CA Poitiers, 2e ch., 12 décembre 2023, n° 22/02454
POITIERS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Atelier 3T (SAS)
Défendeur :
Idass (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pascot
Conseillers :
M. Vetu, M. Lecler
La société par actions simplifiée Atelier 3T tout comme la société anonyme Idass ont pour activité la fabrication de machines agricoles et le négoce de matériels industriels et agricoles.
La société Atelier 3T a constaté la publication sur le site www.agriaffaires.com d'une annonce avec pour commentaire notamment « Vends pick-up Bm 45 Atelier 3[5] avec un nouveau chariot homologué route; mis en service en Avril 2017; 1 seule saison récoltée; cause complexité d'utilisation et archaïsme du chariot embarqué... »
Le 4 décembre 2017, la société Atelier 3T a mis en demeure la société Idass de retirer cette annonce, par elle qualifiée de diffamatoire et mensongère, sous 24 heures et constitutive d'un acte de concurrence déloyale.
Le 12 décembre 2017, la société Idass a informé la société Atelier 3T qu'elle s'opposait aux allégations relatives à l'annonce et qu'elle ne procéderait pas à son retrait.
Le 19 décembre 2017, la société Idass a indiqué à la société Atelier 3T que l'annonce litigieuse avait été modifiée avec la suppression de la mention « cause complexité d'utilisation et archaïsme du chariot embarqué » et avec la précision que cette modification n'était en rien une reconnaissance de responsabilité.
Par ordonnance en date du 26 mars 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de la Roche sur Yon a condamné la société Idass à payer la somme de 10.000,00 euros par provision à la société Atelier 3T en réparation du préjudice des agissements de la société Idass, suite à sa saisine en décembre 2017.
Par arrêt en date du 25 juin 2019, la cour d'appel de céans a infirmé l'ordonnance susdite en toutes ses dispositions, considérant que le juge des référés avait excédé sa compétence en jugeant sur le fond du litige.
Le 15 avril 2021 la société Atelier 3T a assigné la Société Idass devant le tribunal de commerce de La Roche sur Yon.
En dernier lieu, la société Atelier 3T a demandé :
* la condamnation de la société Idass à lui payer les sommes de :
- 51 763 euros (76 896 - 25 132,80 euros) correspondant au montant des deux commandes annulées par Monsieur [O] [T] ;
- 24 600 € correspondant au montant de la commande annulée par Monsieur [E] [H] suite au dénigrement par la société Idass de ses propres machines ;
- 20'600 € correspondant au montant de la commande annulée par Monsieur [F] [K] suite au dénigrement par la société Idass de ses propres machines ;
- 3000 € en réparation du préjudice résultant de la nécessité pour elle-même de mener une campagne commerciale de reconquête de sa clientèle, en mobilisant son équipe de commerciaux de manière soutenue ;
- 570'380 € au titre de la perte de marge sur coûts variables sur les trois dernières années ;
- 50'000 € avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017, en réparation du préjudice que les agissements de la société Idass avait causé à son image de marque.
* dire que ces condamnations porteraient intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017;
à titre subsidiaire, si par impossible il n'eût pas été fait droit à ses moyens concernant le montant de l'indemnité due par la société Idass,
* déclarer que la réparation d'une perte de chance devait être mesurée à la chance perdue, la méthode d'évaluation consistant à déterminer le montant du préjudice plein et final, puis à l'affecter d'un coefficient proportionnel à sa probabilité de réalisation ;
En conséquence,
- condamner la société Idass à lui payer les sommes suivantes, correspondant au préjudice relatif à la perte de chance des quatre commandes perdues :
- 50'727,93 € [(76'896 € -25'132,80 €) x 98 %] correspondant à la perte de chance de commande annulée par Monsieur [O] [T] ;
- 24'108 € (24'600 € x par 98 %) correspondant à la perte de chance de la commande annulée par Monsieur [E] [H] ;
- 20'188 € (20'600 € x 98 %) correspondant la perte de chance de la commande annulée par Monsieur [F] [K] ;
- condamner la société Idass lui payait les sommes de :
- 3000 € en réparation du préjudice résultant de la nécessité pour elle-même de mener une campagne commerciale de reconquête de sa clientèle, en mobilisant son équipe de commerciaux de manière soutenue ;
- 570'380 € au titre de la perte de marge sur coûts variables sur les trois dernières années ;
- 50'000 € avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017, en réparation du préjudice que les agissements de la société Idass avait causé à son image de marque ;
en toute hypothèse,
- condamner la société Idass à lui payer la somme de 6000 € au titre des frais irrépétibles ;
- dire que dans l'hypothèse ou à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devrait être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application du décret n° 2007-774 du 10 mai 2007 portant modification du décret n° 1996-1080 du 12 décembre 1996 (tarif des huissiers) devrait être supporté par la débitrice en sus des frais irrépétibles.
