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Décisions

CA Reims, 10 juillet 2018, n° 17/024611

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE TIRE LIGNE (SCI)

Défendeur :

CONFISERIE AUX TRESORS GOURMANDS (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mme MAUSSIRE, Mme LEFORT

Avocat :

SCP MANIL MANIL

CA Reims n° 17/024611

9 juillet 2018

Par acte authentique du 1er avril 2008, la SCI Tire Ligne a donné à bail à la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands un local commercial de 26m² environ, une réserve de 6m² et des toilettes situés [...] affectés à l'activité de négoce de bonbons, chocolats, produits de confiserie, gâteaux, glaces, salon de thé, vente de boissons alcoolisées, articles cadeaux, accessoires vestimentaires et tous produits connexes, pour un loyer mensuel hors charges de 500 euros HT soit 598 euros TTC, outre une indemnité de pas de porte de 14.000 euros. Le bail était conclu pour une durée de neuf ans à compter du 1er avril 2008, soit jusqu'au 31 mars 2017.

Par courrier de son conseil en date du 6 février 2014, la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands a sollicité le remboursement de l'indemnité de pas de porte et s'est réservée de demander la résiliation du bail en raison des infiltrations provenant de la toiture et occasionnant des dommages et du manquement de la bailleresse à son obligation de réparation. La SCI Tire Ligne a dénié sa responsabilité par courrier de son conseil daté du 19 février 2014 et a rappelé l'existence d'un arriéré de loyers de 7.758,92 euros.

Par acte d'huissier du 17 février 2015, la SCI Tire Ligne a fait assigner la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands devant le tribunal de commerce de Sedan aux fins d'obtenir la condamnation de la locataire au paiement des loyers échus et à échoir, soit 30.865,59 euros, outre une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts.

La Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières. A titre subsidiaire, elle a invoqué l'exception d'exécution en raison du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance et d'entretien, et a indiqué avoir quitté les lieux en mars 2014 de sorte que la SCI Tire Ligne ne pouvait réclamer le paiement des loyers postérieurs. A titre reconventionnel, elle a sollicité la résiliation du bail aux torts exclusifs de la bailleresse, une indemnité de 10.000 euros en réparation de son préjudice eu égard aux manquements de celle-ci et la restitution du dépôt de garantie.

Le 16 mai 2015, la SCI Tire Ligne a fait pratiquer une saisie-attribution sur le compte de la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands, qui a dès lors saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières aux fins de contestation de la saisie-attribution. Le juge de l'exécution a, par jugement du 30 août 2016, sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Sedan.

Par jugement en date du 16 mai 2017, le tribunal de commerce de Sedan a :

- débouté la Sarl Trésors Gourmands de son exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance,

- prononcé la résiliation du contrat de bail commercial au 31 mars 2014,

- condamné la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands à payer à la SCI Tire Ligne les loyers impayés d'octobre 2011, décembre 2011 et octobre 2013 pour un montant de 1.889,73 euros,

- dit et jugé que la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands est bien fondée à invoquer l'exception d'exécution pour justifier son refus de régler les loyers de janvier, février et mars 2014,

- condamné la SCI Tire Ligne à payer à restituer le dépôt de garantie d'un montant de 1.000 euros,

-débouté la société Confiserie aux Trésors Gourmands de ses demandes reconventionnelles,

- débouté la SCI Tire Ligne de sa demande de dommages intérêts,

- partagé par moitié les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a jugé, sur sa compétence, que la SCI Tire ligne avait le choix de la juridiction. Sur la demande en paiement des loyers, il s'est référé aux quittances produites par la locataire et n'a retenu que trois mois impayés arrêtés au 31 décembre 2013, précisant que s'agissant des loyers de janvier, février et mars 2014, la locataire invoquait l'exception d'inexécution. Sur la résiliation du bail, il a estimé que la remise des clés au bailleur par la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands, qui avait libéré les locaux, démontrait l'acceptation par le bailleur de la rupture anticipée du bail. Sur les manquements du bailleur, il a rappelé l'obligation du bailleur d'assurer le clos et le couvert, l'existence d'infiltrations successives rendant l'installation électrique dangereuse constatée par le rapport d'expertise d'Eurexo, un constat d'huissier et un rapport d'ERDF, et a considéré que la locataire était bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution pour justifier son refus de payer les loyers de janvier à mars 2014. Il a également jugé que la SCI Tire Ligne n'était pas fondée à retenir le dépôt de garantie. Enfin s'agissant des dommages-intérêts, il a estimé que la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands ne justifiait pas de sa perte d'exploitation.

