Cass. 3e civ., 12 juin 1996, n° 94-14.862
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
Mme Stéphan
Avocat général :
M. Weber
Avocat :
SCP Boré et Xavier
Sur le premier moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi provoqué, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er mars 1994), que M. Z... a acquis, selon acte notarié établi le 4 juin 1981 par la SCP Durand et Jouvion, (la SCP), un fonds de commerce exploité dans des locaux dont les époux Y... sont devenus propriétaires; que ceux-ci lui ont, le 19 juin 1989, délivré congé avec refus de renouvellement du bail et offre d'une indemnité d'éviction; qu'ayant appris au cours des opérations de l'expertise ordonnée aux fins d'évaluer le montant de cette indemnité, que M. Z... n'était pas immatriculé au registre du commerce à l'époque du congé, les bailleurs sont revenus sur leur offre d'indemnité;
Attendu que la SCP et M. Z... font grief à l'arrêt de décider que M. Z... n'a pas droit au paiement d'une indemnité d'éviction, alors, selon le moyen 1°/ que le statut des baux commerciaux relevant d'un ordre public de protection, il est loisible aux parties de placer volontairement leurs relations contractuelles sous son empire, notamment par contrat judiciaire ;
qu'en l'espèce, il ressort des constatations des juges du fond que le preneur a accepté, en son principe, l'indemnité d'éviction offerte par les bailleurs la veille du dépôt du rapport de l'expert et que ces derniers, qui connaissaient le défaut d'immatriculation du preneur depuis les opérations d'expertise, n'ont déclaré revenir sur leur offre qu'au vu de l'évaluation de l'indemnité faite par l'expert; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a écarté l'existence d'un contrat judiciaire sans rechercher si, par leur comportement, les bailleurs avaient implicitement mais nécessairement renoncé à se prévaloir du défaut d'immatriculation du preneur, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil; 2°/ que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et ne peut être privée de sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant indemnité; qu'a fortiori, la législation des baux commerciaux relevant d'un ordre public de protection ne saurait priver le propriétaire du fonds de commerce d'une juste indemnité en contrepartie de la perte de son fonds, nonobstant son défaut d'immatriculation au registre du commerce, formalité destinée à l'information des tiers; d'où il suit que la cour d'appel a violé l'article premier du protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme";
Mais attendu, d'une part, que les dispositions du décret du 30 septembre 1953 relatives au renouvellement du bail réalisant un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ne sont pas contraires aux dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que l'offre d'indemnité d'éviction n'avait été faite qu'en raison de l'ignorance où se trouvaient les bailleurs du défaut d'immatriculation au registre du commerce de M. Z..., qu'ils n'avaient appris qu'au cours de l'expertise, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef;
Mais sur le second moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 1er du décret du 30 septembre 1953;
Attendu que les dispositions du décret du 30 septembre 1953 s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au registre des métiers;
Attendu que, pour condamner la SCP à payer à M. Z... une somme à titre de dommages et intérêts, l'arrêt retient que celle-ci n'avait pas informé M. Z... de la nécessité pour lui de s'immatriculer au registre du commerce afin de pouvoir bénéficier du droit au renouvellement de son bail ou d'une indemnité d'éviction, qu'il n'apparaissait pas que M. Z... ait été un professionnel averti conscient des démarches qu'il devait suivre lors de la création de son fonds de commerce, alors, qu'au contraire, il était établi qu'il était jusqu'alors salarié, et que le préjudice subi par lui du fait du refus des bailleurs de lui payer une indemnité d'éviction résultait directement du manquement du notaire à son devoir de conseil;
Qu'en statuant ainsi alors que l'immatriculation au registre du commerce constitue une obligation légale qu'un commerçant ne peut ignorer, la cour d'appel, qui a constaté que M. Z..., qui avait conclu l'acte d'achat du fonds de commerce en 1981, ne s'était fait immatriculer à ce registre qu'en juillet 1991, soit postérieurement au congé du 19 juin 1989, a violé les textes susvisés;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SCP Durand et Jouvion envers M. Z..., l'arrêt rendu le 1er mars 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.