Livv
Décisions

CA Riom, 1re ch. civ., 12 décembre 2023, n° 23/00571

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Autosprinter (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Valleix

Conseillers :

M. Acquarone, Mme Bedos

Avocats :

Me Baudon, Me Gutton Perrin, Me Bozzi

TJ Clermont-Ferrand, JME, du 10 févr. 20…

10 février 2023

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [S] [P] a acheté le 2 janvier 2015 à la société NGA PROVENCE, devenue SAS AUTOSPRINTER [Localité 1], un véhicule automobile Volvo V40 moyennant le prix de 19.992,40 €, qu'il a revendu le 16 janvier 2018 à M. [O] [E] moyennant le prix de 13.100,00 €.

Après avoir fait diagnostiquer le 30 avril 2019 un endommagement du moteur de ce véhicule nécessitant des réparations à hauteur de 7.600,00 €, M. [E] a assigné notamment M. [P] le 30 septembre 2019 devant le Juge des référés du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand afin d'obtenir l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire. Suivant une ordonnance de référé rendue le 10 décembre 2019, le Président du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a fait droit à cette demande, désignant pour y procéder M. [X] [J], expert en automobile près la cour d'appel de Riom, avec mission d'usage en la matière. Cette même juridiction a rendu cette expertise judiciaire commune et opposable notamment à la société AUTOSPRINTER par ordonnance de référé du 27 octobre 2020 sur assignation du 15 juin 2020 de M. [P]. Après avoir rempli sa mission, l'expert judiciaire commis a établi son rapport le 20 août 2021.  

Arguant en lecture de ce rapport d'expertise judiciaire que le moteur du véhicule présentait une fragilité provenant de sa conception ou de sa fabrication remontant à sa construction et que cette vente avait donc contenu un vice interne, M. [E] a assigné M. [P] le 18 octobre 2021 devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en résolution de cette vente avec restitution de son prix outre réclamations sur plusieurs postes de préparation, ce dernier ayant appelé en cause la société AUTOSPRINTER le 7 janvier 2022.

Au cours de cette instance au fond, le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a, suivant une ordonnance n° RG-21/03595 rendue le 10 février 2023 :

- constaté la prescription de l'action d'appel en cause intentée à l'encontre de la société AUTOSPRINTER par M. [P] en raison de la prescription quinquennale prévue à l'article L.110-4 du code de commerce, alors que, « (') le véhicule litigieux ayant été vendu à Monsieur [S] [P] le 02 janvier 2015, ce dernier avait jusqu'au 02 janvier 2020 pour intenter une action contre son vendeur. » [Dans les motifs] ;

- déclaré [en conséquence] irrecevables les demandes formées par M. [P] à l'encontre de la société AUTOSPRINTER ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté en conséquence les parties de leurs demandes formées à ce titre ;

- condamné M. [P] aux dépens de l'incident, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Jean-Pascal Treins, Avocat au barreau de Clermont-Ferrand.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 30 mars 2023, le conseil de M. [P] a interjeté appel de l'ordonnance de mise en état susmentionnée, l'appel portant sur la décision d'irrecevabilité à son encontre et sur sa condamnation aux dépens de première instance.

Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 18 août 2023, M. [S] [P] a demandé de :

- au visa des articles 2224 et 2241 du Code civil ;

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand du 10 février 2023 ;

- juger recevable son appel en garantie formé à l'encontre de la société AUTOSPRINTER en raison de la non-prescription ;

- débouter la société AUTOSPRINTER de toutes ses demandes ;

- condamner la société AUTOSPRINTER à lui payer une indemnité de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société AUTOSPRINTER aux entiers dépens de l'instance, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Christine Baudon, Avocate au barreau de Clermont-Ferrand.

- Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 25 mai 2023, la SAS AUTOSPRINTER [Localité 1] a demandé de :

- au visa de l'article L.110-4 du code de commerce et des articles 1641 et suivants du Code civil ;

- confirmer la décision entreprise en ce qui concerne le constat de la prescription et le prononcé de l'irrecevabilité à l'encontre de M. [P] ;

- débouter en conséquence M. [P] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [P] à lui payer une indemnité de 1.500 € en compensation de ses frais irrépétibles ;

- condamner M. [P] aux entiers dépens de l'instance, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Barbara Gutton, Avocate au barreau de Clermont-Ferrand.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l'appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Après évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile collégiale du 23 octobre 2023 à 14h00, au cours de laquelle chacun des conseils des parties a réitéré ses précédentes écritures, la décision suivante a été mise en délibéré au 12 décembre 2023, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il résulte des dispositions de l'article L.110-4 alinéa 1er du code de commerce que « I.-Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. » et des dispositions de l'article 1648 alinéa 1er du Code civil que « L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. ».

Tirant les conséquences du fait que la vente initiale du véhicule litigieux a été effectuée le 2 janvier 2015, le premier juge a opposé la prescription quinquennale à l'action en garantie formée par M. [P] à l'encontre de la société AUTOSPRINTER au motif que cet acte d'appel en cause a été diligenté après l'expiration du délai de droit commun de cinq ans ayant couru à compter de la date de première vente du 2 janvier 2015, soit postérieurement au 2 janvier 2020, en considérant de ce fait que le délai précité de prescription biennale ne pouvait dès lors en tout état de cause s'appliquer et sans admettre que l'assignation aux fins de référé-expertise de M. [E] ait pu avoir un effet interruptif sur le cours de cette prescription extinctive par cinq ans. Le premier juge a ainsi considéré que cette demande d'expertise judiciaire [du 30 septembre 2019] initiée par M. [E] à l'égard notamment de M. [P] en qualité de vendeur ne pouvait avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription de l'action pouvant être initiée par ce dernier à l'encontre de son propre vendeur la société AUTOSPRINTER pour le motif suivant lequel « Il est constant que l'effet interruptif attaché à une action en justice ne s'étend qu'à une autre action diligentée par la même partie. ».

