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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 13 décembre 2023, n° 19/03193

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Réseau Logiciel Communication (SAS)

Défendeur :

T

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chevrier

Conseillers :

Mme Piedagnel, M. Fravette

Avocats :

Me Bigot, Me Poitrasso

T. com. mixte Saint Denis De La Reunion,…

28 octobre 2019

Par acte d'huissier du 12 juillet 2018, la SAS Réseau Logiciel Communication (la société RLCom) a fait assigner M. [H] [T] devant le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion pour violation d'une clause de non-concurrence et agissements déloyaux et condamnation à lui payer les sommes de 36.331,64 euros en réparation du préjudice économique subi, 20.000 euros au titre de son préjudice moral et 3.000 euros au titre des frais irrépétibles, M. [T] devant cesser toute activité concurrente à la sienne, avec publication de la décision dans un journal d'annonces légales.

M. [T] a conclu au débouté des prétentions de la société RLCom, considérant la clause de non-concurrence inopposable à son égard, et, subsidiairement, nulle car illégitime et disproportionnée. Il a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de la société RLCom à lui verser les sommes de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts, 3.300 euros au titre de son préjudice résultant de l'absence de contrepartie financière dans la clause de non-concurrence et 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

C'est dans ces conditions que, par jugement rendu le 28 octobre 2019, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a statué en ces termes :

« DEBOUTE la SAS RLCom de l'ensemble de ses demandes,

DEBOUTE Monsieur [T] de ses demandes de dommages et intérêts,

CONDAMNE la SAS RLCom à payer à Monsieur [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile,

LAISSE les dépens à sa charge, dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 66,21 € TTC. »

Par déclaration au greffe en date du 19 décembre 2019 enregistrée le 23 décembre 2019, la société RLCom a interjeté appel de cette décision.

***

Par ordonnance sur incident du 20 août 2021, la conseiller de la mise en état a :

-Ordonné à M. [T] de communiquer à la société RLCom la convention le liant au Groupe Iris Santé et/ou à l'une de ses trois filiales ([6], [11], NETHESDA) ainsi que toutes les factures établies et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, pendant 30 jours, passé un délai de 30 jours à compter la signification de l'ordonnance ;

-Rejeté le surplus de ses demandes, à savoir la communication, sous astreinte de 500 euros par jours de retard passé un délai de 8 jours, de la lettre de mission, du cahier des charges et de manière générale tous documents commerciaux et tous écrits échangés avec ces sociétés depuis le 30 avril 2018.

***

Après avoir relevé que la société RLCom affirme depuis plus d'une année quelle va mettre en cause Mme [T] et la société Avéolys et que ce projet procédural n'est toujours pas mis en œuvre, par ordonnance sur incident du 24 avril 2023, la conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et renvoyé l'examen de l'affaire pour être plaidée ou le dossier déposé devant le conseiller rapporteur le 6 septembre 2023.

***

Dans ses dernières conclusions n° 3 transmises par voie électronique le 27 février 2023, la société RLCom demande à la cour de :

-Déclarer recevable et fondée l'appel interjeté par la société RLCom ;

-Déclarer et fondée la mise en cause de Mme [T] et de la société AVEOLYS par la société RLCom ;

Y faisant droit,

-Infirmer la décision entreprise ;

Et, statuant à nouveau,

Vu les pièces versées aux débats, et surtout celles produites le 06 septembre 2021 sur injonction prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 août 2021,

-Dire et Juger que les époux [T] a violé (sic) de manière répétée et continue la clause de non-concurrence prévue dans l'acte de cession du fonds de commerce le liant à la société RLCom ;

-Dire et Juger qu'il en va de même pour son épouse, Mme [X] [J] et leur société abusivement dénommée AVEOLYS (SARL ' RCS n° 523 973 899) ;

-Dire et Juger que M. [T] a également manqué à sa garantie d'éviction, de même que son épouse et leur société abusivement dénommée AVEOLYS (SARL ' RCS n° 523 973 899) ;

En conséquence,

-Ordonner aux époux [T] et à leur société (RCS 523973899) actuellement dénommée AVEOLYS, de cesser toute activité concurrente à celle de RLCom, et ce, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée ;

