Cass. soc., 20 décembre 2023, n° 21-18.146
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 décembre 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 2209 FS-B
Pourvois n°
G 21-18.146
J 21-18.147
K 21-18.148
M 21-18.149
N 21-18.150
P 21-18.151
Q 21-18.152
R 21-18.153
S 21-18.154
T 21-18.155 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 DÉCEMBRE 2023
La Compagnia Aerea Italiana, SPA, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 13] (Italie), a formé les pourvois n° G 21-18.146, J 21-18.147, K 21-18.148, M 21-18.149, N 21-18.150, P 21-18.151, Q 21-18.152, R 21-18.153, S 21-18.154 et T 21-18.155 contre dix arrêts rendus le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6) dans les litiges l'opposant respectivement à :
1°/ Mme [VN] [V], épouse [J], domiciliée [Adresse 2],
2°/ Mme [Z] [K], domiciliée [Adresse 1],
3°/ Mme [X] [C], domiciliée [Adresse 9],
4°/ Mme [S] [A], domiciliée [Adresse 3],
5°/ Mme [T] [N] [I], domiciliée [Adresse 6],
6°/ Mme [B] [D], domiciliée [Adresse 7],
7°/ Mme [F] [H] [IY], domiciliée [Adresse 11],
8°/ M. [TU] [O], domicilié [Adresse 5],
9°/ Mme [L] [G], domiciliée [Adresse 8],
10°/ Mme [L] [IB] [Y], domiciliée [Adresse 10],
11°/ l'AGS CGEA Île-de-France Ouest, AGS Île-de-France faillites transnationales, dont le siège est [Adresse 4],
12°/ M. [XH] [E], domicilié [Adresse 12] (Italie), pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Alitalia-Linee Aeree Italiane, placée sous administration extraordinaire,
13°/ M. [W] [R], domicilié [Adresse 12] (Italie), pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Alitalia-Linee Aeree Italiane, placée sous administration extraordinaire,
14°/ M. [M] [U], domicilié [Adresse 12] (Italie), pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Alitalia-Linee Aeree Italiane, placée sous administration extraordinaire,
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, trois moyens de cassation communs.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la Compagnia Aerea Italiana, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [V] et des neuf autres salariés et de l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller rapporteur référendaire, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, Panetta, conseillers, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° G 21-18.146 à T 21-18.155 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 16 décembre 2020), Mme [V] et neuf autres salariés ont été engagés par la société de droit italien Alitalia-Linee Aerea Italiana (la société Alitalia LAI) pour exercer divers emplois au sein d'une des succursales françaises de cette société.
3. La société Alitalia LAI a été placée sous administration extraordinaire (« amministrazione straordinaria ») le 29 août 2008 et M. [P] nommé commissaire extraordinaire afin d'assurer la gestion de l'entreprise et l'administration de ses biens.
4. Par jugement du 5 septembre 2008, le tribunal ordinaire de Rome a déclaré la cessation de paiement de la société Alitalia LAI.
5. Le 12 décembre 2008, a été conclu un acte de cession, produisant effet le 12 janvier 2009, par lequel la société Compagnia Aerea Italiana (la société CAI) a acquis certains actifs de la société Alitalia LAI.
6. Les salariés ont été licenciés pour motif économique par lettres du 9 janvier 2009.
7. Par requêtes du 4 juin 2009, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes en invoquant, en particulier, à l'égard de la société CAI, une violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.
La demande de saisine préjudicielle de la Cour de justice de l'Union européenne
Enoncé de la question
8. La société CAI demande que la question suivante soit transmise à la Cour de justice de l'Union européenne :
« Les articles 4, 10, 16 et 17 du règlement 1346/2000 du conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsqu'une entreprise située sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne qui dispose d'un établissement dans un autre Etat membre a fait l'objet d'une procédure d'insolvabilité, au sens de ce règlement, le juge doit appliquer la loi de l'Etat d'ouverture pour déterminer si la cession d'éléments d'actif emporte ou non cession d'une entité économique autonome au sens de la directive 2001/23/CE du conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, de sorte que l'article 10 du règlement ne désigne la loi du contrat de travail que pour déterminer les effets de ce transfert ou de l'absence de transfert sur chacun des contrats des salariés concernés ? »
Réponse de la Cour
9. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a., 283/81, point 21 ; CJUE, arrêt du 4 octobre 2018, Commission/France, C-416/17, point 110), les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne ne sont pas tenues de renvoyer une question d'interprétation de droit de l'Union soulevée devant elles lorsque la question n'est pas pertinente ou lorsque la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou lorsque l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.
