CJUE, gr. ch., 21 décembre 2023, n° C-124/21 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
International Skating Union
Défendeur :
Commission européenne, Mark Jan Hendrik Tuitert, Niels Kerstholt, European Elite Athletes Association
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Présidents de chambre :
M. Arabadjiev, M. Prechal, M. Jürimäe, M. Spineanu–Matei
Vice-président :
M. Bay Larsen
Juge :
Me Gavalec
Avocat général :
M. Rantos
Avocats :
Me Bellis, Me Braeken, Me Hieselaar, Me Versteeg
LA COUR (grande chambre)
1 Par son pourvoi, l’International Skating Union (Union internationale de patinage, ci-après l’« ISU ») demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2020, International Skating Union/Commission (T 93/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:610), par lequel celui-ci a partiellement rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2017) 8230 final de la Commission, du 8 décembre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/40208 – Règles d’éligibilité de l’Union internationale de patinage) (ci-après la « décision litigieuse »).
2 Par leur pourvoi incident, MM. Mark Jan Hendrik Tuitert et Niels Kerstholt ainsi que l’European Elite Athletes Association (Association européenne des athlètes d’élite, ci-après « EU Athletes ») demandent également l’annulation partielle de l’arrêt attaqué.
I. Les antécédents du litige
3 Les faits à l’origine du litige, tels que présentés aux points 1 à 37 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la façon suivante.
A. L’ISU
4 L’ISU est une association de droit privé qui a son siège en Suisse. Elle se présente comme étant l’unique fédération sportive internationale reconnue par le Comité international olympique (CIO) dans le domaine du patinage artistique et du patinage de vitesse sur glace (ci-après le « patinage sur glace »). Ses organes comprennent notamment un « organe législatif » dénommé « Congrès », qui en constitue l’ « instance suprême », et un « organe exécutif » dénommé « Conseil ».
5 Cette association a pour membres des associations nationales de patinage artistique et de patinage de vitesse sur glace, qui ont elles-mêmes pour membres ou pour affiliés des associations et des clubs auxquels adhèrent, notamment, des athlètes professionnels pratiquant ces disciplines sportives dans le cadre d’une activité économique.
6 Selon l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 1, de ses statuts, auxquels se réfère la décision litigieuse, l’ISU a pour but de réglementer, d’administrer, de gérer et de promouvoir le patinage sur glace à l’échelle mondiale.
7 Elle exerce, en parallèle, une activité économique consistant, notamment, à organiser des compétitions internationales de patinage sur glace ainsi qu’à exploiter les droits liés à ces compétitions. Dans le domaine du patinage de vitesse sur glace, celles-ci comprennent, entre autres, les coupes du monde sur piste longue et sur piste courte ainsi que différents championnats internationaux et européens. L’ISU est également responsable de l’organisation des compétitions de patinage sur glace qui se tiennent dans le cadre des Jeux olympiques d’hiver.
B. La réglementation édictée par l’ISU
8 L’ISU a édicté et publié un ensemble de règlements, de codes et de communications, comprenant notamment les règles suivantes.
1. Les règles d’autorisation préalable
9 Le 20 octobre 2015, l’ISU a publié la communication no 1974, intitulée « Compétitions internationales ouvertes », qui définit la procédure à suivre pour obtenir l’autorisation préalable d’organiser une compétition internationale de patinage sur glace et qui est applicable tant aux associations nationales qui sont membres de l’ISU qu’à toute entité ou entreprise tierce (ci-après les « règles d’autorisation préalable »).
10 Cette communication énonce, tout d’abord, que l’organisation de telles compétitions est soumise à l’autorisation préalable de l’ISU et qu’elle doit respecter les règles édictées par cette association. Elle précise notamment, à cet égard, que le délai à respecter pour présenter une demande d’autorisation préalable est de six mois avant la date à laquelle il est prévu de tenir la compétition envisagée dans le cas où celle-ci a vocation à être organisée par une entité ou une entreprise tierce, et de trois mois avant cette date dans le cas où elle a pour organisateur une association nationale membre de l’ISU.
11 Ensuite, ladite communication énumère un ensemble d’exigences d’ordre général, financier, technique, commercial, sportif et éthique auxquelles tout organisateur de compétition de patinage sur glace est tenu de se conformer. Il résulte de celles-ci, notamment, que toute demande d’autorisation préalable doit être accompagnée d’informations financières, techniques, commerciales et sportives (lieu de la compétition envisagée, montant des prix qui seront octroyés, plan d’affaires, budget, couverture télévisuelle, etc.), que tout organisateur est tenu de soumettre une déclaration confirmant qu’il accepte le code d’éthique de l’ISU et que cette dernière peut demander que des informations additionnelles lui soient soumises au sujet de ces différents éléments.
12 Enfin, la communication no 1974 habilite l’ISU à accepter ou à rejeter, par voie de décision, les demandes d’autorisation préalable qui lui sont présentées sur la base tant des exigences énoncées dans cette communication elle-même que des objectifs fondamentaux poursuivis par cette association, tels que définis, en particulier, à l’article 3, paragraphe 1, des statuts de celle-ci. Ladite communication prévoit également que, en cas de rejet d’une telle demande, l’organisateur peut introduire un recours contre la décision de l’ISU devant le Tribunal arbitral du sport (ci-après le « TAS »), établi à Lausanne (Suisse), conformément aux règles qui ont été adoptées par l’ISU en vue d’instituer un mécanisme de règlement arbitral des différends (ci-après les « règles d’arbitrage »).
2. Les règles d’éligibilité
13 Les règlements de l’ISU comprennent des règles désignées sous le nom de « règles d’éligibilité », qui déterminent les conditions dans lesquelles des athlètes peuvent participer à des compétitions de patinage sur glace. Ces règles d’éligibilité prévoient que de telles compétitions doivent, d’une part, avoir été autorisées par l’ISU ou par ses membres et, d’autre part, respecter les règles instituées par cette association.
14 Dans leur version adoptée au cours de l’année 2014, lesdites règles d’éligibilité incluaient notamment la règle 102, paragraphe 1, sous a), i), selon laquelle une personne « a le privilège de participer aux activités et aux compétitions relevant de la juridiction de l’ISU seulement si cette personne respecte les principes et les politiques de l’ISU tels qu’exprimés dans [s]es statuts », et la règle 102, paragraphe 1, sous a), ii), qui stipulait que « la condition d’éligibilité est conçue pour assurer la protection adéquate des intérêts économiques et autres de l’ISU, qui utilise ses revenus financiers pour l’administration et le développement des disciplines sportives de l’ISU ainsi que pour le soutien et le bénéfice [de ses m]embres et de leurs [p]atineurs ».
15 Elles contenaient également la règle 102, paragraphe 2, sous c), la règle 102, paragraphe 7, et la règle 103, paragraphe 2, dont il découlait que, en cas de participation d’un athlète à une compétition non autorisée par l’ISU et/ou par une des associations nationales qui en sont membres, l’intéressé s’exposait à une sanction dite de « perte d’éligibilité » ou d’« inéligibilité », entraînant l’exclusion à vie de toute compétition organisée par l’ISU.
16 Au cours de l’année 2016, les règles d’éligibilité ont fait l’objet d’une révision partielle.
17 La règle 102, paragraphe 1, sous a), ii), telle qu’issue de cette révision partielle, ne se réfère plus à la « protection adéquate des intérêts économiques et autres de l’ISU ». Elle énonce, à la place, que « la condition d’éligibilité est conçue pour assurer une protection adéquate des valeurs éthiques, des objectifs statutaires et d’autres intérêts légitimes » de cette association, qui « utilise ses revenus financiers pour l’administration et le développement des disciplines sportives de l’ISU ainsi que pour le soutien et le bénéfice [de ses m]embres et de leurs [p]atineurs ».
18 Selon la règle 102, paragraphe 7, telle qu’issue de ladite révision partielle, la participation d’un athlète à une compétition non autorisée par l’ISU et/ou par une des associations nationales qui en sont membres peut donner lieu à un avertissement ou à une sanction dite de « perte d’éligibilité » ou d’« inéligibilité », entraînant une exclusion de toute compétition organisée par l’ISU, que ce soit pour une durée déterminée ou à vie.
19 Parallèlement à ces différentes règles, l’article 25 des statuts de l’ISU prévoit la possibilité, pour les athlètes qui entendraient contester une décision leur imposant une sanction de « perte d’éligibilité » ou d’« inéligibilité », d’introduire un recours contre cette décision devant le TAS, conformément aux règles d’arbitrage.
C. La procédure administrative et la décision litigieuse
20 MM. Tuitert et Kerstholt sont deux patineurs de vitesse professionnels domiciliés aux Pays-Bas. Ils sont adhérents de la Koninklijke Nederlandsche Schaatsenrijders Bond (KNSB), fédération royale néerlandaise de patinage, qui est membre de l’ISU.
21 EU Athletes se présente comme étant la principale association européenne représentant les athlètes et les joueurs dans différentes disciplines sportives.
22 Le 23 juin 2014, la Commission européenne a été saisie par MM. Tuitert et Kerstholt d’une plainte dans laquelle ceux-ci ont fait valoir que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité édictées par l’ISU violaient les articles 101 et 102 TFUE.
23 Le 5 octobre 2015, la Commission a décidé d’ouvrir une procédure à ce sujet.
24 Le 29 septembre 2016, la Commission a adressé une communication des griefs à l’ISU, dans laquelle elle a estimé, en substance, que cette association violait l’article 101 TFUE. L’ISU a répondu à cette communication des griefs le 16 janvier 2017.
25 Le 8 décembre 2017, la Commission a adopté la décision litigieuse. Ainsi qu’il est indiqué au considérant 3 de cette décision, celle-ci vise principalement les règles d’éligibilité de l’ISU, telles que présentées aux points 13 à 18 du présent arrêt, qui permettent à cette association de contrôler la participation des athlètes à des compétitions de patinage sur glace et de les sanctionner en cas de participation à une compétition non autorisée par celle-ci. Toutefois, ainsi qu’il ressort du même considérant, elle vise également les règles d’autorisation préalable desdites compétitions par l’ISU, telles que présentées aux points 9 à 12 de cet arrêt. Enfin, ainsi qu’énoncé aux considérants 5 et 6 de ladite décision, celle-ci vise aussi les règles d’arbitrage mentionnées au point 19 dudit arrêt.
26 Aux considérants 112 et 115 de la décision litigieuse, la Commission a défini le marché concerné comme étant le marché mondial de l’organisation et de la commercialisation des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace ainsi que de l’exploitation des différents droits liés à ces compétitions.
27 Aux considérants 116 à 134 de cette décision, la Commission a estimé que l’ISU détenait une position de force sur le marché concerné et qu’elle était en mesure d’influer, de façon substantielle, sur la concurrence qui peut y exister. Les éléments qu’elle a pris en considération pour justifier cette appréciation incluent en particulier, d’une part, le rôle central que cette association occupe sur ce marché, en sa qualité d’unique association sportive internationale reconnue par le CIO dans le domaine du patinage sur glace et d’association ayant pour but de réglementer, d’administrer, de gérer et de promouvoir cette discipline sportive à l’échelle mondiale, et, d’autre part, la circonstance qu’elle organise et commercialise en parallèle les principales compétitions internationales en ce domaine. Dans le cadre de son analyse à ce sujet, la Commission s’est appuyée, notamment, sur le pouvoir qu’a l’ISU d’édicter des règles qui s’imposent à l’ensemble des associations nationales qui en sont membres ainsi qu’à l’ensemble des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace, que celles-ci soient organisées par l’ISU elle-même, par ses membres ou par des entités ou entreprises tierces. Elle a aussi relevé, en substance, que ces règles portent sur l’ensemble des questions liées à l’organisation, au déroulement et à l’exploitation commerciale de ces compétitions (autorisation préalable, règles du jeu, prescriptions techniques, conditions financières, participation des athlètes, vente de droits, infliction de sanctions, règlement des litiges, etc.) et qu’elles sont applicables à l’ensemble des acteurs qui ont vocation à participer à celles-ci ou à être impliqués dans leur organisation ou dans leur exploitation (associations nationales, athlètes, organisateurs, organismes de radiodiffusion télévisuelle, sponsors, etc.).
28 Aux considérants 146 à 152 de ladite décision, la Commission a estimé que l’ISU devait être qualifiée à la fois d’« association d’entreprises » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où elle a pour membres des associations nationales de patinage sur glace qui peuvent elles-mêmes être qualifiées d’« entreprises » au sens de cette disposition en ce qu’elles exercent des activités économiques consistant à organiser et à commercialiser des compétitions ainsi qu’à exploiter les différents droits liés à celles-ci, et comme « entreprise » au sens de ladite disposition dans la mesure où elle exerce elle aussi de telles activités économiques. La Commission a également considéré que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité devaient être qualifiées de « décisions d’associations d’entreprises » au sens de la même disposition.
29 Aux considérants 162 à 188 de la décision litigieuse, la Commission a retenu, en substance, que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité avaient pour objet de restreindre la concurrence sur le marché concerné, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au motif que l’examen de la teneur de ces règles, du contexte économique et juridique dans lequel elles s’inscrivent et des buts qu’elles visent à atteindre faisait apparaître qu’elles permettaient à l’ISU, d’une part, d’empêcher les organisateurs potentiels de compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace concurrentes d’accéder à ce marché et, d’autre part, de limiter la possibilité qu’ont les patineurs de vitesse professionnels de participer librement à de telles compétitions ainsi, ce faisant, que de priver les organisateurs potentiels de celles-ci des services des athlètes dont la présence est nécessaire à leur tenue.
30 Aux considérants 189 à 209 de cette décision, la Commission a relevé que, compte tenu des appréciations qui sont résumées au point précédent, il n’était pas nécessaire d’examiner les effets des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité sur la concurrence, avant d’exposer les raisons pour lesquelles elle estimait que ces règles avaient aussi pour effet de restreindre la concurrence sur le marché concerné.
31 Aux considérants 210 à 266 de ladite décision, la Commission a énoncé, en substance, que lesdites règles ne pouvaient pas être regardées comme ne relevant pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’elles seraient justifiées par des objectifs légitimes et nécessaires à la poursuite de ces derniers.