-Ordonner aux époux [T] et à leur société AVEOLYS de cesser toute utilisation du vocable AVEOLYS, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée, passée le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

-Condamner les époux [T] à verser la somme de 36.331,64 euros à la Société RLCom à titre d'avance sur préjudice économique résultant de la perte des contrats perdus avec ses clients cédés dans le cadre de la cession du fonds de commerce ;

-Ordonner une expertise judiciaire aux fins d'évaluation du montant définitif du préjudice de manque à gagner pour la société RLCom résultant de l'utilisation abusive de la dénomination sociale AVEOLYS ;

-Condamner solidairement les époux [T] et leur société (RCS 523973899) actuellement dénommée AVEOLYS, à verser la somme de 20.000 euros à la société RLCom pour lui avoir un causé un préjudice moral ;

-Autoriser la société RLCom à publier dans un journal d'annonces légales, l'arrêt à venir portant condamnation de M. [T], aux frais de ce dernier, afin d'informer l'ensemble des clients de la société RLCom, et de réparer le préjudice d'image subi ;

-Condamner solidairement les mêmes à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, de première instance comme d'appel ;

-Condamner in solidum les époux [T] et la société AVEOLYS, aux entiers dépens de première instance et d'appel.

***

Dans ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 16 juin 2020, M. [T] demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil, de :

-Dire et juger recevable l'appel incident de M. [T] ;

-Confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a débouté la société RLCom de l'ensemble de ses demandes ;

-Infirmer la décision attaquée en ce qu'elle a débouté M. [T] de ses demandes indemnitaires ;

En conséquence, statuant à nouveau,

-Condamner la société RLCom à payer à M. [T] la somme de 3.300 euros au titre de son préjudice résultant de l'absence de contrepartie financière dans la clause de non-concurrence ;

-Condamner la société RLCom à payer à M. [T] la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice ;

-Condamner la société RLCom à payer à M. [T] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner la même aux entiers dépens.

***

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

A titre liminaire

La cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions. Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » lorsqu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

La cour rappelle que la société RLCom n'a jamais mis en cause, ni Mme [X] [J] épouse [T], ni la société Avéolys, de sorte que la demande tendant à voir déclarer recevable et fondée la mise en cause de Mme [T] et de la société Avéolys par la société RLCom sont sans objet, de même de toutes demandes les concernant.

Sur la validité de la clause de non-concurrence figurant dans l'acte de cession

La société RLCom soutient en substance que la clause de non-concurrence, prévue dans l'acte de cession, et indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, est parfaitement valable : elle est limitée dans le temps (5 ans), ce qui n'a rien d'excessif en matière de reprise de fonds de commerce, et par une distance géographique (50 kms), ce qui ne couvre pas la totalité du département et la réunion et ne saurait s'analyser en une interdiction totale de trouver du travail sur l'ensemble du territoire réunionnais. Elle ajoute que la contrepartie financière existe bien car incluse dans le prix de cession de de fonds de commerce.

M. [T] argue que la clause de non-concurrence n'est pas valable car elle prévoit une limitation de 5 ans sur un rayon de 50 kms autour du siège du fonds, soit sur la quasi-totalité de l'île de la réunion.

Sur ce,

La cession d'un fonds de commerce implique l'obligation pour le vendeur de garantir l'acquéreur contre tout détournement de clientèle provenant de son fait personnel. Cette obligation légale, fondée sur les articles 1625 et suivants du code civil (garantie d'éviction) est souvent renforcée par une clause de non-concurrence, dont le rôle est de préciser cette obligation légale ou d'en élargir l'étendue, ce qui est le cas en l'espèce.

En tout état de cause, l'obligation de non-concurrence doit déterminer l'activité interdite : une obligation de non-concurrence interdisant au vendeur d'un fonds de commerce toute activité commerciale est illicite car contraire au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

Sont interdit non seulement l'exercice de tout commerce directement concurrent de celui qui a été cédé mais encore la poursuite, sous quelque forme que ce soit, de ce commerce de la part du vendeur, tel l'embauche du vendeur comme salarié dans une entreprise concurrente, sa participation à une société ayant une activité similaire à celle du fonds cédé, y compris par interposition de personne.

Par ailleurs, l'obligation de non-concurrence doit être limitée dans le temps ou dans l'espace.

