CA Toulouse, 3e ch., 7 décembre 2023, n° 22/03808
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CCL Consulting (SARL), KLA Consulting (SARL)
Défendeur :
Consort France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beneix-Bacher
Conseillers :
M. Stienne, M. Vet
Avocats :
Me Carles, Me Martin-Linzau
FAITS
La SAS Consort France et les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting interviennent dans le même secteur d'activité du conseil en digital et informatique.
La SARL Kla a été créée par un ancien salarié M. [G] [O].
La SAS Consort France leur reproche des actes de concurrence déloyale par débauchage massif de salariés et démarchage de clients de nature à désorganiser l'entreprise.
Par ordonnance du 8 décembre 2021 rendue sur requête déposée le 2 décembre 2021, le président du tribunal de commerce de Toulouse a rejeté la demande de désignation d'un huissier aux fins d'investiguer dans les locaux de la SARL CCL et de la SARL Kla (correspondant au domicile de son gérant), procéder à la saisie de documents et les séquestrer.
La SAS Consort France a relevé appel de cette décision par acte du 22 décembre 2021.
Par ordonnance du 4 janvier 2022 modifiée le 24 février 2022 sur requête du 21 février 2022 (modification portant sur l'adresse du siège de la SARL Kla Consulting constitué du domicile de M. [O]), le président du tribunal de commerce de Toulouse s'est rétracté et a fait droit à la demande de désignation d'un huissier.
Les mesures d'investigation ont été réalisées les 14 février et 30 avril 2022.
Parallèlement, le 30 juin 2022, la SAS Consort France a saisi le juge des référés d'une demande en main levée du séquestre et communication des pièces saisies. Par ordonnance du 17 novembre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce a rejeté la demande mais sollicité avant dire droit des mesures complémentaires.
Par ordonnance du 29 juin 2023, le président du tribunal de commerce de Toulouse a ordonné la remise de documents séquestrés à la SAS Consort France après opération de tri en application des articles L. 151-1 et R. 153-3 du code de commerce. La SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting en ont relevé appel par déclaration du 31 juillet 2023 ; l'affaire est toujours pendante devant la cour.
PROCEDURE
Par acte du 22 juillet 2022, les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting ont assigné la SAS Consort France en rétractation des ordonnances des 4 janvier et 24 février 2022 devant le président du tribunal de commerce de Toulouse.
Par ordonnance contradictoire du 20 octobre 2022, le juge a :
- dit les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting recevables en leur demande,
- dit n'y avoir lieu à rétractation des ordonnances du 04/01/2022 et du 24/02/2022 et débouté les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting au paiement in solidum, à la SAS Consort France de la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 28 octobre 2022, la SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting ont relevé appel de la décision en en critiquant l'ensemble des dispositions.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting, dans leurs dernières conclusions en date du 16 octobre 2023, demandent à la cour de :
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
- dit les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting recevables en leur demande,
- dit n'y avoir lieu à rétractation des ordonnances du 04/01/2022 et du 24/02/2022 et débouté les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting de l'ensemble de leurs demandes,
-condamné SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting au paiement in solidum, à la SAS Consort France de la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance ;
Et statuant à nouveau, A titre liminaire :
- Déclarer recevable la demande formulée à titre subsidiaire par la SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting aux fins de modification de l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Toulouse du 04/01/2022 pour en limiter le périmètre en excluant les mots clés rappelés ci-dessous ;