32 Aux considérants 268 à 286 de la même décision, la Commission a estimé, en substance, que, bien que ne constituant pas, en elles-mêmes, une restriction de la concurrence, les règles d’arbitrage n’en devaient pas moins être regardées comme renforçant la restriction de la concurrence résultant des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
33 Aux considérants 287 à 348 de la décision litigieuse, la Commission a retenu, notamment, que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité ne remplissaient pas les conditions requises par l’article 101, paragraphe 3, TFUE pour pouvoir bénéficier d’une exemption, que ces règles étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qu’il était nécessaire d’enjoindre à l’ISU de mettre fin à l’infraction caractérisée dans cette décision, sous peine d’astreintes. En particulier, aux considérants 338 à 342 de ladite décision, la Commission a précisé que les mesures qu’elle enjoignait à l’ISU de prendre pour mettre fin à cette infraction devaient notamment consister, premièrement, à adopter des critères d’autorisation préalable et de sanction revêtant un caractère objectif, transparent, non discriminatoire et proportionné, deuxièmement, à mettre en place des procédures adéquates d’autorisation préalable et de sanctions, ainsi que, troisièmement, à modifier les règles d’arbitrage d’une manière propre à assurer le contrôle effectif des décisions prises au terme de ces procédures.
34 Le dispositif de la décision litigieuse comprend un article 1er selon lequel l’ISU « a enfreint l’article 101 [TFUE] [...] en adoptant et en appliquant les règles d’éligibilité, notamment les règles 102 et 103 des règlements généraux [...] de 2014 et de 2016, au patinage de vitesse ». Il contient également un article 2 aux termes duquel il est enjoint à l’ISU de mettre fin à cette infraction et de s’abstenir de la réitérer, ainsi qu’un article 4 prévoyant l’imposition d’astreintes en cas de non-respect de ces injonctions.
D. Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
35 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2018, l’ISU a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de ce recours, elle a invoqué huit moyens tirés, en substance, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, les deuxième à cinquième, de la violation de l’article 101 TFUE en ce que cet article a été appliqué aux règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, le sixième, de la violation dudit article en ce que celui-ci a été appliqué aux règles d’arbitrage et, les septième et huitième, du caractère illégal, respectivement, des injonctions et des astreintes qui lui ont été imposées.
36 Par actes déposés au greffe du Tribunal le 1er juin 2018, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
37 Par ordonnance du 12 septembre 2018, la présidente de la septième chambre du Tribunal a admis ces interventions.
38 Le 20 décembre 2019, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant une formation de jugement élargie.
39 Le 16 décembre 2020, le Tribunal a adopté l’arrêt attaqué, dans lequel il a jugé, en substance, que la décision litigieuse n’était pas entachée d’illégalité en ce qu’elle portait sur les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité mais qu’elle était illégale en ce qu’elle concernait les règles d’arbitrage.
40 À cet égard, en premier lieu, le Tribunal a estimé, aux points 52 à 63 de l’arrêt attaqué, que le premier moyen, tiré de l’existence d’une contradiction de motifs entachant la décision litigieuse, n’était pas fondé.
41 En deuxième lieu, le Tribunal a considéré, aux points 64 à 123 de l’arrêt attaqué, que les deuxième et quatrième moyens de l’ISU ne permettaient pas de tenir pour erronées les appréciations de la Commission selon lesquelles les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité avaient pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
42 À cet égard, le Tribunal a jugé, en substance, tout d’abord, aux points 69 à 76 de l’arrêt attaqué, que, même si les pouvoirs de réglementation, de contrôle, de décision et de sanction détenus par l’ISU ne lui avaient pas été délégués par une autorité publique, les règles édictées par cette association, en sa qualité d’unique association sportive internationale existante dans le domaine du patinage sur glace, devaient être appréhendées à la lumière, notamment, de la jurisprudence relative à l’exercice parallèle, par une même entité, d’une activité économique ainsi que de pouvoirs susceptibles d’être utilisés pour empêcher des entités ou des entreprises actuellement ou potentiellement concurrentes d’entrer sur le marché (arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127). Dans ce contexte, le Tribunal a également observé que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité portaient sur l’organisation des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace les plus importantes et lucratives, en particulier sur l’autorisation préalable de ces compétitions ainsi que sur la participation des athlètes à celles-ci.
43 Ensuite, cette juridiction a estimé, aux points 77 à 121 de l’arrêt attaqué, que, compte tenu de la teneur des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, des buts poursuivis par celles-ci ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’inscrivent, la Commission avait pu valablement conclure que ces règles avaient pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
44 Enfin, le Tribunal a considéré, au point 123 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était, par voie de conséquence, pas nécessaire d’examiner, au surplus, les arguments présentés par l’ISU, dans le cadre de son troisième moyen, en vue de contester les appréciations de la Commission relatives aux effets actuels ou potentiels desdites règles sur la concurrence.
45 En troisième lieu, le Tribunal a retenu, aux points 124 à 130 de l’arrêt attaqué, que, contrairement à ce qui était soutenu par l’ISU dans son cinquième moyen, la Commission n’avait pas méconnu le champ d’application territorial de l’article 101 TFUE en tenant compte, dans la décision litigieuse, du refus de l’ISU d’autoriser un projet de compétition de patinage de vitesse sur glace devant se tenir à Dubaï (Émirats arabes unis), donc dans un État tiers. À cet égard, cette juridiction a estimé, en substance, que cette institution s’était référée à cet élément pour illustrer l’application des règles d’autorisation préalable édictées par l’ISU, tout en démontrant, par ailleurs, que ces règles étaient susceptibles de produire des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’Union.
46 En quatrième lieu, le Tribunal, après avoir jugé opérant, aux points 134 à 140 de l’arrêt attaqué, le sixième moyen soulevé par l’ISU, qui avait trait à l’appréciation portée par la Commission sur les règles d’arbitrage dans la décision litigieuse, a accueilli ce moyen aux points 141 à 164 de cet arrêt.
47 En cinquième et dernier lieu, le Tribunal a estimé par voie de conséquence, aux points 165 à 178 de l’arrêt attaqué, que les septième et huitième moyens de l’ISU, relatifs à la légalité des injonctions et des astreintes prévues par la décision litigieuse, devaient être accueillis partiellement, dans la mesure où ces injonctions et ces astreintes se rapportaient aux règles d’arbitrage. Dans le même temps, il a rejeté ces moyens pour le surplus.
48 Eu égard à l’ensemble de ces appréciations, le Tribunal a partiellement annulé les articles 2 et 4 de la décision litigieuse, tout en rejetant le recours pour le surplus.
II. Les conclusions des parties
49 Par son pourvoi, l’ISU demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant que celui-ci a partiellement rejeté son recours de première instance ;
– d’annuler la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci n’a pas déjà été annulée par l’arrêt attaqué, et
– de condamner la Commission et les parties intervenantes en première instance aux dépens exposés tant en première instance qu’au stade du pourvoi.
50 La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de l’ISU aux dépens.
51 MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes concluent au rejet du pourvoi.
52 Par leur pourvoi incident, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant que celui-ci a partiellement annulé la décision litigieuse ;
– de rejeter le recours en première instance dans la mesure où celui-ci n’a pas déjà été rejeté par l’arrêt attaqué, et
– de condamner l’ISU aux dépens exposés au stade du pourvoi.
53 La Commission conclut à l’accueil du pourvoi incident et à la condamnation de l’ISU aux dépens.
54 L’ISU conclut au rejet du pourvoi incident et à la condamnation de MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que de EU Athletes aux dépens.
III. Sur le pourvoi
55 À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation partielle de l’arrêt attaqué, l’ISU invoque deux moyens tirés de la violation combinée de l’article 263 et de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
56 Elle demande, par ailleurs, à la Cour d’évoquer le litige et de statuer sur celui-ci.
A. Sur le premier moyen
1. Argumentation des parties
57 Par son premier moyen, qui est structuré en trois branches, l’ISU reproche au Tribunal, en substance, d’avoir méconnu son office de juge de la légalité des décisions adoptées par la Commission en application des règles de concurrence et d’avoir violé la notion de restriction de la concurrence par « objet » visée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
58 Préalablement à l’exposé de ce moyen, l’ISU présente trois éléments de contexte devant, selon elle, éclairer l’examen de celui-ci.
59 Premièrement, elle indique que, pendant près d’un siècle (1892-1990), les règles d’éligibilité qui encadrent la participation des athlètes aux compétitions de patinage sur glace se sont exclusivement appliquées à des amateurs, avant qu’il ne soit décidé, à la suite d’une évolution de la position du CIO, de permettre à des professionnels de participer eux aussi à ces compétitions. Elle ajoute que c’est à la suite de cette évolution que les règles d’autorisation préalable applicables auxdites compétitions ont été introduites, dans le but de garantir que celles-ci se déroulent conformément aux mêmes règles à l’échelle mondiale, qu’elles soient organisées par l’ISU ou par une entité ou entreprise tierce.
60 Deuxièmement, l’ISU observe que la décision litigieuse cible le patinage de vitesse sur glace, qui constitue une discipline sportive de niche ayant représenté pour elle un chiffre d’affaires de 5 millions de francs suisses (CHF) (environ 5,1 millions d’euros au taux de change actuel) au titre de l’année 2016, sur un total de près de 32 millions de CHF (environ 32,7 millions d’euros au taux de change actuel), dont le solde provient de la discipline sportive plus connue qu’est le patinage artistique. Elle ajoute que cette discipline sportive de niche ne présente qu’un attrait limité pour le grand public et que c’est cette situation qui explique qu’aucune entité ou entreprise tierce ne lui ait jamais présenté de demande d’organisation d’une compétition internationale dans ce domaine, jusqu’à celle qui est mentionnée dans la décision litigieuse. Par contraste, elle aurait reçu vingt demandes de cette nature dans le domaine du patinage artistique au cours des vingt dernières années, qui auraient toutes été autorisées. L’ISU précise également que le refus d’autoriser l’unique demande qui lui a été présentée, à deux reprises (à savoir au cours de l’année 2011 puis au cours de l’année 2014), dans le domaine du patinage de vitesse sur glace s’est fondé sur la place centrale que l’organisateur de la compétition internationale envisagée entendait donner aux paris. Ce projet aurait, du reste, fini par être autorisé au cours de l’année 2016 aux Pays-Bas sous un format n’incluant plus de recours aux paris.
61 Troisièmement, l’ISU expose que, tout en ayant qualifié les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité de restriction de la concurrence par « objet » et par « effet » dans la décision litigieuse, la Commission n’en a pas moins abandonné l’opposition de principe qu’elle avait initialement manifestée, dans sa communication des griefs, à l’égard de ces règles, en se concentrant sur leur caractère arbitraire et disproportionné en l’espèce. C’est, du reste, ce qui expliquerait que l’ISU ait mis en œuvre les injonctions figurant à l’article 2 de la décision litigieuse au moyen, notamment, d’une communication visant à modifier lesdites règles et non pas à les supprimer.
62 Tout en observant que l’ISU n’allègue l’existence d’aucune dénaturation des faits devant la Cour et que les faits auxquels se réfère l’arrêt attaqué doivent donc être considérés comme étant définitivement établis, la Commission conteste l’exactitude des éléments de contexte présentés, au stade du pourvoi, par l’ISU. En particulier, elle relève, premièrement, que les vingt compétitions internationales de patinage artistique qui ont été autorisées par celle-ci ont, en réalité, été organisées non pas par des entités ou entreprises tierces mais par des membres de cette association. Deuxièmement, le projet de compétition de patinage de vitesse sur glaceque l’ISU a fini par autoriser au cours de l’année 2016 a lui aussi été repris, dans l’intervalle, par une association nationale membre de celle-ci. Troisièmement, le refus de l’ISU d’autoriser ce projet, tel qu’initialement conçu par une entreprise tierce, est intervenu alors que cette association savait parfaitement qu’aucun recours aux paris n’était prévu dans ce cadre.
63 Par ailleurs, la Commission souligne que l’examen du pourvoi doit se faire, en cohérence avec la décision litigieuse et l’arrêt attaqué, en tenant compte de l’incidence que les règles édictées par l’ISU ont non seulement sur les athlètes, qu’elles empêchent de proposer librement leurs services à de potentiels organisateurs de compétitions internationales autres que cette association et ses membres, mais également sur ces opérateurs eux-mêmes, qu’elles empêchent d’organiser librement des compétitions internationales de façon tant directe (règles d’autorisation préalable) qu’indirecte (règles d’éligibilité).
64 MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes soutiennent ces arguments.
a) Sur la première branche
65 Par la première branche de son premier moyen, l’ISU reproche au Tribunal d’avoir rejeté comme non fondés, comme inopérants ou sans examen certains des arguments et des éléments de preuve qu’elle avait présentés en première instance, dans le cadre de son deuxième moyen d’annulation, tiré de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en vue de contester les appréciations sur lesquelles la Commission s’était fondée pour conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par « objet ».
66 À cet égard, elle soutient, tout d’abord, que, dans la décision litigieuse, la Commission a, en pratique, apprécié de façon combinée l’adoption et l’application des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, puis qualifié ces deux éléments de restriction de la concurrence par « objet », ainsi que le Tribunal l’a d’ailleurs reconnu aux points 57 et 126 de l’arrêt attaqué.
67 Ensuite, elle indique avoir invité le Tribunal, par son deuxième moyen d’annulation, à écarter cette qualification juridique ainsi qu’à censurer les erreurs manifestes d’appréciation qui ont conduit la Commission à retenir celle-ci. En particulier, l’ISU précise avoir contesté, en première instance, les différentes appréciations de la Commission figurant aux considérants 174 à 179 de la décision litigieuse, relatives à l’application des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, telle qu’illustrée, s’agissant du patinage de vitesse sur glace, par son refus prétendument intentionnel et anticoncurrentiel d’autoriser l’unique projet de compétition internationale concurrente qui lui a été soumis au cours des vingt dernières années, dans sa version initiale, et, en ce qui concerne le patinage artistique, par l’autorisation parallèle d’une vingtaine de compétitions internationales organisées par des tiers.
68 Enfin, elle fait valoir que le Tribunal a méconnu son office au titre de l’article 263 TFUE en écartant ses arguments et ses éléments de preuve à ce sujet, aux points 116, 117, 121 et 127 de l’arrêt attaqué, au motif qu’ils étaient non fondés, inopérants ou même dépourvus de pertinence en ce qu’ils se rapportaient soit à des éléments d’intentionnalité et d’application dont la prise en considération n’était pas nécessaire pour établir l’existence d’une restriction de la concurrence par « objet », soit à une discipline sportive autre que celle qui constitue le marché concerné par cette restriction. En outre, cette juridiction aurait passé sous silence d’autres arguments ou éléments de preuve qui lui avaient été présentés, notamment ceux relatifs à la thématique des paris. À cet égard, l’ISU souligne que, bien que n’étant effectivement pas prévus dans le cadre du projet de compétition internationale tierce qui lui avait été soumis, ces paris étaient toutefois au cœur du concept que l’organisateur de cette compétition entendait promouvoir.