En dernier lieu, la société Idass a demandé de déclarer la société atelier 3T irrecevable en ses demandes, de l'en débouter, et de la condamner à lui régler la somme de 6000 € au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire en date du 27 septembre 2022 le tribunal de commerce de La Roche sur Yon a :
- dit et jugé que la société Idass avait commis un acte de dénigrement relevant de la concurrence déloyale ;
- dit et jugé que les préjudices dont se prévalait la société Atelier 3T n'étaient pas démontrés ;
- débouté la société Atelier 3T de ses demandes indemnitaires ;
- dit et jugé qu'il n'était pas inéquitable que la société Atelier 3T indemnisât la société Idass à lui payer la somme de deux mille euros (2.000,00 euros) au titre de l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Le 4 octobre 2022, la société Atelier 3T a relevé appel de ce jugement en intimant la société Atelier 3T.
Le 3 janvier 2023, la société Atelier 3 T demandé la confirmation du jugement déféré en ce qu'il avait dit et jugé que la société Idass avait commis un acte de dénigrement relevant de la concurrence déloyale, mais a demandé son infirmation en toutes ses autres dispositions, et statuant à nouveau, de :
À titre principal,
- constater que la société Idass bénéficiait depuis le 4 décembre 2017, d'un avantage concurrentiel illégitime qu'elle ne devait qu'au discrédit déloyalement jeté sur ses propres produits, les effets de cette pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle pesant très lourdement, aujourd'hui encore, sur son propre chiffre d'affaires ;
- condamner la société Idass à lui payer les sommes suivantes :
- 570.380 euros au titre de son préjudice économique ;
- 50 000 euros en réparation de son préjudice d'image ;
- 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- 3000 euros à titre de dommages-intérêts, pour couvrir le coût financier induit par la nécessité de mener une campagne commerciale pour tenter de remédier à la perte de confiance de sa clientèle ;
- dire que ces condamnations porteraient intérêt au taux légal à compter du 4 décembre 2017 ;
À titre subsidiaire,
Si par l'impossible, il n'était pas fait droit à ses arguments et moyens principaux de la société Atelier 3T,
- constater que c'était sous l'influence des propos dénigrants publiés par Monsieur [I] qu'elle-même avait vu disparaître, de manière certaine et définitive, l'éventualité favorable que constituaient les quatre commandes finalement annulées par Messieurs [O] [T], [H] [E] et [K] [F] ;
- qu'il était constant et incontestable que c'était à cause des actes repréhensibles de Monsieur [I] que la concluante avait perdu la chance de réaliser ces quatre ventes, les acheteurs ayant clairement manifesté à la société Atelier 3T leur intérêt pour l'acquisition des picks-up du modèle BM 45, avant la survenue du dénigrement commercial orchestré par la société Idass ;
- dire que son préjudice était certain et devait être intégralement indemnisé par la société Idass, dès lors que les ventes empêchées par la survenance du dénigrement commercial ourdi par la société Idass, étaient certaines avant la faute de cette dernière ;
- déclarer que la réparation d'une perte de chance devait être mesurée à la chance perdue, la méthode d'évaluation consistant à déterminer le montant du préjudice plein ou final, puis à l'affecter d'un coefficient proportionnel à sa probabilité de réalisation ;
En conséquence,
- condamner la société Idass à lui payer les sommes suivantes :
- 50 727,93 euros [(76 896 ' 25 132,80) x 98 %], correspondant à la perte de chance des 2 commandes annulées par Monsieur [O] [T] ;
- 24 108 euros (24 600, x 98 %) correspondant à la perte de chance de la commande annulée par Monsieur [H] [E] ;
- 20 188 euros (24 600, x 98 %) correspondant à la perte de chance de la commande annulée par Monsieur [K] [F] ;
- condamner en outre la société Idass à lui payer :
- 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- 50 000 euros en réparation de son préjudice d'image ;
- 3000 euros à titre de dommages-intérêts, pour couvrir le coût financier induit par la nécessité pour la société Atelier 3T de mener une campagne commerciale pour tenter de remédier à la perte de confiance de sa clientèle.