A titre principal :
- Rétracter les ordonnances rendues par le Président du Tribunal de commerce de Toulouse Ies 04/01/2022 et 24/02/2022 en toutes leurs dispositions et les déclarer nulles et non avenues ;
- Ordonner la restitution à la SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting des documents appréhendés ;
- Prononcer la nullité des procès-verbaux de constat réalisés en exécution des ordonnances du 04/01/2022 et du 24/02/2022 ;
- Interdire à la SAS Consort France de se prévaloir des ordonnances rendues le 04/01/2022 et le 24/02/2022 et de tous les éléments auxquels elle aurait pu avoir accés en exécution desdites ordonnances ;
A titre subsidiaire:
- Modifier l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de TOULOUSE du 04/01/2022 pour limiter le périmètre en excluant les mots clés suivants':
*les mots clés '[I] [J]', '[J]», ' [Courriel 11]' et '[Courriel 12]' s'agissant des recherches effectuées sur le poste informatique, la boite email professionnelle et les boites emails personnelles de [I] [J] ;
*les mots clés '[G] [M]', '[O]', '[Courriel 8]', '[Courriel 7]', 'KLA' et 'KLA Consulting' s'agissant des recherches effectuées sur le poste informatique, la boite email professionnelle et Ies boites emails personnelles de [G] [O] ;
*les mots clés ' [D] [K]', '[K]', '[email protected]', '[email protected]' s'agissant des recherches effectuées sur le poste informatique, la boite email professionnelle et Ies boites emails personnelles de [D] [K] ; et
*les mots clés '[S] [X]', '[X]', '[Courriel 10]', '[Courriel 9]', ' KLA', ' KLA Consulting' s'agissant des recherches effectuées sur le poste informatique, la boîte email professionnelle et les boites emails personnelles de [S] [X] ;
- Ordonner la restitution à la SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting des documents et fichiers informatiques appréhendés en application des mots clés qui seront désormais exclus du périmètre de la mesure ;
- Prononcer la nullité des procès-verbaux de constat réalisés en exécution des ordonnances du 04/01/2022 et du 24/02/2022 en ce qu'ils visent les opérations de consultation et de copie de fichiers et documents mentionnant tout ou partie des mots clés qui seront désormais exclus du périmètre de la mesure ;
En toutes hypothèses
- Condamner la SAS Consort France à verser à la SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting la somme de 2.000 € à chacune en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à prendre en charge les entiers dépens.
Elles soutiennent que :
- leur demande subsidiaire de modification de la mission prévue à l'article 497 du code de procédure civile est recevable : ce n'est pas une demande nouvelle mais, elle tend aux mêmes fins que la demande principale'; d'autant qu'il ne s'agit que de limiter le périmètre des investigations ;
- la mesure sollicitée n'est pas justifiée par un motif légitime :
*en l'absence de litige plausible de concurrence déloyale'en ce qu'il n'a pas été procédé à un démarchage massif de ses salariés,
- aucune pièce ne vient corroborer la suspicion d'appropriation d'information confidentielles,
- le démarchage de clients n'est pas en soi déloyal et il n'est pas justifié de l'emploi de moyens déloyaux pour ce faire ;
- les supposées violations des obligations de l'ancien salarié M. [O] ne concernent pas le litige mais le conseil de prud'homme,
*les mesures sollicitées sont disproportionnées et sont donc de nature à porter atteinte au secret des affaires et à la vie privée des dirigeants; ce sont plus de 28 000 documents qui ont été saisis'; dans le litige sur l'exécution de la mesure le juge a relevé lui-même qu'au vu de la masse saisie il y avait lieu de faire application de l'article L. 153-1 du code de commerce pour permettre la protection du secret des affaires';
- en application de l'article 497 du code de procédure civile, la mesure ayant permis à l'huissier d'aspirer des informations personnelles des salariés concernés, il conviendra d'exclure les boîtes mail personnelles de ses investigations.