10. D'abord, une partie de la question suggérée par la société n'est pas pertinente dans la mesure où les articles 16 et 17 du règlement n° 1346/2000 régissent non pas la détermination de la loi applicable à la procédure d'insolvabilité mais la reconnaissance de cette procédure.
11. Ensuite, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que seules les actions qui dérivent directement d'une procédure d'insolvabilité et qui s'y insèrent étroitement entrent dans le champ d'application du règlement n° 1346/2000 (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, point 19).
12. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé qu'afin de déterminer si une action dérive directement d'une procédure d'insolvabilité, l'élément déterminant pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s'inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l'obligation qui sert de base à l'action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d'insolvabilité (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, point 22).
13. Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le renvoi exclusif, prévu à l'article 10 du règlement n° 1346/2000, à la loi de l'État membre applicable au contrat de travail pour régir les effets de la procédure d'insolvabilité sur ce contrat se rapporte tant à la poursuite et à la cessation du contrat de travail qu'aux droits et obligations afférents à ce contrat (CJUE, arrêt du 26 octobre 2016, Senior Home, C-195/15 point 28).
14. Ainsi, il n'existe aucun doute raisonnable sur l'interprétation des articles 4 et 10 du règlement n° 1346/2000 du conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité.
15. Il n'y a, en conséquence, pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
16. La société CAI fait grief aux arrêts de la condamner à payer aux salariés des dommages-intérêts pour rupture abusive de la relation de travail, avec intérêts au taux légal à compter de ces décisions, alors « que, en vertu de l'article 4 du règlement 1346/2000 du conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, la loi applicable à la procédure d'insolvabilité et ses effets est, sauf dispositions contraires du règlement, celle de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte ; qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 4 précité, la loi de l'Etat d'ouverture détermine notamment ''les effets de la procédure d'insolvabilité sur les contrats en cours auxquels le débiteur est partie'' ; qu'eu égard à la portée universelle de la procédure d'insolvabilité, c'est par application de la loi de l'Etat d'ouverture que l'organe de la procédure doit déterminer si les acquéreurs d'éléments d'actif seront ou non tenus de reprendre les contrats de travail éventuellement situés à l'étranger, sauf à ce qu'une procédure secondaire ait été ouverte dans un pays tiers ; que les dispositions de l'article 10 du règlement précisant que ''les effets de la procédure d'insolvabilité sur un contrat de travail et sur le rapport de travail sont régis exclusivement par la loi de l'Etat membre applicable au contrat de travail'' ont pour seul objet de désigner la loi applicable aux conséquences, pour chaque salarié concerné, de l'existence ou de l'absence de transfert de contrat de travail telle qu'elle résulte de l'application de la loi de l'Etat d'ouverture de la procédure d'insolvabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société LAI avait été placée en raison de son insolvabilité en procédure dite ''amministrazione straordinaria'' (administration extraordinaire des grandes entreprises publiques) équivalant à une procédure de liquidation judiciaire et qu'il résultait du décret-loi italien n° 270 du 8 juillet 1999 que ''les opérations de cession de biens, d'entreprise ou de parties d'entreprise à l'occasion d'une procédure d'administration extraordinaire ne constituent pas un transfert d'entreprise ou d'entité économique autonome au sens de l'article 2112 du code civil italien (
)'' ; qu'en affirmant néanmoins que ''l'article 10 du règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, les effets de la procédure d'insolvabilité sur un contrat de travail et sur le rapport de travail sont régis exclusivement par la loi de l'Etat applicable à ce contrat'', et en décidant en conséquence que les conditions d'un éventuel transfert des contrats de travail devaient être examinées au regard de la loi française à l'exclusion des dispositions légales italiennes de la procédure qui écartent tout transfert des contrats de travail à l'occasion de la procédure de liquidation de la société Alitalia, la cour d'appel a violé les articles 4, 10, 16 et 17 du règlement 1346/2000 du conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité. »
Réponse de la Cour
17. Aux termes de son article 1er, § 1, le règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité s'applique aux procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d'un syndic.