De fait, il est matériellement exact qu'aucune des mises en cause de la société AUTOSPRINTER par M. [P] n'a été effectuée avant la date du 2 janvier 2020 d'expiration du délai de prescription quinquennale ayant couru à compter de la date de première vente du 2 janvier 2015 du véhicule litigieux, qu'il s'agisse de l'assignation en référé aux fins d'extension d'expertise judiciaire du 15 juin 2020 ou de l'assignation d'appel en cause au fond du 7 janvier 2022. De plus, M. [P] convient de la jurisprudence de la 1ère Chambre civile de la Chambre commerciale de la Cour de cassation d'enfermement de la garantie des vices cachés dans ce double délai, suivant laquelle cette action doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice et être en tout état de cause mise en œuvre dans le délai de droit commun de la prescription extinctive quinquennale courant à compter de la vente initiale. Ce dispositif de double délai est usuellement dénommé « délai glissant ».

M. [P] se prévaut toutefois d'une possibilité de revirement de jurisprudence en cette matière en lecture d'un arrêt du 8 décembre 2021 de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation, de quatre arrêts de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 21 juillet 2003 et de jurisprudences d'autres cours d'appel, étendant ce délai glissant à un délai butoir de vingt ans en application des dispositions de l'article 2232 du Code civil.

En l'occurrence, la société AUTOSPRINTER objecte à juste titre que les jurisprudences invoquées par M. [P] ne concernent que des actions intentées en matière de droit de la construction immobilière, sans transposition à la jurisprudence constante de la 1ère Chambre civile ainsi que de la Chambre commerciale de la Cour de cassation sur ce « délai glissant » n'excédant pas cinq ans à partir de la vente initiale en cas d'application des dispositions combinées de l'article L.110-4 du code de commerce et de l'article 1648 du Code civil en matière de vente mobilière et plus spécialement en matière de vices cachés pouvant être révélés sur un véhicule automobile après sa mise en vente. Aucun élément ne permet donc d'infléchir cette jurisprudence en matière de vente mobilière, fixant le point de départ du délai de deux ans de l'article 1648 alinéa 1er du Code civil à la date de découverte du vice, elle-même enfermée dans le délai de cinq ans prévus à l'article L.110-4 du code de commerce à compter de la vente dans le cadre des actions diligentées par un non-commerçant à l'encontre d'un commerçant.

Eu égard donc à l'expiration en tout état de cause du délai de prescription quinquennale prévu à l'article L.110-4 alinéa 1er du code de commerce à la date précitée du 2 janvier 2020, M. [P] ne peut utilement faire valoir qu'il n'aurait découvert les vices cachés du véhicule litigieux qu'en lecture du rapport d'expertise judiciaire du 23 août 2022 de M. [J] et qu'il ne serait donc pas prescrit pour avoir effectué son appel en cause de la société AUTOSPRINTER dans le cadre de la procédure de fond le 7 janvier 2022. En tout état de cause, il lui était aisément loisible d'effectuer à titre conservatoire la mise en cause de son propre vendeur dès l'assignation en référé-expertise dont il avait fait l'objet le 30 septembre 2019, soit assez largement avant la date d'expiration précitée du 2 janvier 2020, de la part de son vendeur.

Par ailleurs, l'article 2241 alinéa 1er du Code civil, suivant lequel « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. » ne peut permettre à M. [P] de bénéficier d'un effet interruptif de prescription, les assignations en référé-expertise du 30 septembre 2019 et en extension d'expertise du 15 octobre 2019 ne pouvant profiter à ce sujet qu'à leur seul initiateur M. [E]. De plus, aucune de ces deux assignations n'a été délivrée par M. [E] à l'encontre de la société AUTOSPRINTER.

Il ne peut par ailleurs être établi que les deux actions respectives de M. [E] et de M. [P] tendraient à un seul et même but en dépit de causes distinctes. En effet, si ces deux actions sont de nature similaire, elles n'en sont pas moins mues par des intérêts totalement divergents émanant de parties différentes, les rendant totalement inconfusibles l'une par rapport à l'autre. En définitive, la société AUTOSPRINTER rappelle ici à juste titre la jurisprudence habituelle suivant laquelle « (') seul l'auteur d'une action en justice peut bénéficier de l'effet interruptif de prescription attaché à sa demande et que cet effet interruptif ne vaut qu'à l'égard des seules personnes attraites en justice. ».

Dans ces conditions, la décision de première instance sera confirmée en sa décision d'irrecevabilité des demandes formées par M. [P] à l'encontre de la société AUTOSPRINTER en raison de la prescription extinctive quinquennale.

Le premier juge a fait une juste application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en rejetant la demande formée par chacune des parties à ce titre. La décision de première instance sera également confirmée en ce qui concerne l'imputation des dépens de première instance à la charge de M. [P], avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit du conseil de la société AUTOSPRINTER.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la société AUTOSPRINTER les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 1.500 €.

Enfin, succombant à l'instance, M. [P] sera purement et simplement débouté de sa demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt rendu par défaut,

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance n° RG-21/03595 rendue le 10 février 2023 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.

Y ajoutant.

CONDAMNE M. [S] [P] à payer au profit de la SAS AUTOSPRINTER [Localité 1] une indemnité de 1.500 €, en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE M. [S] [P] aux entiers dépens de l'instance, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Barbara Gutton, Avocate au barreau de Clermont-Ferrand.