- dire que ces condamnations porteraient intérêt au taux légal à compter du 4 décembre 2017 ;
- assortir lesdites condamnations d'un anatocisme à compter de la date anniversaire de la décision à intervenir ;
en toutes hypothèses,
et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,
- condamner la Société anonyme Idass aux dépens avec distraction au profit de son conseil et à payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 31 mars 2023, la société Idass a demandé l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il avait dit et jugé qu'elle avait commis un acte de dénigrement relevant de la concurrence déloyale et statuant à nouveau, de :
- juger qu'elle n'avait pas commis d'acte de dénigrement relevant de la concurrence déloyale ;
- débouter la société Atelier 3T de toutes ses demandes ;
- confirmer le jugement déféré en toutes ses autres dispositions et déclarer la société Atelier 3T irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes ;
- condamner la société Atelier 3T à lui payer la somme de 6000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Le 11 octobre 2023 a été rendue l'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire.
MOTIVATION:
Sur le dénigrement:
Le dénigrement est constitué par des agissements qui tendent à jeter le discrédit sur un concurrent ou les produits fabriqués par ce dernier.
Le dénigrement consiste à porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tous cas de manière à toucher les clients de l'entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l'auteur.
Celui-ci se distingue de la libre critique ou de critiques anodines, conformes aux usages commerciaux.
La concurrence déloyale peut être constituée même si les faits révélés sont exacts.
Est constitutif d'un dénigrement le fait pour un fabricant de mettre en cause la qualité de produits concurrents.
Le support des propos dénigrants doit faire l'objet d'une certaine publicité, indispensable pour que ceux-ci soient susceptibles de produire des effets dommageables vis-à-vis de la clientèle.
Il est constant que les deux sociétés commercialisent toutes deux des picks-up.
Il est constant que la société Idass a publié le 4 décembre 2017 l'annonce suivante d'un de ses clients sur le site www.agriaffaires.com, relative à un pick-up fabriqué par la société Atelier 3T:
« cause remplacement par [Adresse 3],
vends pick-up BM 45 ATELIER 3t avec nouveau chariot homologué route ; mis en service en avril 2017 ; 1 seule saison récoltée ; cause complexité d'utilisation et archaïsme du chariot embarqué.... »
Il est constant entre parties que la publication dans ces termes a duré du 4 décembre 2017 au 19 décembre 2017, date à compter de laquelle la société Idass a modifié les termes de l'annonce, pour en supprimer la mention « cause complexité d'utilisation et archaïsme du chariot embarqué ».
En outre, il ressort des énonciations du jugement, non querellées par les parties que :
- le site internet susdit est un site spécialisé dans le domaine agricole, consulté par les clients et prospect des deux sociétés en litige ;
- cette annonce a eu lieu pendant plusieurs jours et notamment quelques jours précédant un salon dans lequel étaient exposées les machines agricoles des deux sociétés.
La société Idass soutient que la mention litigieuse, correspondant au droit de libre critique du consommateur, est insusceptible d'altérer de manière substantielle le comportement des clients et prospects de la société Atelier 3T, et ne peut constituer un comportement fautif de sa part.
Elle observe que la publicité de la société Atelier 3T sur son pick-up Bm48R repliable est ainsi intitulée: « avec le pick-up BM 48 R, enfin fini l'usine à gaz du repliable en deux parties ».
