Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 5 décembre 2023, n° 22/20051
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 - CHAMBRE 16
ARRET 05 DECEMBRE 2023
(n° 86 /2023 , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20051 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYMS
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 6 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence 25237/DDA/AZO/SP
DEMANDERESSE AU RECOURS :
Société EGYPTIAN SPONGE IRON & STEEL CO. S.A.E.(ESISCO)
société de droit égyptien
ayant son siège social : [Adresse 1] (EGYPTE)
prise en la personne de son représentant légal,
Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Charley HANNOUN, avocat au barreau de PARIS, toque : G201
DEFENDERESSE AU RECOURS :
DANIELI & C.OFFICINE MECCANICHE S.P.A.
société de droit italien,
ayant son siège social : [Adresse 3] (ITALIE)
prise en la personne de son représentant légal,
Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Ayant pour avocats plaidants : Me Jean-Yves GARAUD et Me Guillaume DE RANCOURT du LLP CLEARY, GOTTLIEB, STEEN & HAMILTON LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J021
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme [M] [K], dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCEDURE
1- La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 6 septembre 2022, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige de nature contractuelle opposant la société Egyptian Sponge Iron and Steel Co. S.A.E (ci-après ESISCO), société de droit égyptien, filiale du groupe [X] Steel, à la société Danieli C. Officine Mecchaniche S.P.A, société de droit italien (ci-après Danieli) spécialisée dans la fourniture pour l'industrie sidérurgique.
2- Le différend à l'origine de cette sentence porte sur un contrat de fourniture d'un laminoir de profilés légers pour la production de barres d'acier, conclu le 29 juin 2007 entre la société Danieli (fournisseur) et la société ESISCO (le « Contrat Laminoir »), suivi un an plus tard par la signature le 12 juin 2008 d'un contrat de fourniture d'une machine à souder (« Endless Welding Rolling Process » ou « EWR »), destinée à être installée à l'intérieur du Laminoir (le contrat EWR).
3- La société ESISCO s'est plainte de problèmes techniques se rapportant aux équipements installés dans son usine qu'elle a estimés défectueux et non-conformes aux obligations contractuelles.
4- C'est dans ce contexte que, le 8 avril 2020, elle a introduit une procédure d'arbitrage auprès du secrétariat de la Chambre de Commerce Internationale sur le fondement de la clause compromissoire insérée dans les contrats de fourniture du Laminoir et de l'EWR, sollicitant des dommages et intérêts pour non-respect de la garantie décennale et, subsidiairement, pour violation des obligations contractuelles.
5- Au cours de la procédure d'arbitrage, la société Danieli s'est opposée à ces demandes, faisant valoir en substance que les équipements industriels étaient conformes aux exigences contractuelles, que sa garantie était expirée et qu'elle n'était pas responsable de la faible rentabilité de l'usine de la société ESISCO.
6- Elle a formé reconventionnellement des demandes en remboursement de la garantie bancaire et paiement des coûts et pertes occasionnés.
7- Par sentence du 6 septembre 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
REJETTE LA DEMANDE DE L'EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO, S.A.E pour violation de la garantie décennale de l'article 1792 CC et suivants du Code civil français ;
REJETTE LA DEMANDE DE L'EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E.S pour violation des Contrats ;
CONDAMNE EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E. à payer à DANIELI & C OFFICINE MECCANICHE S.P.A 1 658 895 EUR, plus des intérêts simples au taux légal italien à compter de la date de la présente sentence finale jusqu'à la date du paiement intégral et définitif ;
ORDONNE A EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E. (i) de rembourser à DANIELI & C. OFFICINE MECCHANICHE S.P.A 413 500 USD à titre de frais d'arbitrage et (ii) pour payer DANIELI & C. OFFICINE MECCANICHE S.P.A 2 439 293 EUR, 383 729,63 GPB et 147 597,83 USD à titre de Frais juridiques et autres Frais de représentation ; et
REJETTE toute autre demande élevée par EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E. et DANIELI & C. OFFICINE MECCANICHE S.p.A.
8- Le 29 novembre 2022, la société ESISCO a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans.
10- La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 septembre 2023 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries qui s'est tenue le 9 octobre 2023.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
11-Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2023, la société ESISCO demande à la cour, au visa des articles 1520, 2° et 5°, du code de procédure civile de bien vouloir :
A TITRE PRINCIPAL,
CONSTATER que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 par un Tribunal arbitral compose' de M. [N] [L], de M. [W] [F] et de M. le Professeur [W] [U] dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP est contraire a' l'ordre public international en ce qu'elle aurait pour effet de faire bénéficier la société Danieli du produit d'activités délictueuses,
En conséquence,
PRONONCER l'annulation de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP,
CONSTATER que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 par un Tribunal arbitral compose' de M. [N] [L], de M. [W] [F] et de M. le Professeur [W] [U] dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP est contraire a' l'ordre public international en ce qu'elle est entachée d'une fraude procédurale,
En conséquence,
PRONONCER l'annulation de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
CONSTATER que le Tribunal arbitral, compose' de M. [N] [L], de M. [W] [F] et de M. le Professeur [W] [U], qui a rendu la sentence finale du 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP, a été irrégulièrement compose',
En conséquence, PRONONCER l'annulation de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER la Société Danieli a' verser a' la société ESISCO la somme de 300.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER la Société Danieli aux entiers frais et dépens au titre de l'article 695 du code de procédure civile.
