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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 8 mars 2012, n° 11-00945

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BCM Métallerie (SARL)

Défendeur :

Unipersonnelle Eco Design (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

M. Semeriva, M. Martin

Avocats :

SCP Aguiraud Nouvellet, SCP Laffly - Wicky, Selarl Berard - Callies et Associes

CA Lyon n° 11-00945

7 mars 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

La société BCM Métallerie a assigné la société Eco Design en exposant qu'en 2006, cette dernière l'a contactée pour acquérir des bacs à fleurs qu'elle fabrique, puis qu'elle a présenté sur son site internet des clichés réalisés par M. Buathier, gérant de la société BCM Métallerie, montrant ces produits, qu'elle les a présentés comme étant fabriqués par ses soins et qu'elle a ainsi exploité sans autorisation lesdits clichés en violation du droit de leur auteur et commis en outre des actes de concurrence déloyale.

Le jugement entrepris a rejeté, tant cette action en contrefaçon, que les demandes présentées à titre reconventionnel par la société Eco Design, mais condamné cette dernière, pour concurrence déloyale, à payer à la société BCM Métallerie une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a en effet essentiellement retenu :

- que les clichés ne sont pas protégés par le droit d'auteur,

- que la publication sans autorisation des ces clichés dans des conditions de nature à tromper le public constitue un acte de parasitisme, mais que le préjudice est limité, dans la mesure où la société Eco Design commercialisait les produits de la demanderesse et que les deux entreprises s'échangeaient des photographies de leurs produits,

- que celle sur laquelle la société Eco Design fonde son action en contrefaçon présente les mêmes caractéristiques que la photographie faisant l'objet de la demande principale.

La société BCM Métallerie a relevé appel principal et fait valoir :

- que les choix opérés par M. Buathier lors de la prise des clichés mettent en évidence un parti-pris esthétique manifestant l'empreinte de l'auteur, indépendamment du sujet représenté, alors que la photographie opposée à titre reconventionnel est dépourvue d'originalité,

- qu'elle est titulaire du droit d'auteur, par cession et par présomption,

- que la présentation des clichés, sans autorisation, par la partie adverse constitue un acte de contrefaçon et que la bonne foi prétendue est inopérante,

- que la société Eco Design a également commis des actes distincts de concurrence déloyale, en détournant la clientèle,

- qu'étant sous-traitante pour la fabrication des bacs en cause, cette dernière ne saurait dénoncer l'appropriation de son travail.

La société BCM Métallerie demande en conséquence de réformer partiellement le jugement et de condamner la société Eco Design à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon, celle de 5 000 euros en réparation du préjudice né de la concurrence déloyale, d'ordonner une publication et de fixer à 7 000 euros l'indemnité pour frais irrépétibles.

La société Eco Design soutient :

- que les photographies sur lesquelles se fonde la demande adverse en contrefaçon ne présentent pas d'originalité, au contraire de celle qu'elle reproche à la société BCM Métallerie d'avoir reproduite sans son autorisation,

- que d'ailleurs, les parties étant en relations commerciales, cette dernière l'avait autorisée à présenter ses clichés,

- qu'il n'y a pas lieu, en toute hypothèse, à astreinte, les clichés ayant été immédiatement retirés du site,

- qu'il n'y a pas de concurrence déloyale, ni de preuve d'un quelconque préjudice,

- qu'au contraire, la société BCM Métallerie a commis une faute en laissant croire aux consommateurs qu'elle fournit l'ensemble des matériaux composant les bacs, alors que ces derniers proviennent de la société Eco design.

Elle demande de confirmer partiellement le jugement et, pour le surplus, de condamner la société BCM Métallerie, sous astreinte, à retirer de son catalogue les oeuvres sur lesquelles la société Eco Design est titulaire d'un droit d'auteur, de la condamner au paiement d'une somme de 35 000 euros en réparation du dommage de contrefaçon et celle de 5 000 euros au titre de la concurrence déloyale, et de lui allouer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Action en contrefaçon de la société BCM Métallerie :

Le jugement entrepris relève que celle-ci se contente d'affirmer le caractère original de photographies qui apparaissent banales dans leur présentation basique de produits destinés à la vente.

Le sujet même de ces photographies est toutefois indifférent pour l'examen de leur protection par le droit d'auteur et la société BCM développe en cause d'appel les raisons pour lesquelles elle estime que les conditions de cette protection sont réunies.