Elle entend en voir déduire que par la présentation de son nouveau produit, la société Atelier 3T critique elle-même son pick-up Bm45 dont elle avait abandonné la commercialisation, compte tenu des difficultés qu'elle rencontrait.
Eu égard à la teneur du support, à savoir un site internet consulté par la clientèle notamment de la société 3T, la publicité des propos susdits ne fait pas débat.
Il est en outre constant que cette annonce a été publiée non pas par la personne cherchant à revendre le pick-up acquis auprès de la société Atelier 3T après en avoir acheté un autre auprès de la société Idass, mais par la société Idass elle-même, qui la reprend ainsi à son compte.
Or, la teneur de l'annonce, exposant de manière indubitablement péjorative le fonctionnement du chariot embarqué du pick-up produit par la société Atelier 3T, jette le discrédit sur la qualité ou les difficultés d'utilisation du produit fabriqué par cette dernière.
Il s'agit donc d'un propos indiscutablement dénigrant.
Et dans la mesure où cette annonce a été diffusée par la société Idass, celle-ci est mal venue à se prévaloir du droit du consommateur à la libre critique.
En outre, la circonstance que la société Atelier 3T ait elle-même présenté sous un jour avantageux un produit plus récent que son propre matériel dénigré est indifférent à la qualification des agissements de la société Idass.
Il y aura donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la société Idass avait commis un acte de dénigrement relevant de la concurrence déloyale.
Sur la réparation des dommages :
Pour être réparable, un dommage doit être rattaché à un fait générateur par un lien de causalité.
Un préjudice est un dommage actuel et certain, et non pas potentiel et hypothétique.
Constitue une perte de chance la disparition certaine d'une éventualité favorable, dont l'indemnisation mesurée à l'aune de la chance perdue, ne peut pas être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Mais pour donner lieu à réparation, la perte de chance doit être raisonnable, ou encore réelle et sérieuse.
Il appartient à la victime d'une faute de rapporter la preuve de son préjudice, et le lien de causalité de celui-ci avec celle-là.
Le principe de réparation intégrale consiste à replacer la victime aussi exactement que possible dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée en l'absence de survenance du fait dommageable.
Le préjudice comporte à la fois la perte subie et le gain manqué.
En matière de concurrence déloyale le préjudice peut être évalué notamment en fonction des avantages concurrentiels retirés par l'auteur des pratiques déloyales, modulé au regard des volumes d'affaires respectifs des parties affectées par lesdits agissements (Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614, publié).
Il s'infère nécessairement de l'existence d'actes déloyaux l'existence d'un préjudice, fût-il seulement moral.
La mobilisation de salariés pour la réparation de dommages causés à l'entreprise par un tiers constitue un préjudice indemnisable (Cass. 3e civ., 10 mars 2016, Bull. III, n° 1063).
Sur le préjudice économique:
La société Atelier 3T demande de ce chef une somme totale de 570 380 euros pour perte de marge sur coût variable sur les années 2018 à 2020.
Elle fait valoir l'augmentation du chiffre d'affaires développé par la société Idass, passant de 4 845 718 euros à 5 219 285 euros au 31 décembre 2019, soit une progression de 7,1 %, avec un résultat passant de 31 811 euros en 2018 à 60 473 euros au 31 décembre 2019.
Elle produit une attestation de son expert-comptable détaillant cette perte pour chaque exercice.
Elle énonce qu'au regard d'un objectif de vente prévisionnel de 60 unités par an, le pick-up dénigré ne s'est vendu qu'à raison de 9 unités en 2018, 8 en 2019 et 5 en 2020.
Elle soutient que ses propres difficultés pour vendre ses picks-up ne procèdent que du dénigrement adverse litigieux.
Elle entend en voir déduire une perte d'exploitation de son propre chef, résultant des ventes manquées suite aux faits dommageables.
Mais il sera observé que l'attestation de son professionnel du chiffre prend pour présupposer un objectif de vente du pick-up Bm 45 avec chariot embarqué à hauteur de 60 unités par an.
Or, la société Atelier 3T ne fournit aucune explication sur le caractère réaliste de cet objectif, notamment au regard de l'évolution du marché sur ce segment de produits, et sans d'ailleurs s'expliquer sur le nombre de ventes antérieures à la période objet de sa demande de réparation.