En l'espèce, suivant acte sous signature privée du 1er septembre 2017, la SARL Avéolys, (le cédant) a cédé à la SAS Réseau Logiciel Communication (le cessionnaire), un fonds de commerce de pilotage, exploitation informatique, mise à disposition de personnel dans le domaine de l'informatique et des télécommunications, vente de matériels, logiciels et autres services, connu sous le nom commercial AVEOLYS, ledit fonds comprenant, notamment, l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage y attachés, le fichier de la clientèle, etc..., exploité à [Adresse 10], au prix de 50.000 euros et contenant une clause de non-concurrence (article 11) ainsi rédigée :

« Le Cédant, ainsi que les gérants du Cédant, signataires des présentes, s'interdisent expressément la faculté d'exploiter, diriger, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce ou aucune activité similaire en tout ou en partie à celui ou celle vendu(e) ou susceptible de lui faire concurrence, de s'intéresser même à titre d'associé (à l'exception de la qualité d'associé éventuel du Cessionnaire) ou de commanditaire à une fonds de commerce de même nature, pendant une durée de 5 ans à compter de l'entrée en jouissance, et dans un rayon de 50 km à vol d'oiseau du siège du fonds, sous peine de dommages et intérêts envers le Cessionnaire ou les successeurs, sans préjudice du droit qu'ils auraient de faire cesser cette contravention. »

M. [T] verse aux débats une carte Google représentant de l'étendue de la clause de non-concurrence.

En l'espèce, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la clause de non-concurrence figurant dans la cession de fonds de commerce encourrait la nullité du fait d'une durée excessive de 5 ans.

Compte tenu de la superficie de l'île de la Réunion (longueur maximale 70 km, largeur variable d'environ 60 km) ainsi que de sa géographie, c'est encore à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'appliquer la prohibition de toute « activité similaire en tout ou partie » dans un rayon de 50 km du siège social de la société cédée reviendrait à interdire toute activité sur l'île de la Réunion.

Sur les demandes indemnitaires formées par M. [T]

Compte tenu de la nullité de la clause de non-concurrence, les demandes indemnitaires formées par M. [T] du fait de cette clause sont sans objet, étant remarqué que le contrat de travail de M. [T] ne comprend pas de clause de non-concurrence.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de ses demandes de dommages-intérêts.

Sur la garantie d'éviction ou l'obligation de non-concurrence

La société RLCom demande à la cour de :

-Ordonner aux époux [T] et à leur société (RCS 523973899) actuellement dénommée AVEOLYS, de cesser toute activité concurrente à celle de RLCom, et ce, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée ;

-Ordonner aux époux [T] et à leur société AVEOLYS de cesser toute utilisation du vocable AVEOLYS, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée, passée le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

-Condamner les époux [T] à verser la somme de 36.331,64 euros à la Société RLCom à titre d'avance sur préjudice économique résultant de la perte des contrats perdus avec ses clients cédés dans le cadre de la cession du fonds de commerce ;

-Ordonner une expertise judiciaire aux fins d'évaluation du montant définitif du préjudice de manque à gagner pour la société RLCom résultant de l'utilisation abusive de la dénomination sociale AVEOLYS ;

-Condamner solidairement les époux [T] et leur société (RCS 523973899) actuellement dénommée AVEOLYS, à verser la somme de 20.000 euros à la société RLCom pour lui avoir un causé un préjudice moral ;

-Autoriser la société RLCom à publier dans un journal d'annonces légales, l'arrêt à venir portant condamnation de M. [T], aux frais de ce dernier, afin d'informer l'ensemble des clients de la société RLCom, et de réparer le préjudice d'image subi.

La cour rappelle que la société RLCom n'a jamais mis en cause, ni Mme [X] [J] épouse [T], ni la société Avéolys, de sorte que la demande tendant à voir déclarer recevable et fondée la mise en cause de Mme [T] et de la société Avéolys par la société RLCom sont sans objet, de même de toutes demandes les concernant.

