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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 12 décembre 2023, n° 22/00957

POITIERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

Mme Verrier, M. Orsini

Avocats :

Me Moriceau, Me Combeau

TJ Saintes, du 1 avr. 2022

1 avril 2022

 

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS

M. [V] a vendu aux époux [L] le 21 février 2020 une maison avec piscine chauffée située à [Localité 6] pour un prix de 310 000 euros.

L'acte de vente contenait une clause de non-garantie des vices cachés.

La piscine avait été livrée par la société Waterair selon facture du 8 octobre 2014 pour un coût de 10 260 euros, avait été posée le 2 juin 2015.

Le 30 mars 2020, les époux [L] apprenaient de leur pisciniste que la piscine fuyait.

La piscine était vandalisée par des tiers alors qu'ils avaient saisi le juge des référés aux fins d'expertise judiciaire.

Le juge disait n'y avoir lieu à ordonner l'expertise le 8 septembre 2020 .

Par acte du 10 décembre 2020, les époux [L] ont assigné M. [V] devant le tribunal judiciaire de Saintes aux fins d'indemnisation sur le fondement de l'article 1645 du code civil.

M. [V] a conclu au débouté.

Par jugement du 1 avril 2022, le tribunal judiciaire de Saintes a statué comme suit :

-dit que la piscine équipant l'immeuble vendu par Monsieur [V] à Monsieur [L] et Madame [L] était affectée de désordres connus de Monsieur [V]

-condamne M. [V] à payer à Monsieur et Madame [L] les sommes suivantes

- 9 550 € au titre de l'achat d'une nouvelle piscine,

-12 957,40 € au titre de l'enlèvement de la piscine existante et la réimplantation de la nouvelle piscine

- 146 € au titre du prix de l'eau pour remplir la nouvelle piscine,

- 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

-condamne en outre Monsieur [V] aux dépens de l'instance. '

Le premier juge a notamment retenu que :

- sur l'existence du vice caché

La société Waterair est intervenue les 28 août et 27 septembre 2019 à la demande de M. [V] pour réparer une fuite.

Une baisse de 20 cm par jour ne peut être le résultat de l'évaporation, la norme en la matière étant de 3 à 5 cm par semaine en période estivale.

Le compte-rendu d'intervention du 27 septembre 2019 consigne les déclarations de M. [B] selon lesquelles la perte d'eau est d'environ 20 cm par jour.

Il est démontré que M. [V] connaissait le vice affectant la piscine de sorte que la clause d'exclusion de garantie des vices cachés est inapplicable.

- sur les préjudices

M. [V] sera condamné à payer aux époux [L] les sommes de

- 22 507,40 euros (9550 +12 957,40) correspondant au coût des travaux de démolition et de pose d'une piscine de même marque que la piscine existante.

-146 euros au titre du remplissage de la nouvelle piscine.

Les époux [L] seront déboutés de leurs demandes au titre du préjudice de jouissance dès lors que la piscine était hors service dès mai 2020, au titre de l'eau perdue , la piscine ayant été détériorée par des inconnus 82 jours après l'acquisition.

LA COUR

Vu l'appel en date du 14 avril 2022 interjeté par M. [V]

Vu l'article 954 du code de procédure civile

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 9 novembre 2022, M. [V] a présenté les demandes suivantes :

Vu les articles 1641 et suivants du code civil,

Vu l'article 1137 du code civil,

Vu l'acte authentique de vente en date du 21 février 2020,

A TITRE PRINCIPAL

-INFIRMER le jugement rendu le 1er avril 2022 par le Tribunal Judiciaire de SAINTES, en ce qu'il a dit que la piscine équipant l'immeuble vendu était affectée de désordres connus de M. [V],

-condamné M. [V] à payer aux époux [L] les sommes suivantes :

9550 € au titre de l'achat d'une nouvelle piscine

12 957,40 € au titre de l'enlèvement de la piscine et de la réimplantation de la nouvelle piscine

146 € au titre du prix de l'eau pour remplir la nouvelle piscine

1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

-l'a condamné aux dépens de l'instance ;

Statuant à nouveau,

-DEBOUTER M. et Mme [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

A TITRE SUBSIDIAIRE

-LIMITER le quantum des condamnations à une somme maximum de 4.000 €

EN TOUT ETAT DE CAUSE

-CONDAMNER Monsieur et Madame [L] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance, ainsi que ceux de première instance.

A l'appui de ses prétentions, M. [V] soutient en substance que :

-Il avait passé commande d'un kit piscine le 8 octobre 2014.

-Il s'était effectivement étonné d'une baisse régulière du niveau d'eau.

-Un technicien est intervenu à deux reprises, n'a pas constaté de fuite du liner.

-Il pouvait en déduire que la baisse du niveau d'eau provenait d'une évaporation naturelle.

-Le bassin était dépourvu de bâche de protection, de rideau.

-Ses déclarations relatives à la perte d'eau depuis le début, d'environ 20 cm par jour ne sont pas un aveu. Il peut prétendre à la clause d'exonération de garantie des vices cachés.

