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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 10, 14 décembre 2023, n° 21/01129

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/01129

14 décembre 2023

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 14 DECEMBRE 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01129 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDCBV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Paris - RG n° F17/07411

APPELANTE

Madame [C] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136

INTIMEE

Association AURORE 31 prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 8]

[Localité 2]

Représentée par Me Pascal ANQUEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0037

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [L] a été engagée par l'association Aurore par contrat de travail à durée indéterminée en date du 12 novembre 2013, en qualité d'éducatrice de jeunes enfants, coefficient 460.

L'association Aurore est une association à but non lucratif qui relève de la loi du 1er juillet 1901. Elle poursuit une démarche sociale, médico-sociale et sanitaire et accompagne chaque année des personnes en situation de précarité ou d'exclusion vers une insertion sociale et/ou professionnelle.

L'association compte plus de 11 salariés.

Au dernier état de la relation contractuelle régie par la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif, Mme [L] percevait une rémunération brut mensuelle de 2 200 euros.

Par courrier du 27 avril 2017, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable à sanction disciplinaire fixé au 5 mai 2017.

Par courrier du 18 mai 2017, Mme [L] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave.

La lettre de licenciement était ainsi rédigée :

« Lors de notre entretien du 05 mai 2017, nous vous avons exposé les faits reprochés et avons recueilli vos commentaires. Après un délai de réflexion et étude de vos explications, vous ne vous laissez pas d'un autre choix que celui de procéder à votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité.

Nous vous rappelons les faits qui nous ont conduit à engager cette procédure à votre encontre :

Ainsi, à titre d'exemples non exhaustifs, nous avons relevé à votre encontre les manquements suivants :

- Dénonciation de faits mensongers de pure mauvaise foi et légèreté portant sur la fermeture programmée d'un site d'hébergement ;

- Dénonciation de faits mensongers avec légèreté portant sur l'accusation d'un animateur concernant des faits d'attouchement sexuels sur mineur ;

- Atteinte grave à l'image et à la réputation de l'Association AURORE et de l'animateur accusé à tort

- Prise d'initiative dans l'exécution de vos obligations professionnelles empêchant un traitement efficace du dossier.

Vos explications confuses et contradictoires n'ont pas permis de modifier notre appréciation quant à la décision envisagée.

Dénonciation de faits mensongers de pure mauvaise foi et légèreté portant sur la fermeture programmée d'un site d'hébergement

En date du 27 mars 2017, vous avez envoyé un courriel au SIAO insertion (la plateforme du SAMU SOCIAL qui oriente les familles dans nos centres d'hébergement de [6]) en indiquant : « ces familles doivent être réorientées au plus vite à partir du 31 mars du fait de la fermeture programmée des places familles orientées par le 115 ».

Au-delà de cette fausse information diffusée par vos soins à l'extérieur de nos services et qui n'a fait l'objet de votre hiérarchie d'aucune demande de communication sur ce sujet, et d'aucune validation préalable si telle avait été le cas, puisque votre responsable vous demandait simplement d'envoyer les visibilités et de mettre à jour les dossiers SIAO.

Lors de l'entretien, nous vous indiquions que votre courrier communique non seulement une fausse information, puisqu'il n'a jamais été prévu de fermeture programmée du site, mais par ailleurs, ne répondait absolument par à la demande qui vous avait été formulée par votre supérieur, Monsieur [E].

Cette prise « d'initiative hasardeuse », et fausse, a généré de fortes inquiétudes de la part des familles hébergées, puisque cela signifiait concrètement leur expulsion imminente.

Dans ce contexte d'inquiétude et de peurs de l'expulsion, des familles ont été jusqu'à établir des certificats médicaux par leur médecin afin de ne pas pouvoir faire l'objet de cette mesure. Lors de l'entretien, vous avez reconnu votre erreur sans pour autant mesurer ses conséquences, en indiquant que vous ne faisiez que votre travail.

Dénonciation de faits avec légèreté portant sur l'accusation d'un animateur concernant des faits d'attouchements sexuels sur mineur

En date du 1er avril 2017, vous dénonciez par courriel envoyé au directeur de l'école primaire [4] à [Localité 7], le comportement d'un animateur du centre de loisirs « [5] », l'accusant d'attouchement à caractère sexuel à l'endroit d'une enfant hébergée sur notre site de [Localité 7].