La société RLCom soutient en substance que M. [T], en s'adressant à l'ensemble de ses clients, y compris les anciens clients, par mail et en continuant d'utiliser Avéolys, a commis un détournement de clientèle et lui a fait de la concurrence déloyale en violant son obligation de garantie d'éviction. Elle estime que M. [T] continue de s'assimiler au fonds de commerce qu'il a cédé et qui ne lui appartient plus, afin de créer une confusion dans l'esprit de ses anciens clients et leur faire croire qu'il est la société Avéolys alors que cette dénomination sociale a été vendue avec le fonds de commerce. Elle ajoute que M. [T] exerce les mêmes activités que les siennes.

M. [T] dénie tout détournement de clientèle : il avait l'autorisation d'utiliser le nom de domaine Avéolys et les prétendus clients détournés ont rompu leur contrat uniquement pour des raisons qui leur appartiennent sans qu'il en soit responsable : prestations de moins bonne qualité, confiance rompue, changement pour une entreprise plus proche.

S'agissant du groupe Iris Santé, il expose que cette entreprise l'a sollicité pour une prestation très précise qui ne relève pas des compétences initiales de la société Avéolys : il s'agit de la gestion de projet dans le cadre d'un déploiement d'un logiciel et d'un projet relatif à la transmission des lettres de liaison entre établissements de santé et non une activité d'infogérance qui se manifeste par une gestion courante du réseau informatique. Il ajoute que la mise en place du réseau nécessaire une communication avec les utilisateurs du réseau pour voir si les systèmes des différentes structures sont compatibles avec le nouveau réseau de liaison ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il existe une relation contractuelle entre les personnes en copie dans un mail.

Concernant l'intervention pour la société Albioma Solaire Réunion, il s'agit d'une prestation ponctuelle et parfaitement gracieuse qui ne peut, dès lors, constituer une concurrence déloyale.

Sur l'autorisation donnée d'utiliser le nom Avéolys, il soutient qu'au moment de la rupture conventionnelle, les parties s'étaient accordées sur cette question : il était convenu qu'il pourrait utiliser le nom Avéolys et même l'ancien numéro de téléphone. Il précise qu'il a utilisé à bon droit le nom de domaine pour indiquer qu'une nouvelle gamme de prestations étaient développées, la nouvelle activité ne concernant pas l'activité d'infogérance mais le conseil et la gestion de projet en matière informatique.

Sur ce,

Pour rappel, la cession d'un fonds de commerce implique l'obligation pour le vendeur de garantir l'acquéreur contre tout détournement de clientèle provenant de son fait personnel. Cette obligation légale, fondée sur les articles 1625 et suivants du code civil (garantie d'éviction). Elle subsiste alors même que la clause de non-concurrence aurait été annulée (ce qui est le cas en l'espèce) ou expirée.

Par conséquent, le cédant ne peut, par son propre fait, en l'occurrence, par son activité économique, priver l'acquéreur du fonds de commerce de la substance de ce bien, à savoir la clientèle qui lui est attachée.

L'obligation de non-concurrence ne consiste pas en une obligation générale de non-concurrence qui signifierait que le vendeur ne peut plus exercer une activité similaire à celle correspondant à la vente mais seulement dans le fait de s'abstenir de troubler, par son comportement, l'activité de son acquéreur, notamment par des actes de nature à détourner la clientèle.

Lorsque le vendeur est une personne morale, cette interdiction pèse non seulement sur elle mais aussi sur son dirigeant, de droit ou de fait, ou sur les personnes qu'ils pourront interposer pour échapper à ses obligations.

Il s'en suit que M. [T], en tant que gérant du cédant, est soumis à une obligation de non-concurrence vis à vis de la société RLCom.

Il appartient à celui qui se plaint de la violation de l'obligation de non-concurrence de la prouver, par tous moyens.

La victime de la violation de l'obligation de non-concurrence, outre l'exception d'inexécution, peut demander la cessation sous astreinte de l'activité concurrentielle, la fermeture du fonds exploité par le débiteur en fraude de ses engagements et l'octroi de dommages et intérêts.

Pour évaluer le préjudice, il faut tenir compte du chiffre d'affaires réalisé par le vendeur depuis le début de la violation de l'obligation de non-concurrence.

