémunération de pleine concurrence exacte pour LuxOpCo, mais qu’il visait davantage à démontrer que la [décision fiscale anticipative] en cause avait conféré un avantage économique, étant donné que la méthode de fixation des prix de transfert avalisé reposait sur trois choix méthodologiques erronés qui auraient conduit à une diminution du revenu imposable de LuxOpCo par rapport aux entreprises dont le bénéfice imposable reflétait des prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.

65 Dans ce cadre, la Commission a opéré trois constats subsidiaires distincts.

66 Dans le cadre de son premier constat subsidiaire, la Commission a affirmé que LuxOpCo avait été à tort considérée comme exerçant uniquement des fonctions de gestion “courantes” et que la méthode du partage des bénéfices, avec l’analyse des contributions, aurait dû être appliquée.

[...]

b) Sur la sélectivité de la mesure

69 Dans la section 9.3 de la décision [litigieuse], intitulée “Sélectivité”, la Commission a exposé les motifs pour lesquels elle avait considéré que la mesure en cause était sélective.

c) Sur l’identification du bénéficiaire de l’aide

70 Dans [...] la décision [litigieuse], [...] la Commission a constaté que tout traitement fiscal favorable accordé à LuxOpCo avait également profité au groupe Amazon tout entier, en lui fournissant des ressources supplémentaires, de sorte que le groupe devait être considéré comme étant une entité unique bénéficiaire de la mesure d’aide en cause.

71 [...] [L]a Commission [y] a [également] affirmé que, la mesure d’aide ayant été octroyée chaque année où la déclaration annuelle de l’impôt de LuxOpCo avait été acceptée par les autorités fiscales, le groupe Amazon ne pouvait se prévaloir des règles de prescription afin de s’opposer à la récupération de l’aide. Aux considérants 639 à 645 de la décision [litigieuse], la Commission a exposé la méthode de récupération. »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

3 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 décembre 2017, le Grand-Duché de Luxembourg a introduit le recours dans l’affaire T‑816/17, visant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation de cette décision en ce qu’y était ordonnée la récupération de l’aide identifiée dans ladite décision.

4 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2018, Amazon EU Sàrl et Amazon.com (ci-après, ensemble, « Amazon ») ont introduit le recours dans l’affaire T‑318/18, visant, à titre principal, à l’annulation des articles 1er à 4 de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation des articles 2 à 4 de cette décision.

5 À l’appui de leur recours respectif, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon avaient soulevé cinq et neuf moyens, dont le Tribunal a estimé qu’ils se recoupaient en majeure partie de la manière suivante :

– en premier lieu, dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 ainsi que des premier à quatrième moyens dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestaient, en substance, le constat principal de la Commission quant à l’existence d’un avantage en faveur de LuxOpCo, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ;

– en deuxième lieu, dans le cadre du troisième grief de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et du cinquième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestaient les constats subsidiaires de la Commission portant sur l’existence d’un avantage fiscal en faveur de LuxOpCo, au sens de cette disposition ;

– en troisième lieu, dans le cadre du deuxième moyen dans l’affaire T‑816/17 et des sixième et septième moyens dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestaient les constats principaux et subsidiaires de la Commission portant sur la sélectivité de la décision fiscale anticipative en cause ;

– en quatrième lieu, dans le cadre du troisième moyen dans l’affaire T‑816/17, le Grand-Duché de Luxembourg faisait valoir que la Commission avait violé la compétence exclusive des États membres en matière de fiscalité directe ;

– en cinquième lieu, dans le cadre du quatrième moyen dans l’affaire T‑816/17 et dans le cadre du huitième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon soutenaient que la Commission avait violé leurs droits de la défense ;

– en sixième lieu, dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen ainsi que du premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire T‑816/17 et du huitième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestaient la pertinence, en l’espèce, des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017, telles qu’utilisées par la Commission aux fins de l’adoption de la décision litigieuse, et

– en septième lieu, dans le cadre du cinquième moyen, invoqué au soutien des conclusions présentées à titre subsidiaire dans l’affaire T‑816/17 et du neuvième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon remettaient en question le bien-fondé du raisonnement de la Commission visant la récupération de l’aide ordonnée par cette institution.

