CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 29 mars 2023, n° 20/18581
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Galerie Michel Giraud (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
Avocats :
Me Lhotel, Me Plique, Me Zeitoun
EXPOSE DU LITIGE
Mme [N] [O], artiste sculptrice d'origine brésilienne spécialisée dans le fer soudé, le bronze et le marbre et vivant en France depuis 1947, est décédée le 20 août 2003 en laissant pour lui succéder M. [M] [E], son légataire universel.
Suivant contrat signé le 18 octobre 2002, Mme [O], représentée par sa tutrice, avait autorisé M. [F], exerçant sous l'enseigne GALERIE MICHEL GIRAUD, à faire exécuter au maximum douze exemplaires en bronze de ses oeuvres n°37 (abstraction sculpture en marbre blanc), n°54 (abstraction sculpture en marbre blanc) et n°62 (abstraction sculpture en marbre noir) qu'il avait précédemment acquises, le 23 février 2002, dans le cadre d'une vente aux enchères publiques.
En contrepartie, il était notamment convenu que M. [F] informerait Mme [O] de l'exécution de ces tirages en bronze et de leur date d'exécution et ferait don à la sculptrice d'un exemplaire en bronze de chacune de ces trois oeuvres.
Par courrier du 17 septembre 2003, M. [E] a interrogé la Galerie [P] [F] sur ses intentions concernant l'exécution de ces tirages en bronze et il lui a été répondu, le 3 octobre, qu'il n'avait pas été procédé à ces tirages du vivant de Mme [O] mais que M. [F] en conservait toutefois l'intention.
M. [E] expose avoir découvert, fin 2017, sur le site internet de la Galerie [P] [F], qu'une sculpture en bronze poli à patine dorée nommée La Voile, correspondant au lot n° 54 acquis par la galerie lors de la vente aux enchères le 23 février 2002, était présentée à la vente comme une oeuvre originale signée [N] [O], et avoir adressé à la galerie, le 20 octobre 2017, un courrier de mise en demeure l'enjoignant de lui communiquer des informations précises sur l'utilisation qu'elle avait faite des oeuvres acquises en 2002.
Une mise en demeure était également adressée au fondeur, M. [Z], le 20 octobre 2017, ce dernier indiquant en réponse avoir exécuté pour le compte de la Galerie [P] [F] quelques tirages en bronze de la sculpture de l'artiste selon la technique de la cire perdue.
Puis, autorisé par ordonnances des 26 octobre et 9 novembre 2018, M. [E] a fait procéder à deux saisies-contrefaçons dont les opérations se sont déroulées simultanément le 19 décembre 2018 dans les locaux de la GALERIE MICHEL GIRAUD et dans ceux du fondeur, M. [Z].
A l'occasion des opérations menées au sein de la galerie, M. [F] a reconnu avoir fait réaliser cinq tirages en bronze des sculptures acquises lors de la vente aux enchères du 23 février 2002, soit trois tirages en bronze du lot n°54 (2 tirages en 2004 et 1 dernier tirage en 2011), un tirage en bronze du lot n°37 en 2005 et un tirage du lot n°62 en 2004, et avoir vendus tous ces tirages ultérieurement.
C'est dans ces conditions que par acte du 19 janvier 2019, M. [E] a fait assigner la société GALERIE MICHEL GIRAUD (ci-après, la GALERIE) devant le tribunal judiciaire de Paris.
Dans son jugement rendu le 20 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré l'action de M. [E] en nullité de la convention conclue le 18 octobre 2002 irrecevable car prescrite ;
- prononcé la résiliation de la convention conclue le 18 octobre 2002 à compter de la date du jugement ;
- dit que les oeuvres n°37 (abstraction sculpture en marbre blanc), n°54 (abstraction sculpture en marbre blanc) et n°62 (abstraction sculpture en marbre noir) réalisées par [N] [O] sont protégées par le droit d'auteur ;
- déclaré l'action de M. [E] en réparation des atteintes au droit moral irrecevable car prescrite ;
- rejeté les demandes formées par M. [E] au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux ;
- rejeté la demande formée par la société GALERIE MICHEL GIRAUD au titre de la procédure abusive ;
- rejeté les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Le 17 décembre 2020, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et transmises le 2 novembre 2022, M. [E] demande à la cour :
Vu l'article 2224 du code civil ;
Vu les articles L.111-1 et suivants, L.112-1 et suivants, L.121-1 et suivants, L.331-1-3 et L.331-1-4, L.335-3 du code de la propriété intellectuelle
Vu l'article 98 A II-3° du code général des impôts ;
- d'infirmer le jugement en ce qu'il :
- déclare l'action de l'action de M. [E] en réparation des atteintes au droit moral irrecevable car prescrite ;
- rejette les demandes formées par M. [E] au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux ;
- rejette les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il :
- prononce la résiliation judiciaire de la convention conclu le 18 octobre 2002 aux torts exclusifs de la société GALERIE MICHEL GIRAUD à compter de la date du jugement entrepris ;
- déboute la société GALERIE MICHEL GIRAUD de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;
- et, statuant de nouveau :
- de déclarer recevable, bien fondé et non prescrite l'action de M. [E] ;
- de constater la qualité et l'intérêt à agir de M. [E] ;
- de juger que les oeuvres de [N] [O] bénéficient de la protection du droit d'auteur ;
- de rappeler qu'une oeuvre en marbre, taillée directement dans la pierre par l'artiste, ne peut-être qu'une oeuvre unique ;
- de déclarer que la GALERIE MICHEL GIRAUD a commis des actes de contrefaçon ;
- de condamner la GALERIE MICHEL GIRAUD à indemniser M. [E] à hauteur de 500.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon des droits patrimoniaux ;