Par déclaration du 14 septembre 2017, la SCI Tire Ligne a interjeté appel de ce jugement.

Régulièrement assignée devant la cour (à personne morale), la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands n'a pas constitué avocat.

Par conclusions du 22 novembre 2017, la SCI Tire Ligne demande à la cour d'appel de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du bail et retenu l'exception d'inexécution de la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands,

En conséquence,

- dire et juger que le contrat de bail ne pouvait être résilié au 31 mars 2014 avec une simple remise des clés,

- constater que la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands n'a pas respecté ses obligations contractuelles,

- en conséquence, la condamner à lui payer les sommes de :

- loyers échus : 13.858,02 euros

- loyers à échoir : 17.007,57 euros

total : 30.865,59 euros

- dire et juger qu'elle n'a pas à restituer le dépôt de garantie compte tenu de l'absence de résiliation du bail,

- débouter la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands de toutes ses exceptions, moyens et contestations,

- condamner la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands à lui payer une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- la condamner en outre au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que les loyers d'octobre et décembre 2011, de février, mai, novembre et décembre 2012, septembre, octobre et décembre 2013, et janvier, février, mars 2014 n'ont pas été réglés. Elle conteste le droit pour la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands d'invoquer l'exception d'inexécution car elle est intervenue à chaque fois que sa locataire rencontrait des difficultés de clos et de couvert. Elle conteste d'ailleurs avoir manqué à son obligation de délivrance et d'entretien, faisant valoir que le bail contient une clause de non responsabilité du bailleur en cas de fuites d'eau, que malgré cela, elle a fait intervenir la société Paul Services à plusieurs reprises entre août 2008 et octobre 2012, de sorte qu'elle a totalement rempli ses obligations. Elle soutient qu'en réalité la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands a décidé d'acquérir un local en face du local loué pour exercer son activité, sans respecter les clauses du bail. Elle estime que cette méconnaissance de ses obligations contractuelles est particulièrement fautive et que le tribunal de commerce n'a pas appréhendé la totalité des pièces versées aux débats.

 

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, sur la compétence de la juridiction saisie en première instance, il convient de souligner que c'est à tort que le tribunal de commerce a débouté la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands de son exception d'incompétence et s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige relatif à un bail commercial, puisque l'article R.145-23 du code de commerce attribue compétence exclusive au tribunal de grande instance dans cette matière.

Toutefois, dans la mesure où la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands n'a pas constitué avocat devant la cour, aucune des parties ne demande l'infirmation du jugement sur ce point, de sorte qu'il ne pourra qu'être confirmé. En outre, la cour d'appel de Reims étant juridiction d'appel à la fois du tribunal de commerce de Sedan et du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, elle est en tout état de cause compétente pour statuer sur le présent appel.

Sur la demande en paiement des loyers

Le bailleur est obligé notamment, en vertu de l'article 1719 du Code civil, de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir les lieux en état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués, et d'assurer au preneur la jouissance paisible des locaux loués pendant la durée du bail. L'article 1720 met à sa charge l'obligation de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives.

Le simple manquement du bailleur à son obligation d'entretien ne peut suffire à dispenser le preneur de son obligation de payer les loyers, laquelle est une obligation essentielle du contrat de bail. Le preneur ne peut refuser de payer les loyers en invoquant l'exception d'inexécution que s'il prouve qu'il est dans l'impossibilité de jouir du local loué en raison du manquement du bailleur à son obligation de délivrance ou de jouissance paisible.

Pour prouver que la société Confiserie aux trésors Gourmands n'a pas payé les loyers d'octobre et décembre 2011, de février, mai, novembre et décembre 2012, septembre, octobre et décembre 2013, et janvier, février, mars 2014, la SCI Tire Ligne verse aux débats ses relevés de compte correspondants, ainsi que les autres relevés (de novembre 2013 à juillet 2011) faisant apparaître les virements ou encaissements de chèques correspondant aux loyers payés.