6 Dans le cadre de son intervention en première instance, l’Irlande invoquait, premièrement, la violation de l’article 107 TFUE en ce que la Commission n’avait pas établi l’existence d’un avantage en faveur de LuxOpCo, deuxièmement, la violation de cet article en ce que la Commission n’avait pas prouvé la sélectivité de la mesure, troisièmement, la violation des articles 4 et 5 TUE en ce que la Commission avait procédé à une harmonisation fiscale déguisée et, quatrièmement, la violation du principe de sécurité juridique en ce que, par la décision litigieuse, elle avait ordonné la récupération de l’aide identifiée dans cette décision.

7 Après avoir joint les affaires T‑816/17 et T‑318/18 aux fins de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, par celui-ci, annulé la décision litigieuse.

8 D’abord, il a accueilli les premier et deuxième griefs de la deuxième branche et la troisième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 ainsi que les deuxième et quatrième moyens dans l’affaire T‑318/18, tirés de ce que la Commission n’avait pas démontré l’existence d’un avantage dans le cadre de son constat principal.

9 À cet égard, il a jugé, d’une part, que la Commission avait erronément considéré que LuxSCS devait être retenue en tant que partie à tester aux fins de l’application de la MTMN et, d’autre part, que le calcul de la « rémunération de LuxSCS » opéré par la Commission, sur la base de la prémisse selon laquelle LuxSCS devait être l’entité à tester, était entaché de nombreuses erreurs et ne pouvait être considéré comme étant suffisamment fiable, ni comme permettant d’aboutir à un résultat de pleine concurrence. Dans la mesure où la méthode de calcul retenue par la Commission devait être écartée, le Tribunal en a déduit que cette méthode ne pouvait fonder le constat selon lequel la redevance aurait dû être inférieure à celle effectivement perçue par LuxSCS, en application de la décision fiscale anticipative en cause, pendant la période contestée. Ainsi, les éléments retenus par la Commission, s’agissant du constat principal de l’existence d’un avantage, ne permettaient pas, selon le Tribunal, d’établir que la charge fiscale de LuxOpCo avait été artificiellement diminuée du fait d’une surévaluation de la redevance (points 296 et 297 de l’arrêt attaqué).

10 Ensuite, le Tribunal a accueilli les moyens et arguments du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon qui tendaient à remettre en cause le bien-fondé des trois constats subsidiaires de la Commission concernant l’existence d’un avantage. Il a, à cet égard, considéré :

– concernant le premier constat subsidiaire, que la Commission, en retenant de manière erronée que les fonctions de LuxOpCo en lien avec les activités commerciales étaient « uniques et de valeur » et en s’abstenant de rechercher si des données externes provenant d’entreprises indépendantes étaient disponibles pour déterminer la valeur des contributions respectives de LuxSCS et de LuxOpCo, n’a pas justifié que la méthode du partage des bénéfices avec analyse des contributions, qu’elle a retenue, était la méthode de détermination des prix de transfert appropriée en l’espèce (points 503 à 507 de l’arrêt attaqué). Le Tribunal a, au surplus, estimé que la Commission, en particulier en ce qu’elle n’avait pas cherché à examiner quelle était la bonne clef de répartition des bénéfices combinés de LuxSCS et de LuxOpCo qui aurait convenu si ces entreprises avaient été indépendantes, ni même à identifier des éléments concrets permettant de déterminer que les fonctions de LuxOpCo en lien avec le développement des actifs incorporels ou l’exercice des fonctions de siège lui auraient donné droit à une part plus importante des bénéfices par rapport à la part des bénéfices effectivement obtenue en application de la décision fiscale anticipative en cause, n’était pas parvenue à établir que, si la méthode retenue par elle avait été appliquée, la rémunération de LuxOpCo aurait été plus importante et, partant, que cette décision avait conféré à cette société un avantage économique (points 518 et 530 de l’arrêt attaqué) ;

– concernant le deuxième constat subsidiaire, que la Commission était tenue de démontrer que l’erreur qu’elle avait identifiée dans le choix de l’indicateur de bénéfice de LuxOpCo retenu dans la décision fiscale anticipative avait abouti à une diminution de la charge fiscale du bénéficiaire de cette décision, ce qui impliquait de répondre à la question de savoir quel indicateur aurait été effectivement approprié. Compte tenu de l’interprétation de la décision litigieuse donnée par la Commission, le Tribunal a jugé que celle-ci n’avait pas cherché à déterminer la rémunération de pleine concurrence de LuxOpCo, ni a fortiori à établir si la rémunération de cette société, approuvée dans la décision fiscale anticipative en cause, était inférieure à cette rémunération de pleine concurrence (points 546 et 547 de l’arrêt attaqué) ;