Vous avez porté de graves accusations, en votre qualité de salariée d'AURORE, et donc au nom de notre Association et envoyé un courriel avec votre boîte mail professionnelle, à un Directeur d'école qui par ailleurs, n'a aucun lien hiérarchique ni fonctionnel avec l'animateur concerné, et ce sans même évoquer ce grave sujet à votre supérieur hiérarchique et/ou, Directeur du site que pourtant vous pouvez joindre sur son téléphone d'astreinte.

Aussi, toujours en toute autonomie, en date du 04 avril 2017, dans le cadre de vos fonctions d'éducatrice, vous vous êtes permis de vous présenter au centre de loisirs, avec la mère de l'enfant concerné, afin de rencontrer la Direction de ce centre, alors qu'en date du 03 et du 04 avril 2017, Monsieur [X], votre directeur, vous demandait des explications concernant l'envoi de ce courriel au directeur de l'école [4], Monsieur [O].

A ce jour, vous n'avez toujours pas apporté de réponses à ces courriels ! Suite à ces graves accusations que vous avez directement formulées auprès d'un professionnel du centre de loisirs, Monsieur [X] a dû s'expliquer auprès de la Direction et de l'équipe de coordination des centres de loisirs de la ville de [Localité 7], dans la mesure où la procédure à mener dans le cadre de telles problématiques nécessite de prendre des « précautions préalables » avec les interlocuteurs les plus pertinents dans une telle situation, à savoir la Direction d'AURORE avant de porter une quelconque accusation.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'après enquête, des entretiens contradictoires ont été menés par la Directrice adjointe du centre de loisirs et dans un second temps, M. [X], il ressortait que les accusations que vous avez portées étaient fausses et infondées. A ce jour, l'Association AURORE est dans l'attente de la décision juridique que l'animateur accusé à tort prendra pour demander réparation.

Vos prises d'initiative dans l'exécution de vos obligations professionnelles ont gravement porté atteinte à l'image et à la réputation de l'Association AURORE ainsi qu'à celle de l'animateur que vous avez accusé avec légèreté compte tenu des informations non vérifiées que vous avez portées. Vous avez mis l'Association dans une situation où elle n'a pas pu traiter de cette affaire, si ce n'est après coup pour donner des éléments d'explication sur les événements et sur votre comportement tant auprès de la Direction du centre que de la ville de [Localité 7].

Par conséquent nous procédons à votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité.»

Mme [L] a contesté son licenciement par courrier recommandé en date du 6 septembre 2017.

Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris par requête en date du 18 septembre 2017 aux fins de dénoncer son licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et de demander sa réintégration dans les effectifs de l'association ainsi que diverses indemnités.

Par jugement rendu le 17 décembre 2020 et notifié le même jour, le conseil de prud'hommes de Paris, en formation de départage, a statué comme suit :

- déboute Mme [C] [L] de sa demande en nullité du licenciement et de toutes les demandes qui en découlent

- dit que le licenciement de Mme [C] [L] repose sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave

- dit que la procédure de licenciement est irrégulière

- condamne en conséquence l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] les sommes de :

*1 540 euros au titre de l'indemnité de licenciement

*4 400 euros au titre de l'indemnité de préavis

*440 euros au titre des congés payés y afférents

*2 200 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure

- ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision

- déboute Mme [C] [L] du surplus de ses demandes

- dit que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision

- ordonne l'exécution provisoire

- condamne l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamne l'association Aurore aux entiers dépens.

Mme [L] a interjeté appel du jugement par déclaration déposée par voie électronique le 16 janvier 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 29 août 2023, Mme [L], appelante, demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- débouté Mme [L] de sa demande en nullité du licenciement et de toutes les demandes qui en découlent, à savoir sa demande de réintégration à titre principal et sa demande de dommages et intérêts à titre subsidiaire

- dit que le licenciement de Mme [L] repose sur une cause réelle et sérieuse

- débouté Mme [L] du surplus de ses demandes

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- condamné l'association Aurore à verser à Mme [L] :

- une indemnité de licenciement

- une indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents

- une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné l'association Aurore aux entiers dépens.