69 La Commission, soutenue par MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que par EU Athletes, conteste l’ensemble de ces arguments.
b) Sur la deuxième branche
70 Par la deuxième branche de son premier moyen, l’ISU reproche au Tribunal d’avoir substitué son appréciation factuelle et juridique à celle de la Commission en retenant l’existence d’une infraction différente de celle qui a été constatée à l’article 1er de la décision litigieuse, en méconnaissance de son office au titre de l’article 263 TFUE et en se fondant sur une interprétation erronée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
71 À cet égard, elle soutient, en premier lieu, que le Tribunal s’est non seulement focalisé sur un comportement partiellement différent de celui qui avait été incriminé par la Commission (en ciblant l’existence même des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, et non plus leur adoption et leur application combinées), mais qu’il a également procédé à une qualification différente de ce comportement. Sur ce second aspect, le Tribunal aurait en effet conclu exclusivement à l’existence d’une restriction de la concurrence par « objet », en se fondant, qui plus est, non seulement sur les éléments sur lesquels la Commission s’était appuyée à la section 8.3 de la décision litigieuse (intitulée « Restriction de la concurrence par objet ») mais également sur ceux mentionnés à la section 8.5 de celle-ci (intitulée « Les règles d’éligibilité relèvent du champ de l’article 101 [TFUE] »). Or, cette dernière porterait sur une question distincte.
72 En second lieu, cette réécriture de la décision litigieuse serait elle-même fondée sur une interprétation juridiquement erronée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
73 En effet, cette disposition distinguerait les restrictions de la concurrence par « objet » et par « effet », la première de ces deux qualifications étant applicable aux seuls comportements qui peuvent être considérés, par leur nature même, comme étant nuisibles à la concurrence. Or, en l’espèce, le Tribunal n’aurait pas expliqué en quoi les différents éléments auxquels il s’est référé aux points 87 à 89, 91 à 93 et 101 à 110 de l’arrêt attaqué justifiaient de retenir une telle qualification. Au contraire, il se serait limité à examiner les termes dans lesquels sont libellées les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité ainsi que les buts visés par celles-ci de façon abstraite et décontextualisée, puis à conclure, au terme de cet examen, à la possibilité ou au risque que ces règles soient utilisées à des fins anticoncurrentielles compte tenu du pouvoir discrétionnaire qu’elles confèrent à l’ISU.
74 En outre, la jurisprudence sur laquelle le Tribunal s’est appuyé aux fins de ladite analyse (arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127) serait uniquement pertinente en présence de restrictions de la concurrence par « effet » et ne pourrait donc pas être appliquée par analogie afin de se prononcer sur l’existence éventuelle de restrictions de la concurrence par « objet », ainsi que cette juridiction l’a fait aux points 72 et 88 de l’arrêt attaqué.
75 La Commission, soutenue par MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que par EU Athletes, conteste l’ensemble de ces arguments.
c) Sur la troisième branche
76 Par la troisième branche de son premier moyen, l’ISU reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit en validant les appréciations ayant conduit la Commission à qualifier les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité de restriction de la concurrence par objet.
77 À cet égard, elle fait valoir, en premier lieu, que le Tribunal a admis à tort que la teneur de ces règles puisse être invoquée au soutien d’une telle qualification.
78 En effet, contrairement à ce que la Commission a estimé aux considérants 162 et 163 de la décision litigieuse ainsi qu’à ce que le Tribunal a énoncé aux points 91 et 95 de l’arrêt attaqué, le fait que lesdites règles prévoient la possibilité, pour l’ISU, d’appliquer un ensemble de sanctions sévères aux athlètes qui participent à des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace non autorisées serait, en soi, insuffisant pour établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet. Encore faudrait-il donc que l’examen de leurs effets permette d’établir qu’elles ont été appliquées à des athlètes qui ont participé à des compétitions dont l’autorisation s’avère avoir été refusée pour un motif illégitime.
79 Ensuite, contrairement à ce qui ressort notamment du considérant 163 de la décision litigieuse et à ce que le Tribunal a retenu aux points 85 à 89 de l’arrêt attaqué, le fait que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité ne font pas référence à des objectifs précisément identifiables, qu’elles ne comportent pas de critères clairement définis et que l’ISU jouit donc d’un pouvoir discrétionnaire ou à tout le moins d’une trop large marge d’appréciation pour les appliquer ne permettrait pas davantage, en lui-même, d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet. Là encore, il serait nécessaire d’en évaluer les effets concrets.
80 En outre, contrairement à ce que la Commission a exposé, notamment, aux considérants 164 et 165 de la décision litigieuse, le fait que ces règles faisaient référence, dans leur version adoptée au cours de l’année 2014, à la protection des intérêts économiques de l’ISU ne permettrait pas, en tant que tel, de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence, ce que le Tribunal aurait d’ailleurs reconnu aux points 98 et 109 de l’arrêt attaqué.
81 Enfin, contrairement à ce que la Commission a estimé au considérant 166 de la décision litigieuse ainsi qu’à ce que le Tribunal a admis au point 97 de l’arrêt attaqué, le fait que lesdites règles peuvent être appliquées à des athlètes participant à une compétition internationale tierce non autorisée par l’ISU indépendamment de tout conflit de calendrier entre cette compétition et une compétition organisée ou autorisée par l’ISU serait dépourvu de pertinence, dans la mesure où c’est non pas l’existence d’un tel conflit de calendrier mais la promotion des paris qui a conduit cette association à refuser, dans sa version initiale, le projet de compétition internationale tierce auquel se réfère la décision litigieuse.
82 En deuxième lieu, l’ISU soutient que le Tribunal s’est fourvoyé à trois égards en analysant les buts poursuivis par les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
83 Tout d’abord, il aurait reconnu, au point 109 de l’arrêt attaqué, que l’ISU était en droit de chercher à protéger ses intérêts économiques, contrairement à ce qu’avait retenu la Commission au considérant 169 de la décision litigieuse, mais il aurait omis d’en tirer la conséquence, à savoir que cette institution ne pouvait pas déduire l’existence d’un objet anticoncurrentiel de ce seul fait.
84 Ensuite, le Tribunal aurait cherché à pallier cette erreur et l’impossibilité corrélative de tirer argument des buts poursuivis par les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité en vue de fonder une qualification d’objet anticoncurrentiel en déduisant, au point 111 de l’arrêt attaqué, l’existence d’un tel objet d’autres éléments, tenant au caractère prétendument flou, arbitraire et disproportionné de ces règles. Ce faisant, cette juridiction aurait substitué son appréciation à celle de la Commission, qui s’était appuyée sur ces éléments, dans la décision litigieuse, à des fins autres (considérants 255 à 258) que l’établissement d’une restriction de la concurrence par objet (considérants 162 à 187).
85 Enfin, il ressortirait de la jurisprudence que lesdits éléments sont uniquement pertinents pour appréhender l’effet d’un comportement susceptible de restreindre la concurrence (arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, point 69).
86 En troisième lieu, l’ISU allègue que le Tribunal a commis des erreurs de droit en contrôlant les appréciations de la Commission relatives au contexte économique et juridique dans lequel s’insèrent les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité. D’une part, cette juridiction aurait rejeté à tort, aux points 115 à 117 de l’arrêt attaqué, ses arguments relatifs à l’autorisation de nombreuses compétitions internationales tierces dans le domaine du patinage artistique au motif que ce dernier ne faisait pas partie du marché concerné en l’espèce. En effet, il ressortirait de la jurisprudence que des éléments relatifs à un marché autre que le marché concerné peuvent être pris en considération dans le cadre de l’examen de ce contexte (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, points 78 et 79). D’autre part, ladite juridiction aurait écarté à tort, au point 119 de l’arrêt attaqué, ces nombreux exemples avérés d’autorisation de compétitions tierces au motif que, selon elle, la Commission avait retenu à juste titre qu’il existait une possibilité ou un risque d’application arbitraire des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
87 La Commission, soutenue par MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que par EU Athletes, conteste l’ensemble de ces arguments.
2. Appréciation de la Cour
88 Par les trois branches de son premier moyen de pourvoi, l’ISU critique, sous différents aspects, la façon dont le Tribunal a contrôlé la légalité de la décision litigieuse et le résultat auquel il est parvenu à l’issue de ce contrôle. En substance, elle fait valoir que, compte tenu, d’une part, du sens et de la portée de l’article 101 TFUE et, d’autre part, de la façon dont cette disposition a été appliquée par la Commission dans la décision litigieuse, l’arrêt attaqué doit être annulé en raison d’erreurs de droit tirées, premièrement, de ce que le Tribunal a substitué son appréciation à celle de la Commission en retenant l’existence d’une infraction autre que celle qui avait été caractérisée par cette institution (deuxième branche), deuxièmement, de ce que le Tribunal a erronément admis que cette infraction puisse être regardée comme ayant pour « objet » de restreindre la concurrence (deuxième et troisième branches) et, troisièmement, de ce que le Tribunal a méconnu son office en écartant certains des arguments et des éléments de preuve qui lui avaient été présentés en vue de contester cette qualification (première et troisième branches).
89 Compte tenu de la manière dont ce moyen est structuré, il convient d’en examiner conjointement les différentes branches, après avoir rappelé le sens et la portée des dispositions de l’article 101 TFUE, au vu desquelles leur bien-fondé éventuel doit être apprécié.
90 À cet égard, il importe, au préalable, de rappeler que ne sont contestés ni les constats de la Commission et du Tribunal selon lesquels l’ISU doit être qualifiée, au regard de l’article 101 TFUE, d’« association d’entreprises » exerçant, par ailleurs, une activité économique consistant à organiser et à commercialiser des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace, ni ceux selon lesquels les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité constituent une « décision d’association d’entreprises » au sens du même article. Ne sont pas non plus contestés les constats selon lesquels cette décision d’association d’entreprises est susceptible d’« affecter le commerce entre États membres », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Enfin, ne sont pas davantage contestés, ne serait-ce qu’à titre subsidiaire, les constats selon lesquels ladite décision ne remplit pas les différentes conditions requises pour pouvoir bénéficier d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
a) Sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE au sport en tant qu’activité économique
91 Dans la mesure où l’exercice d’un sport constitue une activité économique, il relève des dispositions du droit de l’Union qui sont applicables en présence d’une telle activité (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36/74, EU:C:1974:140, point 4, ainsi que du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais, C 325/08, EU:C:2010:143, point 27).
92 Seules certaines règles spécifiques qui, d’une part, ont été adoptées exclusivement pour des motifs d’ordre non économique et qui, d’autre part, portent sur des questions intéressant uniquement le sport en tant que tel doivent être regardées comme étant étrangères à toute activité économique. Tel est le cas, en particulier, de celles portant sur l’exclusion des joueurs étrangers de la composition des équipes participant aux compétitions entre équipes représentatives de leur pays ou sur la fixation des critères de classement utilisés pour sélectionner les athlètes participant à des compétitions à titre individuel (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36/74, EU:C:1974:140, point 8 ; du 15 décembre 1995, Bosman, C 415/93, EU:C:1995:463, points 76 et 127, ainsi que du 11 avril 2000, Deliège, C 51/96 et C 191/97, EU:C:2000:199, points 43, 44, 63, 64 et 69).
93 À l’exception de ces règles spécifiques, les règles émanant des associations sportives et, plus largement, le comportement des associations qui les ont adoptées relèvent des dispositions du traité FUE relatives au droit de la concurrence lorsque les conditions d’application de ces dispositions sont réunies (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C 519/04 P, EU:C:2006:492, points 30 à 33), ce qui implique que ces associations puissent être qualifiées d’« entreprises » au sens des articles 101 et 102 TFUE ou que les règles en cause puissent être qualifiées de « décisions d’associations d’entreprises » au sens de l’article 101 TFUE.
94 Tel peut être le cas, en particulier, des règles qui sont relatives à l’exercice, par une association sportive, de pouvoirs concourant à l’autorisation préalable des compétitions sportives, dont l’organisation et la commercialisation constituent une activité économique pour les entreprises qui s’y livrent ou qui envisagent de s’y livrer, en ce compris une telle association (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, point 28). Tel peut également être le cas des règles qui visent à encadrer la participation des athlètes à de telles compétitions, qui constitue une activité économique lorsque ceux-ci exercent le sport concerné à titre professionnel ou semi-professionnel.
95 Cela étant, l’activité sportive présente d’indéniables spécificités qui, tout en concernant tout spécialement le sport amateur, peuvent aussi se retrouver dans l’exercice du sport en tant qu’activité économique (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C 176/96, EU:C:2000:201, point 33).
96 Or, les spécificités qui caractérisent un secteur économique peuvent éventuellement être prises en compte, entre autres éléments et pour autant qu’elles s’avèrent pertinentes, lors de l’application de l’article 101 TFUE et plus spécialement lors de l’examen de la question de savoir si un comportement donné doit être considéré comme ayant pour « objet » ou, à défaut, pour « effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit ainsi que des « conditions réelles » ou du « cadre réel » qui caractérisent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchés concernés (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1994, DLG, C 250/92, EU:C:1994:413, point 31). Un tel examen peut impliquer de tenir compte, par exemple, de la nature, de l’organisation ou encore du fonctionnement du sport concerné et, plus spécifiquement, de son degré de professionnalisation, de la manière dont il est exercé, de la façon dont interagissent les différents acteurs qui y participent ainsi que du rôle joué par les structures ou les organismes qui en sont responsables à tous les niveaux, avec lesquels l’Union favorise la coopération, conformément à l’article 165, paragraphe 3, TFUE.
b) Sur l’article 101, paragraphe 1, TFUE
97 L’article 101, paragraphe 1, TFUE déclare incompatibles avec le marché intérieur et interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
1) Sur la caractérisation de l’existence d’un comportement ayant pour « objet » ou pour « effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
98 Pour pouvoir considérer, dans un cas donné, qu’un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée relève de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire, conformément aux termes mêmes de cette disposition, de démontrer soit que ce comportement a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, soit que ce comportement a un tel effet (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, page 359, et du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C 211/22, EU:C:2023:529, point 31).
99 À cette fin, il convient de procéder, dans un premier temps, à l’examen de l’objet du comportement en cause. Dans l’hypothèse où, au terme d’un tel examen, ce comportement s’avère avoir un objet anticoncurrentiel, il n’est pas nécessaire de procéder à l’examen de son effet sur la concurrence. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où ledit comportement ne peut être considéré comme ayant un tel objet anticoncurrentiel qu’il est nécessaire de procéder, dans un second temps, à l’examen de cet effet (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, page 359, ainsi que du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, points 16 et 17).
100 L’examen qu’il convient d’effectuer diffère selon qu’il porte sur le point de savoir si le comportement en cause a pour « objet » ou pour « effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, chacune de ces deux notions étant soumise à un régime juridique et probatoire distinct [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 63].
i) Sur la caractérisation de l’existence d’un comportement ayant pour « objet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence
101 Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour, telle que récapitulée, en particulier, dans les arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a. (C 179/16, EU:C:2018:25, point 78), et du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52, point 67), la notion d’« objet » anticoncurrentiel, tout en ne constituant pas, comme il découle des points 98 et 99 du présent arrêt, une exception par rapport à la notion d’« effet » anticoncurrentiel, doit néanmoins être interprétée de manière stricte.