- de condamner la GALERIE MICHEL GIRAUD à indemniser M. [E] à hauteur de 50.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon des droits moraux ;
- d'ordonner la cessation de toute reproduction et/ou commercialisation des oeuvres de [N] [O] détenues par la GALERIE MICHEL GIRAUD ;
- d'ordonner la confiscation et la remise à M. [E] sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard dans les 15 jours du jugement suivant signification :
- des recettes réalisées par la GALERIE MICHEL GIRAUD par le biais de la vente des oeuvres contrefaisantes d'un montant de 104.900 euros ;
- des quatre oeuvres originales acquises lors de la vente aux enchères du 23 février 2002 et en possession de la GALERIE MICHEL GIRAUD, ayant servi de base à la reproduction par surmoulage ;
- de faire interdiction à la GALERIE MICHEL GIRAUD de reproduire pour l'avenir d'une quelconque manière que ce soit les oeuvres originales de [N] [O] qu'elle détient ;
- d'ordonner sous astreinte de 1.500 euros par jours de retard dans les 15 jours du jugement suivant signification la destruction de l'intégralité des reproductions réalisées par la GALERIE MICHEL GIRAUD à ses frais et à charge pour cette dernière de récupérer lesdites fontes auprès des personnes physiques et/ou morales auxquelles elle a vendu les fontes litigieuses ;
- d'autoriser la publication du jugement à intervenir aux frais de la GALERIE MICHEL GIRAUD dans 3 (trois) publications de presse au moins, au choix de M. [E], dans la limite de 4.000 euros de frais de publication par parution ;
- sur les demandes reconventionnelles :
- de débouter la GALERIE MICHEL GIRAUD de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;
- en tout état de cause :
- de débouter la GALERIE MICHEL GIRAUD de l'ensemble de ses demandes ;
- de condamner la GALERIE MICHEL GIRAUD à verser la somme de 30.000 euros à M. [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la GALERIE MICHEL GIRAUD aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et transmises le 29 novembre 2022, la société GALERIE MICHEL GIRAUD demande à la cour de :
Vu la convention du 18 octobre 2002,
Vu l'article 98 A II 3° de l'annexe du code général des impôts,
Vu les articles 2219 et 2224, 514 et 515, 1134 et 1184 alinéa 2, 1146 du code civil,
- de recevoir la société GALERIE MICHEL GIRAUD dans ses écritures en réponse et la déclarer bien fondée.
- en conséquence,
- de déclarer irrecevable l'action en contrefaçon introduite par M. [E] à l'encontre de la société GALERIE MICHEL GIRAUD ;
- de débouter M. [E] de l'intégralité de ses demandes ;
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation de la convention du 18 octobre 2002 et rejeté par ailleurs, la demande reconventionnelle de la GALERIE GIRAUD ;
- subsidiairement, si par extraordinaire, la cour devait prononcer la résiliation de la convention, celle-ci ne pourrait, pour autant, prendre effet, qu'à compter de l'arrêt à intervenir ;
- très subsidiairement et si par impossible, la cour devait écarter l'irrecevabilité de son action en contrefaçon et considérer plus généralement, son action recevable, de débouter M. [E] de l'intégralité de ses demandes, en ce qu'elles sont manifestement mal fondées ;
- en tout état de cause,
- de condamner M. [E] à verser la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts à la société GALERIE MICHEL GIRAUD en réparation de la procédure abusive menée à son encontre ;
- de condamner M. [E] à verser la somme de 30.000 € à la société GALERIE MICHEL GIRAUD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens de la société COULON, aux conclusions écrites qu'elle a transmises, telles que susvisées.
Sur les chefs du jugement non critiqués
Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a :
- dit que les oeuvres n°37 (abstraction sculpture en marbre blanc), n°54 (abstraction sculpture en marbre blanc) et n°62 (abstraction sculpture en marbre noir) réalisées par [N] [O] sont protégées par le droit d'auteur ;
- déclaré l'action de M. [E] en nullité de la convention conclue le 18 octobre 2002 irrecevable car prescrite.
Il est donc irrévocable de ces chefs.
Sur la résiliation de la convention du 18 octobre 2002
Au soutien de sa demande d'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation de la convention, la GALERIE argue que M. [E] avait une parfaite connaissance depuis 2003, de l'existence de la convention conclue entre elle et [N] [O], représentée par sa tutrice ; que dans son courrier du 3 octobre 2003, elle lui a confirmé, de manière non équivoque, son intention de réaliser les fontes en bronze, en excluant expressément, le recours à la fonderie SUSSE, en raison de son dépôt de bilan, tout en sollicitant les coordonnées du notaire en charge de la succession de l'artiste, de manière à s'assurer notamment de sa qualité d'ayant-droit ; qu'elle n'a jamais reçu de réponse ; qu'elle n'a jamais reçu le courrier simple du 9 octobre 2003 par lequel M. [E] lui aurait communiqué les coordonnées d'un notaire ; que M. [E] n'a jamais tenté de s'opposer à la reproduction des oeuvres après sa réponse du 3 octobre 2003 ; qu'il n'a pas plus jugé opportun de se manifester après avoir eu connaissance de la vente aux enchères réalisée le 28 avril 2013 à [Localité 4] d'un exemplaire en bronze (réalisé par l'artiste elle-même) dénommé La Voile correspondant au lot n°54 ; que la publication sur son site internet de la sculpture en bronze tirée à partir du lot n°54, que M. [E] prétend avoir découverte en 2017, y était depuis 2004, date du premier tirage.