12-Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2023, la société Danieli demande à la cour de bien vouloir :
Rejeter le recours en annulation dirige' contre la sentence rendue a' [Localité 2] le 6 septembre 2022 ;
En tout état de cause, condamner ESISCO a' lui payer la somme de 350 000 (trois cent cinquante mille) euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner ESISCO aux entiers dépends, dont distraction au profit de la SELARL Baechlin Moisan Associés par application de l'article 699 du Code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
Sur le premier moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international
13- La société ESISCO soutient en premier lieu que la sentence est contraire a' l'ordre public international en ce qu'elle a pour effet de faire bénéficier la société Danieli du produit d'activités délictueuses laissant penser à l'existence d'un pacte corruptif.
14- Elle fait valoir que la décision qui l'a déboutée de ses demandes en réparation est fondée sur des certificats d'essais de performance censés établir le bon fonctionnement des équipements fournis par la société Danieli qui sont des faux, fabriqués par trois membres du personnel de la société ESISCO soudoyés par la défenderesse au recours.
15- A ce titre, elle met en avant le jugement de la Cour pénale du Caire (6 e circuit) rendu le 6 mars 2022 à la suite du dépôt en 2020 de sa plainte avec constitution de partie civile, qui a condamné in abstentia M. [A], qui occupait à l'époque les fonctions de directeur général d'ESISCO, à cinq années d'emprisonnement pour avoir intentionnellement falsifié neuf certificats d'essais de performance, dressés entre le 18 février et le 22 avril 2014, avec la complicité de son premier assistant, M. [J], qui lui a été condamné à une peine d'emprisonnement avec travaux d'un an.
16- Elle indique que, malgré cela, le tribunal arbitral, qui a pourtant mentionné avoir eu connaissance de la condamnation prononcée, dont la teneur a été produite au débat (pièce C 428), n'en a absolument pas tenu compte.
17- Elle ajoute que postérieurement à la sentence, une autre décision égyptienne a été rendue par la Cour pénale d'Alexandrie, le 18 avril 2023, qui vient corroborer la décision du 6 mars 2022.
18- Elle souligne à cet effet que la Cour pénale d'Alexandrie a retenu que le certificat de réception finale du four était en réalité un faux, forgé par un ex-dirigeant d'ESISCO, M. [V] [C] [D] (successeur de M. [A]), condamné in abstentia à une peine de cinq ans d'emprisonnement.
19- Elle fait observer que les indices de corruption découlent aussi des liens troublants entretenus par les membres du personnel de la société ESISCO avec la société Danieli qui a obtenu que MM. [T] et [P], ingénieurs employés par la société ESISCO, témoignent en sa faveur devant le tribunal arbitral.
20- En second lieu, elle soutient que la sentence est entachée d'une fraude procédurale, laquelle découle du constat que la décision des arbitres a été surprise par de faux documents, constitués par des certificats d'essais de performance et de réception finale falsifiés, qui ont joué un rôle clé dans la solution donnée au litige par le tribunal arbitral.
21- En réplique, la société Danieli conteste avoir monnayé auprès du personnel de la société ESISCO la fabrication de faux certificats de performance que le tribunal arbitral a reconnu valides.
22- Elle soutient que la recourante n'établit pas la moindre preuve d'un comportement illicite de sa part et encore moins d'un acte de corruption, faisant valoir que c'est la société ESISCO qui a fait pression sur son personnel pour qu'ils établissent de fausses attestations.
23- Elle prétend qu'ayant échoué à faire mentir ses employés devant les arbitres, la société ESISCO a instrumentalisé la justice égyptienne pour faire pression sur eux.
24- Elle conteste le caractère probant des décisions pénales égyptiennes du 6 mars 2022 et du 18 avril 2023, faisant valoir que ces décisions ont été rendues dans des conditions contestables, insusceptibles de corroborer la théorie de la corruption avancée par la recourante qui s'est abstenue devant les arbitres, alors qu'elle faisait état de la procédure pénale, de soutenir que les documents étaient des faux.
25- Elle souligne que c'est elle qui a attiré l'attention du tribunal arbitral sur les procédures égyptiennes diligentées par M. [X] (président de la société [X] Steel mère de la société ESISCO et négociateur des contrats), qu'elle qualifie de « parodie de justice », en produisant la décision de la cour commerciale du Caire du 27 décembre 2021 ayant condamné, sans vérifier les preuves, à un an de prison et des travaux forcés M [J] au motif qu'il aurait espionné M. [X] au moyen d'un microphone.
26- Elle fait observer que cette décision, qui reposait comme les autres décisions égyptiennes citées par la société ESISCO sur le témoignage d'un membre de la famille [X], a été entièrement annulée par la cour d'appel du Caire le 13 juin 2022, qui l'a déclaré non coupable des charges pénales dont il était accusé après avoir passé un an et demi en prison.
27- Enfin, elle fait valoir qu'aucune fraude procédurale ne peut être invoquée dès lors que, comme la recourante le soutient dans ses écritures, le tribunal arbitral était dument informé des condamnations pénales prononcées contre M. [J] et M.[A] et qu'il a statué en connaissance de cause.