En l'espèce, suivant acte sous signature privée du 1er septembre 2017, la SARL Avéolys, représentée par ses gérants, M. [H] [I] [Z] [T] et Mme [X] [U] [B] [N] [T] (le cédant) a cédé à la SAS Réseau Logiciel Communication, représentée par son président, M. [C] [F] [M] (le cessionnaire), un fonds de commerce de pilotage, exploitation informatique, mise à disposition de personnel dans le domaine de l'informatique et des télécommunications, vente de matériels, logiciels et autres services, connu sous le nom commercial AVEOLYS, ledit fonds comprenant, notamment, l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage y attachés, le fichier de la clientèle, etc..., exploité à [Adresse 10], au prix de 50.000 euros.

Suivant acte sous signature privé du même jour, la société RLCom a conclu avec M. [T] un « CONTRAT DE TRAVAIL A DUREE INDETERMINEE A TEMPS COMPLET », à compter du 1er septembre 2017, en qualité de consultant informatique moyennant une rémunération brute mensuelle de 3.300 euros, comprenant un clause d'exclusivité (article 9) et une clause de confidentialité (article 13).

Suivant lettre simple datée du 8 mars 2018, M. [T] a informé la société RLCom de son intention de quitter ses fonctions souhaitant « se consacrer à de nouveaux projets professionnels » sous la forme d'une rupture conventionnelle, ce qui a été accepté par la société RLCom, suivant lettre remise en main propre le 12 mars 2018.

La rupture conventionnelle (formulaire Cerfa n° 14598*01) a été signée le 15 mars 2018 ; une indemnité spécifique de rupture conventionnelle a été versée (6.000 euros) et a été précisé, au paragraphe : « Remarques éventuelles des parties ou des assistants sur ces échanges / autre commentaires » :

« La société RLCOM renonce à l'exploitation des noms de domaine aveolys.com, aveolys.fr, aveolys.re et d'une manière générale à toutes les déclinaisons du nom de domaine Aveolys, quel que soit le nom de domaine racine.

La société RLCOM rétrocède le n° de téléphone [XXXXXXXX01] à M. [T] [H] qui effectuera la demande de portabilité. »

La société RLCom verse aux débats, notamment :

-La lettre recommandée avec avis de réception (LRAR) de la SARL PREVENTECH datée du 15 mai 2018 dont l'objet est ainsi libellé : « Demande de résiliation contrat d'Accompagnement TIC ' Pilotage informatique » et ce, à compter du 25 août 2018 ;

-La LRAR de la Clinique [8] datée du 25 mai 2018 dont l'objet est ainsi libellé : « Fin de prestations » et ce, à compter du 31 mai 2018 ;

-La LRAR de la Clinique de Chirurgie Ambulatoire [6] daté du 25 mai 2018 dont l'objet est ainsi libellé : « Fin de prestations » et ce, à compter du 31 mai 2018 ;

-La LRAR du Centre de rééducation basse vision [11] datée du 25 mai 2018 dont l'objet est ainsi libellé : « Fin de prestations » et ce, à compter du 31 mai 2018 ;

-La LRAR de la SAS ALBIOMA Solaire Réunion datée du 7 juin 2018 dont l'objet est ainsi libellé : « DENONCIATION DE LETTRE MISSION SIGNEE LE 18/12/2015 » et ce, à compter de la fin du mois de juin, cette prestation devant être externalisée par leur siège parisien ;

-La LRAR d'Atelier RB Cuisines datée du 26 juin 2018 dont l'objet est ainsi libellé : « Résiliation Contrat « Offre Pack Pro » AVEOLYS » conformément à l'article 9 des conditions générales de l'offre commerciale contractuelle souscrite le 6 octobre 2015 ;

-La page Linkedin de M. [T] du 25 mai 2018 : « Aveolys ' IT Consultant ' Création Multimédia ' Data ' Pilotage du SI, réseau séc... »

-La présentation des vœux de M. [T] par internet sous le mail [Courriel 12] adressé le 20 décembre 2018 ainsi rédigé :

« Très chers clients, fournisseurs, partenaires et amis '

Je me permets ce mail pour vous souhaiter en mon nom et en celui de la nouvelle équipe Avéolys, à A vous et à vos proches, de très bonnes fêtes de fin d'année.

L'année écoulée aura été pour Avéolys une expérience particulière avec son lot d'aventures et nous aura permis de revoir, ajuster et enrichir nos offres afin de voir 2019 nous mener vers de nouveaux horizons. Notre nouveau site internet n'est pas tout à fait prêt, il sera prochainement mis en ligne.