Elle conteste par ailleurs, les griefs qui lui sont adressés concernant l'exécution de la convention, lesquels doivent être appréciés, selon elle, en tenant compte du mutisme et de l'inertie prolongée de M. [E] entre 2003 et 2017, faisant valoir en outre que le grief tiré d'un défaut d'information du légataire universel de l'artiste n'est pas fondé, dès lors que M. [E], bien qu'informé de son intention non équivoque d'exécuter la convention, n'a jamais formellement justifié de cette qualité et a pris le parti de rester inerte pendant plus de 14 ans, manifestant ainsi un profond désintérêt pour ces tirages, alors qu'elle n'avait aucun moyen de s'assurer qu'il était officiellement l'ayant-droit légitime de Mme [O] ; que le grief tiré de la non destruction des moules est également infondé puisqu'elle était autorisée à tirer jusqu'à 12 exemplaires de chacune des oeuvres originales acquises et que ce seuil n'a jamais été atteint ; que le grief tiré du non respect des oeuvres est également infondé, dès lors que l'oeuvre correspondant au lot n°54 avait déjà fait l'objet d'un tirage en bronze par l'artiste elle-même déjà dénommé La Voile lors d'une vente réalisée en 2013 par [Localité 4] ENCHERES et qu'il n'est pas démontré que l'artiste avait personnellement dénommé l'oeuvre 'abstraction 54" qui est un terme générique choisi par le commissaire-priseur pour désigner les oeuvres de Mme [O] ; que le choix du fondeur n'est pas plus reprochable, M. [E] ayant été dûment informé du choix d'un autre fondeur en raison de la liquidation judiciaire de la fonderie SUSSE et n'ayant pas réagi ; qu'il en est de même de la représentation du tirage en bronze du lot n° 54 sur son site internet dans la mesure où dès 2002, lors d'échanges avec la tutrice de l'artiste, elle avait indiqué formellement qu'elle serait amenée à faire de la publicité afin d'assurer la revente des tirages et qu'aucune restriction à cet égard ne figure dans la convention.
A titre subsidiaire, si la cour confirmait le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation, elle demande que celle-ci ne prenne effet qu'à la date de l'arrêt à intervenir, avec les même conséquences que celles retenues par les premiers juges, à savoir le rejet de l'intégralité des demandes en réparation de M. [E].
M. [E] demande la confirmation du jugement, faisant valoir qu'en violation des engagements pris par la GALERIE, il n'a jamais été informé, en tant qu'héritier et légataire universel de [N] [O], de l'exécution de tirages en bronze, qu'il n'a jamais reçu le moindre exemplaire en bronze réalisés par la GALERIE des oeuvres correspondants aux lots n°37, 54 et 62, qu'il n'a jamais été informé de la création et de la destruction des moules destinés aux fontes, et n'a jamais reçu la moindre information quant au fondeur choisi par l'intimée, et ce, alors que la GALERIE disposait de ses coordonnées ; qu'il a été fait en sorte qu'il croit légitimement que la GALERIE avait abandonné son projet et qu'aucun tirage n'avait été réalisé ; que la GALERIE, qui était personnellement débitrice d'obligations et qui a par ailleurs délibérément porté atteinte à l'intégrité de l'oeuvre, ne saurait se retrancher derrière sa prétendue défaillance, à la supposer établie.
Ceci étant exposé, l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce, dispose que 'Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi'.
Aux termes de la convention signée le 18 octobre 2002, M. [F] exerçant à l'enseigne GALERIE MICHEL GIRAUD, s'est engagé, notamment,'à faire respecter par le fondeur, le nombre d'exemplaires tirés, c'est à dire au maximum douze, le fondeur ayant l''obligation, en présence de I'artiste, son ayant-droit ou un huissier nommé par ces derniers, de détruire les moules ayant servi à l'exécution des bronzes à la fin du tirage', 'à informer Madame [N] [O] représentée par sa tutrice de l'exécution des tirages en bronze, en donnant toutes informations à Madame [N] [O] représentée par sa tutrice, concernant les dates d'exécution desdits tirages' et 'à respecter et à faire respecter l'oeuvre de Madame [N] [O], toute dénaturation de ladite œuvre étant interdite'.
C'est par des motifs exact et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a prononcé la résiliation de la convention conclue le 18 octobre 2002 à compter de la date du jugement, retenant que la GALERIE n'a pas respecté son obligation contractuelle d'informer M. [E], en sa qualité de légataire universel, de l'exécution et des dates d'exécution des tirages ni celle de respecter les oeuvres de l'artiste.
Il sera ajouté que la GALERIE ne peut se retrancher derrière la longue inaction de M. [E] pour prétendre s'exonérer de ses obligations dès lors que, professionnelle du marché de l'art, elle se devait de veiller scrupuleusement au respect des engagements pris à l'égard de l'artiste, en ce compris ses ayants droit, en l'occurrence en se rapprochant de M. [E], dont elle connaissait la qualité de légataire universel de l'artiste décédée et les coordonnées depuis le courrier qu'il lui avait adressé en septembre 2003, pour l'informer de l'exécution des tirages commencée en 2004.