-Il n'y a pas dol. Il n'est pas établi que la piscine était un élément déterminant de la volonté d'achat, qu'elle était une condition déterminante de l'acquisition.

-Il n'a pas la qualité de constructeur. Il s'agissait d'un kit montable et démontable.

-Ils ont été indemnisés par leur assureur après que la piscine a été vandalisée.

-Ils ont fait changer le liner, n'ont pas fait enlever et remplacer la piscine.

-Le seul désordre était un mauvais serrage de vanne du skimmer. Le circuit a été déclaré conforme après démontage et remontage.

-Les travaux réalisés par la société Water Air , fournisseur initial, ont coûté 4130 euros TTC.

-Il est étranger au vandalisme qu'ils ont subi.

-Subsidiairement, l'évaluation des préjudices ne saurait excéder 4000 euros correspondant au coût du remplacement du liner.

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 5 octobre 2022, les époux [L] ont présenté les demandes suivantes:

-CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de SAINTES le 1er avril 2022 en qu'il dit que la piscine équipant l'immeuble vendu par M. [V] à M. et Mme [L] était affectée de désordres connus de M. [V] et le condamne à leur payer 9 550 € et 12 957,40 €, et aux dépens de l'instance ;

Moyens

SUBSIDIAIREMENT au cas où la Cour retiendrait un fondement différent, les concluants demandent à la Cour de :

-CONFIRMER le jugement et condamner M.[V] à leur payer la somme de 22 507,40 € ;

ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT , condamner M. [V] à leur payer la somme de 22 507 € à titre de perte de chance ;

-INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné M. [V] à leur payer les sommes de 146 € au titre du prix de l'eau pour remplir la nouvelle piscine et 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-CONDAMNER M. [V] à leur payer en sus les sommes de 1860 € au titre de l'eau, la somme de 9000 € au titre de leur préjudice de jouissance et le tracas occasionné ;

-CONDAMNER M. [V] à leur verser la somme de 5700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles devant la Cour et accorder à la SCP GOMBAUD COMBEAU COUTAND le droit de recouvrement direct.

-CONDAMNER Monsieur [V] aux entiers frais et dépens

A l'appui de leurs prétentions, les époux [L] soutiennent en substance que :

-Le liner a été désagrafé courant mai 2020. Ils ont déposé plainte le 13 mai 2020.

Le juge des référés n'a pas ordonné d'expertise.

-Ils ont acheté la maison notamment du fait de la piscine, ont fait intervenir un pisciniste rapidement pour pouvoir l'utiliser.

-Personne n'a voulu la réparer. Le remplacement a été préconisé.

-D'autres désordres affectent la piscine.

-Le vendeur avait fait appel à un technicien en août et en septembre 2019 juste avant la vente.

-S'agissant d'une résidence secondaire située sur le littoral, la piscine est un atout important. La maison sans la piscine perd en valeur 40 000 euros.

-L' ouvrage est fuyard, impropre à sa destination.

-Le vice était connu du vendeur qui est en outre réputé constructeur. Il a terrassé, a monté les éléments du bassin, les parois, les alimentations, les évacuations. Il a posé le liner.

Il est vendeur de l'ouvrage qu'il a construit.

-Il a manqué à son obligation d'information.

-Les préjudices incluent le changement du liner en lien avec le sinistre.

-La fuite n'est toujours pas résolue. Le liner n'était pas seul incriminé.

-Ils ont dépensé 6234,93 euros dont 4135 euros au titre du liner.

-Les réparations effectuées sont provisoires.

-Ils ont perdu une chance de négocier l'immeuble à un prix inférieur ou d'  acheter autre bien.

-Ils ont subi des tracas, ont dû se déplacer, procéder à des relevés, évaluent leurs préjudices de jouissance et moral à 9000 euros.

-Le préjudice résultant de l'eau perdue se chiffre à la somme de 1860 euros, soit 5 m3 par jour pendant 82 jours.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 28 août 2023

Motivation

SUR CE

- sur la garantie des vices cachés

L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.

L'article 1642 du code civil dispose que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Selon l'article 1643, il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

L'article 1644 du code civil dispose:

Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix , ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

M. [V] conteste l'existence du vice à la date de la vente, les professionnels mandatés n'ayant pas confirmé l'existence d'une fuite.

Il estime en outre que le défaut de la piscine n'est pas d'une gravité telle qu'il puisse relever de la garantie des vices cachés dans la mesure où la piscine n'est qu'un accessoire de l'immeuble.

Les époux [L] font valoir que les fuites ont été mises en évidence moins de deux mois après l'achat.

Ils indiquent avoir acquis l'immeuble à usage de résidence secondaire, que l'existence de la piscine est un atout évident qui a contribué à leur décision d'acheter, font observer qu'ils l'ont immédiatement entretenue afin de l'utiliser ce qui démontre l'intérêt qu'ils lui portaient.