102 Ainsi, cette notion doit être comprise comme renvoyant exclusivement à certains types de coordination entre entreprises qui révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré qu’un examen de leurs effets n’est pas nécessaire. En effet, certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être regardées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence [voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, page 359 ; du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 78, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 67].
103 Parmi les types de comportements qui doivent être considérés comme tels figurent, au premier chef, certains comportements collusoires particulièrement nocifs à l’égard de la concurrence, tels que les cartels horizontaux conduisant à la fixation des prix, à la limitation des capacités de production ou à la répartition de la clientèle. En effet, ces types de comportements sont de nature à entraîner une hausse des prix ou une réduction de la production et, donc, de l’offre, aboutissant à une mauvaise utilisation des ressources, au détriment des entreprises utilisatrices et des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C 209/07, EU:C:2008:643, points 17 et 33 ; du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51, ainsi que du 16 juillet 2015, ING Pensii, C 172/14, EU:C:2015:484, point 32).
104 Sans être nécessairement aussi nocifs à l’égard de la concurrence, d’autres types de comportements peuvent également être considérés, dans certains cas, comme ayant un objet anticoncurrentiel. Il en va ainsi, notamment, de certains types d’accords horizontaux autres que des cartels, par exemple ceux conduisant à l’exclusion d’entreprises concurrentes du marché [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 76, 77, 83 à 87 et 101, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, points 113 et 114], ou encore de certains types de décisions d’associations d’entreprises ayant pour objet de coordonner le comportement de leurs membres, notamment en termes de prix (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 1987, Verband der Sachversicherer/Commission, 45/85, EU:C:1987:34, point 41).
105 Afin de déterminer, dans un cas donné, si un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée présente, par sa nature même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour pouvoir être considéré comme ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser celle-ci, il est nécessaire d’examiner, premièrement, la teneur de l’accord, de la décision ou de la pratique en cause, deuxièmement, le contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent et, troisièmement, les buts qu’ils visent à atteindre (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 79).
106 À cet égard, tout d’abord, s’agissant du contexte économique et juridique dans lequel s’insère le comportement en cause, il y a lieu de prendre en considération la nature des produits ou des services concernés ainsi que les conditions réelles qui caractérisent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchés en question (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 80). En revanche, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs, comme cela découle de la jurisprudence citée aux points 98 et 99 du présent arrêt.
107 Ensuite, en ce qui concerne les buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l’égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention subjective d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C 551/03 P, EU:C:2006:229, points 64 et 77 ainsi que jurisprudence citée, et du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C 209/07, EU:C:2008:643, point 21).
108 Enfin, la prise en considération de l’ensemble des éléments visés aux trois points précédents du présent arrêt doit, en tout état de cause, faire apparaître les raisons précises pour lesquelles le comportement en cause présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, justifiant de considérer qu’il a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 69).
ii) Sur la caractérisation de l’existence d’un comportement ayant pour « effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence
109 La notion de comportement ayant un « effet » anticoncurrentiel englobe, quant à elle, tout comportement qui ne peut être considéré comme ayant un « objet » anticoncurrentiel, à condition qu’il soit démontré que ce comportement a pour effet actuel ou potentiel d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, et cela de manière sensible [voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C 7/95 P, EU:C:1998:256, point 77, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 117].
110 À cette fin, il est nécessaire d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait en l’absence de l’accord, de la décision d’association d’entreprises ou de la pratique concertée en cause [arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, page 360, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 118], en définissant le ou les marchés sur lesquels ce comportement a vocation à produire ses effets, puis en caractérisant ces derniers, qu’ils soient réels ou potentiels. Cet examen implique lui-même de tenir compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.
2) Sur la possibilité de considérer certains comportements spécifiques comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
111 Il ressort d’une jurisprudence établie de la Cour que tout accord entre entreprises ou toute décision d’association d’entreprises qui limite la liberté d’action des entreprises parties à cet accord ou soumises au respect de cette décision ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, l’examen du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivent certains de ces accords et certaines de ces décisions peut conduire à constater, premièrement, que ceux-ci se justifient par la poursuite d’un ou de plusieurs objectifs légitimes d’intérêt général dénués, en soi, de caractère anticoncurrentiel, deuxièmement, que les moyens concrets auxquels il est recouru pour poursuivre ces objectifs sont véritablement nécessaires à cette fin et, troisièmement, que, même s’il s’avère que ces moyens ont pour effet inhérent de restreindre ou de fausser, à tout le moins potentiellement, la concurrence, cet effet inhérent ne va pas au-delà du nécessaire, en particulier en éliminant toute concurrence. Cette jurisprudence peut trouver à s’appliquer, en particulier, en présence d’accords ou de décisions prenant la forme de règles adoptées par une association telle qu’une association professionnelle ou une association sportive, en vue de poursuivre certains objectifs d’ordre éthique ou déontologique et, plus largement, d’encadrer l’exercice d’une activité professionnelle, si l’association concernée démontre que les conditions qui viennent d’être rappelées sont remplies (voir, en ce sens, arrêts du 19 février 2002, Wouters e.a., C 309/99, EU:C:2002:98, point 97 ; du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C 519/04 P, EU:C:2006:492, points 42 à 48, ainsi que du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, points 93, 96 et 97).
112 Plus particulièrement, dans le domaine du sport, la Cour a été conduite à relever, au vu des éléments à sa disposition, que la réglementation antidopage adoptée par le CIO ne tombe pas sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, alors même qu’elle limite la liberté d’action des athlètes et a pour effet inhérent de restreindre la concurrence potentielle entre eux en définissant un seuil au-delà duquel la présence de nandrolone est constitutive de dopage, dans le but de préserver le déroulement loyal, intègre et objectif de la compétition sportive, d’assurer l’égalité des chances entre les athlètes, de protéger leur santé ainsi que de faire respecter les valeurs éthiques qui sont au cœur du sport, au nombre desquelles figure le mérite (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C 519/04 P, EU:C:2006:492, points 43 à 55).
113 En revanche, la jurisprudence mentionnée au point 111 du présent arrêt ne saurait trouver à s’appliquer en présence de comportements qui, loin de se borner à avoir pour « effet » inhérent de restreindre, à tout le moins potentiellement, la concurrence en limitant la liberté d’action de certaines entreprises, présentent, à l’égard de cette concurrence, un degré de nocivité justifiant de considérer qu’ils ont pour « objet » même de l’empêcher, de la restreindre ou de la fausser. Ainsi, c’est uniquement s’il s’avère, au terme de l’examen du comportement qui est en cause dans un cas d’espèce donné, que ce comportement n’a pas pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, qu’il y a lieu de déterminer, ensuite, si celui-ci peut relever de cette jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, point 69 ; du 4 septembre 2014, API e.a., C 184/13 à C 187/13, C 194/13, C 195/13 et C 208/13, EU:C:2014:2147, point 49, ainsi que du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International, C 427/16 et C 428/16, EU:C:2017:890, points 51, 53, 56 et 57).
114 S’agissant des comportements ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, c’est donc uniquement en application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et pour autant que l’ensemble des conditions prévues par cette disposition soient respectées qu’ils peuvent se voir octroyer le bénéfice d’une exemption de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C 209/07, EU:C:2008:643, point 21).
115 C’est à la lumière de l’ensemble de ces considérations que doivent être appréciés les différents arguments présentés par l’ISU.
c) Sur l’infraction retenue en l’espèce
116 S’agissant des arguments de l’ISU selon lesquels le Tribunal a substitué son appréciation à celle de la Commission en retenant l’existence d’une infraction autre que celle qui avait été caractérisée par celle-ci, il convient de constater, en premier lieu, que, aux points 57 et 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, en substance, que la Commission avait retenu l’existence d’une infraction consistant, pour l’ISU, à avoir adopté et à appliquer, sur le marché mondial de l’organisation et de la commercialisation des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace ainsi que de l’exploitation des différents droits liés à ces compétitions, les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, dans leurs versions adoptées au cours des années 2014 et 2016, comme le rappelle d’ailleurs l’ISU dans son pourvoi. Le Tribunal a également indiqué, au premier de ces deux points, que la Commission avait qualifié ce comportement d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’il avait, d’une part, pour « objet » et, d’autre part, pour « effet » de restreindre la concurrence.
117 En deuxième lieu, le Tribunal s’est livré, aux points 77 à 120 de l’arrêt attaqué, au contrôle des appréciations ayant conduit la Commission à qualifier le fait d’avoir adopté et d’appliquer les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité de comportement ayant pour « objet » de restreindre la concurrence, en examinant, premièrement, celles relatives à la teneur de ces règles, deuxièmement, celles concernant les buts visés par lesdites règles et, troisièmement, celles se rapportant au contexte dans lequel ces mêmes règles s’inscrivent, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, à laquelle il est, au demeurant, fait référence aux points 66 et 67 de l’arrêt attaqué. Au terme de son contrôle, cette juridiction a estimé, aux points 121 à 123 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait commis aucune des erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation qui lui étaient reprochées par l’ISU, de telle sorte que la qualification de comportement ayant pour « objet » de restreindre la concurrence n’apparaissait pas infondée et qu’il était, dès lors, inutile de se prononcer sur les arguments de l’ISU ayant trait à la qualification alternative et subsidiaire de comportement ayant pour « effet » de restreindre cette concurrence.
118 En troisième et dernier lieu, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’identification du comportement en cause en l’espèce et la qualification qui en a été faite, dans l’arrêt attaqué, correspondent en tous points au contenu de la décision litigieuse. En effet, l’article 1er de cette décision, selon laquelle l’ISU a enfreint l’article 101, paragraphe 1, TFUE en ayant adopté et en appliquant les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, doit se lire à la lumière des considérants 161 à 188 de celle-ci, dans lesquels la Commission a estimé que, compte tenu de leur teneur, des buts qu’elles visent à atteindre et du contexte économique et juridique dans lequel elles s’inscrivent, ces règles devaient être regardées comme ayant pour « objet » de restreindre la concurrence, avant d’ajouter de manière distincte et indépendante, aux considérants 194 à 209 de ladite décision, que lesdites règles avaient également pour « effet » de restreindre la concurrence.
119 En particulier, ainsi que le font apparaître ces différents constats, la Commission n’a pas retenu une qualification juridique « combinant » les notions alternatives d’« objet » et d’« effet » anticoncurrentiel, comme l’allègue l’ISU. Au contraire, elle a retenu, en parallèle, deux qualifications juridiques distinctes et indépendantes l’une de l’autre, dont chacune, à la supposer justifiée, suffisait à fonder le dispositif de la décision litigieuse.
120 Dans ces conditions, le Tribunal ne s’est pas prononcé, contrairement à ce que soutient l’ISU, sur une infraction différente de celle qui avait été caractérisée par la Commission. Au contraire, il s’est limité à juger que la première des deux qualifications juridiques retenues par cette institution n’était entachée d’aucune des erreurs alléguées par l’ISU.
121 Par ailleurs, s’il est vrai que les sections de l’arrêt attaqué qui sont consacrées au contrôle du bien-fondé de cette qualification au vu de la teneur (points 81 à 98), des buts (points 99 à 114) et du contexte économique et juridique (points 115 à 120) des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité n’examinent à aucun moment la manière dont celles-ci ont été appliquées par l’ISU, force est de constater que cette démarche est identique à celle qui a été suivie par la Commission dans la décision litigieuse. En effet, les sections de celle-ci dans lesquelles sont examinés la teneur (considérants 162 à 167 et 180 à 187), les buts (considérants 168 à 171) et le contexte économique et juridique (considérants 172 et 173) de ces règles n’abordent pas non plus une telle problématique, qui est uniquement examinée dans le cadre de sections différentes, telles que celles relatives à l’« intention » de l’ISU (considérants 174 à 179) ou à l’« effet » desdites règles sur la concurrence (considérants 199 à 205).
122 Par conséquent, il y a lieu de rejeter comme étant non fondés les arguments de l’ISU selon lesquels le Tribunal a retenu l’existence d’une infraction autre que celle qui avait été caractérisée par la Commission dans la décision litigieuse, en substituant son appréciation à celle de cette institution.
d) Sur l’existence d’un comportement ayant pour « objet » de restreindre la concurrence en l’espèce
123 Les arguments de l’ISU selon lesquels le Tribunal a interprété de manière erronée l’article 101, paragraphe 1, TFUE et conclu à tort, sur la base de cette interprétation, que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité avaient été qualifiées à bon droit, par la Commission, de comportement ayant pour « objet » de restreindre la concurrence sont principalement de trois ordres.
124 En substance, l’ISU reproche au Tribunal, premièrement, d’avoir fait une interprétation erronée de la notion d’« objet » anticoncurrentiel en estimant, à l’instar de la Commission, que, compte tenu du type de comportement qui était en cause en l’espèce, l’examen de la teneur de celui-ci, des buts qu’il visait à atteindre ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrivait devait être effectué à la lumière des arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE (C 49/07, EU:C:2008:376), et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C 1/12, EU:C:2013:127). Deuxièmement, le Tribunal aurait jugé à tort que ce comportement devait être qualifié d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’il avait pour « objet » de restreindre la concurrence, ainsi qu’il résultait des appréciations de la Commission relatives à la teneur, aux buts ainsi qu’au contexte économique et juridique des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité. Dans le même temps, cette juridiction aurait omis de se prononcer sur d’autres éléments essentiels, tels que l’intention prêtée par la Commission à l’ISU et les effets de ces règles sur le marché concerné ainsi que sur le marché connexe du patinage artistique. Troisièmement, en procédant à l’examen conjoint des deuxième et quatrième moyens d’annulation, qui portaient respectivement sur la notion d’« objet » anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle certains comportements peuvent être regardés comme ne relevant pas du champ d’application de cette disposition (arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C 309/99, EU:C:2002:98), le Tribunal aurait commis des erreurs de droit supplémentaires ayant consisté, en substance, à « fusionner » ces deux questions distinctes et à substituer, ce faisant, son appréciation à celle de la Commission.
1) Sur l’applicabilité en l’espèce de la jurisprudence issue des arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE (C 49/07, EU:C:2008:376), et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C 1/12, EU:C:2013:127)
125 Il découle de la jurisprudence de la Cour que le maintien ou le développement non faussé de la concurrence dans le marché intérieur ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les entreprises est assurée. Or, le fait de conférer à une entreprise qui exerce une activité économique donnée le pouvoir de déterminer, de jure ou même de facto, quelles autres entreprises sont autorisées à exercer elles aussi cette activité ainsi que de fixer les conditions dans lesquelles cette dernière peut être exercée la place dans une situation de conflit d’intérêts et lui donne un avantage évident sur ses concurrents, en lui permettant de les empêcher d’accéder au marché concerné ou de favoriser sa propre activité (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C 18/88, EU:C:1991:474, point 25 ; du 12 février 1998, Raso e.a., C 163/96, EU:C:1998:54, points 28 et 29, ainsi que du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, points 38, 49, 51 et 52) ainsi que, ce faisant, d’empêcher le développement de la concurrence par les mérites au détriment des consommateurs, en y limitant la production, le développement de produits ou de services alternatifs ou encore l’innovation.