Il sera encore précisé que la GALERIE argue que M. [E] ne peut lui faire grief d'avoir nommé 'La Voile' l'oeuvre désignée lors de la vente aux enchères de 2002 et dans la convention comme étant le 'lot n° 54, abstraction sculpture en marbre blanc', dès lors qu'il a lui-même reconnu comme authentique, en cours de procédure, une oeuvre en bronze vendue en 2013 par [Localité 4] ENCHERES sous la dénomination La Voile et qui est une reproduction réalisée par [N] [O] elle-même de son oeuvre en marbre blanc correspondant au lot n° 54. Cependant, il résulte des attestations fournies par M. [E] des acquéreurs successifs de la reproduction en bronze de Mme [O] que celle-ci serait répertoriée sous le nom de Reflets ; cette oeuvre porte en outre la signature de [N] [O] et M. [E] affirme sans être démenti qu'elle ne présente pas exactement les mêmes caractéristiques que le bronze réalisé par la GALERIE MICHEL GIRAUD (lignes, angles...). En tout état de cause, la circonstance invoquée par la GALERIE ne l'autorisait pas pour autant à dénommer 'La Voile' la reproduction qu'elle avait réalisée, ce qui était en outre de nature à créer une confusion entre les oeuvres de l'artiste. C'est donc à juste raison que le tribunal a retenu que la GALERIE avait failli à son obligation de respecter l'oeuvre en la renommant.
En revanche, il sera retenu que le grief relatif à la non destruction des moules n'est pas fondé dès lors que, comme le souligne la GALERIE, elle était formellement autorisée à tirer jusqu'à 12 exemplaires de chacune des trois oeuvres objets de la convention et que ce seuil n'a pas été atteint.
Sous cette réserve, le jugement est donc confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation de la convention aux torts de la GALERIE à la date de son prononcé, sauf pour la cour à prononcer, en tant que de besoin, la mesure demandée par M. [E] d'interdiction de reproduction, pour l'avenir, des oeuvres originales encore détenues par la GALERIE, mesure que le tribunal a prévu de prononcer dans ses motifs, mais oublié de mentionner dans son dispositif.
Sur l'action de M. [E] en contrefaçon de droits d'auteur
M. [E] soutient que la GALERIE a commis des actes de contrefaçon en portant atteinte tant aux droits patrimoniaux qu'aux droits moraux de l'artiste dont il est l'unique ayant droit, sans qu'aucun moyen d'irrecevabilité puisse lui être opposé.
La GALERIE MICHEL GIRAUD soutient que l'action en contrefaçon de M. [E] est tout autant irrecevable que mal fondée.
Sur la recevabilité de l'action
La GALERIE MICHEL GIRAUD soutient que l'action en contrefaçon de M. [E] est irrecevable aussi bien en application du principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, qu'en raison de la prescription et de l'absence de mise en demeure. Sur le premier point, elle fait valoir que dès lors que M. [E] se prévaut de l'inexécution du contrat, il est irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon, le non-respect d'un contrat relevant de la seule responsabilité contractuelle, ce qui a pour conséquence, l'exclusion de toute action délictuelle sur le fondement de la contrefaçon. Sur le deuxième point, elle fait valoir, s'agissant de l'atteinte alléguée au droit moral, que le point de départ du délai de prescription doit être fixé, comme l'ont retenu les premiers juges, à la date de chacun des tirages, dont le dernier a été exécuté en 2011, soit plus de 5 ans avant l'assignation, ce qui emporte l'irrecevabilité de l'action ; que s'agissant de l'atteinte alléguée aux droits patrimoniaux, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les demandes sont prescrites pour les mêmes motifs que ceux retenus au titre du droit moral. Sur le troisième point, elle souligne que M. [E] n'a à aucun moment jugé opportun de la mettre en demeure au titre de l'exécution de l'une quelconque de ses obligations contractuelles entre 2003 et 2017 et que cette inertie rend l'action de M. [E] irrecevable en application de l'ancien article 1146 du code civil.
M. [E] soutient qu'il est recevable à agir sur le terrain délictuel, la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle étant nuancée lorsque l'atteinte porte sur des droits de propriété intellectuelle ; que la Cour de cassation admet une coexistence des responsabilités contractuelle et délictuelle ; que les demandes qu'il forme au titre de la contrefaçon de droits d'auteur ne trouvent pas leur source dans un manquement contractuel ; que la doctrine majoritaire considère que le régime spécial de la contrefaçon doit s'appliquer dès lors que le régime de la responsabilité contractuelle n'offre pas un niveau de garantie conforme aux exigences de la Directive de 2004 notamment quant à la question du calcul des dommages-intérêts ou encore des modes de preuves. En ce qui concerne la prescription, il argue qu'en matière de contrefaçon, le point de départ du délai de prescription est déterminé par le jour non pas de la découverte par la victime mais par la cessation des actes contrefaisants à l'origine du préjudice subi ; qu'il n'avait aucun moyen de connaître l'existence des fontes litigieuses avant les saisies-contrefaçon réalisées le 19 décembre 2018, de sorte qu'il était recevable à agir au jour de l'assignation, le 19 janvier 2019 ; que la page internet montrant la sculpture sur le site internet de la GALERIE était encore accessible au jour de l'assignation.
Sur le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle
Le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, selon lequel le créancier d'une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle, interdit qu'un demandeur fonde ses prétentions cumulativement sur la responsabilité délictuelle et contractuelle.
