CA Riom, 1re ch. civ., 12 décembre 2023, n° 23/00501
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Valleix
Conseillers :
M. Acquarone, Mme Bedos
Avocats :
Me Bardin-Roussel, Me Pons, Me Gatignol
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte authentique conclu le 11 mai 2015 auprès de Me [N] [L], notaire associé à [Localité 8] (Puy-de-Dôme), M. [S] [C] et [U] [W] épouse [C] ont échangé, sans qu'il soit nécessaire de verser une soulte, un immeuble bâti leur appartenant cadastré section C numéro [Cadastre 4] et situé [Adresse 3] dans la commune du [Localité 9] (Puy-de-Dôme) avec une maison d'habitation cadastrée section AX numéro [Cadastre 1] et située [Adresse 2] dans la commune du [Localité 10] (Réunion), appartenant à M. [H] [A] et Mme [T] [B] épouse [A].
Dans le dessein de revendre le bien acquis au [Localité 9], M. et Mme [A] ont pris contact avec une agence immobilière au [Localité 9]. Lors de la visite des lieux par un professionnel de l'immobilier, ce dernier a découvert des tâches laissant apparaître des traces de mérule dans l'habitation. Un rapport d'expertise amiable a été établi le 19 octobre 2017 par M. [O] [J], professionnel mycologue, mettant en évidence une infection généralisée de l'immeuble cadastré section AC n° [Cadastre 4] par la mérule.
Moyens
Arguant qu'ils n'avaient pas été informés de la présence de ce champignon préalablement à la vente, M. et Mme [A] ont, par acte d'huissier de justice signifié le 9 mars 2018, assigné M. et Mme [C] devant le juge des référés aux fins d'obtenir au visa de l'article 145 du code de procédure civile l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire. Suivant une ordonnance rendue le 13 avril 2018, le juge des référés a fait droit à la demande d'expertise et a confié la mission à M. [X] [P], architecte-expert près la cour d'appel de Riom. Ce dernier a déposé son rapport d'expertise le 26 décembre 2019, concluant à la présence de mérule.
En lecture de ce rapport d'expertise judiciaire, M. et Mme [A] ont, par acte d'huissier de justice signifié le 21 octobre 2021, fait assigner M. et Mme [C] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand afin notamment de faire prononcer la résolution de cet échange immobilier du 11 mai 2015 avec restitution en conséquence de la maison d'habitation située dans le département de La Réunion ou à défaut le paiement d'une somme de 235.865,00 € équivalant la valeur de cette maison d'habitation, outre mesures de publicité foncière et allocation d'un certain nombre de postes de réparations.
Suivant une ordonnance n° RG-21/03725 rendue le 7 mars 2023, Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
- déclaré irrecevables les demandes formulées par M. et Mme [A] [en application de la forclusion biennale prévue à l'article 1648 du Code civil] ;
- condamné M. et Mme [A] à verser à M. et Mme [C] la somme totale de 800,00 € [sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile] ;
- rejeté le surplus des demandes des parties ;
- condamné M. et Mme [A] aux dépens de l'instance.
Par déclaration formalisée par RPVA le 20 mars 2023, le conseil de M. et Mme [A] a interjeté appel de l'ordonnance susmentionnée, l'appel portant sur la totalité de la décision.
''Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 20 avril 2023, M. [H] [A] et Mme [T] [B] épouse [A] ont demandé de :
- au visa des articles 1648, 2239 et 2241 du code civil ;
- infirmer l'ordonnance du 7 mars 2023 du Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand ;
- déclarer leurs demandes non forcloses et recevables ;
- condamner M. et Mme [C] au paiement d'une somme de 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. et Mme [C] aux entiers dépens de l'instance.
''Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 16 mai 2023, M. [S] [C] et [U] [W] épouse [C] ont demandé de :
- au visa de l'article 1648 du code civil et des articles 777, 789 et 791 du code de procédure civile ;
- confirmer l'ordonnance mise en état déférée ;
- condamner M. et Mme [A] à leur payer et porter la somme de 2.500,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. et Mme [A] aux entiers dépens de l'instance.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l'appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.
Après évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile en conseiller-rapporteur du 19 octobre 2023 à 14h00, au cours de laquelle chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés, la décision suivante a été mise en délibéré au 5 décembre 2023, prorogée au 12 décembre 2023, par mise à disposition au greffe.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article 1641 du Code civil dispose que « Le vendeur est tenu à la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ». tandis que l'article 1642 du Code civil dispose que « Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. » et que l'article 1643 du Code civil dispose que « [le vendeur] est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus , à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. ».
Concernant la sanction de ces obligations, l'article 1644 du Code civil dispose que « Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire restituer une partie du prix. ». Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article 1645 du Code civil que « Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. » et de celles de l'article 1646 du Code civil que « Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. ». Enfin, l'article 1648 alinéa 1er du Code civil dispose que « L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentés par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. ».
M. et Mme [A] entendent exercer au fond l'action rédhibitoire résultant des dispositions législatives qui précèdent afin de faire annuler l'acte d'échange immobilier du 11 mai 2015. M. et Mme [C] conviennent de l'applicabilité de ces mêmes dispositions législatives.