Et à l'inverse, la société Idass lui objecte, en s'appuyant exactement sur l'attestation de son propre expert-comptable, que le marché du pick-up fixe avec chariot s'est écroulé entre 2018 et 2020, ses propres ventes ayant chuté de 61,76 % sur la dite période.
En outre la société Atelier 3 T n'apporte aucune explication sur la part que représente le matériel dénigré dans sa propre activité, ni sur la part de celle-ci dans ses résultats comptables, qui ne saurait seulement s'inférer de l'écrit laconique de son expert-comptable.
Il sera enfin observé la brièveté de la parution de l'annonce susdite, qui de surcroît n'a porté que sur un seul produit, rapportée à la durée de la période triennale objet de la réparation réclamée.
Au regard de ces éléments, il y aura lieu de retenir que la société Atelier 3T n'apporte pas la preuve suffisante du lien de causalité entre le dommage dont elle se prévaut et les agissements de la société Idass.
Il y aura donc lieu de débouter la société Atelier 3T de sa demande au titre de son préjudice économique.
Sur les annulations de commandes:
La société Atelier 3T soutient que la finalisation des 4 ventes décrites plus bas était certaine, de telle sorte que son dommage de ces chefs doit s'analyser comme un plein et entier préjudice, et non pas comme une perte de chance.
Mais la société Idass lui objecte qu'elle ne démontre ni le caractère certain des acquisitions de ses prospects, ni leur renonciation définitive à leurs projets, ni moins encore la cause éventuelle de cette renonciation.
* * * * *
Il ressort des attestations de Monsieur [T] que celui-ci n'a acquis qu'un seul pick-up de modèle Bmv45 auprès de la société Atelier 3T, alors qu'il envisageait l'achat de 2 autres de ces produits, afin d'observer comment se comportait le seul produit ainsi acquis.
Et l'attestant a déclaré avoir renoncé à l'acquisition de ces deux produits par peur ne pas les revendre, eu égard à l'annonce dénigrante litigieuse, alors qu'il en était lui-même satisfait.
Enfin, si l'intéressé a déclaré avoir renoncé aux deux autres achats, pour les reporter à l'année 2019, il ressort de sa deuxième attestation du 16 janvier 2021 qu'il n'a toujours pas réalisé ces deux achats.
Ces attestations font ainsi ressortir que les actes de dénigrement de la société Idass ont fait renoncer, de manière certaine et définitive, ce client de la société Atelier 3T à l'achat de 2 picks-up.
Aussi, conformément à sa demande, y aura-t-il lieu de retenir une perte de chance de ce chef à raison de 98 %.
La société Atelier 3T a produit le devis adressé à ce client le 27 novembre 2017 pour l'achat de ces 3 machines à hauteur de 76 896 euros toutes taxes comprises.
Mais son préjudice est constitué par sa perte de marge sur coût variable, et non pas sur le chiffre d'affaires dont elle a été évincée, de surcroît assorti de la taxe sur la valeur ajoutée, alors que son activité professionnelle lui permet de la déduire.
Pour la déterminer, il sera fait référence à l'attestation de son professionnel du chiffre, basée sur un objectif de vente annuel de 60 unités, en se plaçant à la période la plus proche de la vente manquée litigieuse, soit pour l'exercice 2018, pour lequel cette perte est calculée à hauteur de 184 110 euros.
Il en ressort ainsi une perte de marge sur coût variable de 3068,50 euros par unité (184 110 euros/60 unités).
Il s'en déduira que le préjudice de la société Atelier 3T relatif à la vente auprès de Monsieur [T] doit être entièrement évalué à la somme de 6137 euros (3068,50 euros x 2 unités).
Il y aura lieu de dire que la perte de chance de la société Atelier 3T relative à l'annulation de ses 2 commandes par Monsieur [T] sera entièrement réparée par une indemnité de 6014,26 euros.
(6137 euros x 98 %).
