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Décisions

TUE, 5e ch. élargie, 20 décembre 2023, n° T-63/21

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Stadtwerke Frankfurt am Main Holding GmbH

Défendeur :

Commission européenne, E.ON SE, RWE AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. van der Woude

Juges :

M. Svenningsen, M. Mac Eochaidh, M. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), Mme Stancu

Avocats :

Me Schalast, Me Löschan, Me Salamati, Me Grave, Me Barth, Me dos Santos Goncalves, Me Ziebarth, Me Siegmund

TUE n° T-63/21

19 décembre 2023

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Stadtwerke Frankfurt am Main Holding GmbH, demande l’annulation de la décision C(2019) 6530 final de la Commission, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (ci-après la « décision attaquée »).

Antécédents du litige

Entreprises en cause

2 E.ON SE est une société de droit allemand qui opérait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, sur l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie, notamment dans les domaines de la production, de la vente en gros, du transport, de la distribution, de la vente au détail et des activités liées à l’énergie (comme le comptage, l’électromobilité). E.ON est active dans plusieurs États européens, dont la République tchèque, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Suède et le Royaume-Uni.

3 Innogy SE (ci-après, ensemble avec E.ON, les « parties à la concentration »), une filiale de RWE AG majoritairement détenue par cette dernière, est une société de droit allemand active dans toute la chaîne de fourniture d’énergie, qu’il s’agisse de production, de distribution, de vente au détail et d’activités liées à l’énergie telles que le comptage ou l’électromobilité. Innogy est active dans plusieurs États européens, dont la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Croatie, l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et le Royaume-Uni. 

4 La requérante est une holding communale allemande détenant des participations dans des sociétés de fourniture énergétique, à savoir, en particulier, Mainova AG et [confidentiel] (1).

Contexte de la concentration

5 La concentration en cause en l’espèce s’inscrit dans le cadre d’un échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON, annoncé les 11 et 12 mars 2018 par les deux entreprises concernées. Ainsi, par le biais de la première opération, RWE souhaite acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON. La deuxième opération, à savoir la concentration en cause en l’espèce, consiste en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy contrôlée par RWE. Quant à la troisième opération, elle prévoit que RWE acquière 16,67 % des parts d’E.ON.

6 La requérante a envoyé, le 22 juin 2018, un courrier à la Commission européenne par lequel elle lui a indiqué souhaiter participer à la procédure relative aux première et deuxième opérations de concentration et, par conséquent, recevoir les documents afférents à celles-ci. À cette occasion, elle a également transmis ses préoccupations quant aux effets de ces deux opérations de concentration.

7 Le 28 septembre 2018, une réunion s’est tenue entre la requérante et la Commission.

8 À la suite de cette réunion, la Commission a demandé des observations complémentaires à la requérante.

9 La première opération de concentration a été notifiée à la Commission le 22 janvier 2019. La Commission a, eu égard à cette première opération, adopté la décision C(2019) 1711 final, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets).

10 La troisième opération a été notifiée au Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne), qui l’a autorisée par décision du 26 février 2019 (affaire B8-28/19).

 Procédure administrative

11 Le 31 janvier 2019, la Commission a reçu notification d’une proposition de concentration en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), par laquelle E.ON souhaitait acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, le contrôle exclusif des activités de distribution et de solutions pour les consommateurs et certains actifs de production d’électricité d’innogy, contrôlée par RWE.

12 Dans le cadre de son examen de cette concentration, la Commission a réalisé une première enquête de marché, adressée aux concurrents des parties à la concentration, et a donc transmis à certaines entreprises, dont la requérante, le 1er février 2019, un questionnaire auquel celle-ci a répondu, le 13 février 2019.

13 Le 7 février 2019, le conseiller-auditeur a reconnu le statut de tiers intéressé à la requérante.

14 Le 8 février 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la notification préalable de cette concentration (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (JO 2019, C 50, p. 13, ci-après la « concentration M.8870 »), conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

15 Par décision du 7 mars 2019, la Commission a estimé que la concentration M.8870 soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen (JO 1994, L 1, p. 3). En conséquence, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen approfondi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.

16 Le 18 mars 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’engagement de procédure (JO 2019, C 102, p. 2), conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.

17 Le 15 avril 2019, la requérante a déposé des observations complémentaires auprès de la Commission.

18 Lors d’une réunion-bilan s’étant tenue le 27 mai 2019, la Commission a informé les parties à la concentration des résultats préliminaires de l’étude du marché et de l’étendue de ses préoccupations préliminaires.

19 Afin de remédier aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission lors de la réunion-bilan du 27 mai 2019, E.ON a présenté, le 20 juin 2019, une offre d’engagements, conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.

20 Le 7 juin 2019, la requérante a déposé des observations complémentaires auprès de la Commission.

21 La Commission a réalisé une seconde enquête de marché, relative aux engagements proposés par E.ON, et a donc transmis à certaines entreprises, dont la requérante, le 21 juin 2019, deux questionnaires, l’un portant sur les engagements proposés pour le marché de l’électricité utilisée pour le chauffage et l’autre sur ceux proposés pour le marché de l’électromobilité. La requérante a répondu à cette enquête le 28 juin 2019.