La SAS Consort France dans ses dernières conclusions en date du 20 octobre 2023, demande à la cour de':
- déclarer irrecevable la demande nouvelle formulée à titre subsidiaire par SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting aux fins de modification de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de toulouse du 4 janvier 2022 ;
- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de toulouse le 20 octobre 2022 (rg n° 2022r00333) en toutes ses dispositions;
Par conséquent,
- débouter les SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting de l'intégralité de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- les condamner in solidum à lui à verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Elle soutient que
- elle justifie de la nécessité de déroger au principe du contradictoire ainsi qu'il a été indiqué dans la requête du 2 décembre 2021 et qu'il a été confirmé par le juge : risque de concertation au vu des débauchages de salariés et démarchage de clientèle, facilité de suppression de fichiers informatiques,
- la demande subsidiaire en modification et restriction du périmètre des investigations, en restitution de documents et en nullité des procès-verbaux est irrecevable en ce qu'il s'agit d'une demande nouvelle,
- elle justifie d'un motif légitime :
* suspicion d'actes de concurrence déloyale par débauchage de salariés clé au vu des échanges entre eux et les sociétés et démarchage de clients qui ont quitté l'entreprise,
*éléments rendant crédible un litige postérieur :
- en raison de la violation par le gérant de Kla, M. [G] [O] de ses obligations d'exclusivité et de non-sollicitation dans son contrat de travail,
- et considérant que Kla et CCL ont démarché, débauché et recruté des salariés'par des moyens déloyaux même s'ils n'étaient pas soumis à une clause de non concurrence ou déliés d'une telle clause (appropriation de données confidentielles) ; la légalité (supposée) de la clause de non sollicitation ne relève pas de ce contentieux ; il s'agit de ne pas contracter après le départ de l'entreprise directement ou indirectement leurs anciens collègues ; or Mme [P] atteste n'avoir pas été en recherche d'emploi et avoir été démarchée par CCL/Kla'; et ce ne peut être un cas isolé ; de même pour M [A] ;
- en raison également de l'appropriation de données confidentielles par des procédés déloyaux et du détournement de clientèle qu'elle a permis,
- la mesure sollicitée est utile car permettra de vérifier l'étendue des actes de concurrence déloyale,
- les mesures sont légales ; elles sont limitées et circonscrites dans leur objet par des mots clés directement en lien avec les faits litigieux et limitées dans le temps, de sorte qu'il n'y a pas de risques de violation du secret des affaires; il n'y a pas non plus de risque de violation de la vie privée vu les mots clés, la participation des salariés concernés aux opérations a été prévue à l'ordonnance ainsi que le séquestre de documents recueillis ; la mission donnée à l'huissier n'induisait pas son appréciation du champ de la mission laquelle n'excède pas ce qui est nécessaire à la recherche et la conservation des preuves utiles aux procès en vue desquels la mesure est sollicitée,
- il n'y a pas lieu à modifier l'ordonnance présidentielle, ni à prononcer la nullité des procès-verbaux de constat réalisés en exécution des ordonnances présidentielles.
MOTIVATION
Sur la dérogation au principe du contradictoire,
L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse et, les articles 494, 496 et 497 prévoient les conditions de présentation de la requête et de sa rétractation.
Ainsi, des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement. A défaut, la requête doit être déclarée irrecevable.
Le juge doit s'assurer même d'office que la mesure sollicitée exige une dérogation au principe du contradictoire. De sorte qu'il importe peu comme en l'espèce que la SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting ne le contestent pas.
La dérogation au principe du contradictoire est admise chaque fois que l'information de la partie adverse risquerait de rendre vaine la mesure sollicitée. Si le souci d'efficacité constitue incontestablement une justification à l'absence de contradiction, la mesure sollicitée ne présentant d'intérêt que si un effet de surprise est ménagé, les circonstances justifiant une telle dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou dans l'ordonnance qui y fait droit, laquelle peut se contenter de s'y référer.
Ces circonstances doivent être précises et circonstanciées; elles doivent rendre plausible le risque de disparition des données. Ces éléments peuvent être tirés des circonstances particulières de l'espèce, de l'objet de la mesure, du contexte factuel ou du comportement des parties qui pourraient laisser craindre la dissimulation ou la destruction de preuves…
En l'espèce, la requête du 30 novembre déposée le 2 décembre 2021 vise :
- la situation de concurrence directe des parties qui évoluent dans le même secteur d'activités du conseil en digital et informatique,
- les démissions et l'embauche concomitante par la SAS Consort France de la majorité des salariés du département «'Solution'» dont le directeur des ventes, M. [O], dans un laps de temps court,
- une tentative de débauchage de salariés ( Mme [X], M. [A]),
- le démarchage de clients nommément désignés et l'utilisation du fichier client de la SAS Consort France,
- le risque de concertation entre les membres des SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting en raison du comportement de M. [O],
- le risque de suppression de correspondances électroniques, de fichiers et autres documents facilement destructibles.
Dans ces conditions, il apparaît que la requête étant suffisamment motivée, il est justifié du recours à une procédure dérogatoire du principe du contradictoire au regard de la crainte de manœuvres de dissimulation ou destruction de documents entre les mains de tiers dans le cadre d'une suspicion d'actes de concurrence déloyale.