Quant aux deux photographies présentant une jardinière posée sur une pelouse, devant une haie, ou sur un sol carrelé, ces explications complémentaires n'emportent pas la conviction ; la technique imposant certains choix en matière de cadrage et de composition, l'existence même de ces choix n'implique pas à elle seule que ces clichés portent l'empreinte de la personnalité de l'auteur ; en l'occurrence, ils présentent ces jardinières posées, pour l'une sur un carrelage, pour l'autre, qui n'est pas plantée, sur une pelouse ; le fait que les vues sont prises en plongée, sensiblement de trois-quarts, et que l'un des clichés montre divers éléments accessoires ne caractérise pas suffisamment une approche personnelle du photographe ; le jugement écartant la protection doit être confirmé en ce qui les concerne.

Il en va différemment des deux autres.

La première montre deux jardinières plantées de bambous ; l'une est proche du spectateur, posée sur un trottoir ; l'autre est posée sur le trottoir d'en face, de l'autre côté d'une petite rue ; le fond est composé de devantures de commerces, l'une très claire, l'autre très sombre, et de fenêtres à l'étage.

La profondeur est suggérée par la ligne de la rue, vers la droite et par la ligne de fuite suivant les deux jardinières ; le cliché est organisé autour de très nombreuses droites (côtés des jardinières, pavés, trottoirs, devantures alternant des quadrilatères de forme et surface différentes) et du contraste des couleurs.

L'autre : deux jardinières, prises là encore en enfilade selon une ligne de fuite, posées sur le palier d'un escalier desservant de grandes portes vitrées de facture ancienne ; profusion de lignes (verticales des côtés des jardinières, du tronc des arbustes qui y sont plantés, des portes, cette dernière contrastant avec leur partie supérieure arrondie ; horizontales des marches, palier et pierres de taille).

Quels qu'en soient le mérite et la valeur esthétique, ces deux clichés mettent en évidence des choix du photographe quant à la structuration de l'image et portent l'empreinte de sa personnalité.

Ils constituent des oeuvres de l'esprit, protégées par le droit d'auteur.

La société Eco Design les a présentés au public en les reproduisant sur son site internet ; elle ne justifie d'aucune autorisation, celle-ci ne pouvant notamment se déduire de la seule transmission des photos dans le cadre des relations commerciales entre les parties, la mise en possession de ce support matériel n'impliquant aucune autorisation d'exploiter l'oeuvre qui y est fixée.

Ces faits caractérisent la reproduction et la représentation d'oeuvres de l'esprit en violation des droits de l'auteur et constituent la contrefaçon.

Il en résulte un préjudice que la société BCM Métallerie demande d'évaluer sous la forme du forfait prévu à l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle (applicable en la cause, puisque la capture d'écran est du 10 avril 2008) en soulignant dans sa citation de ce texte la phrase relative à ce mode de réparation.

Les deux clichés concernés présentent un intérêt démonstratif et commercial ; pour autant, il n'est pas établi que leur auteur justifie d'une notoriété en tant que photographe ou qu'ils présentent un intérêt historique, documentaire, voire artistique, particulier.

Eu égard à ces circonstances et donc au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte, l'indemnité forfaitaire, qui ne peut être inférieure à ce montant, sera fixée à 2 000 euros.

Pour refuser d'ordonner le retrait des clichés, le tribunal a relevé qu'ils avaient été enlevés du site ; aucun élément ne vient remettre en cause cette constatation ; la décision prise à ce propos quant à la réparation des actes de concurrence déloyale doit être confirmée sur le terrain de l'indemnisation de la contrefaçon ; il en va de même du refus d'ordonner une mesure de publication, qui n'est pas proportionnée au préjudice.

Action en concurrence déloyale de la société BCM Métallerie :

La société BCM Métallerie expose qu'elle est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de mobilier et que la société Eco Design, qui détient un site internet présentant les produits qu'elle fabrique et commercialise, a pris attache avec elle, puis lui a commandé plusieurs bacs d'orangerie.

Il n'est toutefois pas prétendu que la société Eco Design, dès lors qu'elle 'fabrique et commercialise' de tels matériels, ne commercialiserait que ceux qu'elle fabrique ; d'ailleurs, la commande passé auprès de la société BCM Métallerie montre le contraire.

Selon le constat dressé à la demande de la société BCM Métallerie, les quatre clichés figurent sur le site et servent à présenter les produits authentiques correspondants.

La page d'accueil vante l'élégance, la discrétion et le caractère écologique des mobiliers offerts à la vente mais la société Eco Design ne se désigne pas comme leur créateur ou fabricant.

De façon générale, aucune constatation de l'huissier ne montre que les pages incriminées contiendraient quelque mention propre à faire accroire que la société Eco Design les fabriquerait.