Cependant, en l'espèce, M. [E] ne forme aucune demande indemnitaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle, se bornant sur ce plan à demander la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation de la convention du 18 octobre 2002 aux torts de la GALERIE à compter de la date du jugement. Son action sur le fondement de la résiliation du contrat tend à mettre un terme, pour l'avenir, au lien contractuel en raison des manquements de la GALERIE à ses obligations résultant de la convention et ne peut le priver de demander réparation des atteintes portées aux droits d'auteur de Mme [O] dont il est l'unique ayant droit, sur le fondement délictuel de la contrefaçon, en bénéficiant des garanties prévues par la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative aux mesures et procédures permettant d'assurer la mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle.
Ce moyen d'irrecevabilité, soulevé pour la première fois en appel par la GALERIE, sera en conséquence rejeté.
Sur la prescription
L'action en contrefaçon de droits d'auteur se prescrit selon le délai de droit commun prévu par l'article 2224 du code civil qui dispose que 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Si les courriers échangés entre les parties établissent que M. [E] a été informé dès septembre/octobre 2003 de l'existence de la convention litigieuse et de l'intention persistante de la galerie de l'exécuter en réalisant les reproductions autorisées, il est constant que la GALERIE ne lui a alors donné aucune précision quant à la date à laquelle les tirages seraient réalisés et, comme il a été dit, elle a ensuite négligé de l'informer de la réalisation des premiers tirages de la sculpture n° 54 en 2004, de sorte que rien ne permet de retenir qu'il a eu connaissance de l'existence de la sculpture dénommée La Voile arguée de contrefaçon avant sa découverte sur le site internet de la GALERIE à l'automne 2017, comme il l'indique, et en tout cas avant le 19 janvier 2014, de sorte qu'au jour de l'assignation, le 19 janvier 2019, l'action n'était pas prescrite. En outre, il est constant qu'au jour de l'assignation, la sculpture était encore proposée à la vente sur la site de la GALERIE. Pour ces motifs, l'action en contrefaçon n'est donc pas prescrite en ce qui concerne les droits patrimoniaux.
La même analyse doit être étendue à l'action en ce qui concerne le droit moral. Le tribunal a déclaré à ce titre l'action prescrite en retenant que dès lors que M.[E] connaissait l'existence du contrat et la volonté exprimée par la galerie de l'exécuter, il lui appartenait de veiller à ce que les reproductions, qui ont été successivement réalisées entre 2004 et 2011, ne portent pas atteinte à son droit moral. Mais, comme il a été dit, c'est fautivement que la GALERIE a omis d'informer l'ayant droit de Mme [O] et il n'incombait pas à M. [E] de surveiller la future et éventuelle réalisation des tirages, d'autant qu'aucune indication ne lui avait été communiquée quant à la date de cette réalisation.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré l'action de M. [E] en réparation des atteintes au droit moral irrecevable car prescrite.
Sur le défaut de mise en demeure
C'est vainement que la GALERIE invoque les dispositions de l'article 1146 ancien du code civil, qui prévoyaient que 'Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s'était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu'il a laissé passer. La mise en demeure peut résulter d'une lettre missive, s'il en ressort une interpellation suffisante', la recevabilité de l'action en contrefaçon de droits d'auteur n'étant pas conditionnée par la délivrance préalable d'une mise en demeure.
Ce moyen d'irrecevabilité, soulevé pour la première fois en appel par la GALERIE, sera en conséquence rejeté.
Sur la matérialité de la contrefaçon
M. [E] soutient que la GALERIE a commis des actes de contrefaçon par reproduction et par représentation, portant atteinte tant aux droits patrimoniaux qu'aux droits moraux de l'artiste dont il est l'unique ayant droit.
Il fait valoir que l'existence de la convention, quand bien même elle n'a pas été annulée mais seulement résiliée à la date du jugement aux torts exclusifs de l'intimée, ne saurait couvrir les actes de contrefaçon même si commis sous l'empire de cette convention ; qu'il n'a jamais été admis qu'un tirage multiple puisse être valablement réalisé par surmoulage à partir d'une œuvre sculptée en taille directe dans la pierre et qu'un exemplaire réalisé dans de telles conditions doit être considéré comme une copie laquelle, lorsque la commercialisation est licite, devra nécessairement indiquer qu'il s'agit d'une reproduction et non d'un original ; que les sculptures originales, correspondantes aux lots 37, 54 et 62 de [N] [O] sont des oeuvres en marbre, directement taillées dans la pierre par l'artiste, qu'il s'agit nécessairement d'oeuvres uniques réalisées sans aucun moule ; qu'il ne fait donc nul doute que ces oeuvres n'avaient pas vocation à être dupliquées.