SUR CE :
Sur l'allégation de corruption
28- Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.
29- L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.
30-Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.
31- La prohibition de la corruption figure au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international.
32- La cour n'étant pas le juge du contrat ou de l'opération, l'annulation n'est encourue que s'il est démontré par des indices graves, précis et concordants que l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique interne aurait pour effet de donner force à un contrat obtenu par corruption ou de permettre à une partie de bénéficier du produit d'activités de cette nature.
33- Une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'est ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, la Cour devant s'assurer cependant que la production des éléments de preuve devant elle respecte le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes.
34- La société recourante soutient à cet égard que le tribunal arbitral a fondé sa décision sur des données de performance et de réception du matériel industriel censées établir le bon fonctionnement du matériel qui sont des faux, fabriqués par les membres de la société ESISCO dans l'intérêt de la société Danieli, lesquels ont vraisemblablement été soudoyés et que, ce faisant, elle permet à cette société de récolter les fruits d'une opération de corruption.
35- Il convient de rappeler préalablement que la décision du tribunal, qui a conclu à l'expiration de la garantie contractuelle et déclaré « caduques » les demandes en réparation de la société ESISCO pour tardiveté, repose sur les certificats de réception définitive du laminoir (CRF) et de l' EWR - CRF 2014 et CRF 2015 ' qui ont servi au calcul du point de départ du délai de la garantie contractuelle prévue à l'article 10.1 des contrats, à la charge du fournisseur.
36- Il ressort en effet de la sentence qu'après examen des contestations soulevées par la société ESISCO sur la fiabilité des données qui avaient été recueillies par les parties à la suite d'essais de performance ayant conduit à l'émission des CRF signés en 2014 et 2015 par les sociétés ESISCO et Danieli, le tribunal a retenu que les certificats de réception définitive étaient valides et que la société ESISCO n'avait pas été trompée sur les résultats des essais, de sorte que la garantie contractuelle pour le laminoir et l'EWR avait expiré au jour où la société ESISCO avait déposé sa demande d'arbitrage le 8 avril 2020 ( pages 112 à 121 de la sentence).
37- Pour faire la preuve des faits de corruption qu'elle allègue, la société recourante met en avant les relations de la société Danieli avec les anciens employés qui ont témoigné en sa faveur et les condamnations pénales égyptiennes prononcées contre MM. [A], [J], et [D], anciens membres de son personnel, pour faux, qui selon elle constituent des indices graves précis et concordants d'une activité corruptive de la part de la société Danieli pour obtenir les certificats ayant déterminé le tribunal arbitral à rejeter sa demande.
38-Toutefois, les décisions pénales égyptiennes, qui sont les seuls éléments produits par la société ESISCO au soutien de sa demande, sont en elles-mêmes insuffisantes pour donner crédit à l'hypothèse d'une fabrication de faux certificats de performance.
39- Par ailleurs, les soupçons exprimés sur l'intégrité des liens entretenus entre la société Danieli et les membres du personnel ESISCO et la probité des témoignages recueillis par le tribunal ne sont que des allégations dépourvues de toute preuve.
40- En effet, si la Cour pénale du Caire a condamné le 6 mars 2022 M. [A] à cinq ans de prison au motif qu'il aurait intentionnellement falsifié les neuf certificats de performance en 2014, avec la complicité de son premier assistant, M [J], il convient de relever que sa décision a été rendue sans que M. [A] ait été entendu, à partir des résultats d'un rapport d'ingénierie technique d'experts égyptiens qui n'a pas été produit devant le tribunal arbitral et auquel la société défenderesse au recours, qui n'était pas partie à la procédure pénale, n'a pas eu accès.
41- A cet égard, il ressort de la sentence que la société ESISCO a fait le choix de s'appuyer sur d'autres rapports techniques devant le tribunal arbitral pour faire valoir qu'elle avait été trompée sur les résultats des essais entre 2013 et 2014 et qu'elle n'aurait jamais signé les CRF si elle avait eu connaissance de la situation réelle de l'usine.
42- Dans le cadre de la discussion de la validité des CRF, qui était un point décisif de la sentence auquel le tribunal arbitral a consacré de longs développements, la société ESISCO s'est contentée de produire la teneur de la décision sur la condamnation pénale du 6 mars 2022 au moyen d'une déclaration notariée en date du 22 mars 2022, sans alléguer l'existence de faux qu'elle oppose aujourd'hui devant la cour.
43- Pour convaincre de l'existence d'une corruption, la société ESISCO n'explique pas pourquoi elle a attendu d'être devant le juge de l'annulation pour tirer les conséquences de l'existence de faux certificats et ne fournit aucun élément corroborant son analyse hormis cette décision rendue à son initiative, hors la présence de la société Danieli, sur une expertise qui n'est toujours pas produite.
44- Concernant M. [J], qui a fait l'objet de deux procédures pénales en 2021 et en 2022, il est établi que la décision du 27 décembre 2021 le condamnant à un an d'emprisonnement pour des faits d'écoute sur plainte de la société ESISCO a été annulée par la cour d'appel du Caire en 2022, la cour relevant que cette décision était mise dans les débats au cours de la procédure d'arbitrage non par la société ESISCO mais par la société Danieli avertie par la famille de celui-ci de la gravité de la situation dans laquelle cet employé se trouvait en lien avec l'affaire.