* * * * *
Il ressort également des attestations de Messieurs [H] et [K], destinataires de devis respectivement en date des 4 décembre 2017 et 19 novembre 2017, portant sur le matériel dénigré, que ceux-ci y déclarent chacun avoir renoncé à l'achat d'une unité du matériel dénigré après avoir pris connaissance de l'annonce de la société Idass.
Mais dans son attestation, Monsieur [H] a précisé reporter éventuellement l'achat du matériel litigieux à l'horizon 2019, en fonction des retours du terrain.
Et si la société Ateliers 3 T déclare avoir appris que l'intéressé s'était par la suite fourni auprès de la concurrence, renonçant par-là même à tout achat auprès d'elle, elle n'apporte aucun élément à l'appui de cette allégation.
De même, si la société Ateliers 3T soutient que nonobstant ses propres relances et propositions commerciales ultérieures, Monsieur [K] aurait définitivement renoncé à son projet d'acquisition auprès d'elle, elle n'apporte pas suffisamment d'élément en ce sens.
Ainsi, la certitude du caractère définitif du préjudice n'est pas établie.
Mais il n'en demeure pas la démonstration par l'appelante de la perte certaine de l'éventualité que ces deux prospects, sérieusement intéressés par l'achat de ses produits, aux fins de solliciter des devis en ce sens, et influencés par le dénigrement litigieux, y ont renoncé selon une probabilité que la cour estimera à 50 %.
Pour les mêmes raisons que sus exposé, il sera retenu que la perte de marge sur coût variable unitaire pour chacun de ses deux prospects sera évalué à 3068,50 euros.
Il y aura lieu de dire que la perte de chances de la société Atelier 3T relative à l'annulation de sa commande par Monsieur [H] sera entièrement réparée par une indemnité de 1534,25 euros.
(3068,50 euros x 50 %).
Il y aura lieu de dire que la perte de chance de la société Atelier 3T relative à l'annulation de sa commande par Monsieur [K] sera entièrement réparée par une indemnité de 1534,25 euros.
(3068,50 euros x 50 %).
Sur le préjudice d'image :
La société Atelier 3T réclame de ce chef la somme de 50 000 euros.
Elle fait valoir que les fausses allégations objet du dénigrement ont trompé ses clients sur les qualités essentielles de ses produits, ont entaché son image de marque auprès de ces clients, qui associent automatiquement à son nom aux propos dénigrants de l'intéressée.
Elle précise eu égard au caractère saisonnier de l'activité agricole, que les ventes de matériel sont concentrées sur les mois de janvier et février, pour des livraisons effectives au mois d'avril, que le dénigrement s'est concentré sur la période des ventes, pour lui permettre de récupérer une partie de la clientèle ainsi désemparée.
Eu égard au caractère saisonnier des ventes, au canal de diffusion des propos dénigrants visant spécifiquement sa clientèle et ses prospects, à la période de leur diffusion concomitante à un salon d'exposition de ses matériels, et à leur impact réel résultant des attestations sus évoqués de ses clients prospects, la société Atelier 3 T a suffisamment fait la preuve d'un préjudice d'image imputable à la société Idass, qui sera entièrement réparé par une indemnité de 15 000 euros.
Sur le préjudice moral :
La société Atelier 3T réclame de ce chef la somme de 15 000 euros.
Elle fait valoir essentiellement que le dénigrement a été commis auprès de ses clients, trompés par des déclarations fausses ou tronquées sur les qualités essentielles de ses produits, ce qui était de nature à la discréditer et à entacher sa réputation, par suite de la dévalorisation du produit dénigré, pourtant fruit de longs et coûteux travaux de recherche et développement, entachant ainsi la perception de ses clients, se détournant de sa production et salissant sa réputation commerciale.
Mais il apparaît que le dommage dont se prévaut sur ce poste ainsi réclamé la société Atelier 3T est exclusivement constitué par un préjudice d'image, sans que celle-ci réussisse à faire la preuve d'avoir essuyé un dommage qui serait extérieur et autre que le préjudice d'image.
La société Atelier 3T sera donc déboutée de sa demande indemnitaire pour préjudice moral.
Sur le coût de la campagne de communication suite au dénigrement:
La société Atelier 3T réclame de ce chef la somme de 3000 euros.