18. Aux termes de son article 4, § 1, sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d'insolvabilité et à ses effets est celle de l'État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte.
19. Aux termes de l'article 10 du même règlement, les effets de la procédure d'insolvabilité sur un contrat de travail et sur le rapport de travail sont régis exclusivement par la loi de l'État membre applicable au contrat de travail.
20. Dans le contexte de l'interprétation de l'article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu que seules les actions qui dérivent directement d'une procédure d'insolvabilité et qui s'y insèrent étroitement entrent dans le champ d'application de ce règlement (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, point 19).
21. S'agissant du premier critère, afin de déterminer si une action dérive directement d'une procédure d'insolvabilité, l'élément déterminant pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s'inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l'obligation qui sert de base à l'action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d'insolvabilité (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, point 22).
22. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
23. L'action fondée sur cette disposition, qui a pour objet la poursuite des contrats de travail des salariés, ne requiert pas l'ouverture préalable d'une procédure d'insolvabilité ni l'intervention d'un syndic au sens du règlement n° 1346/2000 et ne tend pas au remboursement partiel des créanciers, de sorte qu'elle ne dérive pas directement d'une procédure d'insolvabilité.
24. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que le litige relatif à la rupture du contrat de travail pour être intervenu en violation de l'article L. 1224-1 du code du travail ne relevait pas de la procédure d'insolvabilité, mais était régi par la loi de l'Etat membre applicable aux contrats de travail, et en a déduit, après avoir relevé que la loi française était la loi des contrats de travail des salariés, que les conditions d'un éventuel transfert de ces contrats de travail devaient être examinées au regard de la loi française.
25. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
26. La société CAI fait le même grief aux arrêts, alors « que, aux termes de l'article 5, § 1, de la directive 2001/23/CE du conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, les articles 3 et 4 relatifs au ''maintien des droits des travailleurs'' ne s'appliquent pas, en principe, au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou partie d'établissement lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure de faillite ou d'une procédure d'insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation de ses biens et se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente ; qu'il n'en va autrement que ''si les Etats membres en disposent autrement'', c'est-à-dire si une disposition légale expresse prévoit le transfert des contrats de travail ; que si les dispositions L. 642-1 à L. 642-7 du code de commerce prévoient que la cessation totale ou partielle de l'entreprise par le tribunal a pour but d'assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome et de ''tout ou partie des emplois qui y sont attachés (
)'', l'acquéreur candidat devant au demeurant définir ses engagements en termes d'emplois, il en va autrement de la cession isolée d'actifs par le juge-commissaire régie par les articles L. 642-18 à L. 642-21 du code de commerce qui ne formulent aucun objectif de maintien de l'emploi ni a fortiori aucun engagement des acquéreurs de tels actifs en termes d'emplois ; qu'il en résulte, à défaut de disposition contraire, que l'article L. 1224-1 du code du travail ne trouve pas à s'appliquer dans l'hypothèse d'une cession isolée d'actifs prononcée par le juge-commissaire dans le cadre d'une procédure de liquidation des actifs ; qu'en affirmant que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne réservait la ''faculté des Etats membres'' d'appliquer les principes de la directive ''transfert'' dans le cadre d'une faillite, pour en déduire que ''l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 est donc susceptible d'être appliqué à l'espèce'', cependant qu'aucune disposition de droit interne ne prévoit une dérogation au principe d'exclusion des garanties de la directive ''transfert'' dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire emportant simple cession d'éléments d'actif sans cession de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail, ensemble l'article 5, § 1, de la directive 2001/23/CE du conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, les articles L. 642-18 à L. 642-21 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
27. D'abord, aux termes de l'article 3, § 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
28. Selon l'article 4, § 1, de cette directive, le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire.
29. Aux termes de l'article 5, § 1, de la même directive, sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s'appliquent pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure de faillite ou d'une procédure d'insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente.
30. Ensuite, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
31. L'article L. 1224-2 du même code précise que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf notamment en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.