126 Par conséquent, un tel pouvoir ne peut être conféré à une entreprise déterminée qu’à la condition d’être assorti de limites, d’obligations et d’un contrôle, indépendamment du point de savoir si ce pouvoir trouve sa source dans l’attribution, par un État membre, de droits exclusifs ou spéciaux plaçant l’entreprise à laquelle il est conféré en situation de position dominante sur le marché concerné (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, points 50 et 53), dans le comportement autonome d’une entreprise en position dominante, permettant à celle-ci d’empêcher des entreprises potentiellement concurrentes d’accéder à ce marché ou à des marchés connexes ou voisins (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C 18/88, EU:C:1991:474, points 17 à 20 et 24), ou encore dans une décision d’association d’entreprises, à plus forte raison lorsque l’association dont émane cette décision doit être considérée, en parallèle, comme une « entreprise » en raison de l’activité économique qu’elle exerce sur ledit marché (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, points 39, 44, 45, 59, 91 et 92).
127 C’est pourquoi la Cour a déjà relevé que, à moins d’être assorti de limites, d’obligations et d’un contrôle propres à exclure le risque d’exploitation abusive d’une position dominante, un tel pouvoir, lorsqu’il est conféré à une entreprise en situation de position dominante, viole, par son existence même, l’article 102 TFUE, lu, le cas échéant, en combinaison avec l’article 106 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, points 50 et 53).
128 De la même manière, puisque les articles 101 et 102 TFUE, tout en poursuivant des objectifs distincts et en ayant un champ d’application différent, peuvent trouver à s’appliquer concomitamment à un même comportement lorsque leurs conditions d’application respectives sont réunies [voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU:C:1989:140, point 32 ; du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C 395/96 P et C 396/96 P, EU:C:2000:132, point 33, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 146], et que ces articles doivent donc être interprétés de façon cohérente, dans le respect, toutefois, des spécificités qui les caractérisent, il convient de considérer qu’un tel pouvoir est susceptible d’être regardé comme ayant pour « objet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
129 À supposer que cela ne soit pas le cas, ce pouvoir est susceptible, à tout le moins, d’être regardé comme ayant pour « effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, ainsi que la Cour l’a également déjà relevé (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, point 69).
130 Pour ces motifs, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré en substance, aux points 68 à 76 de l’arrêt attaqué, à l’instar de la Commission aux considérants 172 et 173 de la décision litigieuse, que, compte tenu du type de comportement en cause en l’espèce, à savoir une décision d’association d’entreprises conférant à cette association responsable d’une discipline sportive un pouvoir de réglementation, de contrôle et de sanction lui permettant d’autoriser ou d’empêcher l’accès des entreprises potentiellement concurrentes à un marché donné, sur lequel ladite association exerce elle-même une activité économique, l’examen de l’objet de ce comportement, plus particulièrement de sa teneur, des buts qu’il vise à atteindre ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit, devait être effectué à la lumière de la jurisprudence dégagée dans les arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE (C 49/07, EU:C:2008:376), et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C 1/12, EU:C:2013:127).
2) Sur la qualification du comportement en cause en l’espèce
131 Afin de se prononcer sur le point de savoir si une décision d’association d’entreprises conférant à cette association un pouvoir de réglementation, de contrôle et de sanction qui lui permet d’autoriser ou d’empêcher l’accès des entreprises potentiellement concurrentes à un marché donné, sur lequel ladite association exerce elle-même une activité économique, doit être considérée comme ayant pour objet ou, à défaut, pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, il est pertinent de déterminer, tout d’abord, si ce pouvoir est encadré par des critères matériels transparents, clairs et précis (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, points 84 à 86, 90, 91 et 99), permettant d’éviter qu’il puisse être utilisé de manière arbitraire. En outre, ces critères doivent, à l’évidence, avoir été édictés sous une forme accessible, préalablement à toute mise en œuvre du pouvoir qu’ils sont destinés à encadrer.
132 Au nombre de ceux-ci peuvent figurer, notamment, des critères promouvant, de façon adéquate et effective, la tenue de compétitions sportives fondées sur l’égalité des chances et le mérite.
133 Dans l’affirmative, de tels critères doivent, ensuite, être propres à assurer l’exercice non discriminatoire d’un tel pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, point 99) et, s’agissant des sanctions susceptibles d’être infligées, le caractère à la fois objectif et proportionné de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C 519/04 P, EU:C:2006:492, points 48 et 55). Pour que lesdits critères puissent être regardés, de façon générale, comme étant non discriminatoires, il est nécessaire qu’ils ne soumettent pas l’organisation et la commercialisation de compétitions tierces ainsi que la participation des athlètes à celles-ci à des exigences qui seraient soit différentes de celles qui sont applicables aux compétitions organisées et commercialisées par l’entité décisionnaire, soit identiques ou similaires mais impossibles ou excessivement difficiles à remplir en pratique par une entreprise qui n’a pas la même qualité d’association ou pas les mêmes pouvoirs que cette entité et qui se trouve, dès lors, dans une situation différente de celle-ci. S’agissant, plus particulièrement, des critères gouvernant la détermination des sanctions susceptibles d’être infligées, ils doivent, en outre, garantir que celles-ci sont déterminées, dans chaque cas concret, dans le respect du principe de proportionnalité compte tenu, notamment, de la nature, de la durée ainsi que de la gravité du manquement constaté.
134 Enfin, lesdits critères doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle effectif (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, point 99).
135 Par ailleurs, le pouvoir en question doit être encadré par des modalités procédurales transparentes et non discriminatoires, telles que celles relatives aux délais applicables à la présentation d’une demande d’autorisation préalable et à l’adoption d’une décision sur celle-ci, qui ne sont pas susceptibles de jouer au détriment des entreprises potentiellement concurrentes en les empêchant d’accéder de façon effective au marché (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, EU:C:2013:127, points 86 et 92) et, en définitive, de limiter ainsi la production.
136 Eu égard à la jurisprudence rappelée aux cinq points précédents du présent arrêt, il convient de constater, en l’espèce, premièrement, que, contrairement à ce que soutient l’ISU, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, dans le cadre de son examen de l’objet des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, en se référant à la question de savoir si ces règles étaient conçues d’une manière propre à permettre d’éviter que les pouvoirs d’autorisation préalable, de contrôle et de sanction qu’elles confèrent à cette association soient utilisés de manière arbitraire, discriminatoire ou disproportionnée.
137 En particulier, c’est sans commettre d’erreur de droit que, lors de l’examen concret du contenu desdites règles, le Tribunal a retenu, aux points 85 à 89 et 118 de l’arrêt attaqué, que celles-ci ne se justifiaient, de façon vérifiable, par aucun objectif spécifique et qu’elles n’encadraient pas le pouvoir d’appréciation dont dispose l’ISU pour autoriser ou refuser l’organisation et la mise en œuvre des projets de compétition de patinage de vitesse pouvant lui être présentés par des entités ou des entreprises tierces sur la base de critères d’autorisation transparents, objectifs, non discriminatoires et, par conséquent, contrôlables, de telle sorte que cette association devait être regardée comme jouissant d’un pouvoir discrétionnaire.
138 Il y a lieu d’ajouter que ces appréciations, qui visaient, comme il résulte des points 83 et 84 de l’arrêt attaqué, à répondre à des arguments spécifiquement présentés par l’ISU en vue de contester certaines des appréciations effectuées par la Commission dans la décision litigieuse, ne peuvent être regardées, dans leur substance, comme étant nouvelles par rapport à cette dernière. En effet, au considérant 173 de cette décision, la Commission s’est référée de manière générale à la nécessité d’assortir un pouvoir d’appréciation tel que celui dont dispose l’ISU à des obligations, à des limites et à un contrôle, avant d’indiquer plus particulièrement, aux considérants 163 et 185 de ladite décision, que tel n’était pas le cas en l’espèce, en l’absence de lien entre ce pouvoir et des objectifs spécifiques et vérifiables.
139 De même, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en retenant en substance, aux points 91 à 95 et 97 de l’arrêt attaqué, que les sanctions susceptibles d’être infligées par l’ISU aux athlètes qui participent à des compétitions de patinage de vitesse n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation préalable de sa part n’étaient pas encadrées par des critères propres à en assurer le caractère objectif et proportionné, et constituaient un élément pertinent pour déterminer si les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité avaient pour objet de restreindre la concurrence sur le marché concerné. Ces appréciations, qui visaient elles aussi, comme il résulte des points 83, 90 et 96 de l’arrêt attaqué, à répondre à des arguments présentés par l’ISU à l’appui de son recours en annulation, ne peuvent pas non plus être regardées comme portant sur des questions nouvelles par rapport à celles abordées aux considérants 162, 163, 166 et 186 de la décision litigieuse.
140 Deuxièmement, tout en se référant, de la manière qui vient d’être rappelée, à la jurisprudence citée aux points 125 à 128 du présent arrêt, le Tribunal a inscrit ses appréciations à ce sujet dans le cadre d’un raisonnement juridique d’ensemble ayant pour finalité de déterminer, conformément à la jurisprudence constante citée aux points 105 à 108 de cet arrêt et ainsi qu’il ressort, en particulier, des points 68, 76, 80 et 120 de l’arrêt attaqué, si la Commission avait conclu à juste titre que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité devaient être considérées, compte tenu de leur teneur, des buts qu’elles visent à atteindre ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’inscrivent, comme ayant pour objet de restreindre la concurrence en raison du degré suffisant de nocivité qu’elles présentent à l’égard de celle-ci.
141 Or, l’ISU ne conteste pas le bien-fondé de ce raisonnement juridique d’ensemble.
142 En effet, elle se limite, tout d’abord, à soutenir que certains des éléments qui ont été pris en considération dans le cadre dudit raisonnement, comme le caractère discrétionnaire du pouvoir d’autorisation préalable que lui confèrent les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, le caractère disproportionné des sanctions que ces règles lui permettent d’infliger aux athlètes participant à des compétitions de patinage de vitesse non autorisées ou encore la circonstance que lesdites règles se référaient, à tout le moins jusqu’à l’année 2014, à un but consistant à assurer la protection des intérêts économiques de l’ISU, ne sont pas suffisants, pris isolément, pour justifier la conclusion de cette juridiction selon laquelle ces règles ont été considérées à juste titre comme ayant pour objet de restreindre la concurrence. Toutefois, une telle argumentation n’est pas de nature à remettre en cause cette conclusion, dès lors que celle-ci se fonde sur une évaluation d’ensemble.
143 Ensuite, l’ISU soutient, en substance, que cette conclusion est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle s’appuie, en définitive, sur la possibilité ou le risque, inhérent au contenu et à l’économie mêmes des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, que celles-ci puissent être utilisées à des fins anticoncurrentielles consistant à empêcher les entités ou les entreprises susceptibles de concurrencer cette association d’accéder au marché concerné ainsi qu’à favoriser les compétitions organisées par cette dernière.
144 Cependant, une telle conclusion, telle que formulée aux points 95, 118 et 119 de l’arrêt attaqué, est conforme à la jurisprudence de la Cour. En effet, bien qu’il résulte de cette jurisprudence qu’il est loisible à une association sportive telle que l’ISU d’adopter, d’appliquer ainsi que de faire respecter, au moyen de sanctions, des règles relatives à l’organisation et au déroulement des compétitions internationales dans la discipline sportive concernée (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2000, Deliège, C 51/96 et C 191/97, EU:C:2000:199, points 67 et 68 ; du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C 519/04 P, EU:C:2006:492, point 44, ainsi que du 13 juin 2019, TopFit et Biffi, C 22/18, EU:C:2019:497, point 60), ces considérations ne permettent en aucun cas de considérer comme étant légitimes des règles qui, comme les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, ne sont pas assorties de limites, d’obligations et d’un contrôle appropriés.
145 Au contraire, de telles règles doivent être regardées, à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 125 à 128 du présent arrêt, comme ayant pour objet de restreindre la concurrence. En effet, elles donnent à l’entité qui les a adoptées et qui est habilitée à les mettre en œuvre le pouvoir d’autoriser, de contrôler ou de conditionner l’accès au marché de toute entreprise potentiellement concurrente, et de déterminer aussi bien le degré de concurrence qui peut exister sur ce marché que les conditions dans lesquelles cette éventuelle concurrence peut trouver à s’exercer.
146 À ce titre, lesdites règles sont de nature à permettre, sinon d’exclure du marché toute entreprise concurrente, même aussi efficace, du moins de limiter la conception et la commercialisation de compétitions alternatives ou nouvelles par leur format ou leur contenu. Ce faisant, elles sont, en outre, de nature à priver les athlètes de toute possibilité de participer à ces compétitions, alors même que celles-ci pourraient présenter un intérêt pour eux, par exemple du fait d’un format innovant, tout en respectant l’intégralité des principes, des valeurs et des règles du jeu qui sous-tendent la discipline sportive concernée. Elles sont, en définitive, de nature à priver les spectateurs et les téléspectateurs de toute possibilité de se voir proposer d’assister auxdites compétitions ou d’en regarder la diffusion.
147 Enfin, l’ISU conteste, en substance, le rejet sommaire ou sans examen, par le Tribunal, de ses différents arguments et éléments de preuve relatifs à l’intention qui l’a conduite à adopter les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité (point 121 de l’arrêt attaqué) ainsi qu’à l’application et aux effets de ces règles sur le marché concerné et sur le marché connexe du patinage artistique (points 115 à 117 de l’arrêt attaqué). Cependant, cette argumentation doit être rejetée compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 98, 99, 106 et 107 du présent arrêt.
148 Ainsi, c’est sans commettre d’erreur de droit ou de qualification juridique des faits que le Tribunal a estimé que la Commission avait qualifié à juste titre les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité de comportement ayant pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait que, comme le soutient par ailleurs l’ISU, cette juridiction a examiné de façon conjointe, notamment aux points 101 à 104 et 108 de l’arrêt attaqué, la question distincte de savoir si ces règles pouvaient néanmoins être considérées, à la lumière de la jurisprudence citée au point 111 du présent arrêt, comme ne relevant pas du champ d’application de cette disposition, alors que cette jurisprudence est dépourvue de pertinence en présence de comportements ayant pour objet de restreindre la concurrence, ainsi qu’il résulte des points 113 et 114 de cet arrêt, est, en tout état de cause, sans incidence sur le bien-fondé du raisonnement rappelé au point 140 dudit arrêt.