Il soutient que la GALERIE a commis des actes de contrefaçon, d'une part, en procédant, sans aucune autorisation de l'auteur et/ou de son ayant droit, à la reproduction par surmoulage des trois oeuvres originales de [N] [O] ; que l'artiste n'ayant réalisé aucun modèle en cire, le fondeur a été contraint d'opérer un surmoulage des oeuvres en marbre pour ensuite pouvoir réaliser le modèle en cire et obtenir les moules nécessaires à la réalisation des reproductions en bronze ; que ce simple fait suffit lui-même à caractériser la réalité de la contrefaçon puisqu'en procédant à un surmoulage d'une œuvre unique en marbre, la GALERIE a cherché à copier servilement les oeuvres et à les dupliquer en vue de la vente des reproductions obtenues et que, ce faisant, les éléments caractéristiques originaux des oeuvres en marbre de [N] [O] ont forcément été reproduits permettant de caractériser la contrefaçon ; que d'autre part, la GALERIE a photographié les reproductions contrefaisantes et les a publiées sur son site internet ainsi que sur des fiches de présentation, ce qui n'était pas autorisé dans la convention ; qu'en outre, les photos des reproductions contrefaisantes sont associées à une légende mentionnant le caractère original et contrôlé par les ayants droit de l'artiste, ce qui est faux ; qu'enfin, la GALERIE a procédé à la vente des reproductions litigieuses réalisant un bénéfice de plus de 91 000 € ; qu'outre ces atteintes aux droits patrimoniaux de l'auteur, des atteintes ont par ailleurs été portées au droit moral de l'auteur, spécialement au droit au respect de l'oeuvre et au droit à la paternité, du fait du changement de la dénomination de l'œuvre, de l'apposition du nom de l'artiste sans son autorisation, du choix unilatéral d'un autre fondeur sans aucune autorisation et de la réalisation des reproductions par surmoulage altérant les caractéristiques des oeuvres originales.
La GALERIE MICHEL GIRAUD soutient que dès lors que M. [E] ne discute plus la validité de la convention, ni la poursuite de ses effets jusqu'au jour du prononcé de sa résiliation au jour du jugement, aucun acte de contrefaçon ne saurait, comme l'a jugé le tribunal à juste titre, lui être opposé antérieurement à cette résiliation ; qu'en effet, les tirages effectués par ses soins ou la représentation sur son site internet de l'un de ce tirages ont été mis en œuvre sous l'empire d'une convention valable et en vigueur, de sorte que l'ensemble des demandes de l'appelant doivent être rejetées ; que la convention l'autorisait à effectuer des tirages en bronze à partir des oeuvres en marbre originales sculptées par l'artiste ; que le fondeur [Z] n'a pas indiqué avoir eu recours à la technique du surmoulage mais n'a évoqué que celle de la cire perdue ; qu'il ne peut lui être reproché d'avoir réalisé des tirages en bronze alors que l'artiste de son vivant avait elle-même procédé à un tirage en bronze à partir de l'oeuvre originelle en marbre du lot n° 54, ce tirage en bronze ayant fait l'objet d'une vente réalisée par [Localité 4] ENCHERES en avril 2013 ; que les 3 tirages qu'elle a réalisés à partir de l'oeuvre du lot n°54, après la mort de Mme [O], reproduisent très distinctement le cachet de GMG en tant qu'éditeur, celui du fondeur, la date de fonte, tout comme les numéros d'épreuve, en adéquation avec le code de déontologie des fondeurs d'art, de sorte qu'ils ne peuvent être confondus avec ce tirage en bronze réalisé du vivant de l'artiste ; qu'il était évident que la GALERIE aurait à faire réaliser des moules, comme il avait été convenu entre les parties ; qu'il n'y avait aucune autre technique susceptible d'être utilisée pour réaliser un tirage en bronze de précision ; qu'il ne peut par ailleurs lui être fait grief de ne pas avoir eu recours à la société SUSSE FONDEUR, dès lors que celle-ci avait été placée en redressement judiciaire en avril 2003 et qu'il demeurait alors, une véritable incertitude sur son devenir et la transmission pérenne de son savoir-faire, que la perspective de recourir audit fondeur n'avait été à l'origine, envisagée que comme une simple éventualité et que le choix de ne pas recourir à ses services avait été clairement exprimé dès son courrier du 3 octobre 2003, sans que M. [E] n'y trouve jamais à redire jusqu'à la présente procédure ; qu'il ne peut davantage lui être fait grief d'avoir représenté le tirage en bronze du lot n°54 sur son site internet alors que lors de ses premiers échanges avec la tutrice, en 2002, elle avait indiqué formellement qu'elle serait amenée à en faire la publicité.
Sur l'atteinte aux droits patrimoniaux
Selon l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. L'article L.122-4 du même code dispose que 'Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque'.
En l'espèce, la convention du 18 octobre 2002 prévoit que Mme [O], représentée par sa tutrice, 'autorise Monsieur [P] [F], exerçant à l'enseigne 'GALERIE MICHEL GIRAUD' à faire exécuter au maximum douze exemplaires en bronze
1: Mise en gras rajoutée par la cour.
' des oeuvres n° 37, abstraction sculpture en marbre blanc, n°54, abstraction sculpture en marbre blanc et n°62, abstraction sculpture en marbre noir.
Cette convention à laquelle Mme [O] était représentée par sa tutrice, a été autorisée, ainsi que le rappelle la GALERIE, par le juge des tutelles, par une ordonnance en date du 6 décembre 2002.
Il est constant que les tirages litigieux ont été exécutés en bronze, conformément à l'accord des parties, et M. [E] n'explicite pas comment il aurait été matériellement possible pour la GALERIE d'obtenir des tirages en bronze sans procéder, comme il l'explique lui-même, à un surmoulage des oeuvres en marbre pour pouvoir ensuite réaliser des modèles en cire et obtenir les moules nécessaires à la réalisation des reproductions en bronze, la technique de la cire perdue étant un procédé de moulage de précision pour obtenir une sculpture en métal (en argent, bronze, or...) à partir d'un modèle en cire (article Wikipedia - pièce 27 appelant). Ces moules, retrouvés dans le cadre de la saisie contrefaçon réalisée chez le fondeur le 19 décembre 2018, ont d'ailleurs été évoqués explicitement dans un courrier de la galerie à la tutrice de la sculptrice en date du 19 mars 2002 ('étant donné le travail qu'il va falloir faire pour réhabiliter le travail de mme [O] ainsi que les frais à engager pour lancer les éditions (moules et premiers tirages (...)'). La reproduction en bronze des oeuvres initialement réalisées en marbre par l'artiste ayant été acceptée par une convention dont la validité n'est plus discutée, M. [E] n'est pas fondé à soutenir qu'une telle reproduction serait en elle-même contrefaisante, la question de savoir si, de son vivant, [N] [O] avait ou non elle-même procédé à la reproduction en bronze de certaines de ses oeuvres en marbre étant alors indifférente.