Sur le motif légitime,
En vertu de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'instruction peut être ordonnée, à la demande de tout intéressé, s'il existe un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.
Le motif légitime existe dès lors que l'éventuelle action au fond n'est pas manifestement vouée à l'échec, que la mesure demandée est légalement admissible, qu'elle est utile et améliore la situation probatoire des parties et qu'elle ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes de l'adversaire.
Il est dès lors indispensable que le requérant sur qui repose la charge de la preuve et non à l'auteur du référé rétractation, établisse l'existence d'un litige plausible, crédible, bien qu'éventuel et futur, dont le contenu et le fondement soient cernés, approximativement au moins, et sur lequel pourra influer le résultat de la mesure à ordonner. Mais l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le fondement et les limites d'une action par hypothèse incertaine, soient déjà fixées.
En l'espèce, il n'est pas contesté l'absence de tout procès au fond.
Dès lors que le référé aux fins de rétractation n'est pas une voie de recours mais une demande en justice permettant la mise en œuvre d'une procédure contentieuse afin de créer un débat contradictoire, il appartient à celui qui a déposé la requête, et non à l'auteur du référé-rétractation, de démontrer que celle-ci est recevable et fondée. C'est donc à la SAS Consort France, contrairement à ce qu'elle soutient, que revient la charge de rapporter la preuve des conditions de l'action sur le fondement de l'article 145.
Sur l'existence de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige,
Le juge saisi sur le fondement de l'article 145 n'a pas à trancher l'existence et la réalité d'actes de concurrence déloyale qui relève de l'appréciation du juge du fond. Il lui appartient seulement de vérifier l'existence d'un litige probable en matière de concurrence déloyale c'est à dire une suspicion d'actes de dénigrement, de parasitisme, de désorganisation, de détournement de clientèle, de débauchage, de nature à désorganiser l'entreprise, justifiant que soit ordonnée une mesure d'instruction légalement admissible.
La SAS Consort France soutient justifier d'une suspicion d'actes de concurrence déloyale par débauchage de salariés, démarchage et détournement de clientèle et désorganisation de l'entreprise.
Elle invoque ainsi :
- le pillage de sa force de vente notamment et le débauchage de salariés en raison de :
*la démission de trois salariés du département « Solution », soit deux cadres, M. [O] directeur du département «'Solutions'», M [K] ingénieur d'affaires du même département en décembre 2021, et Mme [X], chargée de recrutement Non-cadre, en juillet 2021,
*leur embauche concomitante chez la SAS Consort France, M.[O] en qualité de directeur des ventes, M. [K] aux mêmes fonctions et Mme [X] en qualité de directrice de recrutement, (cf son profil Linkdin), M. [A] ingénieur réseaux et sécurité,
*une tentative de débauchage d'une autre salariée Mme [P] également membre du département «'Solution'» en janvier 2021, par Mme [J] ancienne salariée en période d'essai chez SAS Consort France, et embauchée en janvier 2020 par la SARL CCL Consulting,
- la duplicité de M. [O] qui d'une part, a créé en octobre 2020 soit quelques mois avant sa démission alors qu'il était encore salarié de la SAS Consort France, une société directement concurrente, la SARL Kla Consulting et qui, d'autre part, a été embauché par la SAS Consort France, directement commanditaire de prestations auprès de sa société; et ce alors que :
*l'absence de clause de non-concurrence ou sa levée pour MM [O] et [K] n'exclut pas une action en concurrence déloyale dès lors que des moyens déloyaux ont été utilisés contre l'ancien employeur (débauchage d'anciens salariés ou exploitation de données confidentielles),
*la clause de non-sollicitation à laquelle M. [O] était tenu interdisant de recruter ou faire recruter les anciens collègues dans une autre entreprise après avoir quitté son employeur, a été clairement violée dès lors que, s'il est possible que des salariés soient « chassés » par d'autres entreprises, il demeure que ni MM [O] et [K] ni Mme [X] étaient en recherche active d'emploi et que MM [O] et Mme [J] ont démarché des anciens collègues (Mme [P] et M. [A]) dans le but de les débaucher et notamment Mme [P] (tentative de recrutement)'; la mesure sollicitée étant de nature à permettre de connaître l'ampleur des tentatives de débauchage,
- l'appropriation de données confidentielles au regard du montant exorbitant de 33 125€ accordé à la SARL Kla Consulting par la SARL CCL Consulting durant l'année 2020 alors que le contrat de sous-traitance n'a démarré qu'en décembre 2020'; cet honoraire ne s'explique que comme la contrepartie de l'obtention de données confidentielles,
- le démarchage de clients toulousains nominativement cités tels que MPIH (marché remporté 8 mois après l'embauche de MM. [O] et [K] pour une entreprise de 4 ans d'ancienneté), Partecis, Omnium Finance et Mecachrome, voire la société Latécoère (même s'il ne s'agit pas d'un ancien client) qui ne s'explique que par l'exploitation du fichier client (renseignements sur les prix et prestations offertes) et non par le seul recours à la procédure d'appel d'offre.
La SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting répliquent que :
- la preuve d'un débauchage de salariés n'est pas rapportée'; le principe est la liberté du travail ; Mmes [X] et [J] n'étaient pas soumises à une clause de non concurrence et MM [O] et [K] en avaient été déliés pour des motifs financiers, l'employeur ne souhaitant pas l'indemniser'; il n'est produit aucune preuve de prise de contact directe des salariés les ayant rejoints lesquels étaient déjà en recherche d'emploi auprès d'autres recruteurs; on ne sait pas combien de salariés ont ainsi été recensés'; et les salariés élevés dans la hiérarchie (M. [Z], M. [V] [T], Mme [Y]) n'ont pas rejoint la SARL CCL Consulting ou la SARL Kla Consulting mais d'autres sociétés (notamment M. [Z] en juillet 2021, M. [V] [T] en septembre 2022) ;
- l'appropriation d'informations confidentielles par des procédés déloyaux n'est pas non plus rapportée : il ne s'agit que d'affirmations ; la présence de clients communs est insuffisante alors que les prestations offertes sont différentes et que les marchés ont été attribués loyalement à la suite d'un appel d'offre ; quant à l'honoraire forfaitaire facturé par Kla à CCL, il correspond à une avance de facturation sur objectif ;
- le démarchage des clients de la SAS Consort France n'est pas en soi déloyal et il n'est pas justifié de moyens déloyaux pour y parvenir': MIPIH était cliente de CCL avant l'arrivée de M. [O], Latécoère est un nouveau marché qui lui a été attribué loyalement et pour les autres prestataires cités il n'est justifié d'aucun élément probant alors que les missions confiées par l'un d'eux, Partecis, ne sont pas de celles qui étaient assurées par la SAS Consort France'; rien n'indique l'antériorité de cette clientèle notamment Mecachrome,
- M. [O] n'a pas manqué à son obligation d'exclusivité et de non-sollicitation.
Sur ce,
Au vu de son organigramme, l'agence Sud Ouest de la SAS Consort France dirigée par M. [Z] à l'époque était composée de 4 départements :
- département Solution composé de 3 membres, M. [O] directeur, M. [K] commerce, Mme [P] chargée du recrutement,
- département Infra Industrie composé de M. [V], directeur, et M [C] commerce,
- département Région Aura composée de Mme [Y] directrice et M. [B] commerce,
- Service recrutement composé de Mme [X] référente, et Mme [R] chargée du recrutement.
Il n'est pas contesté que deux des trois salariés clé du service Solution MM. [O] et [K] ont démissionné en décembre 2020 pour être embauchés aussitôt en janvier 2021 au sein de la SARL CCL Consulting sachant que M. [O] a créé sa propre entreprise concurrente de la SAS Consort France, la SARL Kla Consulting, au dernier trimestre 2020.
Si le témoignage de Mme [P] n'apparaît pas déterminant d'une tentative de débauchage dès lors que la proposition de contrat salarial par mail du 7 janvier 2021 vise un entretien préalable avec «'l'équipe CCL Consulting'» ce qui contredit son affirmation suivant laquelle elle n'était pas en recherche d'emploi, il demeure que ce mail émane Mme [J] également ancienne salariée de la SAS Consort France en charge du recrutement qui a quitté son emploi en janvier 2021.