149 Par suite, le premier moyen doit être rejeté.
B. Sur le second moyen
1. Argumentation des parties
150 Par son second moyen, l’ISU reproche au Tribunal de n’avoir pas correctement compris et examiné le quatrième moyen d’annulation ainsi que les éléments de preuve présentés à l’appui de celui-ci, en méconnaissance de son office au titre de l’article 263 TFUE.
151 À cet égard, elle expose, premièrement, que ce moyen d’annulation avait un objet précis et limité consistant à soutenir que son refus d’autoriser le projet de compétition internationale destinée à se tenir à Dubaï et qui lui avait été présenté par un organisateur tiers ne relevait pas du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, étant donné que ce refus poursuivait un objectif légitime consistant à faire respecter l’interdiction des paris énoncée dans son code d’éthique et ne pouvait pas être considéré comme ayant été motivé par l’intention d’exclure un concurrent potentiel du marché du patinage de vitesse sur glace, comme la Commission l’a retenu dans la décision litigieuse.
152 Deuxièmement, l’ISU soutient que le Tribunal a modifié la portée dudit moyen d’annulation en estimant, au point 99 de l’arrêt attaqué, qu’il impliquait de trancher la question générale de savoir si les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité étaient justifiées par un objectif consistant à protéger l’intégrité des disciplines sportives relevant de l’ISU.
153 Troisièmement, l’ISU fait grief au Tribunal d’avoir, dans le même temps, admis, au point 102 de l’arrêt attaqué, qu’elle était en droit d’établir des règles visant à empêcher que les paris viennent fausser les compétitions internationales de patinage et refusé, au point 127 de cet arrêt, de se prononcer sur la légalité, au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de l’application de ces règles au projet de compétition internationale mentionné dans la décision litigieuse, au motif que cette application n’avait pas été qualifiée en tant que telle d’infraction par la Commission, mais seulement mentionnée pour illustrer la façon dont lesdites règles pouvaient être appliquées en pratique. En effet, il ressortirait clairement des considérants et du dispositif de cette décision que l’application des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité au projet en question a été qualifiée d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au même titre que leur adoption, et que cette qualification juridique a été retenue par la Commission au terme d’un examen ayant porté à titre principal, voire exclusif, sur le refus de l’ISU d’autoriser ledit projet. Dans ces conditions, le Tribunal aurait été tenu d’examiner l’ensemble des arguments et des éléments de preuve qui lui avaient été présentés par l’ISU en vue de contester une telle qualification et d’établir le caractère justifié de son comportement, ce que cette juridiction se serait toutefois abstenue de faire.
154 La Commission, soutenue par MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que par EU Athletes, conteste l’ensemble de ces arguments.
2. Appréciation de la Cour
155 Il convient de constater, d’emblée, que, à supposer même que le Tribunal se soit mépris sur la portée du quatrième moyen d’annulation soulevé par l’ISU, en considérant à tort qu’il était saisi de la question générale de savoir si les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité étaient justifiées par un objectif légitime et non pas de la question spécifique de savoir si l’application de ces règles au projet de compétition internationale de patinage de vitesse auquel se réfère cette association était justifiée par un tel objectif légitime, le présent moyen est, en tout état de cause, inopérant.
156 En effet, ainsi qu’il résulte des développements précédents du présent arrêt, c’est à juste titre que le Tribunal a confirmé le bien-fondé de l’appréciation de la Commission selon laquelle les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, considérées en tant que telles et donc indépendamment de leur application au cas par cas, avaient pour objet de restreindre la concurrence. En outre, l’existence d’un éventuel objectif légitime, à la supposer établie, ne revêt aucune pertinence dans ce contexte, comme il résulte des points 107, 113 et 114 de cet arrêt.
157 Dès lors, les deux moyens du pourvoi ayant été écartés, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.
IV. Sur le pourvoi incident
158 À l’appui de leur pourvoi incident, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes invoquent deux moyens tirés, en substance, d’erreurs de droit dans l’interprétation et l’application en l’espèce de l’article 101 TFUE.
A. Sur le premier moyen
1. Argumentation des parties
159 Par leur premier moyen, qui comporte deux branches, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes, soutenus par la Commission, font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit en estimant que les règles d’arbitrage instituées par l’ISU ne pouvaient pas être considérées comme renforçant l’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, visée à l’article 1er de la décision litigieuse.
160 Par la première branche de ce moyen, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes font valoir que la considération du Tribunal selon laquelle les règles d’arbitrage pouvaient être justifiées par un intérêt légitime lié à la spécificité du sport est entachée d’erreurs de droit.
161 À cet égard, ils énoncent, en premier lieu, qu’il découle de ces règles que les athlètes qui sont frappés d’une décision d’inéligibilité adoptée par l’ISU sont tenus de porter, à titre exclusif, leur différend avec cette association devant le TAS. Ils indiquent aussi que ces athlètes sont tenus d’accepter l’ensemble des règles adoptées par l’ISU, dont celles instituant un tel mécanisme de règlement arbitral des différends, pour pouvoir être autorisés à participer aux compétitions internationales de patinage sur glace organisées par cette association ou par les associations nationales de patinage membres de celle-ci.
162 En deuxième lieu, ils observent que le TAS est un organe arbitral établi en dehors de l’Union, dont les membres sont nommés par les associations sportives internationales telles que l’ISU ou, en pratique, soumis à l’influence déterminante de ces associations, et que les sentences émanant de cet organe peuvent exclusivement faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral (Suisse), dont le contrôle se limite à la vérification du respect de l’ordre public au sens défini par cette juridiction, lequel exclut les règles de concurrence de l’Union.
163 Ils ajoutent que, si les juridictions nationales de l’Union conservent théoriquement un rôle dans le cadre de l’exécution de ces sentences, le contrôle juridictionnel qu’elles peuvent exercer sur celles-ci dans un tel contexte est, premièrement, morcelé et donc coûteux (dans la mesure où un athlète doit contester l’exécution de la sentence le concernant dans chacun des États membres où il entend participer à une compétition), deuxièmement, tardif et même inefficace (dans la mesure où la décision de justice qui est sollicitée intervient généralement après la tenue de cette compétition et où l’athlète a l’interdiction de demander des mesures conservatoires dans l’intervalle), troisièmement, limité voire marginal (dans la mesure où une sentence ne peut être considérée comme étant contraire à l’ordre public de l’Union qu’en cas de violation flagrante, effective et concrète des règles de concurrence) et, quatrièmement et en tout état de cause, dépourvu de portée réelle (dans la mesure où l’ISU dispose du pouvoir d’exécuter elle-même ou de faire exécuter par ses membres une sentence relative à un athlète donné, en interdisant toute participation de celui-ci aux compétitions internationales qu’elle ou ils organisent).
164 En troisième et dernier lieu, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes estiment que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant, au point 156 de l’arrêt attaqué, que le mécanisme institué par les règles d’arbitrage « pouvai[t] se justifier par un intérêt légitime tenant à la spécificité du sport ».
165 En effet, cette juridiction se serait, en substance, fondée de façon globale et abstraite sur le caractère spécifique du sport dans sa généralité, alors que les règles qui sont en cause en l’espèce s’appliquent dans le contexte concret de l’exercice du patinage de vitesse sur glace en tant qu’activité économique. Or, le recours obligatoire et exclusif à l’arbitrage ne pourrait pas se justifier de la même manière dans les deux cas. En outre, le raisonnement du Tribunal serait d’autant plus problématique que, à la différence des juridictions nationales ou de l’Union, un organe arbitral extérieur au système juridictionnel de l’Union, tel que le TAS, n’a pas l’obligation de veiller au respect des règles de concurrence de l’Union, que le TAS interpréterait et appliquerait, au demeurant, de manière notoirement erronée.
166 La Commission, qui soutient l’ensemble de ces arguments, fait valoir, plus globalement, que le raisonnement du Tribunal fait abstraction des modalités concrètes du mécanisme d’arbitrage mis en place par l’ISU. En particulier, à la différence d’un mécanisme d’arbitrage conventionnel librement convenu entre les parties, les règles d’arbitrage instituées par l’ISU seraient, en pratique, imposées aux athlètes de façon unilatérale, à titre exclusif et sous peine d’une interdiction de participation aux compétitions organisées par l’ISU, interdiction qui s’apparenterait, en définitive, à une impossibilité pour les intéressés d’exercer leur profession.
167 Par la seconde branche de leur moyen, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit en retenant en substance, aux points 157 à 164 de l’arrêt attaqué, que les règles d’arbitrage n’étaient susceptibles ni de porter atteinte à l’effectivité des règles de concurrence de l’Union ni de rendre plus difficile l’exercice de leur droit à une protection juridictionnelle effective par les athlètes frappés de décisions d’inéligibilité adoptées pour des motifs anticoncurrentiels, de telle sorte que ces règles ne pouvaient être considérées comme renforçant l’infraction caractérisée à l’article 1er de la décision litigieuse.
168 À cet égard, en premier lieu, ils rappellent que le TAS est un organe arbitral extérieur à l’ordre juridique de l’Union, avant d’ajouter que l’indépendance et l’impartialité réelles de celui-ci par rapport aux associations sportives internationales comme l’ISU sont contestables. Ils exposent aussi que les sentences du TAS ne peuvent faire l’objet que d’un contrôle juridictionnel marginal excluant toute prise en compte des règles de concurrence de l’Union, devant une juridiction qui, de surcroît, n’est pas habilitée à poser des questions préjudicielles à la Cour. En outre, ils réitèrent que les règles d’arbitrage sont, en réalité, imposées unilatéralement aux athlètes.
169 Compte tenu de ces éléments, ils estiment que ces règles auraient dû être considérées par le Tribunal comme étant de nature à compromettre le respect effectif des articles 101 et 102 TFUE ainsi qu’à rendre plus difficile l’exercice par les athlètes de leur droit à une protection juridictionnelle effective, renforçant, à ce titre, l’infraction caractérisée à l’article 1er de la décision litigieuse.
170 En deuxième lieu, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes reprochent au Tribunal d’avoir relativisé l’incidence desdites règles sur le droit à une protection juridictionnelle effective des athlètes, en se référant à la possibilité qu’ont ceux-ci d’introduire des actions en réparation devant les juridictions nationales compétentes dans le cas où ils ont été frappés d’une décision d’inéligibilité adoptée pour des motifs anticoncurrentiels. En effet, bien que de telles actions puissent contribuer à assurer la protection juridictionnelle ex post des particuliers lésés par une violation des règles de concurrence ainsi qu’à renforcer l’effectivité de ces règles (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C 453/99, EU:C:2001:465, ainsi que du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C 724/17, EU:C:2019:204), elles ne pourraient pallier l’absence de voie de recours permettant à ceux-ci d’obtenir un remède effectif ex ante.
171 En outre, en l’espèce, il serait évident que ce remède consiste au premier chef, pour un patineur ayant fait l’objet d’une décision d’inéligibilité adoptée pour des motifs anticoncurrentiels, à obtenir en temps utile l’annulation de celle-ci ainsi que la possibilité corrélative de reprendre son activité professionnelle, et non pas seulement à se voir accorder plusieurs années après une indemnité ayant pour but de compenser l’interdiction illégale d’exercer cette activité et la perte de carrière ainsi que de revenus correspondante. Il en irait d’autant plus ainsi que le règlement de procédure du TAS interdit aux demandeurs de solliciter des mesures conservatoires et que plusieurs juridictions nationales ont déjà rejeté des demandes de réparation au motif que celles-ci devaient être considérées comme relevant de la compétence exclusive attribuée à cet organe en vertu des règles d’arbitrage.
172 En troisième et dernier lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de raisonnement analogue en jugeant que la possibilité dont disposent des athlètes visés par une décision d’inéligibilité adoptée pour des motifs anticoncurrentiels de porter plainte devant la Commission et les autorités nationales de concurrence (ci-après les « ANC ») est satisfaisante. En effet, il résulterait de la jurisprudence constante que celles-ci disposent d’une large marge d’appréciation dans le traitement des plaintes qui leur parviennent et qu’elles ne peuvent donc être contraintes d’y donner suite en qualifiant les faits dénoncés au regard des règles de concurrence (arrêts du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125/78, EU:C:1979:237, et du 19 septembre 2013, EFIM/Commission, C 56/12 P, EU:C:2013:575).
173 La Commission soutient l’ensemble de ces arguments et ajoute que le Tribunal a également commis, au point 148 de l’arrêt attaqué, une erreur évidente de compréhension de la décision litigieuse, en considérant que le raisonnement figurant dans celle-ci avait consisté à qualifier les règles d’arbitrage de « circonstance aggravante » au sens donné à cette expression dans le contexte de la détermination des amendes qui peuvent être infligées en présence d’une infraction aux articles 101 et 102 TFUE. En effet, indépendamment du fait qu’aucune amende n’a été imposée en l’espèce à l’ISU, la Commission souligne qu’elle s’est bornée, dans le cadre de son examen au fond, à indiquer que ces règles renforçaient la restriction de la concurrence par objet découlant des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, en confortant la possibilité que ces règles donnent à cette association d’exclure toute concurrence effective sur le marché de l’organisation et de la commercialisation des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace.
174 En réponse, l’ISU, qui traite conjointement les deux branches du moyen, soutient, en premier lieu, que celui-ci est inopérant. En effet, ainsi que le Tribunal l’aurait constaté aux points 132 et 137 de l’arrêt attaqué, la Commission se serait limitée, dans la décision litigieuse, à se prononcer à titre surabondant sur les règles d’arbitrage.
175 En deuxième lieu, l’ISU fait valoir, subsidiairement, que le moyen doit être rejeté comme étant irrecevable en ce qu’il modifie l’objet du litige devant le Tribunal. En effet, ni ce litige ni la décision litigieuse n’auraient porté sur la légitimité même de l’attribution d’une compétence exclusive au TAS. À tout le moins, certains des arguments invoqués à l’appui de ce moyen devraient être rejetés comme irrecevables, soit parce qu’ils seraient nouveaux (comme ceux relatifs à la distinction à opérer entre les aspects économiques et non économiques du sport, à l’indépendance du TAS ou encore aux modalités de contrôle des sentences du TAS par le Tribunal fédéral), soit parce qu’ils se limiteraient à reproduire des éléments figurant dans la décision litigieuse ou dans les mémoires de première instance sans expliquer en quoi le Tribunal aurait commis des erreurs de droit ou dénaturé les faits dans l’arrêt attaqué (comme ceux relatifs au caractère insuffisant, au regard du droit à une protection juridictionnelle effective, de la possibilité qu’ont les athlètes d’introduire des actions en réparation devant les juridictions nationales ou de soumettre des plaintes à la Commission ou aux ANC).