Contrairement à ce que soutient M. [E], le tirage en bronze de la sculpture correspondant au lot n° 54 n'est pas présenté sur le site internet de la GALERIE MICHEL GIRAUD comme une oeuvre originale (de l'artiste) mais, dans une rubrique 'certificat' comme suit : « Cette sculpture est l'un des douze exemplaires légaux réalisés à partir d'un marbre de l'artiste
2: Mise en gras rajoutée par la cour.
, dans les mêmes conditions que de son vivant. Elle est accompagnée du certificat de la galerie [P] [F], autorisée par les ayants droit de l'artiste contrôler (sic) les éditions post mortem. ». Nonobstant, l'inexactitude de cette dernière mention, il ne peut être considéré que le tirage représenté sur le site internet de la galerie est ainsi présenté comme un original.
En revanche, la convention du 18 octobre 2002 n'autorisait aucunement la représentation des tirages en bronze sur des fiches de présentation et sur le site internet marchand de la galerie, telle qu'elle a été constatée lors de la saisie-contrefaçon. La GALERIE argue vainement du courrier précité du 19 mars 2002 adressé à la tutrice de l'artiste qui évoque la nécessité de 'plébisciter [le travail de Mme [O]] à travers de la publicité' dès lors que ces modalités de représentation n'ont pas été reprises dans les stipulations de la convention qui ont défini les conditions de la contrepartie de l'autorisation consentie par l'artiste représentée par sa tutrice. Il sera donc considéré que ces représentations des tirages en bronze des trois sculptures en marbre de l'artiste sont contrefaisantes.
L'atteinte portée aux droits patrimoniaux de l'artiste est ainsi caractérisée.
La commercialisation des tirages en bronze par la GALERIE n'est pas en soi un acte de contrefaçon, la circonstance que la GALERIE a réalisé un très important bénéfice sur la vente des cinq tirages en bronze qu'elle a réalisés étant à cet égard indifférente.
Sur l'atteinte au droit moral
L'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose :
'L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur.
L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires'.
Le procès-verbal de saisie-contrefaçon montre que la GALERIE MICHEL GIRAUD présentait sur son site internet la reproduction en bronze de l'oeuvre en marbre blanc de Mme [O] correspondant au lot n° 54 sous la dénomination 'La Voile' alors que l'oeuvre originelle en marbre était désignée lors de la vente aux enchères de 2002 comme dans la convention du 18 octobre 2002 comme 'abstraction, sculpture en marbre blanc'. La GALERIE argue que cette dénomination était légitime dès lors que l'artiste de son vivant avait elle-même déjà reproduit en bronze l'oeuvre originelle en marbre blanc et que cette reproduction en bronze, réalisée par la fonderie SUSSE Fondeur selon l'appelant, a été vendue en 2013 par [Localité 4] ENCHERES sous la dénomination La Voile. Mais comme il a été dit, cette circonstance est inopérante et ne peut exonérer la GALERIE qui a choisi d'attribuer une dénomination à la reproduction en bronze sans autorisation.
Le procès-verbal de saisie-contrefaçon montre en outre que la GALERIE a pareillement renommé l'oeuvre correspondant au lot n° 62 'abstraction, sculpture en marbre noir' en la désignant sous le nom de 'Flèche noire'.
L'atteinte portée aux droits moraux de l'artiste est ainsi caractérisée.
En revanche, il ne peut être fait grief à la GALERIE d'avoir mentionné le nom de [N] [O] dans la description de la sculpture en bronze représentée sur son site internet alors qu'elle précisait à juste raison que la sculpture était un exemplaire réalisé 'à partir d'un marbre de l'artiste' et qu'elle se devait par conséquent de nommer cette dernière pour respecter le droit au nom de l'auteur, cette mention n'étant susceptible de créer aucune confusion puisque le lecteur était dûment informé que la sculpture en bronze présentée n'était pas de l'artiste elle-même mais réalisée 'à partir d'un marbre de l'artiste'.
La convention du 18 octobre 2002 prévoit que la GALERIE fera apposer sur chaque reproduction, notamment, ' - le cachet du fondeur qui sera choisi en accord avec Mme [O] représentée par sa tutrice ; - fonderie SUSSE, prioritairement, ou une fonderie de qualité équivalente (si SUSSE ne devait plus pouvoir assurer l'émission des oeuvres dans les conditions normales du contrat avec la Galerie)'. Le grief tiré du choix unilatéral d'un autre fondeur sans autorisation n'est pas plus fondé. Il n'est en effet pas contesté, et justifié, que la société SUSSE FONDEUR a été mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 27 juin 2003, procédure clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du même tribunal du 10 octobre 2007 et qu'elle a été radiée le 16 octobre 2007, que dans son courrier précité du 3 octobre 2003, la GALERIE a informé M. [E] du dépôt de bilan de cette fonderie et que dans le courrier simple du 9 octobre 2003 que M. [E] prétend avoir adressé en réponse à la GALERIE (que cette dernière conteste avoir reçu), il ne commente aucunement cette information ni ne s'enquiert du choix éventuel d'un autre fondeur. Enfin, il n'est pas soutenu que le fondeur choisi par la GALERIE n'était pas'de qualité équivalente' à la fonderie SUSSE.