Rien en conséquence ne vient justifier le grief retenu par le tribunal et soutenu par la société BCM Métallerie, selon lequel il s'agirait là d'un comportement fautif tirant profit de relations commerciales pour profiter indûment des investissements d'autrui, créant un risque de confusion et opérant un détournement de clientèle ; il n'est question que de faire connaître le produit et de réaliser des ventes.

Reproduire et représenter sans autorisation des oeuvres couvertes par le droit d'auteur, telles les deux clichés précédemment retenus à ce titre, constitue une contrefaçon.

Mais si ce fait est en lui-même fautif et constitutif de préjudice, il n'est pas susceptible de donner lieu à un cumul de condamnations, tout à la fois au titre de cette contrefaçon et d'une concurrence déloyale en l'absence de toute circonstance ou conséquence que l'action en contrefaçon n'aurait pas appréhendée.

En l'espèce, il n'existe aucune circonstance ou conséquence de cette nature : les photographies ont été utilisées sans autorisation, mais uniquement pour présenter au public, de façon loyale, les produits que la société Eco Design avait régulièrement acquis de la société BCM Métallerie.

Il n'est, quant à ces deux clichés, nul fait distinct de ceux fondant la condamnation pour contrefaçon.

La reproduction des deux autres photographies n'est pas en elle-même fautive, puisqu'elles ne sont pas protégées par le droit d'auteur ; l'absence d'autorisation sur point est indifférente, dès lors qu'il n'est pas établi, ni même prétendu, que la convention des parties l'interdisait.

Cette reproduction n'a par ailleurs nul caractère déloyal, puisque, au regard des éléments précédemment exposés, il n'en découle ni risque de confusion, ni parasitisme au regard de l'investissement dérisoire qu'ils représentent, ni quelque faute ou préjudice.

Le jugement doit être réformé, en ce qu'il retient l'existence d'actes de concurrence déloyale pour allouer une indemnisation à la société BCM Métallerie.

Action de la société Eco Design en contrefaçon :

La demande se fonde sur un cliché pris par M. Beclin, son gérant, qui serait reproduit dans un catalogue de la société BCM Métallerie.

Il représente un bac d'orangerie, vide, posé sur un sol uni, devant une cloison typique de l'aménagement d'une exposition au public (M. Beclin confirme qu'il l'a pris lors d'un salon à Lille).

Aucune empreinte personnelle n'est perceptible et la société Eco Design n'expose d'ailleurs pas en quoi ce serait le cas ; cette photographie n'est pas le fruit d'une création originale ; elle ne relève pas d'une protection à titre d'oeuvre de l'esprit et le jugement rendu en ce sens doit être confirmé.

Action de la société Eco design en concurrence déloyale :

Il est reproché à la société BCM Métallerie d'avoir exploité la photographie dans la gamme 'environnement' de son catalogue en précisant qu'il s'agit d'un bac fabriqué avec des parements en lattes de plastique recyclée ou en compact strié.

Sans prétendre que cette présentation serait inexacte, la société Eco Design en déduit qu'elles laissent croire que 'tout est fait par la société BCM Métallerie', alors que la quasi-totalité des matériaux provient de sa propre activité.

Mais, cette mention est impropre à accréditer un risque de confusion ou d'erreur quant à cette origine des produits constitutifs dont il n'est nulle part question dans les documents versés aux débats.

Il n'est pas plus établi que le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif est porté à penser que le fabricant d'un produit fini, spécialement une jardinière, est par principe le fabricant de tous les éléments entrant dans sa composition

Le catalogue se borne en réalité à décrire et offrir le produit à la vente, sans revendiquer directement ou indirectement la qualité de fabricant de l'ensemble des éléments qui le composent.

La demande est dépourvue de fondement.

Elle ne semble pas avoir été présentée en première instance, de sorte qu'il convient d'ajouter au jugement en statuant sur ce point.

La société Eco Design succombe essentiellement ; les dépens seront à sa charge, y compris les dépens de première instance, à propos desquels le jugement ne statue pas dans son dispositif.

L'équité commande d'écarter une nouvelle application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a intégralement rejeté l'action en contrefaçon de la société BCM Métallerie et accueilli son action en concurrence déloyale,

- Statuant à nouveau de ces chefs,

- Dit qu'en reproduisant et représentant sans autorisation deux clichés de M. Buathier, la société Eco Design a porté atteinte aux droits d'auteur dont la société BCM Métallerie est titulaire,

- Condamne en conséquence la société Eco Design à payer à la société BCM Métallerie une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- Déboute la société BCM Métallerie du surplus de son action en contrefaçon et de sa demande fondée sur la concurrence déloyale,

- Ajoutant au jugement,

- Déboute la société Eco Design de sa demande fondée sur la concurrence déloyale,

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées en cause d'appel,

- Condamne la société Eco Design aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.