22 E.ON a présenté une version finale de ses engagements le 3 juillet 2019.

Décision attaquée

23 La Commission ayant estimé que les engagements présentés par E.ON étaient suffisants pour écarter les doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur, elle n’a pas envoyé de communication des griefs à E.ON et a adopté la décision attaquée. Par cette décision, dont un résumé a été publié au Journal officiel (JO 2020, C 379, p. 16), la Commission a déclaré la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen.

Conclusions des parties

24 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

25 La Commission, soutenue par RWE et par E.ON, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

26 À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, quatre moyens, tirés, le premier, d’une scission erronée de l’analyse de l’échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON mentionnée dans le point 5 ci-dessus, le deuxième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le troisième, de la violation de l’obligation de diligence et, le quatrième, d’un détournement de pouvoir.

27 Les conditions de recevabilité d’un recours, notamment le défaut d’intérêt à agir, relevant des fins de non-recevoir d’ordre public (voir ordonnance du 10 mars 2005, Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, T 228/00, T 229/00, T 242/00, T 243/00, T 245/00 à T 248/00, T 250/00, T 252/00, T 256/00 à T 259/00, T 265/00, T 267/00, T 268/00, T 271/00, T 274/00 à T 276/00, T 281/00, T 287/00 et T 296/00, EU:T:2005:90, point 22 et jurisprudence citée), il appartient au Tribunal de vérifier d’office si la requérante a un intérêt à obtenir l’annulation de la décision attaquée.

28 Selon une jurisprudence constante, la recevabilité du recours en annulation introduit par une personne physique ou morale est subordonnée à la condition qu’elle justifie d’un intérêt à agir. Elle doit, en particulier, démontrer l’existence d’un intérêt personnel à obtenir l’annulation de l’acte attaqué. Cet intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (voir ordonnance du 27 mars 2012, European Goldfields/Commission, T 261/11, non publiée, EU:T:2012:157, point 17 et jurisprudence citée).

29 Par conséquent, il convient de vérifier si, en l’espèce, la requérante a fait la preuve de son intérêt personnel, né et actuel à agir contre la décision attaquée.

30 C’est au regard de la jurisprudence rappelée au point 28 ci-dessus que le Tribunal a adopté une mesure d’organisation de la procédure visant à inviter les parties à soumettre, par écrit, leurs observations sur la fin de non-recevoir qu’il envisageait de soulever d’office. Les parties ont répondu dans le délai imparti.

31 Il ressort tant de la requête que de la réponse de la requérante à la mesure d’organisation de la procédure que la principale préoccupation de la requérante réside dans le fait que sa participation dans [confidentiel].

32 Il convient donc de constater que les arguments de la requérante tendant à démontrer que la décision attaquée affectera sérieusement ses activités économiques sont essentiellement fondés sur sa participation dans [confidentiel]. À cet égard, elle précise que l’intérêt que représente, pour elle, l’annulation de la décision attaquée réside dans la possibilité de [confidentiel].

33 Or, ainsi que le soutiennent au demeurant à juste titre E.ON et la Commission, sauf à pouvoir faire valoir un intérêt à agir distinct de celui d’une entreprise concernée par un acte de l’Union européenne et dont elle détient une part du capital, une personne ne saurait défendre ses intérêts à l’égard de cet acte autrement qu’en exerçant ses droits d’associé de cette entreprise, qui, elle, a le droit d’introduire un recours (voir ordonnance du 27 mars 2012, European Goldfields/Commission, T 261/11, non publiée, EU:T:2012:157, point 21 et jurisprudence citée).

34 Le fait, invoqué dans la réponse de la requérante à la mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal, que la requérante ne disposait d’aucun recours pour s’opposer à [confidentiel] ne saurait constituer un argument permettant de constater l’existence d’un intérêt à agir différent de celui de [confidentiel].

35 En effet, d’une part, force est de constater qu’il s’agit d’une allégation générale et que la requérante ne démontre, ni ne soutient avoir engagé une quelconque procédure, au sein de [confidentiel], pour essayer d’obtenir que cette dernière entité introduise un recours contre la décision attaquée. Par conséquent, elle ne saurait valablement affirmer qu’elle ne disposait d’aucun autre recours.

36 D’autre part, une telle allégation ne remet pas en cause le fait que, en tout état de cause, l’intérêt à agir de la requérante demeure un intérêt lié à l’activité de [confidentiel].

37 En outre, il convient de constater que les arguments présentés par la requérante se fondent essentiellement sur la violation alléguée des engagements pris par RWE en ce qui concerne [confidentiel]. [confidentiel]. Or, la requérante ne saurait se prévaloir de prétendues violations contractuelles de la part de RWE au regard d’une entité qui, de surcroît, n’est pas partie à la concentration M.8870, pour démontrer son intérêt à obtenir l’annulation d’une décision adoptée par la Commission. Par conséquent, en ce sens également, l’intérêt que représente, pour la requérante, l’annulation de la décision attaquée n’est pas établi.

38 Dans de telles circonstances, la requérante n’a pas justifié d’un intérêt personnel, né et actuel à agir contre la décision attaquée.

39 Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

40 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, par E.ON et par RWE, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2) Stadtwerke Frankfurt am Main Holding GmbH supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, par E.ON SE et par RWE AG.