45- Enfin, la cour constate que la décision égyptienne de la Cour pénale d'Alexandrie le 18 avril 2023 qui a condamné M. [D], ex-dirigeant de la société ESISCO, à cinq ans de prison en son absence, sur le témoignage de M. [X], vice-président du conseil d'administration d'ESISCO et d'un comité d'experts pour examiner le fonctionnement des installations non-contradictoire, a été rendue dans les mêmes circonstances que les précédentes décisions égyptiennes.
46- Cette décision ne rend pas davantage crédible l'allégation d'un pacte corruptif, étant observé qu'il n'est pas acquis à la lecture de la décision qu'il a été reproché à M. [D] d'avoir établi un faux mais plutôt d'avoir signé les documents sans pouvoir.
47- Il résulte de ce qui précède que la preuve d'indices graves, précis et concordants de l'existence d'un pacte corruptif entre la société Danieli et les anciens membres du personnel de la société ESISCO mettant en cause leur probité n'est pas rapportée de sorte que le moyen sur ce grief manque en fait.
Sur la fraude procédurale
48- La fraude procédurale commise dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise.
49- En l'espèce, la falsification des certificats de performance des équipements reconnue par la juridiction égyptienne ayant été portée à la connaissance des arbitres au cours de l'instance arbitrale (C 428), comme le reconnait elle-même la société ESISCO dans ses écritures, la décision du tribunal arbitral, à qui il ne peut être fait grief de ne pas en avoir fait mention dans son raisonnement, n'a pas été surprise par une fraude mais procède d'une appréciation éclairée de l'exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu'il n'appartient pas à la cour de réviser .
50- Le moyen sera en conséquence entièrement écarté.
Sur le second moyen tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral
51- La société ESISCO soutient que le président du tribunal arbitral (M. [L]) a manqué à son obligation de révélation en ne révélant pas qu'il était visé par une plainte de la République du Congo auprès du PNF l'accusant, alors qu'il présidait un tribunal arbitral, d'avoir entretenu des liens financiers secrets avec l'une des parties et qu'une information judiciaire avait été ouverte en France par réquisitoire introductif en date du 15 avril 2022 des chefs de corruption active et passive.
52- La société Danieli réplique que la plainte déposée contre M. [L] était un fait notoire dont la société ESISCO avait nécessairement connaissance de sorte qu'elle est irrecevable à soulever en application de l'article 1466 du code de procédure civile.
53- Elle ajoute que les accusations portées contre M. [L], qui portent tout au plus atteinte à sa réputation, ne font pas naître de doute raisonnable quant à son impartialité et son indépendance.
SUR CE :
54- L'article 1520, 2°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal a été irrégulièrement constitué.
55- Aux termes de l'article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506, 2°, du même code, il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission.
56- Un manquement à l'obligation de révélation ne conduit toutefois pas automatiquement à l'annulation de la sentence. Il appartient au juge de vérifier si les faits non révélés sont de nature à créer un doute raisonnable, dans l'esprit des parties, sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre.
Sur la recevabilité du grief
57- Selon l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l'arbitrage international par l'article 1506, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.
58- En application de ce texte, une partie qui, durant la procédure arbitrale, n'a pas protesté contre un fait connu propre à mettre en cause l'indépendance de l'arbitre n'est pas recevable à s'en prévaloir lors du recours en annulation, son abstention s'appréciant au regard de chacune des circonstances propres à affecter cette indépendance.
59- Il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d'une irrégularité, la partie qui s'en prévaut en avait connaissance alors que la procédure arbitrale était en cours, de sorte qu'elle aurait dû alors s'en prévaloir et à défaut est réputée y avoir renoncé.
60- En l'espèce, il ressort de la procédure que l'information dont la société ESISCO se prévaut était largement connue, pour avoir fait l'objet de nombreuses publications, dans la revue spécialisée du GAR du 11 octobre 2021 mais aussi sur internet, dans le cadre des informations à disposition du public, contemporaines de la procédure arbitrale, comme en attestent les nombreuses pièces produites par la recourante elle-même, de sorte qu'elle ne peut prétendre ne pas en avoir eu connaissance.
61- Il s'ensuit que ce moyen fondé sur le défaut de révélation par l'arbitre de cette information est irrecevable, étant observé que la société ESISCO n'établit en quoi cette information, sans lien avec l'arbitrage en cause, était de nature à créer un doute dans son esprit sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre.
62- Il y a lieu, au vu de l'ensemble de ces considérations, de rejeter intégralement le recours formé par la société
Sur les frais et dépens
63- La société ESISCO qui succombe, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre des frais irrépétibles étant rejetée.