32. Il en résulte, d'une part, que l'article L. 1224-1 du code du travail, sous la réserve des dispositions prévues à l'article L. 1224-2 du même code, s'applique au transfert d'une entité économique autonome intervenant à l'occasion d'une procédure collective et, d'autre part, que le fait qu'une cession ordonnée à l'occasion d'une procédure collective ne concerne que certains des actifs de la société liquidée n'est pas de nature à faire échec à son application.
33. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
34. La société CAI fait le même grief aux arrêts, alors :
« 1°/ que l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; qu'une entité économique tenant à l'exploitation d'une activité de transport aérien perd son identité lorsque le repreneur abandonne une partie substantielle de la flotte du cédant, met en place une organisation différente des plateformes de vols le positionnant sur un marché différent, abandonne une part importante des activités exploités par le cédant, propose des services substantiellement différents et dispose de ses propres licences de vol ; qu'en l'espèce, la société CAI faisait valoir qu'elle n'avait pas repris l'activité de transport de marchandises et maintenance, qu'elle avait par ailleurs abandonné un certain nombre d'activités accessoires liées au transport de personnes antérieurement exercées par la LAI (billetterie, customer care, support administratif en escale, manutention et entretien des aéronefs, service paye, service à bord, nettoyage à bord, marketing, cargo et entrepôt des marchandises, service après-vente), l'offre de services proposée par elle était profondément différente, qu'elle n'avait repris qu'une partie des avions et avait substantiellement modernisé et diversifié la flotte aérienne, qu'elle n'exploitait plus que deux escales en France sur les quatre précédentes, que le système d'exploitation antérieur axé sur les vols continentaux était remplacé par un système multi-hub européen articulé autour de plateformes de correspondances et de ''bases opératives'', qu'elle disposait de ses propres licences de vol et qu'elle n'avait jamais utilisé les licences de vol de la société LAI ; qu'elle ajoutait que ce positionnement entièrement nouveau s'accompagnait de conditions sociales différentes (salaires inférieurs de 15 % à 20 %, absence d'accord collectif d'entreprise, nombre plus réduit de salariés sous statut cadre), ce qui corroborait le changement radical de l'entité et de son positionnement sur le marché ; qu'en se bornant à relever, pour admettre l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, que la société CAI avait acquis des biens (avions, installations diverses, automobiles et autres biens meubles), des droits de propriété intellectuelle et des systèmes informatiques, des logiciels et du matériel, des savoir-faire, des slots et droits de trafic (droits de nature commerciale distincts de la licence d'autorisation qui n'était pas transmise), des contrats et rapports juridiques, qu'elle avait repris 17 salariés et qu'elle avait pris contact avec des prestataires de la succursale avant la prise d'effet de la cession pour leur proposer la ''poursuite d'une relation dans un nouveau cadre contractuel'', tous éléments visant à assurer ''fût-ce dans un cadre organisationnel différent la continuité de l'activité des vols commerciaux assurés jusqu'alors par la succursale française de LAI'', sans s'interroger sur le point de savoir si l'organisation substantiellement différente de l'activité ne s'accompagnait pas d'un renouvellement substantiel de la flotte, d'un abandon d'importantes activités, d'un repositionnement de l'activité sur un marché différent avec des conditions sociales radicalement différentes et des licences de vol spécifiques, tous éléments exclusifs d'une continuité de l'activité, comme la Commission européenne l'avait elle-même constaté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 ;
2°/ que la seule poursuite d'une activité de transport aérien n'implique pas le maintien d'une entité économique lorsqu'elle s'accompagne d'un changement de mode d'exploitation et d'un changement de positionnement sur le marché exclusif d'une reprise de la clientèle ; qu'en se bornant à relever que le transfert de certains éléments d'exploitation et contrats lors de la cession d'actifs poursuivait l'objectif de garantir un ''service de transports aérien ininterrompu'' et d'assurer ainsi ''la continuité de l'activité des vols commerciaux'', lorsqu'elle devait rechercher si la poursuite de l'activité de transport aérien ne s'effectuait pas comme le soutenait l'exposante dans des conditions telles qu'elles excluaient toute reprise de la clientèle, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
35. Il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que l'entité économique autonome dont le transfert entraîne la poursuite de plein droit avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés qui y sont affectés s'entend d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.