– concernant le troisième constat subsidiaire, que, si la Commission avait à bon droit considéré que le mécanisme de plafonnement de la rémunération de LuxOpCo en fonction d’un pourcentage de ses ventes annuelles constituait une erreur méthodologique, elle n’avait cependant pas démontré que ce mécanisme avait eu une incidence sur le caractère de pleine concurrence de la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS. Dès lors, il a jugé que le seul constat selon lequel ce plafonnement avait été appliqué pour les années 2006, 2007 et 2011 à 2013 ne suffisait pas à établir que la rémunération de LuxOpCo obtenue pour ces années ne correspondait pas à une approximation d’un résultat de pleine concurrence et, par suite, que, par son troisième constat subsidiaire, la Commission n’avait pas démontré l’existence d’un avantage pour LuxOpCo (points 575, 576, 585, 586 et 588 de l’arrêt attaqué).

11 Au vu de ces considérations, suffisantes selon lui pour emporter l’annulation de la décision litigieuse, le Tribunal n’a pas examiné les autres moyens et arguments des recours.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

12 Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de rejeter le premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et les deuxième, quatrième, cinquième et huitième moyens dans l’affaire T‑318/18 ;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur les moyens non encore examinés ;

– à titre subsidiaire, de statuer définitivement sur le litige, en application de l’article 61, premier alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et

– de réserver les dépens en cas de renvoi au Tribunal ou de condamner le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon aux dépens si la Cour statue définitivement sur le litige.

13 Le Grand-Duché de Luxembourg demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

– de condamner la Commission aux dépens.

14 Amazon demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la Commission aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité

15 Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, sans présenter formellement d’exception d’irrecevabilité, que les arguments avancés au soutien de la première branche du premier moyen et de la deuxième branche du second moyen du pourvoi, relatives à l’interprétation et à l’application du principe de pleine concurrence, sont irrecevables en ce qu’ils tendent à remettre en cause des constatations de faits du Tribunal. Dans la mesure où la Commission ne chercherait pas à démontrer la dénaturation de ces faits, elle ne serait pas recevable à les contester dans le cadre de son pourvoi. Par ailleurs, d’hypothétiques erreurs du Tribunal dans l’interprétation et l’application du principe de pleine concurrence devraient être considérées comme portant sur le droit national luxembourgeois, ce principe n’ayant pas, selon la jurisprudence de la Cour, d’existence autonome en droit de l’Union, et, ainsi, comme des erreurs de fait. Or, les questions de fait ne pourraient être invoquées dans le cadre d’un pourvoi, sous réserve du cas de la dénaturation des faits par le Tribunal. Les arguments seraient donc également, pour ce motif, irrecevables, étant donné que les dénaturations alléguées à cet égard par la Commission ne seraient pas étayées.

16 Amazon, pour sa part, soutient, sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, que la Commission tente de présenter les appréciations de faits du Tribunal comme des questions de droit ou d’interprétation juridique afin que la Cour réexamine ces faits. Or, celle-ci ne pourrait, conformément à l’article 256 TFUE et à l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, se prononcer que sur les questions de droit, sauf dans l’hypothèse d’une dénaturation, que la Commission se bornerait en l’espèce à alléguer, sans même tenter de l’établir. Dans cette mesure, le pourvoi et, en particulier, la première branche du premier moyen et la deuxième branche du second moyen seraient irrecevables.

17 Il convient de préciser que la Commission soutient notamment, au point 25 de son pourvoi, qu’« une interprétation et une application erronées du principe de pleine concurrence constituent une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce qui concerne la condition de l’avantage » et, au point 26 de celui-ci, que, « en interprétant et en appliquant erronément le principe de pleine concurrence, le Tribunal commet une erreur “dans le cadre de son appréciation au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE” ». Elle réitère ce dernier grief au titre 6.2 du pourvoi.