64- Elle sera en outre condamnée à payer à la société Danieli la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par la société Egyptian Sponge Iron and Steel Co. S.A.E contre la sentence arbitrale rendue le 6 septembre 2023, à [Localité 2], sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence 25237/DDA/AZO/SP
2) La déboute de sa demande de condamnation formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
3) Condamne la société Egyptian Sponge Iron and Steel Co. S.A.E à payer à la société Danieli C. Officine Mecchaniche S.P.A la somme de cinquante mille euros (50 000 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne la société ESISCO aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 - CHAMBRE 16
ARRET 05 DECEMBRE 2023
(n° 86 /2023 , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20051 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYMS
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 6 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence 25237/DDA/AZO/SP
DEMANDERESSE AU RECOURS :
Société EGYPTIAN SPONGE IRON & STEEL CO. S.A.E.(ESISCO)
société de droit égyptien
ayant son siège social : [Adresse 1] (EGYPTE)
prise en la personne de son représentant légal,
Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Charley HANNOUN, avocat au barreau de PARIS, toque : G201
DEFENDERESSE AU RECOURS :
DANIELI & C.OFFICINE MECCANICHE S.P.A.
société de droit italien,
ayant son siège social : [Adresse 3] (ITALIE)
prise en la personne de son représentant légal,
Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Ayant pour avocats plaidants : Me Jean-Yves GARAUD et Me Guillaume DE RANCOURT du LLP CLEARY, GOTTLIEB, STEEN & HAMILTON LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J021
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme [M] [K], dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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I/ FAITS ET PROCEDURE
1- La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 6 septembre 2022, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige de nature contractuelle opposant la société Egyptian Sponge Iron and Steel Co. S.A.E (ci-après ESISCO), société de droit égyptien, filiale du groupe [X] Steel, à la société Danieli C. Officine Mecchaniche S.P.A, société de droit italien (ci-après Danieli) spécialisée dans la fourniture pour l'industrie sidérurgique.
2- Le différend à l'origine de cette sentence porte sur un contrat de fourniture d'un laminoir de profilés légers pour la production de barres d'acier, conclu le 29 juin 2007 entre la société Danieli (fournisseur) et la société ESISCO (le « Contrat Laminoir »), suivi un an plus tard par la signature le 12 juin 2008 d'un contrat de fourniture d'une machine à souder (« Endless Welding Rolling Process » ou « EWR »), destinée à être installée à l'intérieur du Laminoir (le contrat EWR).
3- La société ESISCO s'est plainte de problèmes techniques se rapportant aux équipements installés dans son usine qu'elle a estimés défectueux et non-conformes aux obligations contractuelles.
4- C'est dans ce contexte que, le 8 avril 2020, elle a introduit une procédure d'arbitrage auprès du secrétariat de la Chambre de Commerce Internationale sur le fondement de la clause compromissoire insérée dans les contrats de fourniture du Laminoir et de l'EWR, sollicitant des dommages et intérêts pour non-respect de la garantie décennale et, subsidiairement, pour violation des obligations contractuelles.
5- Au cours de la procédure d'arbitrage, la société Danieli s'est opposée à ces demandes, faisant valoir en substance que les équipements industriels étaient conformes aux exigences contractuelles, que sa garantie était expirée et qu'elle n'était pas responsable de la faible rentabilité de l'usine de la société ESISCO.
6- Elle a formé reconventionnellement des demandes en remboursement de la garantie bancaire et paiement des coûts et pertes occasionnés.
7- Par sentence du 6 septembre 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
REJETTE LA DEMANDE DE L'EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO, S.A.E pour violation de la garantie décennale de l'article 1792 CC et suivants du Code civil français ;
REJETTE LA DEMANDE DE L'EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E.S pour violation des Contrats ;
CONDAMNE EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E. à payer à DANIELI & C OFFICINE MECCANICHE S.P.A 1 658 895 EUR, plus des intérêts simples au taux légal italien à compter de la date de la présente sentence finale jusqu'à la date du paiement intégral et définitif ;
ORDONNE A EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E. (i) de rembourser à DANIELI & C. OFFICINE MECCHANICHE S.P.A 413 500 USD à titre de frais d'arbitrage et (ii) pour payer DANIELI & C. OFFICINE MECCANICHE S.P.A 2 439 293 EUR, 383 729,63 GPB et 147 597,83 USD à titre de Frais juridiques et autres Frais de représentation ; et
REJETTE toute autre demande élevée par EGYPTIAN SPONGE IRON AND STEEL CO., S.A.E. et DANIELI & C. OFFICINE MECCANICHE S.p.A.
8- Le 29 novembre 2022, la société ESISCO a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans.
10- La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 septembre 2023 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries qui s'est tenue le 9 octobre 2023.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
11-Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2023, la société ESISCO demande à la cour, au visa des articles 1520, 2° et 5°, du code de procédure civile de bien vouloir :
A TITRE PRINCIPAL,
CONSTATER que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 par un Tribunal arbitral compose' de M. [N] [L], de M. [W] [F] et de M. le Professeur [W] [U] dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP est contraire a' l'ordre public international en ce qu'elle aurait pour effet de faire bénéficier la société Danieli du produit d'activités délictueuses,
En conséquence,
PRONONCER l'annulation de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP,
CONSTATER que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 par un Tribunal arbitral compose' de M. [N] [L], de M. [W] [F] et de M. le Professeur [W] [U] dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP est contraire a' l'ordre public international en ce qu'elle est entachée d'une fraude procédurale,
En conséquence,
PRONONCER l'annulation de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
CONSTATER que le Tribunal arbitral, compose' de M. [N] [L], de M. [W] [F] et de M. le Professeur [W] [U], qui a rendu la sentence finale du 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP, a été irrégulièrement compose',
En conséquence, PRONONCER l'annulation de la sentence finale rendue le 6 septembre 2022 dans l'arbitrage n°25237/DDA/AZO/SP.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER la Société Danieli a' verser a' la société ESISCO la somme de 300.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER la Société Danieli aux entiers frais et dépens au titre de l'article 695 du code de procédure civile.