Rappelant que ce délai d'action de deux ans à compter de la découverte du vice tel que prévu à l'article 1648 alinéa 1er du Code civil est un délai de forclusion, ce qui rendraient dès lors inapplicables les dispositions de l'article 2239 du Code civil qui prévoient la suspension de la prescription pendant le cours d'une mesure d'instruction avant tout procès et jusqu'à au moins six mois à compter du jour où la mesure a été exécutée, le premier juge a fait application des dispositions des articles 2241 alinéa 1er et 2242 du Code civil [visant par erreur uniquement l'article 2242 du Code civil], suivant lesquelles, d'une part « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. » et d'autre part « L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. ». Comptant ce délai de forclusion biennale à compter de la date du 19 octobre 2017 de dépôt du rapport d'expertise amiable avec interruption à la date du 13 avril 2018 du prononcé de l'ordonnance de référé afférente à l'assignation du 9 mars 2018 en référé aux fins d'expertise judiciaire, il a en conséquence constaté l'expiration de ce délai de forclusion biennale au 13 avril 2020 alors qu'aucun nouvel acte interruptif de forclusion n'avait été accompli jusque-là et que l'assignation en première instance au fond n'a été délivrée que postérieurement et tardivement le 21 octobre 2021. Le premier juge a dès lors prononcé l'irrecevabilité de l'ensemble des demandes formé à titre principal par M. et Mme [A] pour cause de forclusion biennale.
Il convient préalablement de rappeler les dispositions de l'article 2220 du Code civil suivant lesquelles « Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre [TITRE VINGTIÈME DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE]. ».
Faisant valoir que ce délai biennal serait en réalité un délai de prescription, M. et Mme [A] objectent de l'applicabilité des dispositions de l'article 2239 du Code civil permettant la suspension de la prescription pendant toute la durée de la mesure d'instruction précédemment ordonnée, soit jusqu'à la date du 26 décembre 2019 de dépôt de ce rapport d'expertise judiciaire. À suivre ce raisonnement, ce délai biennal interrompu à la date du 13 avril 2018 du prononcé de l'ordonnance de référé-expertise aurait été ensuite suspendu jusqu'à la date du 26 décembre 2019 de dépôt du rapport d'expertise judiciaire, rendant dès lors recevables l'assignation en première instance du 21 octobre 2021 pour avoir été délivrée avant l'expiration du délai de deux ans n'ayant recommencé à courir qu'à compter du 26 décembre 2019.
M. et Mme [C] objectent de leur côté que le délai biennal de l'article 1648 alinéa 1er du Code civil est un délai de forclusion, se prévalant à ce sujet de la jurisprudence de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation et plus particulièrement d'un arrêt rendu le 5 janvier 2022 par cette même formation. Ils considèrent que les dispositions de l'article 2239 du Code civil sur la suspension de la prescription pendant le cours d'une mesure d'instruction sont dès lors inapplicables. De ce fait, le délai de forclusion pouvant être uniquement interrompu mais non suspendu, ce délai biennal aurait expiré le 13 avril 2020, soit antérieurement à l'acte introductif d'instance au fond du 21 octobre 2021.
En l'occurrence, c'est précisément le raisonnement soutenu par M. et Mme [A] qui vient d'être retenu dans un arrêt rendu le 21 juillet 2023 par la Chambre mixte de la Cour de cassation (Pourvoi n° T 21-15809) dans un souci d'exigence de sécurité juridique en termes de solution unique entre les anciennes jurisprudences respectives de la 1ère Chambre civile (optant pour la qualification de prescription) et celles de la 3ème Chambre civile (optant pour la qualification de forclusion) de la Cour de cassation. Dans le silence des textes imposant de rechercher la volonté du législateur, mais également en lecture des dispositions de l'article 1648 civil dont l'alinéa 1er n'apporte aucune précision de qualification et dont seul l'alinéa 2 spécifie un régime de forclusion dans le cadre dérogatoire d'un délai encore plus abrégé (un an), la Chambre mixte tranche en définitive en faveur d'un délai qui puisse être susceptible à la fois d'interruption et de suspension, qualifiant dès lors ce délai biennal de prescription et non de forclusion.
Sont dès lors applicables à la situation litigieuse les dispositions de l'article 2239 du Code civil, suivant lesquelles « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. ».
Dans ces conditions, compte tenu de l'interruption du délai biennal de prescription à la date du 13 avril 2018 de l'ordonnance de référé ordonnant l'expertise judiciaire, de la suspension de ce même délai de prescription jusqu'à la date du 26 décembre 2019 du dépôt du rapport d'expertise judiciaire et du délai de moins de deux ans qui s'est écoulé entre la date précitée du 26 décembre 2019 et celle du 21 octobre 2021 d'assignation en première instance, M. et Mme [A] apparaissent pleinement recevables en ce qui concerne l'ensemble de leurs demandes formé à titre principal à l'encontre de M. et Mme [C]. La décision de première instance sera donc infirmée en toutes ses dispositions.
Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de M. et Mme [A] les frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 2.000,00 €.
Enfin, succombant à l'instance, M. et Mme [C] seront purement et simplement déboutés de leur demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supporteront les entiers dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance n° RG-21/03725 rendue le 7 mars 2023 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.
CONDAMNE M. [S] [C] et [U] [W] épouse [C] à payer au profit de M. [H] [A] et Mme [T] [B] épouse [A] une indemnité de 2.000,00 €, en dédommagement de leurs frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.
REJETTE le surplus des demandes des parties.
CONDAMNE M. [S] [C] et [U] [W] épouse [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.