Il est établi que les fuites affectant la piscine ont été découvertes par les acquéreurs peu après l'achat grâce à l'intervention d'un pisciniste intervenu aux fins de sa mise en service et entretien, que les fuites sont apparues dès la mise en service de la piscine.

Elles sont donc antérieures à la vente.

Leur réalité n'est pas contestée par le vendeur qui se retranche derrière l'absence de 'diagnostic' alors que les 'symptômes' étaient connus.

Il est certain que les fuites portent atteinte à l'utilisation de la piscine compte tenu de la consommation d'eau qu'elles engendrent, et du risque d'infiltrations.

La piscine au regard de la localisation de la maison ( Charente maritime ) , de son usage de résidence secondaire est un élément d'agrément certain alors que l'ensemble acquis est un immeuble avec piscine comme indiqué expressément dans l'acte de vente.

L'action est d'autant mieux fondée qu'il s'agit non d'une action résolutoire de la vente mais exclusivement d' une action en indemnisation des préjudices éprouvés du fait du vice affectant la piscine.

- sur la clause d'exclusion de garantie

L'article 1645 du code civil prévoit: Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

Selon l'article 1646 du code civil, si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

M. [V] soutient qu'il n'avait pas connaissance du vice dès lors qu'il avait fait intervenir des professionnels qui n'avaient pas été en mesure de constater l'existence d'une fuite.

Si effectivement, il résulte des productions que la cause de la fuite n' avait pas été identifiée avant la vente, M. [V] a déclaré au prestataire intervenu le 28 août 2019 que la piscine fuyait 'depuis le début', puis le 27 septembre 2019 que 'la perte d'eau était d'environ 20 cm par jour.'

Il résulte des éléments précités qu'il avait connaissance du vice.

Le fait que les professionnels intervenus n'ont pas été en mesure d'en comprendre les causes , ni y remédier ne l' a pas fait disparaître. Il mesurait parfaitement l'existence et les conséquences du défaut affectant la piscine vendue et aurait dû informer les acquéreurs.

Il est donc tenu de les indemniser de l' intégralité des préjudices subis en relation avec le vice affectant la piscine sans pouvoir se prévaloir de la clause d'exclusion de garantie.

- sur les préjudices

a) remplacement de la piscine

M. [V] soutient que le remplacement de la piscine n'est pas justifié.

Il ressort des productions que les frais exposés au titre de la réparation de la piscine incluent les sommes suivantes :

-480 euros au titre de la réparation du circuit de refoulement

-4130 euros au titre du remplacement du liner

-489,91 euros au titre de la pompe

-216 euros au titre du skimmer (facture du 31 août 2022)

-229,02 euros au titre du skimmer

L'assureur Allianz, suite au vandalisme subi par ses assurés, a alloué aux époux [L] une indemnité de 1944 euros.

Le diagnostic réalisé le 2 juin 2021 par la société Locamex a mis en évidence le défaut du circuit de refoulement.

Conformément à ce que soutient M. [V], les époux [L] ne démontrent pas que les réparations qu'ils ont financées étaient provisoires ni que le remplacement intégral de la piscine s'impose.

L'avis émis par M. [R] selon lequel la rénovation de la piscine est impossible date du 30 avril 2020.

Il n'est pas démontré que les fuites persistent depuis la réparation du circuit de refoulement, le remplacement du skimmer en septembre 2022.

Le remplacement du liner est sans lien avec les fuites litigieuses.

Il convient donc de fixer le préjudice matériel à la somme de 4000 euros.

- sur les pertes d'eau

Les époux [L] ont subi des pertes d'eau du fait des fuites jusqu'en août 2021

Il leur sera alloué la somme demandée de 1860 euros correspondant à une perte de 5 m3 d'eau.

- sur le préjudice de jouissance

Les causes des fuites n'ont été connues et réparées qu'en août 2021.

Elles ont été source de démarches, déplacements, tracas .

Les préjudices moraux et de jouissance seront évalués à la somme de 2000 euros correspondant aux étés 2020, 2021.

- sur les autres demandes

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'

Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge de M. [V].

Il est équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés en appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort

-confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a :

-condamné M. [V] à payer à Monsieur et Madame [L] les sommes suivantes

- 9 550 € au titre de l'achat d'une nouvelle piscine,

- 12 957,40 € au titre de l'enlèvement de la piscine existante et la réimplantation de la nouvelle piscine

- 146 € au titre du prix de l'eau pour remplir la nouvelle piscine,

-débouté les époux [L] de leur demande d'indemnisation préjudice de jouissance et moral

Statuant de nouveau sur les points infirmés :

-condamne M. [V] à payer à M. et Mme [L] les sommes suivantes

- 4000 euros au titre des frais de réparation

- 1860 euros au titre du volume d'eau consommé

- 2000 euros au titre du préjudice moral et de jouissance

Y ajoutant :

-déboute les parties de leurs autres demandes

-condamne M. [V] aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Gombaud

-laisse à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés en appel