Pour les motifs déjà exposés, le reproche relatif à la réalisation des reproductions par surmoulage altérant les caractéristiques des oeuvres originales ne peut être retenu.
Sur les mesures réparatrices demandées par M. [E]
Sur les demandes indemnitaires
M. [E] sollicite la condamnation de la GALERIE MICHEL GIRAUD à lui verser la somme forfaitaire de 500.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial, faisant valoir que la GALERIE MICHEL GIRAUD a réalisé un bénéfice de 98.400 euros grâce à la vente des cinq reproductions ; qu'elle avait estimé le tirage correspondant au lot n°54 à 28.000 euros, le tirage correspondant au lot n°37 à 23.000 euros et celui correspondant au lot n°62 à 40.000 euros ; que sans son intervention, elle aurait poursuivi les actes de contrefaçon jusqu'à la commercialisation des 36 reproductions prévues. M. [E] réclame en outre 50.000 euros au titre de la violation des droits moraux de [N] [O], arguant que les agissements de la GALERIE portent nécessairement atteinte au travail de l'artiste dans sa globalité dès lors que se retrouvent aujourd'hui sur le marché de l'art des reproductions portant des dénominations bafouant la volonté de cette dernière et créant une confusion avec d'autres de ses oeuvres.
La GALERIE conclut au rejet des demandes en réparation de M. [E].
Il résulte de l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle que : 'Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies
d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée'.
L'atteinte aux droits patrimoniaux de l'artiste résultant de la représentation des tirages bronze des trois oeuvres de Mme [O] sur des fiches de présentation et le site internet de la galerie - depuis 2004, selon l'intimée, pour ce qui concerne le tirage de l'oeuvre dénommée La Voile correspond au lot n° 54 - sera réparée par l'allocation de la somme de 6 000 €.
L'atteinte au droit moral de l'artiste découlant de la modification de la dénomination des oeuvres correspondant aux lots n° 54 et n° 62 sera, elle, indemnisée par l'allocation de la somme de 4 000 €.
M. [E] sera débouté du surplus de ses demandes indemnitaires.
Sur les autres demandes
Il sera prononcé, en tant que de besoin, une mesure d'interdiction de reproduction des oeuvres de [N] [O] qui seraient encore détenues par la GALERIE, et de représentation des tirages en bronze réalisés à partir des trois oeuvres n°37 (abstraction sculpture en marbre blanc), n°54 (abstraction sculpture en marbre blanc) et n°62 (abstraction sculpture en marbre noir).
Le préjudice subi par M. [E], ayant droit de Mme [O], étant ainsi suffisamment réparé, il ne sera pas fait droit au surplus des demandes, parmi lesquelles celle tendant, sans aucune justification, à la confiscation des quatre oeuvres originales régulièrement acquises par la GALERIE lors de la vente aux enchères du 23 février 2002 ou à la destruction des reproductions réalisées après leur récupération de leurs acquéreurs, personnes tierces à la présente procédure.
Sur la demande pour procédure abusive de la GALERIE MICHEL GIRAUD
Le sens de la présente décision conduit nécessairement au rejet de la demande de la GALERIE pour procédure abusive et à la confirmation du jugement de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La GALERIE MICHEL GIRAUD, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés, les dispositions prises sur les dépens de première instance étant infirmées.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande formée en appel par M. [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- déclaré l'action de M. [E] en réparation des atteintes au droit moral irrecevable car prescrite,
- rejeté les demandes formées par M. [E] au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux,
- dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés,
Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- rejette le moyen d'irrecevabilité présenté par la GALERIE MICHEL GIRAUD relatif au principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle,
- rejette le moyen d'irrecevabilité présenté par la GALERIE MICHEL GIRAUD relatif au défaut de mise en demeure,
- déclare l'action de M. [E] en réparation des atteintes au droit moral non prescrite et donc recevable,
- dit que la GALERIE MICHEL GIRAUD a porté atteinte aux droits patrimoniaux et moral d'auteur de Mme [N] [O],
- condamne la GALERIE MICHEL GIRAUD à payer à M. [E], ayant droit de Mme [O], la somme de 6 000 € en réparation de l'atteinte portée aux droits patrimoniaux de Mme [O] et celle de 4 000 € en réparation de l'atteinte portée à son droit moral,
- fait interdiction à la GALERIE MICHEL GIRAUD de reproduire les oeuvres originales de [N] [O] qu'elle détiendrait encore et de représentation des tirages en bronze réalisés à partir des trois oeuvres n°37 (abstraction sculpture en marbre blanc), n°54 (abstraction sculpture en marbre blanc) et n°62 (abstraction sculpture en marbre noir),
- rejette le surplus des demandes de M. [E],
- rejette la demande de la GALERIE MICHEL GIRAUD pour procédure abusive,
- condamne la GALERIE MICHEL GIRAUD aux dépens de première instance,
- condamne la GALERIE MICHEL GIRAUD aux dépens d'appel,
- rejette les demandes formées en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.