En espérant retrouver certains d'entre vous, voir d'autres de vos connaissances autours de prestations telles que :

-les audits,

-les sujets RGPD

-la coordination numérique ' Nous sommes le référent numérique de l'entreprise, vous aidons à définir le fonctionnement numérique de votre structure et assurons le lien avec vos prestataires et partenaires,

-la gestion de projets, accompagnement au changement...

-la sécurité du système d'information

-définition des politiques, management des organes de la sécurité informatique

-le développement d'application (y compris smartphone) ou de sites internet, e-commerce...

-le reporting et la gestion de données (Data Managements)

( ')

Vous remerciant par avance, en PJ une présentation ;

PS - Ce mail est un envoi unique et manuel. Il n'est pas construit par le traitement automatisé d'un fichier informatique mais à partir de mon carnet de contact personnel. Si vous souhaitez néanmoins ne plus faire partie de mon carnet de contacts, merci de me le préciser en retour. »

-Une offre de service adressée au groupe Iris par la société Avéolys et acceptée le 6 juin 2018 à laquelle est agrafé un « Contrat infogérance » conclu entre la société Avéolys et le Groupe IRIS ([6], [8] et [11]) le 1er avril 2016, soit antérieurement à la cession du fonds de commerce, sans qu'il en soit fait mention dans l'offre ;

-La lettre de mission conclu entre le groupe Iris Santé et la société Avéolys datée du 6 juin 2018 tenant à la gestion de projets numériques et d'assistance aux fonctions de RSSI.

-Les factures société Aveolys à [6] concernant essentiellement le « Contrat de Coordination Numérique » et la « Gestion de Parc » couvrant la période allant de juillet 2018 à août 2021

-Les factures société Aveolys à [8] concernant essentiellement le « Contrat de Coordination Numérique » et la « Gestion de Parc » couvrant la période allant de juillet 2018 à août 2021

-Les factures société Aveolys à [11] concernant essentiellement le « Contrat de Coordination Numérique » et la « Gestion de Parc » couvrant la période allant de juillet 2018 à août 2021

-Un extrait K bis de la SARL Aveolys, édité le 30 janvier 2022, société immatriculée au RCS de [Localité 13] de la Réunion le 6 août 2010, au capital social de 7.500 euros, dont le siège social est fixé aux [Adresse 7], dont les activités principales sont : Pilotage, exploitation informatique, mise à disposition de personnel dans le domaine de l'informatique et des télécommunications, vente de matériels, logiciels et autres services, (conforme aux statuts produits par l'appelant) gérée par Mme [X] [U] [B] [N] [J] épouse [T], dont le nom commercial est AVEOLYS (siège social de la société et adresse de la gérante identiques) ;

-Les statuts de la SARL Aveolys, modifié le 11 août 2017, dont il ressort que le capital social est de 7.500 euros divisés en 750 parts, attribuées à M. [T] pour 458 parts et à Mme [T], son épouse, pour 292 parts ;

-Les « justificatifs du préjudice lié aux pertes de contrat » (selon le bordereau de communication de pièces) consistant en la production des factures RLCom suivantes :

. Facture du 1er juin 2018 au nom de RB Cuisines 124,78 euros TTC

AVEOPACK TPE PRO

. Facture du 1er juin 2018 au no de la Clinique [6] 905,98 euros TTC

Pilotage TIC (Télé Information Client) et Gestion de parc

. Facture du 1er juin 2018 au nom de la Clinique [8] 933,10 euros TTC

Pilotage TIC et Gestion de parc

. Facture du 1er juin 2018 au nom de la Clinique [11] 330,93 euros TTC

Pilotage TIC et Gestion de parc

. Facture du 2 janvier 2018 au nom d'Albioma Solaire Réunion 732,38 euros TTC

Pilotage TIC et Gestion de parc

M. [T] verse aux débats, notamment :

-Un courrier de la SPL Tamarun du 4 décembre 2017 adressé à la société RLCom portant en objet : « Respect des obligations contractuelles ' Marché de service de pilotage informatique » se plaignant de prestations exécutées partiellement « depuis la fusion effective entre AVEOLYS et RL COM : rallongement des délais d'intervention, délais d'intervention non respectés, documents prévus dans cahier des charges non transmis, interventions non suivies de contrôles garantissant le bon fonctionnement ;