18 Par conséquent, indépendamment des motifs pour lesquels la Commission estime que le Tribunal, en particulier aux points 162 à 251 de l’arrêt attaqué, a mal interprété et mal appliqué le principe de pleine concurrence, force est de constater que cette institution invite la Cour à vérifier l’exacte interprétation et la juste application de ce principe par le Tribunal au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

19 À cet égard, il importe de rappeler que la compétence de la Cour statuant sur un pourvoi formé contre une décision rendue par le Tribunal est définie par l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE. Celui-ci indique que le pourvoi doit être limité aux questions de droit et qu’il doit s’inscrire « dans les conditions et limites prévues par le statut ». Dans une liste énumérative des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre, l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne précise que le pourvoi peut être fondé sur la violation du droit de l’Union par le Tribunal (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 46).

20 Certes, en principe, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 82 ainsi que jurisprudence citée). La Cour ne saurait cependant être privée de la possibilité de contrôler si de telles appréciations ne constituent pas elles-mêmes une violation du droit de l’Union au sens de la jurisprudence citée au point 19 du présent arrêt.

21 Or, la question de savoir si le Tribunal a délimité de manière appropriée le système de référence pertinent et, par extension, a interprété et appliqué de manière correcte les dispositions le composant, en l’occurrence le principe de pleine concurrence, est une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi. En effet, les arguments tendant à remettre en cause le choix du système de référence ou sa signification dans la première étape de l’analyse de l’existence d’un avantage sélectif sont recevables, puisque cette analyse procède d’une qualification juridique du droit national sur la base d’une disposition du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 85 ainsi que du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C‑451/21 P et C‑454/21 P, EU:C:2023:948, point 78).

22 Admettre que la Cour ne soit pas en mesure de déterminer si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal s’est prononcé sur la délimitation, l’interprétation et l’application par la Commission du système de référence pertinent, en tant que paramètre décisif aux fins de l’examen de l’existence d’un avantage sélectif, reviendrait à accepter la possibilité que le Tribunal ait, le cas échéant, commis une violation d’une disposition du droit primaire de l’Union, à savoir l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans que cette violation puisse être sanctionnée dans le cadre du pourvoi, ce qui contreviendrait à l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, comme cela a été souligné au point 19 du présent arrêt.

23 Il y a donc lieu de considérer que, en invitant la Cour à contrôler si le Tribunal avait correctement interprété et appliqué le principe de pleine concurrence au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, pour juger que le système de référence retenu par la Commission afin de définir une imposition normale était erroné et, partant, que l’existence d’un avantage au profit du groupe Amazon n’était pas établie, la Commission a présenté des moyens et des arguments qui, contrairement à ce que soutiennent le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, sont recevables.

 Sur le fond

24 À l’appui de son pourvoi, la Commission fait valoir deux moyens, tirés, le premier, d’erreurs commises par le Tribunal concernant le constat principal de l’avantage exposé par elle dans la décision litigieuse et, le second, d’erreurs du Tribunal relatives au premier constat subsidiaire qu’elle a effectué s’agissant de cet avantage.

25 Il convient d’examiner ensemble ces deux moyens.

 Arguments des parties

26 Le premier moyen de la Commission comporte deux branches. La première branche est tirée de ce que le Tribunal, aux points 162 à 251 de l’arrêt attaqué, a mal interprété et mal appliqué le principe de pleine concurrence, n’a pas motivé l’arrêt attaqué sur ce point et a violé les règles de procédure en rejetant l’analyse fonctionnelle de LuxSCS et la sélection de cette société comme partie testée dans la décision litigieuse. La seconde branche est tirée de l’erreur résultant du rejet, par le Tribunal, aux points 257 à 295 de cet arrêt, du calcul du taux de pleine concurrence de la redevance.

27 Au soutien de ce moyen, la Commission fait valoir, à titre liminaire, que, comme le Tribunal l’aurait lui-même relevé, l’imposition normale devrait, en l’espèce, être appréciée au regard du principe de pleine concurrence, lequel constituerait un « outil » sur lequel elle devrait se fonder pour apprécier l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Partant, en interprétant et en appliquant de manière erronée ce principe, le Tribunal aurait violé cette disposition. En toute hypothèse, la Commission soutient que, s’il fallait considérer que les erreurs commises par le Tribunal dans l’application dudit principe portent seulement sur le droit luxembourgeois, ces erreurs n’en constitueraient pas moins des dénaturations manifestes de ce droit, que le Tribunal a considéré comme fondé sur ce même principe.