Puis en avril 2021, Mme [X] du service recrutement a démissionné pour être aussitôt embauchée au sein de la SARL Kla Consulting suivant CDI du 9 avril 2021 à effet au 10 juin 2021 en qualité de directrice du recrutement'; et elle apparaît sur son profil Linkdin salariée de la SARL CCL Consulting en juillet 2021.
Ainsi, ces nombreuses démissions sur un laps de temps bref, suivies d'une embauche concomitante chez le concurrent, permettent de suspecter une concertation entre les anciens salariés de la SAS Consort France et sont de nature à créer une désorganisation de l'entreprise.
Parallèlement, il n'est pas contesté que certains anciens clients ont quitté la SAS Consort France pour la SARL CCL Consulting tels que MIPIH, Partecis, Omnium Finance et Mecachrome, après la création de la SARL Kla Consulting et les embauches de salariés clé au sein de la SARL CCL Consulting.
Et l'antériorité des relations commerciales entre la SARL CCL Consulting et MIPIH, si tant est qu'elle soit rapportée, n'est pas déterminante puisqu'il n'est pas contesté que le marché remporté par la SARL CCL Consulting l'a été postérieurement à l'embauche de M. [O]. Par ailleurs, dès lors que les trois sociétés exercent sur le même secteur d'activité, il ne peut être valablement opposé devant le juge de la rétractation saisi sur le fondement de l'article 145, le détail exact des missions précises confiées par les clients ni même les conditions d'octroi d'un marché par sous traitance d'un tiers.
Dans ces conditions, le rapprochement entre les nombreuses démissions concomitantes à l'embauche chez un concurrent direct et la perte de marchés d'anciens clients suffisent à caractériser une suspicion d'actes de concurrence déloyale et ainsi justifier une mesure d'instruction qui, permettant d'en connaître l'étendue, serait de nature à conforter la situation probatoire de la SAS Consort France.
Sur les mesures adéquates et légalement admissibles,
L'article 145 du code de procédure civile prohibe les mesures générales d'investigation : les mesures admissibles doivent être encadrées et circonscrites dans leur objet et dans le temps. Elles doivent être limitées aux seules investigations nécessaires à la preuve des faits en litige c'est à dire ceux décrits dans la requête annexée à l'ordonnance, sans comporter aucune atteinte à une liberté fondamentale.
La désignation d'un huissier aux fins de constatations constitue une mesure légalement admissible. Toutefois, la mission qui lui est confiée doit être circonscrite dans leur objet et dans le temps.
La SAS Consort France soutient le caractère limité de la mesure et l'absence de risque d'atteinte au secret des affaires ou à la vie privée en ce qu'il a été prévu l'usage de mots-clés, la participation des salariés concernés aux opérations a été prévue à l'ordonnance ainsi que le séquestre de documents recueillis'; la mission donnée à l'huissier n'induisait pas son appréciation du champ d'intervention et elle n'excède pas ce qui est nécessaire à la recherche et la conservation des preuves utiles aux procès en vue desquels la mesure est sollicitée,
La SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting soutiennent que les mesures sollicitées sont disproportionnées et portent atteinte au secret des affaires et à la vie privée des salariés concernés en ce que les mots clés sont souvent génériques et que toute information de toute sorte peut être saisie et d'ailleurs l'a été, puisque 28 000 documents ont été saisis et qu'il a fallu saisir le juge d'une demande sur le fondement de l'article 153-1 du code de commerce afin de faire respecter le secret des affaires. L'intégralité des boîtes mail a été copiée sans aucune distinction. Par ailleurs, la mission autorise l'huissier à réaliser une appréciation personnelle de sa mission ce qui démontre le caractère général de la mesure. Et la procédure de tri des pièces séquestrées de l'article R. 153-2 du code de commerce ne permet pas de légitimer une mesure a priori disproportionnée et par là même illégale. Il est également porté atteinte à la vie privée puisque les messageries personnelles et les comptes de réseaux sociaux étaient accessibles depuis les terminaux visés par la mesure.
Sur ce :
Les mesures autorisées par le juge des requêtes les 4 janvier 2022 et 24 février 2022, sont circonscrites dans l'espace (les sièges sociaux des SARL CCL Consulting et SARL Kla Consulting), et dans le temps du 1er juillet 2020 au jour de la requête.