-Une attestation de la société Atelier RB Cuisines datée du 21 août 2018 dans laquelle elle indique connaître M. [T] depuis l'origine de son activité en 2010, évoque des relations de proximité et « des plus amicales » avec M. [T] alors que les relations avec la direction de RLCOM sont distantes, regrette de ne pas avoir été informée du départ de M. [T] et écrit : « Nous avons donc choisi de solliciter une autre société pour subvenir à notre maintenance informatique, Monsieur [T] ayant de ce fait, refusé de reprendre cette maintenance pour des raisons de concurrence liées à la vente de son activité. »

-Une attestation d'Albioma Solaire Réunion datée du 20 août 2018 dans laquelle elle indique ne plus être en contrat avec la société de M. [T] (SARL AVEOLYS) ou la société RL COM et aux termes de laquelle :

« M. [T] connaissait nos installations depuis 2008. La société RLCom ne nous ayant pas prévenu du départ de M. [T] avant qu'il soit effectif, nous avons dû réagir rapidement et avons choisi, comme indiqué dans le courrier de résiliation, d'internaliser la supervision de notre réseau industriel solaire.

Me [T] est intervenu ponctuellement et gracieusement auprès de notre opérateur Télécom, la société Mobiux Technologie, afin de permettre une action de réglage technique de notre partenaire Réunwatt »

-Une attestation de Préventech datée du 14 août 2018 dans laquelle elle mentionne des relations de travail (courtoises et efficaces) et d'assistance depuis la création d'AVEOLYS (2008) ajoutant : « J'ai mis à profit le départ de [H] [T] de la société RLCom comme pour d'autres activités pour ne pas reconduire le contrat avec la société RLCom. En effet, existe dans mon quartier de [Adresse 9] une société de conseil, formation et maintenance de l'outil informatique en mesure d'intervenir rapidement en tant que de besoin pour un coût équivalent.

Le contrat d'assistance en maintenance et dépannage est en cours de finalisation. » ;

-Une attestation du Groupe Iris Santé datée du 20 août 2018 qui confirme avec choisi d'internaliser la prestation d'infogérance technique, auparavant en sous-traitance, suite au recrutement d'un informaticien en interne et à sa montée en compétence. « Seule une prestation de gestion de projet est confiée à un prestataire externe, M. [T], dans le cadre spécifique du déploiement de notre logiciel de GED M-Files et d'un projet régional relatif à la transmission des lettres de liaison entre établissements de santé, projet porté par le GCS TESIS ».

En l'état, la cour rappelle que la dénomination sociale et le nom commercial sont deux notions différentes.

La dénomination sociale correspond à l'identité juridique d'une société commerciale. Elle figure obligatoirement dans les documents commerciaux, au même titre que le siège social et le numéro SIREN.

Le nom commercial est le nom sous lequel l'activité de la société est connue du public.

En l'espèce, la société cédante dont la dénomination sociale est « Avéolys », a également pour nom commercial « Avéolys » ; ce nom commercial a été cédé à la société RLCom.

S'agissant du nom de domaine, à savoir « aveolys.com, aveolys.fr, aveolys.re et d'une manière générale à toutes les déclinaisons du nom de domaine Aveolys, quel que soit le nom de domaine racine », celui-ci n'a pas été cédé avec le fonds de commerce et, par ailleurs, le cessionnaire a expressément renoncé à son exploitation, dans le cadre de la rupture conventionnelle de M. [T], le numéro de téléphone de celui-ci lui ayant été rétrocédé par ailleurs.

Ainsi, s'il ne peut être reproché à M. [T] d'utiliser le nom de domaine aveolys, il en est autrement de l'utilisation du nom commercial, inclus dans le fonds de commerce cédé à la société RLCom.

Or, il résulte des éléments du dossier que M. [T] a utilisé le nom commercial Aveolys en contravention avec son obligation de non-concurrence, et ce, postérieurement au 15 mars 2018 (date de signature de la rupture conventionnelle) : sa page Linkedin fait référence à plusieurs reprises au nom « Aveolys », mentionnant en outre « la nouvelle équipe Avéolys ».