Elle fait valoir avoir exposé le coût financier susdit par la nécessité de mener une campagne commerciale pour remédier à la perte de confiance de sa clientèle ensuite du dénigrement.
Il ressort de l'écrit de Monsieur [L], agent commercial de la société Atelier 3T, que celui-ci indique avoir été contraint, avec son collègue Monsieur [P], ensuite du dénigrement litigieux, à fournir des explications particulièrement soutenues ensuite des objections qui leur étaient désormais systématiquement opposées par les clients et prospects, indiquant reporter leurs achats en 2019.
De manière liminaire, il n'apparaît pas en quoi le lien de subordination ou de dépendance économique à l'égard de la société Atelier 3T de l'auteur de cette attestation est de nature à affecter la véracité ou l'authenticité de ses propres contestations, alors que cet écrit n'est pas argué de faux.
Ainsi, il ressort de cette attestation la nécessité de pratiquer une campagne de communication à l'égard des clients et prospects ensuite du dénigrement pratiqué par la société Idass.
Mais il sera observé que cette attestation borne à l'année 2018 le constat des réactions négatives des clients et prospects ensuite du dénigrement pratiqué en décembre 2017.
Au regard de ces éléments, le préjudice financier afférent au coût de la campagne commerciale pour remédier à la perte de confiance de sa clientèle par la société Atelier 3T sera entièrement réparé par une indemnité de 1500 euros.
Il y aura donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a:
- dit et jugé que les préjudices dont se prévalait la société Atelier 3T n'étaient pas démontrés ;
- débouté la société Atelier 3T de ses demandes indemnitaires.
Sur les intérêts et l'anatocisme :
Un préjudice est évalué par une juridiction au jour où celle-ci statue.
Si le préjudice de la victime ne peut être fixé qu'en fonction des pertes éprouvées à l'époque du dommage, le principe de réparation intégrale impose au juge de procéder, si elle est demandée, à l'actualisation au jour de sa décision de l'indemnité allouée en réparation du préjudice, en fonction de la dépréciation monétaire (Cass. 2e civ., 12 mai 2010, n° 09-14.569, publié).
La société Atelier 3T demande que les indemnités à lui allouer soient assorties d'intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017, jour de publication du dénigrement litigieux.
Il sera considéré qu'elle a ainsi réclamé l'actualisation de son dommage, au jour où la cour statue, et il sera fait droit à sa demande.
Il y aura également lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts ainsi alloués, selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil, à compter de la date anniversaire du présent arrêt, conformément à la demande de l'appelante.
* * * * *
Il sera rappelé que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes allouées en exécution du jugement déféré.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société Atelier 3T aux entiers dépens de première instance et à payer à la société Idass la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, et pour avoir l'avoir déboutée de sa demande au même titre.
La société Idass sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles des deux instances.
La société Idass sera condamnée aux dépens des deux instances avec distraction au profit du conseil de la société Atelier 3T, et à payer à celle-ci la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit et jugé que la société Idass avait commis un acte de dénigrement relevant de la concurrence déloyale ;
Confirme le jugement de ce seul chef ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Condamne la société anonyme Idass à payer à la société par actions simplifiée Atelier 3T les sommes de :
- 6014,26 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de l'annulation de ses 2 commandes par Monsieur [O] [T] ;
- 1534,25 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de l'annulation de sa commande par Monsieur [E] [H] ;
- 1534,25 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de l'annulation de sa commande par Monsieur [F] [K] ;
- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice d'image ;
- 1500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier par suite de la nécessité de mener une campagne commerciale pour remédier à la perte de confiance de sa clientèle ensuite du dénigrement ;
Dit que les sommes ci-dessus allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2017 ;
Ordonne la capitalisation des intérêts assortissant les sommes ci-dessus allouées, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, à compter de la date anniversaire du présent arrêt ;
Condamne la société anonyme Idass à payer à société par actions simplifiée Atelier 3T la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Condamne la société anonyme Idass aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Aristide Ebongue, conseil de la société par actions simplifiée Atelier 3T, de ceux des dépens première instance et d'appel dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.