28 Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent l’ensemble des arguments invoqués à l’appui du premier moyen du pourvoi.

29 Le Grand-Duché de Luxembourg fait notamment observer, dans son mémoire en réponse, que, au moment de l’adoption de la décision fiscale anticipative en cause comme lorsque celle-ci a été prorogée, aucune référence n’était faite, en droit luxembourgeois, aux lignes directrices de l’OCDE. Celles-ci ne seraient pas contraignantes pour les pays membres de cette organisation, mais permettraient d’éclairer les dispositions de droit luxembourgeois pertinentes.

30 Le second moyen du pourvoi, qui vise les points 314 à 442 et 499 à 538 de l’arrêt attaqué, a trait au rejet par le Tribunal du premier constat subsidiaire posé par la Commission dans la décision litigieuse. Dans le cadre de la deuxième branche de ce second moyen, la Commission soutient à nouveau, au titre 6.2 du pourvoi, que « le Tribunal a mal interprété et mal appliqué le principe de pleine concurrence », ce que contestent tant le Grand-Duché de Luxembourg qu’Amazon.

Appréciation de la Cour

31 Selon une jurisprudence constante de la Cour, les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État. Les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 65 ainsi que jurisprudence citée).

32 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence bien établie de la Cour que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 66 ainsi que jurisprudence citée).

33 En ce qui concerne la condition relative à l’avantage sélectif, celle-ci impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

34 Afin de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable. La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer, dans un troisième temps, que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

35 La détermination du système de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales du fait que, comme cela a été souligné au point 23 du présent arrêt, l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ».

36 Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

37 Aux fins de l’appréciation du caractère sélectif d’une mesure fiscale, il importe donc que le régime fiscal commun ou système de référence applicable dans l’État membre concerné soit correctement identifié dans la décision de la Commission et examiné par le juge saisi d’une contestation portant sur cette identification. La détermination du système de référence constituant le point de départ de l’examen comparatif devant être mené dans le contexte de l’appréciation de la sélectivité, une erreur commise dans cette détermination vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 71 ainsi que jurisprudence citée).

38 Dans ce contexte, il convient, en premier lieu, de préciser que la détermination du cadre de référence, qui doit être effectuée à l’issue d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, doit découler d’un examen objectif du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national de cet État (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

39 En second lieu, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à la sélectivité. Il en va notamment ainsi de la détermination de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur et des éventuelles exonérations dont il est assorti (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

40 Il s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier le système de référence en matière de fiscalité directe, cette identification étant elle-même un préalable indispensable, en vue d’apprécier, non seulement l’existence d’un avantage, mais aussi le point de savoir si celui-ci revêt un caractère sélectif (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 74).

41 La présente affaire, à l’instar de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859), porte sur la question de la légalité d’une décision fiscale anticipative adoptée par l’administration fiscale luxembourgeoise et fondée sur la détermination de prix de transfert au regard du principe de pleine concurrence.

42 Or, il résulte de cet arrêt, en premier lieu, que le principe de pleine concurrence ne peut être appliqué que s’il est reconnu par le droit national concerné et selon les modalités définies par ce dernier. Autrement dit, il n’existe pas, en l’état actuel du droit de l’Union, de principe autonome de pleine concurrence s’appliquant indépendamment de l’incorporation de ce dernier dans le droit national aux fins de l’examen des mesures de nature fiscale dans le cadre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 104).

43 À ce sujet, la Cour a jugé que, si le droit national applicable aux sociétés au Luxembourg vise, en matière d’imposition des sociétés intégrées, à aboutir à une approximation fiable du prix du marché et si cet objectif correspond, de manière générale, à celui du principe de pleine concurrence, il n’en demeure pas moins que, en l’absence d’harmonisation en droit de l’Union, les modalités concrètes de l’application de ce principe sont définies par le droit national et doivent être prises en compte en vue d’identifier le cadre de référence aux fins de la détermination de l’existence d’un avantage sélectif (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 93).