36. La cour d'appel a constaté qu'aux termes de l'acte de cession, la société cessionnaire avait acquis des avions y compris toutes leurs pièces, des installations, machineries, outillages et décorations de bureau, des automobiles et autres biens meubles, mais également des droits de propriété intellectuelle et des systèmes informatiques correspondant à toutes les marques, dont Alitalia, aux noms de domaine, droits sur les titres des produits d'édition et droits d'auteur y compris ceux des manuels d'exploitation, aux documents d'aéronautique, ainsi que des logiciels et du matériel comprenant tous les programmes d'ordinateur, systèmes informatiques et réseaux, appareils, instruments.
37. Elle a également relevé que la société cessionnaire avait repris des savoir-faire consistant en l'ensemble des renseignements d'entreprise et des compétences techniques et industrielles, y compris les connaissances et compétences commerciales relatives aux biens et aux contrats transférés même ceux qui étaient frappés de secret et de confidentialité, ainsi que les documents, données et renseignements se rapportant aux biens et rapports juridiques transférés, y compris, à titre d'exemple, les renseignements et données relatifs aux rapports, systèmes et procédures au sol et à bord, aux procédures d'entretien et d'utilisation des avions, aux normes techniques et aux procédures se rapportant à l'ingénierie des avions, aux systèmes de qualité et de sécurité au sol et en vol, aux tarifs aériens de transport des passagers, aux services de navigation aérienne, à l'assistance au sol dans les aéroports, aux routes nationales, intracommunautaires et internationales, à l'habilitation des transporteurs aériens, aux permis du personnel de vol et des contrôleurs de vol, aux codes de comportement concernant l'utilisation des systèmes télématiques de réservation, aux procédures de compensation pour non embarquement, aux procédures d'exploitation standardisées de l'activité « ground handling » et de l'activité passagers, aux fichiers des réclamations reçues, à tout autre renseignement technique, technologique ou commercial permettant d'effectuer les essais, les tests, l'entretien, le contrôle, la gestion, l'entreposage des avions et des moteurs ainsi que la distribution, la commercialisation, la vente des billets d'avion, de vols et de voyages et d'une manière plus générale de transport aérien. Elle a en outre souligné que la société cessionnaire avait repris des slots et des droits de trafic consistant en tous les droits d'atterrissage et de décollage utilisés ou non (à l'exception du transport de fret), tous les droits de survol et droits de trafic, ainsi que des contrats et rapports juridiques transférés « pour la garantie d'un service de transport aérien ininterrompu », la société CAI se substituant à la société Alitalia LAI.
38. Elle a enfin retenu que, malgré la volonté affichée de présenter la cession de la société Alitalia LAI comme le fruit d'un démantèlement, l'activité des vols commerciaux depuis ou à destination de la France, assurés jusqu'alors par la succursale française de la société Alitalia LAI, sous la marque Alitalia, avait été poursuivie sans interruption par la société cessionnaire, nonobstant les licenciements intervenus le 9 janvier 2009, grâce au recrutement, le 13 janvier 2009, ainsi qu'il résulte du registre unique du personnel, de dix-sept anciens salariés de LAI pour assurer des fonctions administratives, comptables, des fonctions d'attachés commerciaux et des fonctions de chefs ou techniciens d'escale, soit notamment les fonctions exercées par les salariés licenciés.
39. De ces constatations et énonciations, dont il résultait que la société cessionnaire avait repris un ensemble de moyens corporels et incorporels significatifs et nécessaires à la poursuite de l'activité de transport aérien de passagers exercée par la société cédante, la cour d'appel a pu déduire le transfert d'une entité économique autonome et, par voie de conséquence, la poursuite de plein droit des contrats de travail des salariés relevant de cette activité avec le nouvel employeur, peu important que celui-ci ait ensuite décidé l'abandon d'activités antérieurement exercées par le cédant et ses choix d'organisation postérieurs.
40. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Dit n'y avoir lieu à saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;
Condamne la société Compagnia Aerea Italiana aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnia Aerea Italiana et la condamne à payer à chaque salarié la somme de 300 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt décembre deux mille vingt-trois.