176 En troisième et dernier lieu, l’ISU soutient que le moyen est, en tout état de cause, non fondé. En effet, tant la Commission, dans la décision litigieuse, que le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, auraient reconnu à juste titre que le recours à un mécanisme d’arbitrage obligatoire et exclusif constituait un mécanisme généralement accepté de règlement des différends et qu’il pouvait en l’espèce être justifié au regard de la nécessité de garantir l’application uniforme et efficace des règles instituées par l’ISU à l’ensemble des athlètes pratiquant le patinage sur glace.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité et le caractère opérant du moyen
177 Un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir des moyens nés de l’arrêt contesté lui-même et visant à critiquer le bien-fondé juridique de celui-ci (arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C 176/06 P, EU:C:2007:730, point 17, ainsi que du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C 638/19 P, EU:C:2022:50, point 77).
178 En l’espèce, les auteurs du pourvoi incident visent, par leur premier moyen, à remettre en cause le bien-fondé juridique des motifs par lesquels le Tribunal a estimé, aux points 154 et 156 à 164 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait commis des erreurs de droit en retenant que les règles d’arbitrage renforçaient la restriction de la concurrence par « objet » engendrée par les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
179 Par ailleurs, les motifs de l’arrêt attaqué qui sont visés par ce premier moyen du pourvoi incident sont ceux qui ont conduit le Tribunal a accueillir le sixième moyen et, pour partie, le septième moyen soulevés en première instance. Dès lors, ces motifs constituent, comme il ressort des points 171 à 174 et 180 de cet arrêt, le soutien du dispositif de ce dernier en ce qu’il a annulé partiellement l’article 2 de la décision litigieuse, en tant que cet article vise les règles d’arbitrage. Par conséquent, et contrairement à ce qu’allègue l’ISU, ledit moyen n’est pas inopérant.
180 Cela étant, la compétence de la Cour sur pourvoi n’en est pas moins limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant le Tribunal, de sorte que celle-ci ne saurait statuer, dans ce cadre, sur des moyens ou des arguments qui n’ont pas été soumis au premier juge (voir, en ce sens, arrêts du 30 mars 2000, VBA/VGB e.a., C 266/97 P, EU:C:2000:171, point 79, ainsi que du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C 638/19 P, EU:C:2022:50, point 80).
181 Or, en l’espèce, c’est à juste titre que l’ISU fait valoir que les arguments que les auteurs du pourvoi incident consacrent aux conséquences juridiques qui pourraient découler d’un éventuel manque d’indépendance du TAS ne font partie ni de ceux qui ont été soumis au Tribunal ni, d’ailleurs, de ceux sur lesquels la Commission s’était prononcée dans la décision litigieuse.
182 Dès lors, ces arguments doivent être rejetés comme étant irrecevables.
183 Sont, en revanche, recevables les autres arguments dont l’ISU conteste la recevabilité, qui se rapportent tous à des considérants de la décision litigieuse sur lesquels les parties se sont opposées en première instance et que les auteurs du pourvoi incident et la Commission reprochent au Tribunal de n’avoir pas ou pas correctement pris en compte lorsqu’il s’est prononcé sur le moyen de cette association relatif aux règles d’arbitrage.
b) Sur le fond
184 En premier lieu, il convient de rappeler que, aux considérants 268 à 286 de la décision litigieuse, et plus particulièrement aux considérants 269 à 271, 277 et 281 à 283 de celle-ci, la Commission a estimé que les règles d’arbitrage, bien que n’étant pas en elles-mêmes constitutives d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, devaient cependant être considérées, compte tenu de leur teneur, de leurs conditions de mise en œuvre et de leur portée, dans le contexte juridique et économique qui est le leur, comme renforçant l’infraction dont cette institution avait précédemment constaté l’existence. Plus précisément, la Commission a retenu dans ces considérants, en substance, que, en rendant plus difficile le contrôle juridictionnel, au regard du droit de la concurrence de l’Union, des sentences arbitrales par lesquelles le TAS se prononce sur la validité des décisions qui ont été adoptées par l’ISU en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, les règles d’arbitrage renforçaient la violation du droit de l’Union qui est inhérente à l’existence de tels pouvoirs. En particulier, la Commission a relevé que ce contrôle juridictionnel était confié à une juridiction établie dans un État tiers, donc extérieure à l’Union ainsi qu’à son ordre juridique, et que, selon la jurisprudence émanant de cette juridiction, de telles sentences ne pouvaient pas être contrôlées au regard des règles de concurrence de l’Union. Ce faisant, cette institution a, en définitive, critiqué non pas l’existence, l’organisation ou le fonctionnement de l’organe arbitral qu’est le TAS, mais l’immunité juridictionnelle dont l’ISU bénéficie selon elle, au regard du droit de la concurrence de l’Union, dans l’exercice de ses pouvoirs de décision et de sanction, au détriment des personnes que l’absence d’encadrement de ces pouvoirs et le caractère discrétionnaire qui en découlent lui permettent d’affecter.
185 En second lieu, les motifs ayant conduit le Tribunal à considérer que ce raisonnement de la Commission était entaché d’erreurs de droit sont, en substance, au nombre de quatre. Premièrement, cette juridiction a relevé que la Commission n’avait ni mis en cause la possibilité même de recourir à l’arbitrage pour régler certains différends ni considéré que la conclusion d’une clause d’arbitrage restreignait, en soi, la concurrence (point 154 de l’arrêt attaqué). Deuxièmement, elle a énoncé que la Commission n’avait pas non plus retenu que les règles d’arbitrage méconnaissaient le droit à un procès équitable en tant que tel (point 155 de cet arrêt). Troisièmement, elle a estimé que, en conférant une compétence obligatoire et exclusive au TAS pour contrôler les décisions adoptées par l’ISU en vertu de ses pouvoirs d’autorisation préalable et de sanction, les règles d’arbitrage pouvaient se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport, consistant à permettre à une juridiction unique et spécialisée de se prononcer, de manière rapide, économique et uniforme, sur la multiplicité de litiges, souvent empreints d’une dimension internationale, à laquelle peut donner lieu l’exercice d’une activité sportive professionnelle de haut niveau (point 156 dudit arrêt). Quatrièmement, le Tribunal a souligné qu’il demeurait loisible aux athlètes et aux entités ou entreprises qui projettent d’organiser des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace concurrentes de celles qu’organise l’ISU de saisir non seulement les juridictions nationales d’actions en réparation, mais également la Commission et les ANC de plaintes pour violation des règles de concurrence (points 157 à 161 du même arrêt).
186 Il convient d’observer que les deux premiers de ces motifs, qui ne sont pas contestés devant la Cour, ne sont pas susceptibles de fonder le constat d’annulation partielle de la décision litigieuse auquel le Tribunal est parvenu dès lors qu’ils ne portent pas sur les appréciations qui ont conduit la Commission à mettre en cause les règles d’arbitrage et qu’ils ne sont donc pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces appréciations.
187 En revanche, c’est à juste titre que les auteurs du pourvoi incident et la Commission soutiennent que le troisième et le quatrième desdits motifs sont erronés en droit.
188 En effet, premièrement, l’appréciation générale et indifférenciée selon laquelle les règles d’arbitrage peuvent se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport, en ce qu’elles confèrent au TAS une compétence obligatoire et exclusive pour contrôler les décisions que l’ISU peut adopter en vertu de ses pouvoirs d’autorisation préalable et de sanction, fait abstraction, comme le soutiennent en substance les auteurs du pourvoi incident et la Commission, des exigences qui doivent être respectées pour qu’un mécanisme d’arbitrage tel que celui en cause en l’espèce puisse être considéré, d’une part, comme permettant d’assurer le respect effectif des dispositions d’ordre public que comporte le droit de l’Union et, d’autre part, comme étant compatible avec les principes qui structurent l’architecture juridictionnelle de l’Union.
189 À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi qu’il est constant entre les parties et que le Tribunal l’a indiqué aux points 156, 159 et 160 de l’arrêt attaqué, les règles d’arbitrage imposées par l’ISU visent, notamment, deux types de différends qui sont susceptibles de survenir dans le cadre d’activités économiques consistant, l’une, à vouloir organiser et commercialiser des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace et, l’autre, à vouloir participer, en tant qu’athlète professionnel, à de telles compétitions. Ces règles s’appliquent donc à des litiges portant sur l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique et relèvent, à ce titre, du droit de la concurrence de l’Union. Partant, lesdites règles doivent respecter celui-ci, pour les raisons énoncées aux points 91 à 96 du présent arrêt, dans la mesure où elles sont mises en œuvre sur le territoire auquel les traités UE et FUE s’appliquent, indépendamment du lieu où les entités qui les ont adoptées sont établies (arrêts du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11 ; du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, point 16, ainsi que du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 43 à 45).
190 C’est, par conséquent, uniquement la mise en œuvre de telles règles dans le contexte de tels litiges et sur le territoire de l’Union qui est en cause en l’espèce et non pas la mise en œuvre de ces règles sur un territoire autre que celui de l’Union, leur mise en œuvre dans le cadre d’autres types de litiges, tels que des litiges intéressant uniquement le sport en tant que tel et ne relevant donc pas du droit de l’Union ou, à plus forte raison, la mise en œuvre de règles d’arbitrage dans des domaines différents.
191 Par ailleurs, comme cela découle des points 181 et 184 du présent arrêt, lesdites règles sont en cause en l’espèce non pas en tant qu’elles soumettent le contrôle en premier ressort des décisions rendues par l’ISU à l’organe arbitral qu’est le TAS, mais seulement en ce qu’elles soumettent le contrôle des sentences arbitrales rendues par le TAS et le contrôle en dernier ressort des décisions de l’ISU au Tribunal fédéral, à savoir une juridiction d’un État tiers.
192 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que les articles 101 et 102 TFUE sont des dispositions d’effet direct qui engendrent des droits dans le chef des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêts du 30 janvier 1974, BRT et Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs, 127/73, EU:C:1974:6, point 16, ainsi que du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C 724/17, EU:C:2019:204, point 24), et qui relèvent de l’ordre public de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss, C 126/97, EU:C:1999:269, points 36 et 39).
193 C’est pourquoi, tout en relevant qu’un particulier a la possibilité de souscrire une convention qui soumet, dans des termes clairs et précis, tout ou partie des litiges liés à celle-ci à un organe arbitral, en lieu et place de la juridiction nationale qui aurait été compétente pour se prononcer sur ces litiges en vertu des règles de droit interne applicables, et que les exigences tenant à l’efficacité de la procédure arbitrale peuvent justifier que le contrôle juridictionnel des sentences arbitrales revête un caractère limité (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C 126/97, EU:C:1999:269, point 35, et du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C 168/05, EU:C:2006:675, point 34), la Cour n’en a pas moins rappelé qu’un tel contrôle juridictionnel doit, en tout état de cause, pouvoir porter sur la question de savoir si ces sentences respectent les dispositions fondamentales qui relèvent de l’ordre public de l’Union, dont font partie les articles 101 et 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss, C 126/97, EU:C:1999:269, point 37). Une même exigence s’impose à plus forte raison quand un tel mécanisme d’arbitrage doit être considéré comme étant, en pratique, imposé par un sujet de droit privé, tel qu’une association sportive internationale, à un autre, tel qu’un athlète.
194 En effet, en l’absence d’un tel contrôle juridictionnel, le recours à un mécanisme d’arbitrage serait de nature à porter atteinte à la protection des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union et au respect effectif des articles 101 et 102 TFUE, tels que ceux-ci doivent être assurés – et seraient donc assurés en l’absence d’un tel mécanisme – par les règles nationales relatives aux voies de recours.
195 Le respect de cette exigence d’un contrôle juridictionnel effectif vaut tout particulièrement pour des règles d’arbitrage comme celles imposées par l’ISU.
196 En effet, la Cour a déjà relevé que, tout en disposant d’une autonomie juridique leur permettant d’adopter des règles relatives, notamment, à l’organisation des compétitions, à leur bon déroulement et à la participation des sportifs à celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2000, Deliège, C 51/96 et C 191/97, EU:C:2000:199, points 67 et 68, ainsi que du 13 juin 2019, TopFit et Biffi, C 22/18, EU:C:2019:497, point 60), des associations sportives ne sauraient, ce faisant, limiter l’exercice des droits et des libertés que le droit de l’Union confère aux particuliers (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C 415/93, EU:C:1995:463, points 81 et 83, ainsi que du 13 juin 2019, TopFit et Biffi, C 22/18, EU:C:2019:497, point 52), parmi lesquels figurent les droits qu’engendrent les articles 101 et 102 TFUE.
197 Pour cette raison, des règles telles que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité doivent être assorties d’un contrôle juridictionnel effectif, comme il découle des points 127 et 134 du présent arrêt.
198 Cette exigence de contrôle juridictionnel effectif implique que, dans le cas où de telles règles sont assorties de dispositions conférant une compétence obligatoire et exclusive à un organe arbitral, la juridiction qui est compétente pour contrôler les sentences rendues par cet organe puisse vérifier que ces sentences respectent les articles 101 et 102 TFUE. En outre, elle implique que cette juridiction réponde à l’ensemble des exigences requises à l’article 267 TFUE, de manière à pouvoir ou, le cas échéant, à devoir saisir la Cour lorsqu’elle estime qu’une décision de celle-ci est nécessaire sur une question de droit de l’Union qui est soulevée dans une affaire pendante devant elle (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 1982, Nordsee, 102/81, EU:C:1982:107, points 14 et 15, ainsi que du 1er juin 1999, Eco Swiss, C 126/97, EU:C:1999:269, point 40).
199 Ainsi, en se limitant à considérer, de façon indifférenciée et abstraite, que les règles d’arbitrage « peuvent se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport » en ce qu’elles confient le contrôle des différends liés à la mise en œuvre des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité à une « juridiction spécialisée », sans chercher à s’assurer que ces règles d’arbitrage étaient conformes à l’ensemble des exigences mentionnées aux points précédents du présent arrêt et permettaient ainsi un contrôle effectif du respect des règles de concurrence de l’Union, alors même que la Commission s’était appuyée à bon droit sur ces exigences, aux considérants 270 à 277, 282 et 283 de la décision litigieuse, pour fonder sa conclusion selon laquelle lesdites règles renforçaient l’infraction caractérisée à l’article 1er de cette décision, le Tribunal a commis des erreurs de droit.
200 Deuxièmement, cette juridiction a également commis des erreurs de droit en jugeant, aux points 157 à 161 de l’arrêt attaqué, que la pleine efficacité du droit de la concurrence de l’Union était assurée compte tenu, d’une part, de l’existence de voies de recours permettant aux personnes destinataires d’une décision de refus d’autorisation d’une compétition ou d’une décision d’inéligibilité de demander la réparation du préjudice que leur a causé celle-ci devant les juridictions nationales compétentes et, d’autre part, de la possibilité de déposer une plainte devant la Commission ou une ANC.
201 En effet, pour essentielle qu’elle soit (voir, à cet égard, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C 453/99, EU:C:2001:465, points 26 et 27, ainsi que du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C 724/17, EU:C:2019:204, points 25, 43 et 44), la circonstance qu’une personne dispose de la possibilité de demander réparation du dommage que lui a causé un comportement susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ne saurait pallier l’absence de voie de recours permettant à cette personne de s’adresser à la juridiction nationale compétente en vue d’obtenir, le cas échéant après l’octroi de mesures conservatoires, la cessation de ce comportement ou, lorsque celui-ci est constitué par un acte, le contrôle et l’annulation de cet acte, le cas échéant à l’issue d’une procédure préalable d’arbitrage menée en application d’une convention prévoyant la mise en œuvre de celle-ci. Il en va d’autant plus ainsi dans le cas de personnes exerçant l’activité de sportif professionnel, dont la carrière peut être relativement brève, en particulier lorsqu’elle s’exerce à un haut niveau.
202 En outre, cette circonstance ne saurait justifier que, tout en étant formellement préservé, ce droit soit, en pratique, privé d’une partie essentielle de sa portée, comme ce serait le cas si le contrôle juridictionnel qui peut être exercé sur le comportement ou l’acte en cause s’avérait excessivement limité en droit ou en fait, en particulier parce qu’il ne peut porter sur les dispositions d’ordre public du droit de l’Union.
203 À plus forte raison, la possibilité de déposer une plainte devant la Commission ou devant une ANC ne saurait être invoquée pour justifier l’absence d’une voie de recours telle que celle visée au point 201 du présent arrêt. Il convient, au demeurant, de rappeler, s’agissant de la Commission, que, comme cette institution et les auteurs du pourvoi incident le relèvent à juste titre, l’article 7 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), ne confère pas à l’auteur d’une demande présentée à celle-ci en vertu de cet article le droit d’exiger une décision définitive quant à l’existence ou à l’inexistence de l’infraction qu’il allègue (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2013, EFIM/Commission, C 56/12 P, EU:C:2013:575, point 57 et jurisprudence citée).
204 Partant, le premier moyen est fondé dans son intégralité. En conséquence, l’arrêt attaqué doit être annulé en ce qu’il a partiellement annulé l’article 2 de la décision litigieuse, en tant que cet article vise les règles d’arbitrage.
B. Sur le second moyen
1. Argumentation des parties
205 Par leur second moyen, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes, soutenus par la Commission, font valoir que le Tribunal a erronément refusé de prendre en compte, aux fins de la caractérisation d’une restriction de la concurrence par objet en l’espèce, la circonstance que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité avaient pour but, notamment, d’assurer la protection des intérêts économiques de l’ISU.
206 À cet égard, ils considèrent, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits au point 107 de l’arrêt attaqué, en refusant d’admettre que ce but ressortait de ces règles aussi bien dans leur version adoptée au cours de l’année 2014 que dans celle adoptée au cours de l’année 2016.
207 En second lieu, ils estiment que le Tribunal a commis une erreur de qualification juridique des faits, aux points 107 et 109 de l’arrêt attaqué, en jugeant qu’un tel but ne présentait pas, en lui-même, un caractère anticoncurrentiel. En effet, bien qu’il soit généralement admissible, pour une entreprise ou pour une association d’entreprises exerçant une activité économique, de promouvoir ses propres intérêts économiques, cette juridiction aurait omis de tirer les conséquences de ses propres constatations et appréciations relatives au contexte juridique et économique pertinent, notamment celles faites aux points 70 et 114 de l’arrêt attaqué, dont il découlait que l’ISU cumulait l’exercice d’une activité économique monopolistique sur le marché de l’organisation et de la commercialisation des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace avec la détention d’un pouvoir de réglementation, de décision, de contrôle et de sanction qui la plaçait dans une situation de conflit d’intérêts nécessitant la mise en place d’obligations, de limites et d’un contrôle appropriés. Il aurait incombé au Tribunal de tenir compte de cette situation en jugeant que, compte tenu de celle-ci, le but en cause en l’espèce constituait un élément pertinent pour caractériser l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, comme l’avait fait la Commission.
208 L’ISU conteste l’ensemble de ces arguments.
2. Appréciation de la Cour
209 Il convient de constater, d’emblée, que, tout en considérant, aux points 107 et 109 de l’arrêt attaqué, que certaines des appréciations de la Commission étaient erronées, le Tribunal n’en a pas moins retenu en définitive, au point 111 de cet arrêt, que ces erreurs n’avaient eu aucune incidence sur la conclusion juridiquement fondée de cette institution selon laquelle les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité avaient pour objet de restreindre la concurrence. Pour cette raison, le Tribunal a rejeté le recours de l’ISU en tant que celui-ci était dirigé contre cet aspect de la décision litigieuse.
210 Ainsi, le présent moyen vise des motifs de l’arrêt attaqué qui non seulement sont surabondants mais qui, en outre, s’inscrivent dans le cadre d’un raisonnement ayant conduit le Tribunal à rejeter une partie des conclusions de l’ISU, donc à donner, dans cette mesure, satisfaction tant à la Commission qu’à MM. Tuitert et Kerstholt ainsi qu’à EU Athletes. Par ce moyen, ces derniers ne demandent, par conséquent, qu’à obtenir une substitution de motifs qui n’est susceptible de leur procurer aucun bénéfice. Or, une demande de ce type est irrecevable (arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C 439/11 P, EU:C:2013:513, point 42, et du 9 novembre 2017, TV2/Danmark/Commission, C 649/15 P, EU:C:2017:835, point 61).
211 Partant, ledit moyen doit être rejeté comme étant irrecevable.
212 Dès lors, le pourvoi incident doit être accueilli dans la mesure précisée au point 204 du présent arrêt.
213 Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il a partiellement annulé la décision litigieuse.
V. Sur le recours dans l’affaire T 93/18
214 L’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne prévoit que, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue.
215 En l’espèce, compte tenu du rejet, par la Cour, du pourvoi introduit par l’ISU contre l’arrêt attaqué en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la partie de la décision litigieuse portant sur les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité, le recours dans l’affaire T 93/18 ne subsiste qu’en tant qu’il est dirigé contre la partie de cette décision qui concerne les règles d’arbitrage.
216 Dès lors que les sixième et septième moyens de première instance, tirés de la violation de l’article 101 TFUE en ce que cet article a été appliqué aux règles d’arbitrage, ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et que leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier, le recours est en état d’être jugé en ce qui concerne ces moyens, de sorte qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux-ci [voir, par analogie, arrêts du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C 119/19 P et C 126/19 P, EU:C:2020:676, point 130, ainsi que du 2 décembre 2021, Commission et GMB Glasmanufaktur Brandenburg/Xinyi PV Products (Anhui) Holdings, C 884/19 P et C 888/19 P, EU:C:2021:973, point 104].
A. Argumentation des parties
217 Par son sixième moyen de première instance, l’ISU soutient, en substance, que la Commission a retenu à tort que les règles d’arbitrage renforçaient le caractère anticoncurrentiel par objet des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
218 En effet, le recours obligatoire à un mécanisme d’arbitrage conventionnel constituerait une méthode généralement acceptée de règlement des différends. En outre, en l’espèce, le TAS jouerait un rôle fondamental pour l’application uniforme des règles sportives. Au demeurant, l’attribution d’une compétence à cet organe, qui serait intervenue pendant la procédure administrative ayant conduit la Commission à adopter la décision litigieuse, constituerait un progrès par rapport au mécanisme de recours interne à l’ISU qui existait jusqu’alors. Enfin, les intéressés auraient la possibilité de contester la reconnaissance et l’exécution des sentences rendues par ledit organe devant les juridictions nationales compétentes, lesquelles seraient habilitées à adresser à la Cour des demandes de décision préjudicielle relatives à l’interprétation des règles de concurrence de l’Union.
219 Plus globalement, les appréciations de la Commission à ce sujet ne seraient pas pertinentes, cette institution reconnaissant elle-même que les règles d’arbitrage ne sont pas, en tant que telles, constitutives d’une infraction.
220 Par son septième moyen de première instance, l’ISU soutient, en substance, que la Commission n’avait pas le pouvoir de lui imposer des mesures correctives portant sur les règles d’arbitrage, en l’absence de lien entre ces règles et les règles d’autorisation préalable ainsi que d’éligibilité.
B. Appréciation de la Cour
221 Ainsi qu’il résulte des points 199 et 204 du présent arrêt, c’est à bon droit que la Commission s’est appuyée, aux considérants 270 à 277, 282 et 283 de la décision litigieuse, sur les exigences rappelées aux points 188 à 198 de cet arrêt pour fonder sa conclusion selon laquelle les règles d’arbitrage renforçaient, compte tenu de leur teneur, de leurs conditions de mise en œuvre et de leur portée, dans le contexte juridique et économique qui est le leur, le caractère anticoncurrentiel par objet des pouvoirs, non assortis d’obligations, de limites et d’un contrôle juridictionnel approprié, que cette association détient en vertu des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
222 Aucun des arguments invoqués par l’ISU ne permet de considérer qu’une telle conclusion est viciée par une quelconque erreur, à plus forte raison par une erreur manifeste.
223 En effet, à cet égard, il découle, d’une part, des considérants de la décision litigieuse qui sont visés au point 216 du présent arrêt que les règles d’arbitrage soumettent, à titre obligatoire et exclusif, les différends relatifs à la mise en œuvre des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité au TAS, organe arbitral dont les sentences sont soumises au contrôle du Tribunal fédéral. La Commission énonce, notamment, que le contrôle que cette juridiction peut exercer sur ces sentences exclut la question de savoir si celles-ci sont conformes aux dispositions d’ordre public que sont les articles 101 et 102 TFUE. En outre, elle observe que le Tribunal fédéral n’est pas une juridiction d’un État membre, mais une juridiction extérieure au système juridictionnel de l’Union, qui n’est pas habilitée à poser une question préjudicielle à la Cour à ce sujet. Enfin, elle précise que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les athlètes n’ont, en pratique, pas d’autre choix que celui d’accepter que les différends qui les opposent à l’ISU soient soumis au TAS, à moins de renoncer à participer à toutes les compétitions organisées par l’ISU ou par les associations nationales de patinage qui sont membres de celle-ci, donc, en définitive, à l’exercice de leur profession.
224 D’autre part, les règles d’arbitrage excluent la possibilité, pour les demandeurs que sont les athlètes destinataires d’une décision d’inéligibilité ou les entités ou entreprises destinataires d’une décision de refus d’autorisation préalable d’un projet de compétition internationale de patinage de vitesse sur glace, de solliciter l’octroi de mesures conservatoires aussi bien devant l’organe arbitral compétent que devant les juridictions nationales qui pourraient éventuellement être amenées à se prononcer sur l’exécution des sentences rendues par cet organe. En outre, la Commission précise que cette exécution peut généralement être assurée par l’ISU et par les associations nationales de patinage qui en sont membres, sans que l’intervention d’une juridiction nationale soit nécessaire à cette fin.
225 Or, l’ISU n’avance aucun argument précis et étayé permettant de considérer que ces différentes considérations sont fondées sur une base factuelle erronée ou entachées d’une ou de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation. Force est de constater, au contraire, que certaines de celles-ci, comme celles relatives à l’impossibilité de soumettre les sentences du TAS au contrôle d’une juridiction en mesure de s’assurer du respect des dispositions d’ordre public du droit de l’Union, le cas échéant en recourant à la procédure prévue à l’article 267 TFUE, sont exactes, et que d’autres, comme celles selon lesquelles le mécanisme d’arbitrage en cause en l’espèce est, en pratique, imposé unilatéralement par l’ISU aux athlètes, rejoignent celles de la Cour européenne des droits de l’homme à ce propos (Cour EDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse, CE:ECHR:2018:1002JUD004057510, § 109 à 115).
226 Dès lors, le sixième moyen n’est pas fondé.
227 Pour ce qui est du septième moyen, il convient de rappeler que, lorsque la Commission constate l’existence d’une infraction à l’article 101 ou à l’article 102 TFUE, elle a le pouvoir d’obliger, par voie de décision, les entreprises ou les associations d’entreprises intéressées à mettre fin à cette infraction (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 1983, GVL/Commission, 7/82, EU:C:1983:52, point 23) et, à cette fin, de leur imposer toute mesure corrective qui soit proportionnée à ladite infraction et nécessaire pour la faire cesser effectivement (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C 441/07 P, EU:C:2010:377, point 39).
228 En l’espèce, la Commission a conclu à bon droit que les règles d’arbitrage renforçaient l’infraction caractérisée à l’article 1er de la décision litigieuse, en rendant plus difficile le contrôle juridictionnel, au regard du droit de la concurrence de l’Union, des sentences arbitrales du TAS intervenant à la suite de décisions adoptées par l’ISU en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité.
229 En outre, l’ISU, qui se limite à invoquer à tort l’absence de lien entre ces différentes règles, ne conteste pas utilement les appréciations de la Commission relatives à la nécessité des mesures correctives imposées par cette institution en ce qui concerne les règles d’arbitrage.
230 Dans ces conditions, le septième moyen n’apparaît pas davantage fondé.
231 Partant, le recours doit être rejeté dans la mesure où il ne l’a pas déjà été dans l’arrêt attaqué.
VI. Sur les dépens
232 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
233 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.
234 Selon l’article 138, paragraphe 2, du même règlement, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens.
235 En l’espèce, l’ISU a succombé tant dans l’affaire C 124/21 P que dans la partie de l’affaire T 93/18 qui a été évoquée par la Cour.
236 Par ailleurs, MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que EU Athletes, tout en succombant en leur second moyen, ont obtenu gain de cause en leurs conclusions.
237 Dans ces circonstances, il y a lieu de condamner l’ISU aux dépens tant dans l’affaire C 124/21 P que dans la partie de l’affaire T 93/18 qui a été évoquée par la Cour, conformément aux conclusions de la Commission, de MM. Tuitert et Kerstholt ainsi que de EU Athletes.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Le pourvoi incident est accueilli.
3) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2020, International Skating Union/Commission (T 93/18, EU:T:2020:610), est annulé en tant qu’il a partiellement annulé l’article 2 de la décision C(2017) 8230 final de la Commission européenne, du 8 décembre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/40208 – Règles d’éligibilité de l’Union internationale de patinage).
4) Le recours dans l’affaire T 93/18 est rejeté dans la mesure où il ne l’a pas déjà été dans l’arrêt visé au point 3 du présent dispositif.
5) International Skating Union est condamnée aux dépens dans l’affaire C 124/21 P et dans la partie de l’affaire T 93/18 visée au point 4 du présent dispositif.