12-Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2023, la société Danieli demande à la cour de bien vouloir :
Rejeter le recours en annulation dirige' contre la sentence rendue a' [Localité 2] le 6 septembre 2022 ;
En tout état de cause, condamner ESISCO a' lui payer la somme de 350 000 (trois cent cinquante mille) euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner ESISCO aux entiers dépends, dont distraction au profit de la SELARL Baechlin Moisan Associés par application de l'article 699 du Code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
Sur le premier moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international
13- La société ESISCO soutient en premier lieu que la sentence est contraire a' l'ordre public international en ce qu'elle a pour effet de faire bénéficier la société Danieli du produit d'activités délictueuses laissant penser à l'existence d'un pacte corruptif.
14- Elle fait valoir que la décision qui l'a déboutée de ses demandes en réparation est fondée sur des certificats d'essais de performance censés établir le bon fonctionnement des équipements fournis par la société Danieli qui sont des faux, fabriqués par trois membres du personnel de la société ESISCO soudoyés par la défenderesse au recours.
15- A ce titre, elle met en avant le jugement de la Cour pénale du Caire (6 e circuit) rendu le 6 mars 2022 à la suite du dépôt en 2020 de sa plainte avec constitution de partie civile, qui a condamné in abstentia M. [A], qui occupait à l'époque les fonctions de directeur général d'ESISCO, à cinq années d'emprisonnement pour avoir intentionnellement falsifié neuf certificats d'essais de performance, dressés entre le 18 février et le 22 avril 2014, avec la complicité de son premier assistant, M. [J], qui lui a été condamné à une peine d'emprisonnement avec travaux d'un an.
16- Elle indique que, malgré cela, le tribunal arbitral, qui a pourtant mentionné avoir eu connaissance de la condamnation prononcée, dont la teneur a été produite au débat (pièce C 428), n'en a absolument pas tenu compte.
17- Elle ajoute que postérieurement à la sentence, une autre décision égyptienne a été rendue par la Cour pénale d'Alexandrie, le 18 avril 2023, qui vient corroborer la décision du 6 mars 2022.
18- Elle souligne à cet effet que la Cour pénale d'Alexandrie a retenu que le certificat de réception finale du four était en réalité un faux, forgé par un ex-dirigeant d'ESISCO, M. [V] [C] [D] (successeur de M. [A]), condamné in abstentia à une peine de cinq ans d'emprisonnement.
19- Elle fait observer que les indices de corruption découlent aussi des liens troublants entretenus par les membres du personnel de la société ESISCO avec la société Danieli qui a obtenu que MM. [T] et [P], ingénieurs employés par la société ESISCO, témoignent en sa faveur devant le tribunal arbitral.
20- En second lieu, elle soutient que la sentence est entachée d'une fraude procédurale, laquelle découle du constat que la décision des arbitres a été surprise par de faux documents, constitués par des certificats d'essais de performance et de réception finale falsifiés, qui ont joué un rôle clé dans la solution donnée au litige par le tribunal arbitral.
21- En réplique, la société Danieli conteste avoir monnayé auprès du personnel de la société ESISCO la fabrication de faux certificats de performance que le tribunal arbitral a reconnu valides.
22- Elle soutient que la recourante n'établit pas la moindre preuve d'un comportement illicite de sa part et encore moins d'un acte de corruption, faisant valoir que c'est la société ESISCO qui a fait pression sur son personnel pour qu'ils établissent de fausses attestations.
23- Elle prétend qu'ayant échoué à faire mentir ses employés devant les arbitres, la société ESISCO a instrumentalisé la justice égyptienne pour faire pression sur eux.
24- Elle conteste le caractère probant des décisions pénales égyptiennes du 6 mars 2022 et du 18 avril 2023, faisant valoir que ces décisions ont été rendues dans des conditions contestables, insusceptibles de corroborer la théorie de la corruption avancée par la recourante qui s'est abstenue devant les arbitres, alors qu'elle faisait état de la procédure pénale, de soutenir que les documents étaient des faux.
25- Elle souligne que c'est elle qui a attiré l'attention du tribunal arbitral sur les procédures égyptiennes diligentées par M. [X] (président de la société [X] Steel mère de la société ESISCO et négociateur des contrats), qu'elle qualifie de « parodie de justice », en produisant la décision de la cour commerciale du Caire du 27 décembre 2021 ayant condamné, sans vérifier les preuves, à un an de prison et des travaux forcés M [J] au motif qu'il aurait espionné M. [X] au moyen d'un microphone.
26- Elle fait observer que cette décision, qui reposait comme les autres décisions égyptiennes citées par la société ESISCO sur le témoignage d'un membre de la famille [X], a été entièrement annulée par la cour d'appel du Caire le 13 juin 2022, qui l'a déclaré non coupable des charges pénales dont il était accusé après avoir passé un an et demi en prison.
27- Enfin, elle fait valoir qu'aucune fraude procédurale ne peut être invoquée dès lors que, comme la recourante le soutient dans ses écritures, le tribunal arbitral était dument informé des condamnations pénales prononcées contre M. [J] et M.[A] et qu'il a statué en connaissance de cause.
SUR CE :
Sur l'allégation de corruption
28- Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.
29- L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.
30-Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.
31- La prohibition de la corruption figure au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international.
32- La cour n'étant pas le juge du contrat ou de l'opération, l'annulation n'est encourue que s'il est démontré par des indices graves, précis et concordants que l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique interne aurait pour effet de donner force à un contrat obtenu par corruption ou de permettre à une partie de bénéficier du produit d'activités de cette nature.
33- Une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'est ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, la Cour devant s'assurer cependant que la production des éléments de preuve devant elle respecte le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes.
34- La société recourante soutient à cet égard que le tribunal arbitral a fondé sa décision sur des données de performance et de réception du matériel industriel censées établir le bon fonctionnement du matériel qui sont des faux, fabriqués par les membres de la société ESISCO dans l'intérêt de la société Danieli, lesquels ont vraisemblablement été soudoyés et que, ce faisant, elle permet à cette société de récolter les fruits d'une opération de corruption.
35- Il convient de rappeler préalablement que la décision du tribunal, qui a conclu à l'expiration de la garantie contractuelle et déclaré « caduques » les demandes en réparation de la société ESISCO pour tardiveté, repose sur les certificats de réception définitive du laminoir (CRF) et de l' EWR - CRF 2014 et CRF 2015 ' qui ont servi au calcul du point de départ du délai de la garantie contractuelle prévue à l'article 10.1 des contrats, à la charge du fournisseur.
36- Il ressort en effet de la sentence qu'après examen des contestations soulevées par la société ESISCO sur la fiabilité des données qui avaient été recueillies par les parties à la suite d'essais de performance ayant conduit à l'émission des CRF signés en 2014 et 2015 par les sociétés ESISCO et Danieli, le tribunal a retenu que les certificats de réception définitive étaient valides et que la société ESISCO n'avait pas été trompée sur les résultats des essais, de sorte que la garantie contractuelle pour le laminoir et l'EWR avait expiré au jour où la société ESISCO avait déposé sa demande d'arbitrage le 8 avril 2020 ( pages 112 à 121 de la sentence).
37- Pour faire la preuve des faits de corruption qu'elle allègue, la société recourante met en avant les relations de la société Danieli avec les anciens employés qui ont témoigné en sa faveur et les condamnations pénales égyptiennes prononcées contre MM. [A], [J], et [D], anciens membres de son personnel, pour faux, qui selon elle constituent des indices graves précis et concordants d'une activité corruptive de la part de la société Danieli pour obtenir les certificats ayant déterminé le tribunal arbitral à rejeter sa demande.
38-Toutefois, les décisions pénales égyptiennes, qui sont les seuls éléments produits par la société ESISCO au soutien de sa demande, sont en elles-mêmes insuffisantes pour donner crédit à l'hypothèse d'une fabrication de faux certificats de performance.
39- Par ailleurs, les soupçons exprimés sur l'intégrité des liens entretenus entre la société Danieli et les membres du personnel ESISCO et la probité des témoignages recueillis par le tribunal ne sont que des allégations dépourvues de toute preuve.
40- En effet, si la Cour pénale du Caire a condamné le 6 mars 2022 M. [A] à cinq ans de prison au motif qu'il aurait intentionnellement falsifié les neuf certificats de performance en 2014, avec la complicité de son premier assistant, M [J], il convient de relever que sa décision a été rendue sans que M. [A] ait été entendu, à partir des résultats d'un rapport d'ingénierie technique d'experts égyptiens qui n'a pas été produit devant le tribunal arbitral et auquel la société défenderesse au recours, qui n'était pas partie à la procédure pénale, n'a pas eu accès.
41- A cet égard, il ressort de la sentence que la société ESISCO a fait le choix de s'appuyer sur d'autres rapports techniques devant le tribunal arbitral pour faire valoir qu'elle avait été trompée sur les résultats des essais entre 2013 et 2014 et qu'elle n'aurait jamais signé les CRF si elle avait eu connaissance de la situation réelle de l'usine.
42- Dans le cadre de la discussion de la validité des CRF, qui était un point décisif de la sentence auquel le tribunal arbitral a consacré de longs développements, la société ESISCO s'est contentée de produire la teneur de la décision sur la condamnation pénale du 6 mars 2022 au moyen d'une déclaration notariée en date du 22 mars 2022, sans alléguer l'existence de faux qu'elle oppose aujourd'hui devant la cour.
43- Pour convaincre de l'existence d'une corruption, la société ESISCO n'explique pas pourquoi elle a attendu d'être devant le juge de l'annulation pour tirer les conséquences de l'existence de faux certificats et ne fournit aucun élément corroborant son analyse hormis cette décision rendue à son initiative, hors la présence de la société Danieli, sur une expertise qui n'est toujours pas produite.
44- Concernant M. [J], qui a fait l'objet de deux procédures pénales en 2021 et en 2022, il est établi que la décision du 27 décembre 2021 le condamnant à un an d'emprisonnement pour des faits d'écoute sur plainte de la société ESISCO a été annulée par la cour d'appel du Caire en 2022, la cour relevant que cette décision était mise dans les débats au cours de la procédure d'arbitrage non par la société ESISCO mais par la société Danieli avertie par la famille de celui-ci de la gravité de la situation dans laquelle cet employé se trouvait en lien avec l'affaire.