44 En second lieu, il importe de rappeler que les lignes directrices de l’OCDE ne sont pas contraignantes pour les pays membres de cette organisation. Ainsi que l’a souligné la Cour, même si de nombreuses autorités nationales compétentes en matière fiscale s’inspirent de ces lignes directrices dans l’élaboration et le contrôle des prix de transfert, c’est uniquement au regard des dispositions nationales pertinentes qu’il convient de déterminer si des transactions données doivent être examinées à l’aune du principe de pleine concurrence et, le cas échéant, si des prix de transfert, qui fondent l’assiette des revenus imposables par un assujetti et sa répartition parmi les États concernés, s’écartent ou non d’un résultat de pleine concurrence. Ne sauraient donc être pris en compte, dans l’examen de l’existence d’un avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et aux fins d’établir la charge fiscale devant normalement peser sur une entreprise, des paramètres et des règles externes au système fiscal national en cause, telles que lesdites lignes directrices, à moins que ce dernier ne s’y réfère explicitement (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 96).

45 En l’occurrence, il importe de souligner que, aux points 121 et 122 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé ce qui suit :

« 121  Il convient en outre de préciser que, lorsque la Commission fait application du principe de pleine concurrence afin de contrôler si le bénéfice imposable d’une entreprise intégrée en application d’une mesure fiscale correspond à une approximation fiable d’un bénéfice imposable dégagé dans des conditions de marché, elle ne peut constater l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qu’à condition que l’écart entre les deux facteurs de comparaison aille au-delà des imprécisions inhérentes à la méthode appliquée pour obtenir ladite approximation (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 152).

122 Même si la Commission ne saurait être formellement liée par les lignes directrices de l’OCDE, il n’en demeure pas moins que ces lignes directrices se fondent sur des travaux réalisés par des groupes d’experts, qu’elles reflètent le consensus atteint à l’échelle internationale en ce qui concerne les prix de transfert et qu’elles revêtent de ce fait une importance pratique certaine dans l’interprétation des questions relatives aux prix de transfert (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 155). »

46 Il découle du point 121 de l’arrêt attaqué que, en y considérant que la Commission pouvait, de manière générale, faire application du principe de pleine concurrence dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, alors que ce principe n’a pas d’existence autonome en droit de l’Union, sans préciser que cette institution était, au préalable, tenue de s’assurer que ce principe était incorporé dans le droit fiscal national concerné, en l’occurrence le droit fiscal luxembourgeois, et qu’il y était fait référence expressément en tant que tel, le Tribunal a commis une première erreur de droit. Il n’est pas remédié à cette erreur par la circonstance que le Tribunal a, au point 137 de l’arrêt attaqué, estimé, au demeurant à tort, pour les motifs exposés aux points 54 et 55 du présent arrêt, que le droit luxembourgeois consacrait, à l’époque des faits, ce principe.

47 De même, en indiquant, au point 122 de l’arrêt attaqué, que, en dépit de leur absence de caractère contraignant pour la Commission, les lignes directrices de l’OCDE revêtaient une « importance pratique certaine » dans l’appréciation du respect de ce principe, le Tribunal a omis de rappeler que ces lignes directrices n’étaient pas non plus contraignantes à l’égard des pays membres de l’OCDE et que, partant, elles ne revêtaient d’importance pratique que pour autant que le droit fiscal de l’État membre concerné y fît explicitement référence. Partant, il n’a pas contrôlé si la Commission s’était assurée que tel était bien le cas du droit fiscal luxembourgeois et a lui-même tenu pour acquise l’applicabilité desdites lignes directrices, commettant ainsi une seconde erreur de droit.

48 Il en résulte que, alors que, au demeurant, l’Irlande avait invoqué, comme cela ressort du point 132 de l’arrêt attaqué, l’absence de fondement, en droit de l’Union, d’un principe de pleine concurrence, le Tribunal, écartant comme irrecevable cet argument et ne l’ayant, par conséquent, pas examiné alors que, sur le fond, il mettait en cause l’exactitude du système de référence retenu par la Commission afin de définir une imposition normale et, par conséquent, l’existence d’un avantage au profit du groupe Amazon, a retenu une interprétation du principe de pleine concurrence contraire au droit de l’Union, tel que rappelé, en particulier, aux points 96 et 104 de l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859), et a donc validé à tort la détermination par la Commission du système de référence.

49 Or, l’ensemble de l’analyse effectuée par le Tribunal, aux points 162 à 251, 257 à 295, 314 à 442 et 499 à 538 de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne la condition relative à l’existence d’un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, est fondée sur l’application, aux fins de l’appréciation de l’existence d’un tel avantage, du principe de pleine concurrence en vertu des lignes directrices de l’OCDE indépendamment de l’incorporation de ce principe dans le droit luxembourgeois.