Pour autant, il n'est pas établi que la clientèle cédée à la société RLCom ait fait l'objet d'un détournement, chaque résiliation de contrat étant justifiée par le client, tant dans les courriers que dans les attestations produites par M. [T].

Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner à M. [T] de cesser toute utilisation du nom commercial « Avéolys », sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, passé le délai de 15 jours à compter de la signification.

Du fait de la violation de l'obligation de non-concurrence, et compte tenu des éléments du dossier, M. [T] sera condamné à payer à la société RLCom la somme de 10.000 euros au titre du préjudice économique et 10.000 euros au titre de son préjudice moral.

Il convient également d'autoriser la société RLCom à publier dans un journal d'annonces légales, l'arrêt à venir portant condamnation de M. [T], aux frais de ce dernier.

S'agissant de la demande de cessation de toute activité concurrente, elle sera rejetée l'obligation de non-concurrence ne consistant pas en une obligation générale de non-concurrence mais seulement dans le fait de s'abstenir de troubler, par son comportement, l'activité de son acquéreur, notamment par des actes de nature à détourner la clientèle.

Concernant la demande d'expertise, la société RLCom ne pourra qu'en être déboutée, faute de produire le moindre élément comptable permettant de connaître l'évolution du chiffre d'affaires, aucune mesure d'instruction ne pouvant être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, conformément aux dispositions de l'article 146 du code de procédure civile.

En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a débouté la SAS RLCom de l'ensemble de ses demandes.

Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, de :

-Débouter M. [T] de sa demande de cessation toute activité concurrente à celle de RLCom sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée ;

-Ordonner à M. [T] de cesser toute utilisation du nom commercial « Avéolys », et ce, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée, passée le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

-Condamner M. [T] à verser la somme de 10.000 euros à la Société RLCom à titre d'avance sur préjudice économique ;

-Débouter M. [T] de sa demande d'expertise ;

-Condamner M. [T] à verser la somme de 10.000 euros à la société RLCom au titre de son préjudice moral ;

-Autoriser la société RLCom à publier dans un journal d'annonces légales, l'arrêt à venir portant condamnation de M. [T], aux frais de ce dernier.

La cour rappelle que la société RLCom n'a jamais mis en cause, ni Mme [X] [J] épouse [T], ni la société Avéolys, de sorte que la demande tendant à voir déclarer recevable et fondée la mise en cause de Mme [T] et de la société Avéolys par la société RLCom sont sans objet, de même de toutes demandes les concernant.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera réformé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, en ce que la société RLCom a été condamnée à payer à M. [T] la somme de 2.000 euros ainsi qu'aux dépens.

M. [T], partie perdante pour l'essentiel, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commandant de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société RLCom, il convient de lui accorder de ce chef la somme de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

DIT sans objet la demande tendant à voir déclarer recevable et fondée la mise en cause de Mme [T] et de la société Aveolys par la société RLCom, de même de toutes demandes les concernant ;

INFIRME le jugement rendu le 28 octobre 2019 par le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion, mais seulement ne ce qu'il a :

. Débouté la SAS RLCom de l'ensemble de ses demandes,

. Condamné la SAS RLCom à payer à M. [H] [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

. Laissé les dépens à sa charge, dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 66,21 € TTC ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

DEBOUTE M. [H] [T] de sa demande de cessation toute activité concurrente à celle de la SAS Réseau Logiciel Communication sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée ;

ORDONNE à M. [H] [T] de cesser toute utilisation du nom commercial « Avéolys », et ce, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée, passée le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

CONDAMNE M. [H] [T] à verser la somme de 10.000 euros à la SAS Réseau Logiciel Communication au titre de son préjudice économique ;

DEBOUTE M. [H] [T] de sa demande d'expertise ;

CONDAMNE M. [H] [T] à verser la somme de 10.000 euros à la SAS Réseau Logiciel Communication au titre de son préjudice moral ;

AUTORISE la SAS Réseau Logiciel Communication à publier dans un journal d'annonces légales, l'arrêt à venir portant condamnation de M. [H] [T], aux frais de ce dernier ;

CONDAMNE M. [H] [T] à payer à la SAS Réseau Logiciel Communication la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

LE CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.