45- Enfin, la cour constate que la décision égyptienne de la Cour pénale d'Alexandrie le 18 avril 2023 qui a condamné M. [D], ex-dirigeant de la société ESISCO, à cinq ans de prison en son absence, sur le témoignage de M. [X], vice-président du conseil d'administration d'ESISCO et d'un comité d'experts pour examiner le fonctionnement des installations non-contradictoire, a été rendue dans les mêmes circonstances que les précédentes décisions égyptiennes.
46- Cette décision ne rend pas davantage crédible l'allégation d'un pacte corruptif, étant observé qu'il n'est pas acquis à la lecture de la décision qu'il a été reproché à M. [D] d'avoir établi un faux mais plutôt d'avoir signé les documents sans pouvoir.
47- Il résulte de ce qui précède que la preuve d'indices graves, précis et concordants de l'existence d'un pacte corruptif entre la société Danieli et les anciens membres du personnel de la société ESISCO mettant en cause leur probité n'est pas rapportée de sorte que le moyen sur ce grief manque en fait.
Sur la fraude procédurale
48- La fraude procédurale commise dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise.
49- En l'espèce, la falsification des certificats de performance des équipements reconnue par la juridiction égyptienne ayant été portée à la connaissance des arbitres au cours de l'instance arbitrale (C 428), comme le reconnait elle-même la société ESISCO dans ses écritures, la décision du tribunal arbitral, à qui il ne peut être fait grief de ne pas en avoir fait mention dans son raisonnement, n'a pas été surprise par une fraude mais procède d'une appréciation éclairée de l'exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu'il n'appartient pas à la cour de réviser .
50- Le moyen sera en conséquence entièrement écarté.
Sur le second moyen tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral
51- La société ESISCO soutient que le président du tribunal arbitral (M. [L]) a manqué à son obligation de révélation en ne révélant pas qu'il était visé par une plainte de la République du Congo auprès du PNF l'accusant, alors qu'il présidait un tribunal arbitral, d'avoir entretenu des liens financiers secrets avec l'une des parties et qu'une information judiciaire avait été ouverte en France par réquisitoire introductif en date du 15 avril 2022 des chefs de corruption active et passive.
52- La société Danieli réplique que la plainte déposée contre M. [L] était un fait notoire dont la société ESISCO avait nécessairement connaissance de sorte qu'elle est irrecevable à soulever en application de l'article 1466 du code de procédure civile.
53- Elle ajoute que les accusations portées contre M. [L], qui portent tout au plus atteinte à sa réputation, ne font pas naître de doute raisonnable quant à son impartialité et son indépendance.
SUR CE :
54- L'article 1520, 2°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal a été irrégulièrement constitué.
55- Aux termes de l'article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506, 2°, du même code, il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission.
56- Un manquement à l'obligation de révélation ne conduit toutefois pas automatiquement à l'annulation de la sentence. Il appartient au juge de vérifier si les faits non révélés sont de nature à créer un doute raisonnable, dans l'esprit des parties, sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre.
Sur la recevabilité du grief
57- Selon l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l'arbitrage international par l'article 1506, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.
58- En application de ce texte, une partie qui, durant la procédure arbitrale, n'a pas protesté contre un fait connu propre à mettre en cause l'indépendance de l'arbitre n'est pas recevable à s'en prévaloir lors du recours en annulation, son abstention s'appréciant au regard de chacune des circonstances propres à affecter cette indépendance.
59- Il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d'une irrégularité, la partie qui s'en prévaut en avait connaissance alors que la procédure arbitrale était en cours, de sorte qu'elle aurait dû alors s'en prévaloir et à défaut est réputée y avoir renoncé.
60- En l'espèce, il ressort de la procédure que l'information dont la société ESISCO se prévaut était largement connue, pour avoir fait l'objet de nombreuses publications, dans la revue spécialisée du GAR du 11 octobre 2021 mais aussi sur internet, dans le cadre des informations à disposition du public, contemporaines de la procédure arbitrale, comme en attestent les nombreuses pièces produites par la recourante elle-même, de sorte qu'elle ne peut prétendre ne pas en avoir eu connaissance.
61- Il s'ensuit que ce moyen fondé sur le défaut de révélation par l'arbitre de cette information est irrecevable, étant observé que la société ESISCO n'établit en quoi cette information, sans lien avec l'arbitrage en cause, était de nature à créer un doute dans son esprit sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre.
62- Il y a lieu, au vu de l'ensemble de ces considérations, de rejeter intégralement le recours formé par la société
Sur les frais et dépens
63- La société ESISCO qui succombe, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre des frais irrépétibles étant rejetée.
64- Elle sera en outre condamnée à payer à la société Danieli la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par la société Egyptian Sponge Iron and Steel Co. S.A.E contre la sentence arbitrale rendue le 6 septembre 2023, à [Localité 2], sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence 25237/DDA/AZO/SP
2) La déboute de sa demande de condamnation formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
3) Condamne la société Egyptian Sponge Iron and Steel Co. S.A.E à payer à la société Danieli C. Officine Mecchaniche S.P.A la somme de cinquante mille euros (50 000 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne la société ESISCO aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,