Statuant à nouveau :

- annuler le licenciement de Mme [L]

- ordonner la réintégration de Mme [L] dans ses fonctions d'« Educatrice de jeunes enfants »

En conséquence,

- condamner l'association Aurore à verser à Mme [L] la somme de 169 400 euros (2 200 euros x 77 mois) à titre d'indemnité nette pour licenciement nul correspondant aux salaires depuis le licenciement jusqu'à la réintégration effective (somme arrêtée à titre provisoire au 18 octobre 2023) outre 16 940 euros au titre des congés payés y afférents.

Subsidiairement, à défaut de réintégration :

- condamner l'association Aurore à verser à Mme [L] la somme de 26 400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Très subsidiairement :

- juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- condamner l'association Aurore à verser 26 400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

En tout état de cause,

- condamner l'association Aurore à verser à Mme [L] 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal

- condamner l'association Aurore aux entiers dépens de l'instance

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 novembre 2021, l'association Aurore, intimée, demande à la cour de :

A titre principal :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 17 décembre 2020 en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Mme [C] [L] repose sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave

- dit que la procédure de licenciement est irrégulière

- condamné l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] les sommes de :

*1 540 euros au titre de l'indemnité de licenciement

*4 400 euros au titre de l'indemnité de préavis

*440 euros au titre des congés payés y afférents

*2 200 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure

- ordonné la remise des documents sociaux conformes au jugement

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné l'association Aurore aux dépens.

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

- confirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a débouté Mme [C] [L] de sa demande en nullité du licenciement et de toutes les demandes qui en découlent

- constater que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Mme [C] [L] est fondé et justifié

- constater que Mme [C] [L] ne justifie pas de ses prétendus préjudices

- infirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a condamné l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] la somme de 2 200 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure

En conséquence,

- ordonner le remboursement des sommes versées par l'association au titre de l'exécution provisoire

- débouter Mme [C] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions

- condamner Mme [C] [L] à verser à l'association Aurore la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a débouté Mme [C] [L] de sa demande en nullité du licenciement et de toutes les demandes qui en découlent

- constater que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse

- constater que Mme [C] [L] ne justifie pas de ses prétendus préjudices

- infirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a condamné l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] la somme de 2 200 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse

- confirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a condamné l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] les sommes de :

*1 540 euros au titre de l'indemnité de licenciement

*4 400 euros au titre de l'indemnité de préavis

*440 euros au titre des congés payés y afférents

- ordonner le remboursement de la somme de 2 200 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure versée par l'association au titre de l'exécution provisoire

- débouter Mme [C] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions

- condamner Mme [C] [L] à verser à l'association Aurore la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

A titre infiniment subsidiaire :

- constater que Mme [C] [L] ne justifie pas de ses prétendus préjudices

- ordonner le remboursement de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents

- ordonner la déduction des revenus de remplacement et/ou d'activité perçus par Mme [C] [L] entre la date de la rupture de la relation contractuelle et la date de sa réintégration

- infirmer le jugement rendu en première instance par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a condamné l'association Aurore à payer à Mme [C] [L] la somme de 2 200 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure

En tout état de cause :

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens devant la cour.

L'ordonnance de clôture est intervenue l3 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité du licenciement

L'article L.1132-3-3 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, dispose que :

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

En application de l'article L.1132-4 du même code, tout licenciement prononcé en méconnaissance de cet article est nul.

Il résulte de l'article L.1132-3-3 d'une part que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas tenu de signaler l'alerte dans les conditions prévues par l'article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 organisant une procédure d'alerte graduée et, d'autre part, qu'il ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Mme [L] relève que les deux griefs qui sont énoncés dans sa lettre de licenciement sont en lien direct avec l'usage de sa liberté d'expression et de son droit de signaler les conduites ou actes illicites qu'elle a constatés. Elle se prévaut de la protection dont bénéficie le lanceur d'alerte. En ce qui concerne l'information concernant la fermeture programmée d'un centre d'hébergement, elle indique que son courrier ne constituait pas une dénonciation et qu'aucune mauvaise foi de sa part n'est démontrée. Elle ajoute que l'employeur ne démontre pas qu'elle aurait commis un abus dans l'exercice de ses fonctions et de sa liberté d'expression. En ce qui concerne la dénonciation d'éventuels faits d'attouchements sexuels sur mineur, elle souligne qu'elle n'a fait preuve d'aucune mauvaise foi.