Il résulte de l'ensemble de ces pièces et de la mise en demeure du 5 février 2014 que les loyers d'octobre et décembre 2011, de février, mars, juillet, novembre et décembre 2012, septembre, octobre et décembre 2013 n'ont pas été payés, soit un total de 6.299,10 euros. En outre, il n'est pas contesté que les loyers de janvier, février et mars 2014 n'ont pas été payés puisque le société Confiserie aux Trésors Gourmands avait invoqué l'exception d'inexécution pour ces loyers, ce qui porte le total non payé arrêté au 31 mars 2014 à la somme de 8.188,83 euros.

En tout état de cause, en application de l'article 1315 alinéa 2 du code civil, il appartient à la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands d'apporter la preuve de l'extinction de son obligation.

La Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands, qui n'a pas constitué avocat devant la cour, n'apporte pas la preuve qui lui incombe ni du paiement de ces loyers ni de l'impossibilité de jouir des locaux loués pendant les périodes en cause.

Le bailleur est donc bien fondé en sa demande en paiement de la somme de 8.188,83 euros arrêtée au 31 mars 2014.

La SCI Tire Ligne demande en plus la somme de 5.669,19 euros correspondant aux loyers d'avril à décembre 2014, soit un total de 13.858,02 euros. Elle demande enfin la somme de 17.007,57 euros correspondant aux loyers du 1er janvier 2015 jusqu'au 31 mars 2017, date de fin de bail selon elle.

Il est constant que la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands a quitté les lieux le 31 mars 2014, fin de la deuxième période triennale comme le permettent le bail et l'article L.145-4 du Code de commerce, mais sans donner congé au bailleur. Dès lors que le preneur quitte les lieux unilatéralement sans donner congé, le bail continue de courir de sorte que les loyers restent dus au bailleur. C'est donc à tort que le tribunal a estimé que le bail était résilié au 31 mars 2014. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Cependant, les loyers ne peuvent être dus au delà de la date à laquelle le bailleur a pu relouer le local, ce qui marque l'accord du bailleur sur la résiliation du bail.

Il n'est pas contesté par la SCI Tire Ligne que les clés lui ont été restituées. Par ailleurs, elle a reloué le local selon contrat de bail du 7 mars 2015 versé aux débats. Ainsi, elle est bien fondée à réclamer les loyers jusqu'à cette date, mais pas au-delà, et ne peut soutenir que le bail n'est actuellement pas résilié.

Il en résulte que la demande en paiement des loyers du bailleur est bien fondée à hauteur de la somme de 15.117,84 euros arrêtée à février 2015 inclus, somme de laquelle il convient de déduire le montant du dépôt de garantie de 1.000 euros.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement et de faire droit à la demande en paiement du bailleur, à hauteur de la somme de 14.117,84 euros.

Sur la demande de dommages-intérêts

La SCI Tire Ligne n'explique pas en quoi consiste son préjudice.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts comme étant non justifiée.

Sur les demandes accessoires

La Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands, partie perdante, doit être condamnée aux dépens, tant de première instance que d'appel. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Il n'est pas inéquitable de la condamner en outre à payer à la SCI Tire Ligne la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

 

 

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 16 mai 2017 par le tribunal de commerce de Sedan en ce qu'il a :

- prononcé la résiliation du contrat de bail commercial au 31 mars 2014,

- condamné la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands à payer à la SCI Tire Ligne les loyers impayés d'octobre 2011, décembre 2011 et octobre 2013 pour un montant de 1.889,73 euros,

- dit et jugé que la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands est bien fondée à invoquer l'exception d'exécution pour justifier son refus de régler les loyers de janvier, février et mars 2014,

- condamné la SCI Tire Ligne à payer à restituer le dépôt de garantie d'un montant de 1.000 euros,

- partagé par moitié les dépens,

Statuant de nouveau sur ces seuls chefs,

CONDAMNE la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands à payer à la SCI Tire Ligne la somme de 14.117,84 euros, déduction faite du dépôt de garantie,

DEBOUTE la SCI Tire Ligne du surplus de ses demandes,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands à payer à la SCI Tire Ligne la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE la Sarl Confiserie aux Trésors Gourmands aux dépens de première instance et d'appel.