Les recherches sont concentrées sur les seuls outils informatiques et téléphoniques professionnels (ordinateur, boîte e-mail, téléphone portable ou fixe toute plateforme et ou serveur à l'intérieur des locaux ou à l'extérieur mais accessibles depuis les terminaux mentionnés ou plateformes) ; les salariés visés sont limités à 4 personnes nommément identifiées : MM [O], [K], Mmes [X] et [J]'; les copies que l'huissier est autorisé à prendre concernent toutes correspondances électroniques et leurs pièces jointes en ce compris les messages électroniques entrant ou sortant et la sélection se fait par 58 mots-clés.
Toutefois, certains mots-clés n'apparaissent pas en rapport avec les faits de concurrence déloyale:
ORANGE, BANQUE EDEL, CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE, CBGEDIM, ADELYA, GEOSYS, INFOTEL,TECHFORM,SPORTNCO, BERGER LEVRAUT, 183 200 213, 572 050 169, 488 331 570, 413 583 022, 329 936 793, 429 853 351,
Soit en raison de leur généralité, soit en l'absence de toute explication tant sur leur présence dans la liste (particulièrement les numéros cités) que sur le lien avec la requérante ou les appelantes voire leur qualité (clients / partenaires financiers / prestataires '). De sorte qu’ils n’apparaissent pas nécessaires à l'établissement des faits dénoncés de débauchage de salariés, détournement de clientèle, pillage de données confidentielles.
En vertu de l'article 497 du code de procédure civile, le juge peut modifier son ordonnance. Il ne s'agit pas d'une demande nouvelle mais de l'exercice des prérogatives du juge saisi d'un référé rétractation, de sorte que la SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting sont recevables en leur demande subsidiaire fondée sur ce texte.
Et, dès lors que l'exclusion des mots-clés litigieux susvisés et le complément de mission tendant à confier à l'huissier la mission d'investiguer à partir des mots-clés combinés entre eux, n'oblige pas la réécriture totale de la mission mais seulement son adaptation à ce qui est strictement utile à l'amélioration de la situation probatoire de la SAS Consort France en matière de concurrence déloyale, il sera fait droit à la demande.
Dans ces conditions, et en application des articles 145, 496 et 497 du code de procédure civile, la décision sera confirmée sauf à ce que la mission soit restreinte dans les termes visés au dispositif et les pièces exclues du périmètre de l'autorisation ainsi cantonnée, seront immédiatement restituées à la SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting en original et toute copie qui auraient été exécutées.
Il n'y a donc pas lieu de prononcer la nullité des procès-verbaux établis par l'huissier instrumentaire, une simple rectification étant suffisante pour satisfaire à la décision.
Les parties succombant toutes deux devront prendre en charge les dépens d'appel pour moitié chacune.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Déclare recevable la demande fondée sur l'article 497 du code de procédure civile.
- Confirme l'ordonnance du juge des requêtes du tribunal de commerce de Toulouse statuant en référé sauf à exclure de la mission de l'huissier instrumentaire la recherche et copie de documents mentionnant les mots-clés suivants':
ORANGE, BANQUE EDEL, CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE, CBGEDIM, ADELYA, GEOSYS, INFOTEL,TECHFORM,SPORTNCO, BERGER LEVRAUT, 183 200 213, 572 050 169, 488 331 570, 413 583 022, 329 936 793, 429 853 35.
Statuant à nouveau,
- Dit que la mission de l'huissier est expurgée des mots-clés suivants :
ORANGE, BANQUE EDEL, CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE, CBGEDIM, ADELYA, GEOSYS, INFOTEL,TECHFORM,SPORTNCO, BERGER LEVRAUT, 183 200 213, 572 050 169, 488 331 570, 413 583 022, 329 936 793, 429 853 35.
- Ordonne la rectification des procès-verbaux dressés lors des mesures d'investigation réalisées les 14 février et 30 avril 2022 pour satisfaire à cette injonction.
- Ordonne la restitution à la SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting de toute pièce, document ou renseignement étranger à la mission ainsi définie.
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute les parties de leur demande.
- Condamne la SARL CCL Consulting et la SARL Kla Consulting d'une part et la SAS Consort France d'autre part aux dépens d'appel.
- Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.