50 Par conséquent, dès lors qu’elle repose sur une détermination erronée, par le Tribunal, du système de référence pertinent aux fins de l’appréciation de l’existence d’un avantage sélectif, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une telle analyse est, conformément à la jurisprudence évoquée au point 37 du présent arrêt, également erronée.

51 Il convient, cependant, de rappeler que, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs et de rejeter le pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C‑611/16 P, EU:C:2021:245, point 149, et du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

52 Tel est le cas en l’occurrence.

53 En effet, premièrement, la Commission a fait application du principe de pleine concurrence comme s’il avait été reconnu en tant que tel en droit de l’Union, ainsi qu’en témoignent notamment les considérants 402, 403, 409, 519, 520 et 561 de la décision litigieuse. Or, il ressort du point 104 de l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859) qu’il n’existe pas, en l’état actuel du droit de l’Union, de principe autonome de pleine concurrence s’appliquant indépendamment de l’incorporation de ce dernier dans le droit national.

54 Deuxièmement, elle a estimé, ainsi qu’il résulte des considérants 241 et 242 de la décision litigieuse, que l’article 164, paragraphe 3, de la loi concernant l’impôt sur le revenu était interprété par l’administration fiscale luxembourgeoise en ce sens qu’il consacrait le principe de pleine concurrence en droit fiscal luxembourgeois. Toutefois, comme cela résulte des points 96 et 104 de l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859), seule une incorporation de ce principe en tant que tel en droit national, laquelle exige a minima que ce dernier se réfère explicitement audit principe, permettrait à la Commission de faire application de celui-ci dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

55 Or, ainsi que la Commission l’a elle-même reconnu au considérant 243 de la décision litigieuse, ce n’est que depuis le 1er janvier 2017, soit postérieurement à l’adoption de la décision fiscale anticipative en cause et à sa prorogation, qu’un nouvel article de la loi concernant l’impôt sur le revenu « formalise explicitement l’application du principe de pleine concurrence dans le droit fiscal luxembourgeois ». Il est donc établi que l’exigence rappelée par la jurisprudence citée au point précédent n’était pas satisfaite lors de l’adoption, par l’État membre concerné, de la mesure que la Commission a estimé être constitutive d’une aide d’État, de telle sorte que cette institution ne pouvait appliquer ce principe rétroactivement dans la décision litigieuse.

56 Troisièmement, en faisant application, aux considérants 246 et suivants de cette décision, des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert sans avoir démontré que celles-ci avaient été, en tout ou en partie, explicitement reprises en droit luxembourgeois, la Commission a contrevenu à l’interdiction, rappelée au point 96 de l’arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859), de prendre en compte, dans l’examen de l’existence d’un avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et aux fins d’établir la charge fiscale devant normalement peser sur une entreprise, des paramètres et des règles externes au système fiscal national en cause, telles que ces lignes directrices, à moins que ce dernier ne s’y réfère explicitement.

57 Il importe de rappeler, à cet égard, que de telles erreurs dans la détermination des règles effectivement applicables en vertu du droit national pertinent et, partant, dans l’identification de l’imposition dite « normale » au regard de laquelle devait être appréciée la décision fiscale anticipative en cause vicient nécessairement l’ensemble du raisonnement tenant à l’existence d’un avantage sélectif (arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 71 ainsi que jurisprudence citée).

58 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 590 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas établi l’existence d’un avantage au profit du groupe Amazon, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et a annulé, en conséquence, la décision litigieuse.

59 Au vu de ce qui précède et en procédant par une substitution de motifs conformément à la jurisprudence citée au point 51 du présent arrêt, il convient donc d’écarter les deux moyens du pourvoi et, dès lors, de rejeter ce dernier dans son intégralité.

 Sur les dépens

60 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

61 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

62 En l’espèce, la Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Grand-Duché de Luxembourg et par Amazon, conformément aux conclusions de ces derniers.

63 Par ailleurs, l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. L’Irlande, partie intervenante, supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Commission européennesupporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Grand-Duché de Luxembourg ainsi que par Amazon.com Inc. et Amazon EU Sàrl.

3) L’Irlande supporte ses propres dépens.