L'association oppose que le licenciement de la salariée n'est pas motivé par l'exercice de sa liberté d'expression. Elle indique que Mme [L] a communiqué de sa propre initiative une information erronée et a persisté à ne pas communiquer dans les règles, faisant ainsi preuve d'insubordination. En ce qui concerne la dénonciation de faits possibles d'attouchements sexuels sur mineur, elle indique que Mme [L] n'a pas cherché à vérifier la réalité des faits invoqués par l'enfant et n'a pas averti l'association avant d'agir.

Il ressort des termes mêmes de la lettre de licenciement que Mme [L] est licenciée en raison de la « Dénonciation de faits avec légèreté portant sur l'accusation d'un animateur concernant des faits d'attouchements sexuels sur mineur ».

Il n'est pas contesté que le mineur concerné avait évoqué devant Mme [L] des faits qui pouvaient laisser soupçonner qu'il était victime d'attouchements sexuels. L'association AURORE a d'ailleurs procédé après l'envoi du mail reproché à Mme [L] à une audition de l'enfant. L'association ne fait pas mention d'une quelconque mauvaise foi de Mme [L] lorsqu'elle a dénoncé les faits au directeur de l'école mais reproche essentiellement à cette dernière de ne pas avoir informé ses supérieurs et l'association avant d'adresser un mail au directeur de l'école.

En l'absence de toute mauvaise foi de Mme [L], celle-ci ne pouvait faire l'objet d'un licenciement pour avoir dénoncé à un tiers des faits susceptibles de constituer un délit.

Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en violation des dispositions de l'article L.1132-3-3, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Le jugement sera infirmé sur ce point et infirmé en ce qu'il a condamné l'association AURORE au paiement d'une indemnité de licenciement, d'un indemnité de préavis et d'une indemnité pour irrégularité de la procédure.

Sur la réintégration

Mme [L] sollicite sa réintégration et le versement d'une indemnité correspondant aux salaires dont elle a été privée depuis le 18 mai 2017. Elle fait valoir que compte tenu de l'atteinte portée à une liberté fondamentale, l'indemnisation due au titre de la réintégration s'effectue sans déduction des revenus perçus pendant la période s'écoulant entre le licenciement annulé et la réintégration.

L'association soutient que le licenciement pour faute grave de Mme [L] est parfaitement justifié de sorte que la cour doit la débouter de sa demande de réintégration. A titre subsidiaire, elle sollicite qu'il soit déduit de l'indemnité sollicitée par Mme [L] les revenus de remplacement ou d'activité que celle-ci aurait perçus.

Mme [L] sollicitant sa réintégration et l'employeur ne faisant état d'aucun obstacle de nature à rendre la réintégration impossible, il convient d'ordonner cette réintégration.

Dès lors que le licenciement est annulé pour être intervenu en violation d'une liberté fondamentale, il n'y a pas lieu à déduction des revenus de remplacement ou d'activité dont Mme [L] aurait pu bénéficier.

L'association AURORE sera condamnée à payer à Mme [L] la somme de 169 400 euros outre 16 940 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêt à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêt à compter du présent arrêt.

L'association AURORE succombant dans ses prétentions sera condamnée aux dépens. Elle sera également condamnée à payer à Mme [L] sollicite la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT le licenciement nul,

ORDONNE la réintégration de Mme [C] [L] dans ses fonctions d'Educatrice de jeunes enfants,

ORDONNE le remboursement de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de préavis et de l'indemnité pour procédure irrégulière,

CONDAMNE l'association AURORE à payer à Mme [C] [L] la somme de 169 400 euros correspondant aux salaires qu'elle aurait dû percevoir, arrêtée au 18 octobre 2023, outre 16 940 euros au titre des congés payés afférents,

DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

CONDAMNE l'association AURORE à payer à Mme [C] [L] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'association AURORE aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE