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Décisions

CA Rouen, ch. soc., 14 décembre 2023, n° 21/04396

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 21/04396

14 décembre 2023

N° RG 21/04396 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I5Z5

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 14 DECEMBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIEPPE du 21 Octobre 2021

APPELANTE :

SARL 1ST EXPERTISE NORD OUEST venant aux droits de la SARL 1ST EXPERTISE ET ASSOCIES

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Yoann GONTIER de la SELARL EPONA CONSEIL, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Cyril CAPACCI, avocat au barreau de ROUEN

INTIMÉE :

Madame [C] [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

présente

représentée par Me Marie Pierre OGEL de la SCP GARRAUD OGEL LARIBI HAUSSETETE, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Clémence BONUTTO-VALLOIS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 17 Octobre 2023 sans opposition des parties devant Madame ROYAL, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, rédactrice

Madame BACHELET, Conseillère

Madame ROYAL, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 17 octobre 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 décembre 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 14 Décembre 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [C] [G] a été engagée par la société SOGECO, devenue SOGECOR, laquelle exerce une activité d'expertise comptable, en qualité d'assistante comptable à compter du 4 avril 2002 sans contrat écrit.

A la suite du placement en redressement judiciaire de l'entreprise, ayant pour gérant M. [Y] [V], par jugement du 31 décembre 2018, le tribunal de commerce a ordonné la cession totale des actifs au profit de la société 1ST Expertise et associés avec transfert des contrats de travail de l'ensemble des salariés avec tous les droits attachés, notamment l'intégralité des droits acquis jusqu'à la date de prise de possession.

Par requête du 27 avril 2020, Mme [C] [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Dieppe en contestation de l'avertissement notifié le 6 juin 2019 et en reconnaissance de l'existence d'un harcèlement moral.

Par jugement du 21 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a condamné la société 1ST Expertise et associés à payer à Mme [C] [G] les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 14 500 euros

rappel de complément d'indemnités journalières : 181,88 euros

rappel de congés payés : 2 513,60 euros,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros

a débouté la salariée de ses autres demandes, l'employeur de sa demande reconventionnelle, lequel a été condamné aux entiers dépens.

Le 18 novembre 2021, la société 1ST Expertise et associés a interjeté appel des dispositions l'ayant condamnée et déboutée de sa demande reconventionnelle.

Par conclusions signifiées le 27 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société 1ST Expertise nord-ouest, venant aux droits de la société 1ST Expertise et associés, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de diverses sommes et aux dépens et l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,

statuant à nouveau,

à titre principal, rejeter l'ensemble des demandes de Mme [C] [G],

à titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions les dommages et intérêts pour harcèlement moral, lesquels ne peuvent excéder 1 500 euros,

en tout état de cause, condamner Mme [C] [G] à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 5 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, Mme [C] [G] demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'annulation de l'avertissement, sollicitant à ce titre 500 euros de dommages et intérêts et y ajoutant, elle sollicite la condamnation de la société 1ST Expertise nord-ouest à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été prononcée le 28 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur le harcèlement moral

Mme [C] [G], qui explique que le contrat de travail a été transféré le 1er janvier 2019 à la société 1ST Expertise dans le cadre d'une cession totale des actifs décidée au cours d'une procédure collective, que l'attention du président du tribunal de commerce avait alors été attirée sur la nécessité que le repreneur dispose de compétence en matière d'expertise comptable agricole, mais aussi sur les tensions générées par les difficultés économiques, soutient avoir été confrontée à des difficultés dès les premiers jours suivant la reprise en raison de reproches injustifiés et de l'envoi de multiples lettres recommandées, son avenant au contrat de travail lui ayant aussi été transmis par voie d'huissier, de la multiplication des incidents relatifs notamment au remboursement des frais, alors que les autres salariés ne rencontraient pas de difficulté de cet ordre, évoquant avoir été laissée dans l'ignorance des directives de façon générale, en l'absence d'information de la direction située à [Localité 3], subissant aussi une surcharge de travail et une dégradation des conditions de travail, l'employeur évoquant régulièrement la rupture du contrat de travail et adoptant une attitude infantilisante par la remise en cause de ses compétences et capacités, générant une souffrance au travail constatée par l'inspecteur du travail, évoquant aussi des attitudes discriminatoires.

La société 1ST Expertise nord-ouest explique que, dès le début de la relation contractuelle, la salariée a manifesté une réticence très forte et récurrente, remettant en cause ses décisions et consignes, s'abstenant de les mettre en oeuvre, faisant preuve d'une insubordination manifeste, que dans ce contexte, elle a pris le temps de rappeler les règles applicables et d'expliquer ses choix et méthodes en accompagnant les salariés au travers de nombreux échanges ; conformément à l'offre acceptée par le tribunal de commerce, elle a proposé à l'ancien dirigeant, M. [V] un contrat de prestataire de services externe l'amenant à se rendre sur le site de [Localité 4] une demi-journée par semaine, situation dont s'est également plainte la salariée qui est allée jusqu'à se montrer incorrecte à l'égard de son ancien employeur. Elle conteste tout harcèlement moral, s'étonnant de l'intervention de l'inspecteur du travail dès le 21 février 2019 alors que pendant de très nombreuses années il n'avait jamais été sollicité, et mettant en avant l'attitude de la salariée laquelle a contribué à la tension des relations dans un climat social déjà dégradé, nécessitant de mettre en place les procédures nécessaires pour relever l'activité de la société, redonner un cadre dans l'organisation et la gestion du site et harmoniser les pratiques entre les différents sites et cabinets dans un secteur d'activité réglementée par un Code de déontologie et régi par des normes comptables strictes.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de ses affirmations, la salariée produit notamment :

- les lettres recommandées adressées :

. le 12 février 2019 pour la communication du mot de passe par suite du refus de la salariée de le communiquer lors du déplacement sur le site de l'administrateur réseau informatique le même jour, doublé d'un mail avec en pièce jointe le courrier ainsi adressé et le 19 février 2019 sollicitant à nouveau le mot de passe, faute d'avoir déféré à la première demande.

L'employeur communique l'attestation de M. [M] [N], administrateur réseau informatique, qui relate que lors de son passage sur le site de [Localité 4] début février 2019, alors qu'il avait demandé le mot de passe des anciennes boîtes de messagerie électronique des personnes présentes afin de paramétrer un transfert vers les nouvelles boîtes professionnelles, Mme [C] [G] a refusé catégoriquement, contrairement à d'autres, au prétexte que cette messagerie lui appartient comme y recevant également des mails personnels et qu'elle souhaitait se renseigner sur le droit applicable pour l'accès de l'employeur à la messagerie professionnelle de ses collaborateurs et si la salariée écrivait qu'elle se tenait à la disposition pour remettre de mot de passe à [Localité 4], cela a nécessité d'aller sur site malgré les relances alors que la programmation du transfert n'a pas besoin d'être effectuée sur site.

- la justification de la remise de son avenant au contrat de travail par voie d'huissier,

- la note de service du 4 avril 2019 comprenant notamment le rappel de diverses procédures applicables et de l'obligation de loyauté à l'égard de l'employeur laquelle a été présentée par M. [V] expert-comptable, précédent employeur, en charge de l'animation du site de [Localité 4] dans le cadre de la cession d'activités, laquelle évoque les obligations des salariés et les conséquences de leurs manquements, visant notamment la sanction pénale encourue en cas de corruption et concluant que tout manquement volontaire du salarié à ses obligations peut donner lieu à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement,

- pour le remboursement des frais :

. envoi d'un mail le 29 mars 2019 à S.girault (expert-comptable et gérant) pour le remboursement de ses frais de février et mars comportant en pièce jointe un document pdf frais 122314, demande renouvelée le 5 avril auprès du même destinataire en ces termes : ' je souhaiterai savoir si vous avez une objection quelconque à me régler mes frais concernant le mois de février et le mois de mars envoyés par mail le 29 mars 2019 ou est-ce un oubli de votre part', auquel il a été répondu le même jour par M. [D], expert-comptable et gérant, qui écrit ne pas accepter le ton de son mail et n'avoir reçu aucune note de frais car dans le cas contraire, elle aurait été réglée,

. la lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 10 avril 2019 ayant pour objet un rappel des règles et la procédure interne concernant le remboursement des frais professionnels, ainsi que l'obligation de s'adresser à son supérieur de manière professionnelle et respectueuse.

Si la salariée invoque des retards récurrents dans le remboursement de ses frais alors qu'elle transmettait ses demandes suivant les formes requises, nécessitant qu'elle adresse des relances alors qu'elle allègue que les autres salariés sont remboursés normalement, elle ne produit aucun élément permettant de corroborer une différence de traitement,

- sur l'absence d'information des directives générales de la société :

il est produit les échanges de mails des 11 et 12 avril 2019 dans lesquels la salariée s'adresse d'abord à M. [D] d'une difficulté afférente à un problème incombant au service comptabilité et plus particulièrement concernant la facturation et les relances, au motif qu'elle ne connaît pas la responsable du service comptabilité, alors que Mme [F] [U], assistante de direction lui répond qu'elle sait très bien qu'elle est en charge de la facturation et des relances,

- sur la surcharge de travail : Mme [C] [G] verse un mail de M. [P] [O] du 5 février 2019 informant son employeur qu'il ne peut se rendre à une journée de formation obligatoire le 8 février 2019 en raison de sa surcharge, le site de [Localité 4] ne comptant plus que 3 salariés au lieu de 4 en raison d'un arrêt de travail, de l'absence le 8 février de l'un d'entre eux pour un deuil familial et le service ne pouvant être fermé une journée entière, celui du 3 avril 2019 toujours écrit par M. [O] évoquant la charge liée à la période fiscale, à l'accroissement du portefeuille clientèle et à l'incapacité d'utiliser le logiciel Quadra en l'absence de démonstration et formation, la lettre signée de l'ensemble des salariés du site de [Localité 4] le 18 avril 2019 adressée à M. [V] dans laquelle ils l'informent de l'impossibilité de renseigner le tableau de suivi compte tenu de la charge de travail actuelle, le retard pris dans le travail, les échanges collectifs relatifs aux inquiétudes et interrogations nées de la migration des dossiers vers le logiciel Quadra qui ne leur semble pas adapté à leurs besoins orientés principalement vers la comptabilité agricole, alors qu'ils n'ont pas bénéficié d'une formation mais seulement de deux séances de démonstration en pleine période de charge de travail intense en raison des bilans 2018 à terminer, le mail du 28 juin 2019, deux jours après que l'ancien logiciel soit devenu inaccessible, générant ainsi une surcharge de temps de recherche papier, le courrier du 10 juillet 2019 cosigné par M. [O] et Mme [S] se plaignant de la désorganisation liée à l'utilisation du nouveau logiciel et l'absence de réponses concrètes, les échanges relatifs au départ précipité d'une salariée vers le siège de [Localité 3], à effet au 9 septembre 2019 avec avis adressé aux salariés le même jour à 11h15, occasionnant une charge supplémentaire et les privant du recours à une personne ressource sur l'utilisation du logiciel Quadra compte tenu de sa maîtrise de celui-ci et le mail du 7 février 2020 duquel il ressort qu'il n'y a plus que deux salariés sur le site, la troisième ayant fait l'objet d'un avis d'inaptitude.

Il est également communiqué de multiples échanges en lien avec les difficultés d'utilisation du logiciel avec des réponses plus ou moins complètes et au coup par coup sans véritable formation plus générale et complète permettant son utilisation opérante.

Il résulte aussi du rapport de l'inspecteur du travail que la formation préconisée sur le site de l'éditeur du logiciel consiste en une journée de formation initiale pour s'approprier les bases du progiciel avec une formation de perfectionnement de deux jours comprenant l'apprentissage du QuadraBureau. Or, la salariée a bénéficié d'un jour et demi pour l'ensemble.

Si Mme [A] atteste pour l'employeur le 13 décembre 2019 que le logiciel en cause est facile d'utilisation et très intuitif, il convient d'observer que malgré tout, elle évoquait devant l'inspecteur du travail, la difficulté à réaliser certaines tâches indispensables, qu'elle n'a pas su accéder au relevé des temps passés sur chaque dossier, ne connaissant pas la procédure pour créditer en temps les tâches à accomplir.

Par note de service du 19 juin 2019, outre que l'employeur rappelle le processus de mise en oeuvre du nouveau logiciel parfaitement adapté à l'activité agricole avec l'accompagnement des salariés pour ce faire, et constatant que les consignes pour la migration des dossiers n'ont pas été respectées en raison d'un comportement de défiance et de refus de cette consigne, il informe les salariés que le transfert des dossiers sera effectué pour le 26 juin, à partir du site de [Localité 3],

- trois correspondances avec l'inspecteur du travail des 9 mai 2019, 9 juillet 2019 et 20 décembre 2019 mettant en exergue certains manquements de l'employeur notamment l' obligation d'évaluation, prévention et formation pour l'utilisation du progiciel Quadratus et leur persistance de sorte qu'il était décidé d'adresser un rapport au procureur de la République de Dieppe l'informant des faits de harcèlement moral relevés résultant de :

. l'affectation de M. [V] à un poste de supérieur hiérarchique de proximité malgré les relations conflictuelles connues issues de la société Sogecor, les exposant à un risque d'altercation sans mesure de médiation,

. des mises en garde injustifiées adressées à la salariée les 5 et 10 avril 2019,

. le manque de soutien et d'écoute en ne donnant pas suite à la demande collective de rencontre émise le 19 mars 2019.

- sur les humiliations, la salariée invoque les termes de certains courriels comme celui adressé le 5 juillet 2019 dans lequel M. [X] l'invite à se rapprocher de ses collègues [Z] et [P] qui ne semblent pas être en situation de blocage devant les rudiments d'un logiciel de comptabilité,

- sur les attitudes discriminatoires, les 24 et 31 décembre 2019, alors que la totalité des salariés du site de [Localité 4] étaient toujours en activité après 17h00, ils ont constaté que les autres salariés de la société 1ST Expertise étaient pour la majorité déconnectés et M. [I] [K], se trouvant au siège, les a alors informés de l'existence d'une consigne interne d'autorisation de départ à 15h30 à tout le moins pour le 24 décembre.

Au vu de ce qui précède, Mme [C] [G] présente des faits qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, l'employeur mettant en oeuvre un mode de communication peu propice à des échanges, avec des conditions de travail marquées par une surcharge dans des conditions nouvelles notamment avec la mise en place d'un nouveau logiciel sans permettre aux salariés une prise en main dans les conditions de formation idoines, et prenant des décisions discriminatoires.

La société 1ST Expertise nord-ouest, qui dément toute surcharge de travail, considère que la gestion de la relation avec la salariée ne peut être valablement opposée pour caractériser un harcèlement moral, considérant avoir usé de son pouvoir de direction de manière adaptée et proportionnée au regard de l'attitude de Mme [G].

Il ressort des débats :

- sur la surcharge de travail, si l'employeur ne conteste pas l'absence de Mme [S] du 20 janvier au 4 mars 2019, puis quelques jours avant la reprise par le cabinet Follet-Boutin en 2020, que l'activité est plus importante en période fiscale de janvier à mai de chaque année et évoque le bénéfice des services supports du Groupe dont les salariés ne bénéficiaient pas avant la reprise, soulignant qu'en réalité le site de [Localité 4], a perdu de nombreux clients à compter du 1er janvier 2019 et que la salariée prenait prétexte d'une surcharge de travail pour ne pas respecter certaines consignes, néanmoins, concernant le départ de Mme [A], si certes elle avait écrit à l'employeur le 18 juin 2019 en sollicitant une mutation interne sur le site de [Localité 3] en septembre 2019 en raison des agissements malveillants et répétés de la part de ses collègues, l'absence d'information ou plutôt l'information très tardive, soit le jour de l'effectivité de sa mutation après que les salariés se soient inquiétés de son absence, sans remplacement pour le compenser, alors qu'en période d'activité plus dense liée à l'activité fiscale, les salariés avaient déjà travaillé à trois au lieu de quatre pendant plusieurs semaines, est révélatrice d'un certain mépris de l'employeur qui ne saurait se justifier par leur propre comportement, même critiquable, l'employeur, dans un tel contexte, ayant au surplus l'obligation de faire la lumière sur les agissements invoqués par Mme [A] de manière contradictoire.

- sur la formation, à la suite de la reprise de l'activité, dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur a effectivement mis en place un nouveau logiciel de gestion, appelé Quadratus, dont il n'est pas établi qu'il n'aurait pas été adapté au secteur agricole et permettant la communication entre les différents établissements de la société.

Dans une note de service du 19 juin 2019, sont admis par l'employeur que les salariés ont bénéficié de deux sessions de formation assurées par M. [T] des 17 avril et 21 mai 2019, ce qui est corroboré par le tableau de présence à raison d'une demi-journée pour celle du 17 avril et d'une journée pour celle du 21 mai.

Il convient d'observer que cette durée est moindre que celle préconisée par le site de l'éditeur du logiciel prévoyant une journée de formation initiale pour s'approprier les bases du progiciel avec une formation de perfectionnement de deux jours comprenant l'apprentissage du QuadraBureau.

Par ailleurs, la note de service du 19 juin 2019 qui constate que l'impératif de migration des dossiers sur le logiciel a fait l'objet de nombreux rappels, notamment par mail du 3 avril 2019 par M. [M] [N], permet de constater que ses relances ont été faites à des dates où les salariés n'avaient pas encore bénéficié de la formation, même incomplète, de sorte que les rappels répétés reconnus par l'employeur avant le 21 mai 2019 ne peuvent être objectivement justifiés.

- sur la saisine assez rapidement après le transfert du contrat de travail de l'inspection du travail, s'il peut effectivement être mis en lien avec la difficulté d'acceptation du changement d'employeur, néanmoins, la lecture des différents écrits de l'inspecteur du travail mettant en exergue un certain nombre de manquements de l'employeur justifiant que soient rappelées certaines obligations, suffit à en établir l'opportunité,

- sur la communication par note de service, si l'employeur peut être fondé à communiquer certaines consignes aux salariés par cette voie, néanmoins, tant leur fréquence que leur terme notamment quand il est rappelé les sanctions pénales encourues en cas de corruption, interrogent dès lors que la note de service en cause du 4 avril 2019 n'est adressée qu'aux collaborateurs du site de [Localité 4], à l'exclusion de tous autres, alors que l'employeur justifie de sa démarche par la crainte d'avoir été victime de faux commis par un ou plusieurs salariés, sans que les éléments fournis permettent d'établir que ces faits auraient été commis par les seuls salariés de [Localité 4] et qu'en tout état de cause, la plainte a été déposée en janvier 2021, soit à une date ne pouvant expliquer la nécessité d'adresser une telle note en avril 2019, dans un contexte pour le moins déjà tendu.

Par ailleurs, si certes, le commissaire de justice était missionné pour dresser un procès-verbal de constat et à cette occasion a transmis aux salariés du site de [Localité 4] l'avenant à leur contrat de travail le 26 juin 2019, ce choix de l'employeur, dont il n'est pas établi qu'il aurait été confronté à un refus des salariés d'examiner ledit avenant, n'est pas de nature à rendre les relations plus sereines.

Enfin, l'employeur n'apporte aucun élément permettant de justifier l'autorisation accordée à un certain nombre de salariés de quitter leur poste par anticipation les 24 et 31 décembre, à l'exclusion de tous ceux affectés sur le site de [Localité 4].

En conséquence, même si Mme [C] [G] a accueilli défavorablement la reprise de l'entreprise par la société 1ST Expertise nord-ouest, ainsi que cela résulte tant de l'écrit adressé par les salariés au président du tribunal de commerce dans une synthèse d'analyse du rapport de M. [W] alors administrateur judiciaire que de l'avis émis par les représentants des salariés, Mmes [Y] et [G], devant la juridiction consulaire lors de l'audience du 18 décembre 2018, alors que la société cessionnaire connaissait ce contexte, il n'est justifié d'aucune démarche envers les salariés du site de [Localité 4] pour permettre leur intégration dans des conditions apaisées et constructives, puisqu'au contraire, les salariés de ce site ont fait l'objet d'un traitement spécifique de nature à accroître la défiance respective non propice à des conditions de travail normales notamment en mettant en place un mode de communication ne facilitant pas l'échange (notes de service, lettres recommandées avec accusé de réception, transmission de l'avenant au contrat de travail par voie d'huissier), en leur imposant un traitement différent de ceux des autres sites (autorisation de quitter le travail plus tôt les 24 et 31 décembre), situation créée par l'employeur non justifiée par la seule attitude opposante de la salariée, faits répétés qui pris dans leur ensemble ont généré une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel, peu important que ces conditions aient été déjà dégradées antérieurement à la reprise, l'attitude du nouvel employeur ayant contribué à la persistance, voire à l'aggravation de celles-ci, de sorte que le harcèlement moral est établi.

Sur le préjudice, Mme [C] [G], qui par ailleurs présente des troubles musculosquelettiques, produit :

- l'attestation du 19 avril 2019 de M. [L] [R], médecin généraliste, qui l'a décrite comme en dépression anxieuse, indique que son état de santé s'est dégradé au décours, selon ses dires, de l'arrivée d'un nouveau responsable, que cette aggravation nécessiterait un arrêt de travail qu'elle refuse et qu'un traitement anxiolytique et anti-dépressif lui est prescrit,

- des ordonnances prescrivant des traitements médicamenteux,

- l'attestation non datée de Mme [H] masseur-kinésithérapeute qui indique suivre régulièrement Mme [C] [G] et avoir constaté son état anxieux et dépressif qui s'aggrave depuis 3 mois, pleurant beaucoup au cours des séances et ajoutant que ses douleurs sont majorées par cet état,

- l'attestation de son époux du 21 avril 2022 qui indique que sa femme a changé de comportement quand elle travaillait au sein de la société 1ST Expertise, qu'il y avait alors des tensions dans le couple, qu'elle disait en avoir marre et que certains jours, elle pensait au suicide, ce qui a disparu depuis qu'elle travaille pour le nouveau cabinet comptable,

- l'attestation du même jour de sa fille, Mme [J] [G], qui décrit un mal-être profond lorsque sa mère travaillait pour la société 1ST Expertise, celle-ci devenant méconnaissable, augmentant sa consommation de cigarettes, perdant ses cheveux de manière anormale, présentant des tremblements des mains, qu'à de nombreuses reprises, elle l'entendait se lever la nuit et pleurer et qu'elle s'était renfermée sur elle-même.

Aussi, compte tenu de ces éléments, des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et les conséquences dommageables qu'il a eu pour Mme [C] [G], le préjudice en résultant est plus justement réparé par l'octroi de la somme de 3 000 euros, infirmant ainsi le jugement entrepris.

II - Sur la contestation de l'avertissement

Mme [C] [G] conteste l'avertissement qui lui a été notifié le 6 juin 2019 non seulement en raison du contexte, mais aussi démentant le caractère injurieux de ses propos, expliquant n'avoir fait que répondre aux propos de M. [V] sur un ton humoristique.

La société 1ST Expertise nord-ouest, qui observe que la salariée ne conteste pas la teneur de ses propos, soutient que s'ils avaient été tenus sur un ton anodin et humoristique, M. [V] n'aurait pas immédiatement quitté la réunion.

Selon l'article L.1331-1 du code du travail, "constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération".

En vertu de l'article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit à la juridiction les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur ce fondement, aucune des parties ne supporte directement la charge de la preuve, mais il appartient à l'employeur de fournir au juge les éléments retenus pour prononcer la sanction contestée.

Sur le fondement de l'article L.1333-2, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. A l'exception du licenciement, le juge peut donc annuler une sanction prononcée (L 1333-3).

En l'espèce, le 6 juin 2019, après avoir été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 16 mai 2019, un avertissement a été notifié à la salariée en ces termes :

'...

Le 11 avril 2019, lors d'une réunion de travail menée par M. [Y] [V], votre supérieur hiérarchique, qui avait pour but de vous transmettre les consignes de travail de votre employeur, vous avez qualifié ce dernier, devant l'ensemble des collaborateurs, de : ' lui c'est le papier-cul !'.

Ces propos dégradants et humiliants sont inadmissibles. Nous vous rappelons que vous êtes tenue à une obligation de respect et de politesse à l'égard de votre hiérarchie.

De plus, votre attitude d'opposition et de contestation systématique des consignes qui vous sont données nuit au bon fonctionnement de l'entreprise. Nous vous rappelons que vous êtes juridiquement placée dans un lien de subordination vis-à-vis de votre employeur. Dans ce cadre vous êtes tenue d'exécuter les directives qui vous sont données.

Les explications confuses que vous avez fournies lors de l'entretien ne sont pas de nature à modifier notre appréciation de votre comportement. D'autant plus que vos obligations professionnelles vous ont été rappelées à plusieurs reprises par courriers en date des 12 février 2019, 19 février 2019 et 10 avril 2019......'

Il est produit le mail adressé par M. [Y] [V], expert-comptable, à Mme [C] [G] le 11 avril 2019 dans lequel il explique être venu le matin sur le site de [Localité 4] pour s'entretenir avec l'ensemble du personnel, présenter la note de service transmise le même jour et leur demander les points qu'ils souhaitaient qu'il évoque avec la direction du site, qu'outre le manque d'intérêt manifesté par l'ensemble du site, il indique avoir été blessé par les propos tenus à son égard se terminant par cette phrase : 'lui c'est le papier Q', ce qui a clos la réunion et provoqué son départ.

La salariée communique les attestations de :

- M. [B] [E], qui l'a assistée lors de l'entretien préalable, qui décrit une situation d'acharnement de MM. [D] et [X], M. [D] intervenant en même temps que M. [X] contre Mme [C] [G], en lui faisant répéter à trois reprises les propos qu'elle avait tenus, puis encore une quatrième fois 'comme pour la déstabiliser', ne prêtant aucune attention à la proposition de la salariée qui se disait prête à une confrontation, mais lui disant qu'ils avaient des témoins ce à quoi la salariée a répondu qu'elle aussi et qu'il devait y avoir un problème puisque seuls étaient présents M. [V], ses trois collègues et elle-même,

- Mme [Z] [S], présente comme M. [O] et Mme [A] le jour des faits, qui explique que M. [V] semblait mal à l'aise pour leur présenter la note de service leur disant : 'je vous demande de ne pas polémiquer, que je suis qu'un passe-plat, c'est moi qui passe la merde entre la Direction et vous. Tout le monde m'a chié dessus : [X], [D], [W] et tous les salariés', ce à quoi Mme [G] a répondu : 'Alors on vous prend pour un rouleau de PQ',

- M. [P] [O] qui précise qu'après la présentation des directives et des demandes de travaux à réaliser, en 'off', M. [V] a souhaité une discussion ouverte sur différents sujets, que sur l'un d'eux, il a dit que ' tout le monde lui a chié dessus' expression déjà utilisée lors d'une précédente venue, ce à quoi, sur un ton humoristique et sans insolence, par une métaphore, Mme [C] [G] a dit : 'en fait on vous prend pour un rouleau de PQ' ; à la suite de quoi, M. [V] a quitté la réunion sans rien ajouter.

Il en résulte que si la matérialité des propos tenus par la salariée est établie, et qu'ils peuvent être qualifiés d'inapropriés comme s'adressant à son ancien employeur, toujours intervenant comme prestataire externe, peu important le contexte décrit par la salariée, ses propos même à supposer qu'ils aient été tenus sur un mode humoristique, ajoutait à la situation manifestement dégradante vécue par M. [V], qui d'ailleurs, a immédiatement manifesté son trouble en quittant la réunion puis en adressant un courriel à la salariée.

Par conséquent, l'avertissement est justifié et la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté les demandes sur ce point.

III - Sur le complément des indemnités journalières

Mme [C] [G] sollicite un complément d'indemnités journalières au titre d'un arrêt de travail du 18 au 24 février 2017.

La société 1ST Expertise nord-ouest s'y oppose au motif qu'il n'était pas l'employeur de Mme [C] [G] sur la période concernée conformément aux dispositions de l'article L.1224-2 du code du travail et que la salariée n'a pas fourni les justificatifs des versements opérés par la caisse primaire d'assurance maladie.

Selon l'article L.1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

L'article L.1224-2 du même code ajoute que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :

1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;

2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.

En l'espèce, dès lors que le transfert du contrat de travail s'est opéré dans le cadre de la procédure collective affectant le précédent employeur, la salariée n'est pas fondée à solliciter auprès du nouvel employeur des sommes qui lui seraient dues antérieurement au transfert du contrat de travail.

Par conséquent, la cour déboute Mme [C] [G] de sa demande au titre d'un rappel d'indemnités journalières.

IV - Sur la demande de congés payés

Mme [C] [G] sollicite un rappel de congés payés entre 2017 et 2018, au motif que 36 jours lui ont été retirés arbitrairement alors qu'elle travaillait pour la société Sogecor et que le transfert du contrat de travail en fait peser la charge sur la société 1ST Expertise.

La société 1ST Expertise nord-ouest s'y oppose pour le même motif que précédemment dès lors que la demande porte sur une période antérieure à la reprise, ajoutant aussi que contrairement à ses allégations, la salariée n'a pas perdu 4 jours de congés payés entre décembre 2018 et janvier 2019, ceux-ci ayant été en réalité perdus entre novembre et décembre 2018.

Pour les motifs ci-dessus retenus, dès lors que la demande de Mme [C] [G] porte sur des congés payés dus au titre du contrat de travail la liant avec le précédent employeur y compris s'agissant des quatre journées de 2018, qui ont été retirées entre novembre et décembre 2018 ainsi cela résulte de l'examen de ses bulletins de paie, par arrêt infirmatif, la cour rejette cette demande.

III - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la société 1ST Expertise nord-ouest est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [C] [G] la somme de 1 500 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l'instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a statué sur le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral, a alloué un rappel de complément d'indemnités journalières et de congés payés ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société 1ST Expertise nord-ouest à payer à Mme [C] [G] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Déboute Mme [C] [G] de ses demandes au titre du rappel d'indemnités journalières et de congés payés ;

Le confirme en ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société 1ST Expertise nord-ouest aux entiers dépens d'appel ;

Condamne la société 1ST Expertise nord-ouest à payer à Mme [C] [G] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la société 1ST Expertise nord-ouest de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente