TUE, 5e ch. élargie, 20 décembre 2023, n° T-65/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
enercity AG
Défendeur :
Commission européenne, E.ON SE, RWE AG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. van der Woude
Juges :
M. Svenningsen, M. Mac Eochaidh, M. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), Mme Stancu
Avocats :
Me Schalast, Me Löschan, Me Löschan, Me Grave, Me Barth, Me dos Santos Goncalves, Me Scholz, Me Ziebarth, Me Siegmund
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, enercity AG, demande l’annulation de la décision C(2019) 6530 final de la Commission, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (ci-après la « décision attaquée »).
I. Antécédents du litige
A. Entreprises en cause
2 E.ON SE est une société de droit allemand qui opérait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, sur l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie, notamment dans les domaines de la production, de la vente en gros, du transport, de la distribution, de la vente au détail et des activités liées à l’énergie (comme le comptage, l’électromobilité) (ci-après le « marché de l’énergie »). E.ON est active dans plusieurs États européens, dont la République tchèque, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Suède et le Royaume-Uni.
3 Innogy SE (ci-après, ensemble avec E.ON, les « parties à la concentration »), une filiale de RWE AG, majoritairement détenue par cette dernière, est une société de droit allemand active dans toute la chaîne de fourniture d’énergie, qu’il s’agisse de production, de distribution, de vente au détail et d’activités liées à l’énergie telles que le comptage ou l’électromobilité. Innogy est active dans plusieurs États européens, dont la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Croatie, l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et le Royaume-Uni.
4 La requérante est une régie municipale allemande qui produit et fournit de l’énergie en Allemagne.
B. Contexte de la concentration
5 La concentration en cause en l’espèce s’inscrit dans le cadre d’un échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON, annoncé les 11 et 12 mars 2018 par les deux entreprises concernées (ci-après l’« opération globale »). Ainsi, par le biais de la première opération, RWE souhaite acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON. La deuxième opération, à savoir la concentration en cause en l’espèce, consiste en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy contrôlée par RWE. Quant à la troisième opération, elle prévoit que RWE acquière 16,67 % des parts d’E.ON.
6 La requérante a envoyé, le 24 juillet 2018, un courrier à la Commission européenne par lequel elle lui a indiqué souhaiter participer à la procédure relative aux première et deuxième opérations de concentration et, par conséquent, recevoir les documents afférents à celles-ci. À cette occasion, elle a également transmis ses préoccupations quant aux effets de ces deux opérations de concentration.
7 Le 3 octobre 2018, une réunion s’est tenue entre la requérante et la Commission.
8 À la suite de cette réunion, la Commission a demandé des observations complémentaires à la requérante.
9 La première opération de concentration a été notifiée à la Commission le 22 janvier 2019 (ci-après la « concentration M.8871 »). La Commission a, eu égard à cette première opération, adopté la décision C(2019) 1711 final, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (ci-après la « décision M.8871 »).
10 La troisième opération a été notifiée au Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne), qui l’a autorisée par décision du 26 février 2019 (affaire B8-28/19, ci-après la « concentration B8-28/19 »).
C. Procédure administrative
11 Le 31 janvier 2019, la Commission a reçu notification d’une proposition de concentration en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), par laquelle E.ON souhaitait acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, le contrôle exclusif des activités de distribution et de solutions pour les consommateurs et certains actifs de production d’électricité d’innogy, contrôlée par RWE.
12 Dans le cadre de son examen de cette concentration, la Commission a réalisé une première enquête de marché, adressée aux concurrents des parties à la concentration (ci-après la « première enquête de marché »), et a donc transmis à certaines entreprises, dont la requérante, le 1er février 2019, un questionnaire auquel celle-ci a répondu, le 13 février 2019.
13 Le 7 février 2019, le conseiller-auditeur a reconnu le statut de tiers intéressé à la requérante.
14 Le 8 février 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la notification préalable de cette concentration (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (JO 2019, C 50, p. 13, ci-après la « concentration M.8870 »), conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.
15 La concentration comporte deux étapes. La première étape correspond à l’acquisition par E.ON de l’intégralité d’innogy. La seconde étape se matérialise par le fait qu’E.ON, d’une part, se sépare de la majeure partie des activités de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables d’innogy, de onze installations de stockage de gaz exploitées par innogy en République tchèque et en Allemagne et de la participation à hauteur de 49 % d’innogy dans Kärntner Energieholding Beteiligungs GmbH, et, d’autre part, transfère ces actifs à RWE (ci-après les « actifs rétrocédés »).
16 Par décision du 7 mars 2019, la Commission a estimé que la concentration M.8870 soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »). En conséquence, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen approfondi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.
17 Le 18 mars 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’engagement de procédure (JO 2019, C 102, p. 2), conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.
18 Lors d’une réunion-bilan s’étant tenue le 27 mai 2019, la Commission a informé les parties à la concentration des résultats préliminaires de l’étude du marché et de l’étendue de ses préoccupations préliminaires.
19 Afin de remédier aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission lors de la réunion-bilan du 27 mai 2019, E.ON a présenté, le 20 juin 2019, une offre d’engagements, conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.
20 La Commission a réalisé une seconde enquête de marché, relative aux engagements proposés par E.ON, et a donc transmis à certaines entreprises, dont la requérante, le 21 juin 2019, deux questionnaires, l’un portant sur les engagements proposés pour le marché de l’électricité utilisée pour le chauffage et l’autre sur ceux proposés pour le marché de l’électromobilité. La requérante a répondu à cette enquête le 28 juin 2019.
21 E.ON a présenté une version finale de ses engagements le 3 juillet 2019.
D. Décision attaquée
22 La Commission ayant estimé que les engagements présentés par E.ON étaient suffisants pour écarter les doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur, elle n’a pas envoyé de communication des griefs à E.ON et a adopté la décision attaquée. Par cette décision, dont un résumé a été publié au Journal officiel (JO 2020, C 379, p. 16), la Commission a déclaré la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE.
23 La concentration entraîne des chevauchements importants entre les activités d’E.ON et celles d’innogy, notamment, en Allemagne. La Commission a donc examiné les effets de la concentration sur les marchés de ce pays.
1. Sur la définition des marchés pertinents
24 La Commission a relevé que, en Allemagne, E.ON et innogy étaient toutes deux actives dans la production et la vente en gros d’électricité, dans la distribution d’électricité et de gaz, dans les services de transformation et la gestion et la maintenance des sous-stations, dans la vente de matériaux, dans la vente au détail d’électricité et de gaz, dans le conseil en énergie, dans la vente de matériaux divers, dans la fourniture d’eau potable et de services connexes, dans la fourniture de chauffage urbain, dans les services de comptage (chaleur, eau, électricité et gaz), dans les services de télécommunication de gros et de détail, dans la fourniture d’éclairage public, dans les services d’électromobilité, dans les systèmes photovoltaïques, dans la vente et l’installation de produits et services pour la maison intelligente, et dans les services de réponse à la demande et de flexibilité.
a) Marché de l’électricité
25 En premier lieu, la Commission a considéré que la question de la définition du marché de la production et de la fourniture en gros d’électricité, qui était national, pouvait rester ouverte, dans la mesure où la concentration n’aurait aucun effet sur ce marché.
26 En deuxième lieu, concernant le marché de la distribution d’électricité, la Commission a estimé que la distribution d’électricité via des réseaux à basse tension exploités par des gestionnaires de réseaux de distribution (ci-après les « GRD ») était considérée comme un marché de produits distinct, la région couverte par chacun de ces réseaux exploités par des GRD en Allemagne constituant un marché de référence distinct.
27 En troisième lieu, s’agissant du marché de la fourniture au détail d’électricité, la Commission a distingué trois marchés de produits : le marché de la fourniture au détail d’électricité aux grands clients industriels ; le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base ; la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux. Tandis que le premier de ces marchés a été considéré comme national, le deuxième a été considéré comme local, limité à la zone d’approvisionnement de base concernée, alors que le troisième a été considéré comme national avec des éléments locaux.
28 En quatrième lieu, concernant le marché de l’électricité utilisée pour le chauffage, la Commission a considéré qu’il s’agissait d’un marché de produits distinct du marché de l’électricité utilisée à d’autres fins et que la question de la définition géographique exacte de ce marché pouvait être laissée ouverte, dès lors que la concentration entravait considérablement une concurrence effective, que le marché fût considéré comme national avec des éléments de concurrence locale ou comme local au niveau de la zone de réseau.
b) Marché du gaz
29 En ce qui concerne la distribution de gaz, la Commission a considéré chaque réseau de distribution de gaz à plus basse pression (basse et moyenne) exploité par un GRD comme un marché de produits distinct, dont la dimension géographique correspondait à la région couverte par chacun de ces réseaux exploités par les GRD. Par ailleurs, la Commission a constaté que la structure et le fonctionnement du marché de la fourniture au détail de gaz étaient très semblables à la structure et au fonctionnement du marché de la fourniture au détail d’électricité. Par conséquent, la Commission a retenu une définition du marché de produits et du marché géographique pour la fourniture au détail de gaz comparable à celle retenue pour l’électricité.
c) Marché des services de comptage
30 Tout d’abord, la Commission a indiqué que le comptage concernait la mesure de la consommation d’électricité, de gaz, d’eau ou de chaleur aux fins de la facturation et de la transparence et de l’optimisation de la consommation. En outre, elle a précisé qu’il y avait des différences entre le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz, d’une part, et le marché des services de comptage du chauffage urbain et de l’eau, d’autre part.
31 En effet, en substance, la Commission a précisé que, alors que, s’agissant des services de comptage du chauffage urbain et de l’eau, les consommateurs ne pouvaient pas choisir leur fournisseur de services de comptage, ces services étant assurés par leur opérateur de réseau, ils pouvaient choisir un autre opérateur que le GRD normalement compétent pour les services de comptage de l’électricité et du gaz. Ainsi, il existait, s’agissant du marché des services de comptage de l’électricité et du gaz, la possibilité de choisir entre le « gestionnaire de points de comptage normalement responsable » (ci-après le « nGPC ») et le « gestionnaire de points de comptage concurrentiel » (ci-après le « cGPC »).
32 Ensuite, la Commission a défini les services en marque blanche comme des services relatifs à l’approvisionnement, à l’installation, à l’exploitation, à l’entretien et à la fourniture de solutions informatiques, fournis aux GRD.
33 Enfin, la Commission a indiqué que les activités de comptage divisionnaire consistaient en la mesure de la consommation d’eau et d’énergie afin d’attribuer la consommation propre à chaque unité individuelle d’un bâtiment (par exemple, dans des complexes multirésidentiels), par opposition à un compteur, qui mesurait la consommation d’un bâtiment entier.
34 Pour les besoins de la décision attaquée, la Commission a retenu, premièrement, un marché des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que nGPC, deuxièmement, un marché des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que cGPC, troisièmement, un marché des services de comptage de la chaleur et de l’eau, quatrièmement, un marché des services de comptage divisionnaire et, cinquièmement, un marché des services en marque blanche.
35 En ce qui concerne la dimension géographique desdits marchés, la Commission a conclu que le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que nGPC avait une portée locale, limitée à la zone de réseau concernée. De même, le marché des services de comptage de la chaleur et de l’eau a été considéré comme étant local et limité à la zone de réseau concernée. Les marchés des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que cGPC, le marché des services de comptage divisionnaire et le marché des services en marque blanche ont été considérés comme étant de portée nationale.
d) Marché de l’électromobilité
36 En premier lieu, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, la Commission a estimé que l’installation et l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, d’une part, et hors autoroute, d’autre part, constituaient des marchés distincts. La Commission a également considéré que, sur les autoroutes, les bornes de recharge rapides, d’une part, et les bornes de recharge ultrarapides, d’autre part, appartenaient à des marchés distincts. La Commission a également considéré que les bornes de recharge ultrarapides hors autoroute constituaient un marché distinct. En revanche, selon la Commission, la question de savoir si les bornes de recharge ordinaires et rapides hors autoroute devraient ou non faire partie du même marché pertinent pouvait rester ouverte.
37 En ce qui concerne la question de la définition du marché géographique, d’une part, concernant le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, la Commission a considéré que celle-ci pouvait rester ouverte, dans la mesure où la concentration poserait des problèmes de concurrence, quelle que fût la définition exacte retenue.
38 D’autre part, concernant le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques hors autoroute, la Commission a considéré que la question de la définition géographique dudit marché pouvait rester ouverte, dans la mesure où la concentration ne poserait pas de problèmes de concurrence, quelle que fût la définition plausible du marché.
39 En deuxième lieu, s’agissant de la fourniture en gros de bornes de recharge de véhicules électriques, une activité d’innogy, mais pas d’E.ON, la Commission a considéré que la question de la définition exacte de ce marché pouvait rester ouverte, puisque, d’une part, il n’y avait pas de chevauchement horizontal entre les activités des parties et, d’autre part, la part de marché d’innogy était en-dessous de 30 %, quelle que fût la définition de marché de produits ou géographique plausible retenue.
40 En troisième lieu, la Commission a considéré que la vente au détail de bornes de recharge privées pour véhicules électriques constituait un marché distinct et qu’il était de dimension nationale. Toutefois, dès lors qu’E.ON et innogy y avaient des parts de marché très limitées, la Commission a conclu que ce marché n’était pas affecté par la concentration.
41 En quatrième lieu, quant aux services d’abonnement pour les bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, la Commission a conclu que la question de la définition exacte du marché de produits, dont elle a considéré la dimension géographique comme étant nationale, pouvait rester ouverte, car la concentration ne posait pas de problèmes de concurrence, quelle que fût la définition plausible du marché.
42 En cinquième lieu, en ce qui concerne les services en marque blanche pour les bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’un marché de produits distinct revêtant une dimension nationale. Toutefois, dès lors que les parties à la concentration n’y exerçaient que des activités limitées et que leur part de marché combinée était inférieure à 10 %, la Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un marché affecté.
2. Sur l’analyse des effets non coordonnés horizontaux
43 En premier lieu, s’agissant des marchés de la distribution d’électricité et de gaz, la Commission a considéré que, étant donné que chaque réseau de distribution constituait un marché géographique distinct, les activités des parties à la concentration ne se chevauchaient pas. Par conséquent, la concentration ne donnerait pas lieu à un marché affecté horizontalement. Néanmoins, la Commission, en partie sur la base des préoccupations soulevées par des tiers, a évalué un certain nombre de scénarios hypothétiques dans lesquels la concentration pourrait nuire aux consommateurs. Elle a ainsi analysé :
– la diminution de la concurrence dans les appels d’offres de concession ;
– la discrimination dans l’utilisation du réseau 110 kilovolts (kV) ;
– l’impact négatif sur le critère d’efficacité de la règlementation ;
– la capacité indue d’influencer les processus d’établissement des normes.
44 La Commission est arrivée à la conclusion que la concentration n’entraverait pas de manière significative une concurrence effective en raison des effets horizontaux non coordonnés sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz en Allemagne.
45 En deuxième lieu, en ce qui concerne les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux, la Commission a estimé que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence, que ce fût dans le cadre de l’approvisionnement de base ou dans le cadre de contrats spéciaux.
46 En revanche, en troisième lieu, s’agissant du marché de l’électricité utilisée pour le chauffage, la Commission a considéré que la concentration entraverait de manière significative la concurrence. En effet, premièrement, les parts de marché combinées des parties à la concentration étaient élevées, deuxièmement, il résultait de l’étude du marché que les parties à la concentration exerçaient une pression concurrentielle significative l’une sur l’autre, à un niveau tant national que local, troisièmement, les autres concurrents présents sur le marché ne seraient pas en mesure de préserver les mêmes conditions de concurrence que celles existant avant la concentration, quatrièmement, les barrières à l’entrée et à l’expansion sur ce marché étaient considérables, et, cinquièmement, ce marché allait, certes, évoluer, mais n’allait pas disparaître.
47 En quatrième lieu, quant aux marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux grands clients industriels, la Commission a considéré que la concentration ne donnerait pas lieu à des marchés affectés horizontalement.
48 En cinquième lieu, s’agissant des services de comptage, la Commission a estimé que la concentration ne donnait lieu à aucun marché affecté.
49 En sixième lieu, concernant le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, la Commission a conclu que, lorsque des bornes de recharge publiques d’E.ON et d’innogy se trouvaient à une distance de 50 kilomètres (km) sans qu’il y ait eu, entre elles, des bornes de recharge publiques d’un autre concurrent sur la même route, E.ON et innogy se faisaient la concurrence la plus directe. Dans de telles conditions, la concentration était susceptible de nuire aux consommateurs, car elle éliminerait les importantes contraintes concurrentielles que les parties s’imposaient mutuellement. Par conséquent, la Commission a conclu que la concentration entraverait la concurrence de manière significative sur ce marché.
50 En revanche, en septième lieu, la Commission a considéré que, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques hors autoroute, la concentration n’entraverait pas de manière significative ce marché.
3. Sur l’analyse des effets non coordonnés verticaux
51 La Commission a considéré que les réseaux de distribution d’électricité et de gaz exploités par les GRD étaient des marchés verticalement affectés en relation avec tous les marchés en amont ou en aval, car les parts de marché de l’entité issue de la concentration seraient supérieures à 30 % dans les réseaux de distribution (monopoles naturels).
52 De même, selon la Commission, les parties à la concentration détenaient des parts de marché supérieures à 30 % dans la fourniture au détail d’électricité et de gaz sur les marchés locaux où elles étaient les fournisseurs de base (monopoles naturels), ce qui donnerait lieu à des marchés verticalement affectés concernant les marchés en amont liés.
53 En premier lieu, la Commission a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets verticaux non coordonnés découlant des liens verticaux existant entre le marché en amont de la production et de la fourniture en gros d’électricité en Allemagne et les marchés en aval de la fourniture au détail d’électricité en Allemagne.
54 En deuxième lieu, la Commission a estimé que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets verticaux non coordonnés découlant des liens verticaux entre le marché en amont pour l’exploitation du réseau de distribution et le marché en aval de la production et de la fourniture en gros d’électricité en Allemagne.
55 En troisième lieu, la Commission a indiqué que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre les marchés en amont des réseaux de distribution exploités par les GRD et les marchés en aval de fourniture au détail d’électricité ou de gaz en Allemagne.
56 En quatrième lieu, la Commission a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre les marchés en amont de réseaux de distribution de l’électricité et du gaz exploités par les GRD et les marchés en aval des services de comptage de l’électricité et du gaz en Allemagne.
57 En cinquième lieu, la Commission a estimé que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre le marché en amont de la vente au détail de gaz aux centrales électriques et les marchés en aval de chauffage urbain en Allemagne.
58 En sixième lieu, la Commission a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre le marché en amont des services en marque blanche et les marchés en aval des services de comptage de l’électricité et du gaz, d’une part, et des services de comptage de la chaleur et de l’eau, d’autre part, en Allemagne.
59 En septième lieu, la Commission a indiqué que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux en ce qui concerne les marchés de l’électromobilité en Allemagne.
4. Sur les autres théories du dommage
60 La Commission a analysé les préoccupations soulevées par des tiers concernant d’autres effets que la concentration pourrait avoir sur d’autres marchés liés à l’énergie.
61 En premier lieu, la Commission a examiné les préoccupations exprimées concernant l’accès à une base unique de données de clientèle. Selon les tiers, l’entité issue de la concentration disposerait d’une base de données importante en raison de sa vaste clientèle et de son rôle de fournisseur de compteurs (intelligents) (en raison de ses activités de GRD et, par conséquent, de son rôle de fournisseur de compteurs par défaut). Un fournisseur de compteurs intelligents recueille toutes les données de consommation. Étant donné les effets à grande échelle du traitement des données pour le développement de nouveaux produits (par exemple, la tarification personnalisée, les services de prosommation, etc.), les parties à la concentration disposeraient d’un avantage incomparable (également en raison d’effets de renforcement et de réseau).
62 La Commission a considéré qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour considérer que la concentration entraverait de manière significative la concurrence sur ce fondement. En effet, en particulier, la concentration ne devrait pas aboutir à ce que la base de données disponible contienne des types de données différents de ceux auxquels les parties à la concentration avaient déjà accès avant la concentration. Par conséquent, elles auraient accès au même type de données qu’avant la concentration, mais pour davantage de clients.
63 En second lieu, la Commission s’est penchée sur les problèmes de portefeuille de produits liés à l’énergie, de ventes croisées et de puissance financière soulevés par des tiers et liés au problème de base de données évoqué précédemment.
64 La Commission a considéré que, s’agissant de ces problèmes, il n’y avait pas d’éléments suffisants démontrant que la concentration entraverait de manière significative la concurrence.
5. Conclusion sur les effets de la concentration
65 La Commission a considéré que, en raison des effets non coordonnés découlant du chevauchement des activités des parties à la concentration, la concentration entraverait de manière significative la concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage aux ménages et aux petits clients commerciaux ainsi que sur le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute en Allemagne.
6. Sur les engagements
66 Eu égard aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission, E.ON a présenté une offre d’engagements. La Commission a soumis cette offre aux tiers par l’intermédiaire de la seconde enquête de marché. Elle a alors communiqué les résultats de celle-ci à E.ON afin qu’elle adapte son offre d’engagements.
67 En premier lieu, s’agissant du marché de la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage aux ménages et aux petits clients commerciaux, E.ON s’est engagée à céder la quasi-totalité des clients sous contrat spécial de sa filiale EDG fournis en électricité utilisée pour le chauffage. Les engagements définitifs comprennent également, pour les clients alimentés par des compteurs distincts, tous les contrats spéciaux d’électricité domestique correspondants concernant les clients alimentés en électricité destinée au chauffage. La cession sera divisée en deux portefeuilles de clients distincts, qui seront acquis conjointement par un acheteur ou séparément par deux acheteurs.
68 La Commission a considéré que cette cession permettrait de répondre efficacement à toutes ses préoccupations en éliminant la plupart des chevauchements concurrentiels entre les parties à la concentration et en veillant à ce qu’un nombre suffisant de concurrents demeurent sur le marché.
69 En second lieu, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, E.ON s’est engagée à cesser complètement l’exploitation des bornes de recharge dans les zones où avaient lieu des chevauchements horizontaux et à ne pas exploiter ces bornes de recharge avant une certaine période prédéfinie. De plus, E.ON s’est engagée à ne pas exploiter les bornes de recharge exploitées par un tiers pour lesquelles E.ON envisageait de conclure un accord d’exploitation pendant une période prédéfinie.
70 La Commission a considéré que les engagements d’E.ON étaient suffisants pour répondre à toutes les préoccupations identifiées.
7. Conclusion
71 La Commission a conclu que les engagements définitifs étaient suffisants pour supprimer entièrement les obstacles importants à une concurrence effective auxquels la concentration donnerait lieu. Par conséquent, les engagements définitifs ont rendu la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE.
II. Conclusions des parties
72 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
73 La Commission, soutenue par RWE et par E.ON, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
74 À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, quatre moyens tirés, le premier, d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, le deuxième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le troisième, de la violation de l’obligation de diligence et, le quatrième, d’un détournement de pouvoir.
A. Sur la recevabilité
75 Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, la Commission émet un doute, dans son mémoire en défense, sur la qualité pour agir de la requérante, en ce qu’elle n’aurait pas démontré l’affectation individuelle de sa position sur le marché. En effet, elle indique que la requête ne permet pas de comprendre clairement sur quels marchés, en particulier dans le domaine de l’électromobilité et de la distribution d’électricité, la requérante est effectivement active et concernée par la décision attaquée.
76 Par le biais d’une mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience, le Tribunal a interrogé les parties sur la qualité pour agir de la requérante.
77 Conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.
78 Ainsi, aux fins d’établir la qualité pour agir de la requérante, il convient d’examiner si elle est directement et individuellement concernée par la décision attaquée.
79 En premier lieu, en ce qui concerne l’affectation directe de la requérante, il y a lieu de relever que, dès lors qu’elle permettait la réalisation immédiate de la concentration M.8870, la décision attaquée était de nature à induire une modification immédiate de la situation des marchés concernés. Dans la mesure où la volonté des parties à la concentration M.8870 de réaliser cette dernière n’était pas sujette à caution, les opérateurs économiques intervenant sur le ou les marchés concernés pouvaient, à la date de la décision attaquée, tenir pour acquise une modification immédiate ou rapide de l’état du marché (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 32 et jurisprudence citée). Il en résulte que la requérante est directement concernée par la décision attaquée.
80 En second lieu, s’agissant de l’affectation individuelle de la requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de cette décision le serait (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 34 et jurisprudence citée).
81 Dans le cas d’une décision constatant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, et s’agissant d’une entreprise tierce, c’est en fonction, d’une part, de sa participation à la procédure administrative et, d’autre part, de l’affectation de sa position sur le marché qu’il y a lieu de déterminer si elle est individuellement concernée. Si une simple participation à la procédure ne suffit certes pas, à elle seule, à établir que la requérante est individuellement concernée par la décision, en particulier dans le domaine des concentrations dont l’examen minutieux exige un contact régulier avec de nombreuses entreprises, il n’en demeure pas moins que la participation active à la procédure administrative constitue un élément régulièrement pris en considération par la jurisprudence en matière de concurrence, y compris dans le domaine plus spécifique du contrôle des concentrations, pour établir, en conjonction avec d’autres circonstances spécifiques, la recevabilité de son recours (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 35 et jurisprudence citée).
82 En l’espèce, premièrement, il convient de noter qu’il n’est pas contesté entre les parties que la requérante a activement participé à la procédure administrative. À cet égard, force est de relever que la requérante a répondu aux deux enquêtes de marché réalisées par la Commission, a envoyé des observations à celle-ci et a participé à une réunion le 3 octobre 2018.
83 Deuxièmement, s’agissant de l’affectation de la position sur le marché, il convient de constater que la Commission a elle-même indiqué, au point 334 de la décision attaquée, que la requérante était l’une des principales concurrentes des parties à la concentration sur le marché de la fourniture au détail de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux.
84 Dès lors, la requérante est individuellement concernée par la décision attaquée.
85 Au vu de ce qui précède, la requérante est directement et individuellement concernée par la décision attaquée et a ainsi qualité pour agir contre cette dernière.
B. Sur le fond
1. Sur le premier moyen, tiré d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale
86 Il y a lieu de relever que, par son argumentation, la requérante tente de faire valoir que les conséquences de la concentration B8-28/19 sur la relation entre E.ON et RWE sont particulièrement importantes, de sorte que la Commission aurait dû l’examiner et ne pas laisser l’Office fédéral des ententes s’en saisir. Elle soutient, par ailleurs, en substance, que cet examen aurait dû avoir lieu dans le cadre d’une procédure unique, qui aurait conduit la Commission à analyser les concentrations B8-28/19, M.8870 et M.8871 comme étant les composantes d’une concentration unique.
87 Dès lors, il convient de comprendre que, par son premier moyen, la requérante vise à reprocher à la Commission, d’une part, de ne pas avoir contrôlé la concentration B8-28/19 et, d’autre part, de ne pas avoir considéré les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19 comme étant les composantes d’une concentration unique.
88 Dans la mesure où l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 vise l’influence déterminante acquise sur l’activité d’une entreprise pour qualifier l’existence d’un contrôle susceptible de caractériser une concentration, il y a lieu de déduire du reproche de la requérante que cette dernière considère la concentration B8-28/19 comme constituant une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 et que la Commission aurait dû, dans ces conditions, l’examiner.
89 Or, l’objet du présent recours porte formellement sur la décision de la Commission, du 17 septembre 2019, qui a déclaré la concentration M.8870 compatible avec le marché intérieur. À cet égard, même si la décision attaquée contient une note en bas de page indiquant que la Commission a examiné les effets de la participation minoritaire acquise par RWE dans E.ON dans le cadre de la décision M.8871, force est de constater que la Commission ne statue pas sur la question de savoir si la concentration B8-28/19 était une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004, et, par extension, sur la compétence de la Commission pour connaître de la compatibilité de cette concentration avec le marché intérieur. Dès lors, la requérante ne saurait faire usage du moyen tiré d’une scission erronée de l’opération globale pour demander au Tribunal de trancher une question de compétence qui n’a pas été abordée par la Commission dans la décision effectivement attaquée devant lui.
90 À cet égard, il convient encore de noter que, si la requérante estimait que la concentration B8-28/19 devait être soumise au contrôle de la Commission, il lui aurait appartenu d’adresser une plainte à la Commission afin de lui demander d’en connaître.
91 En l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé au point 5 ci-dessus, la concentration M.8871 vise l’acquisition par RWE d’actifs d’E.ON tandis que la concentration M.8870 vise l’acquisition par E.ON d’innogy, filiale de RWE. Quant à la concentration B8-28/19, elle permet à RWE d’acquérir une participation minoritaire de 16,67 % dans E.ON.
92 Deux conditions doivent être remplies aux fins de considérer deux ou plusieurs opérations comme constituant une concentration unique au sens du considérant 20 et de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004. D’une part, il est nécessaire que les opérations soient interdépendantes, de sorte qu’elles ne seraient pas réalisées les unes sans les autres. D’autre part, le résultat de ces opérations doit consister à conférer à une ou plusieurs entreprises le contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T 282/02, EU:T:2006:64, point 109). Ces conditions étant cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit à considérer que différentes opérations de concentration ne constituent pas une concentration unique.
93 Le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord, la condition relative au résultat.
94 En premier lieu, il convient de constater que, s’agissant de la concentration M.8870, d’une part, et des concentrations M.8871 et B8-28/19, d’autre part, les entreprises acquéreuses sont différentes. En effet, il s’agit respectivement d’E.ON et de RWE. De même, les entreprises acquises ne sont pas les mêmes, puisque, en ce qui concerne la concentration M.8870, il s’agit d’innogy, filiale de RWE, et dans le cadre des concentrations M.8871 et B8-28/19, les entreprises cibles sont respectivement les actifs d’E.ON et E.ON.
95 En second lieu, s’agissant des concentrations M.8871 et B8-28/19, si l’entreprise acquéreuse est la même, à savoir RWE, les entreprises acquises sont différentes. En effet, dans le cadre de la concentration M.8871, RWE acquiert des actifs d’E.ON, tandis que, dans le cadre de la concentration B8-28/19, c’est une participation minoritaire dans E.ON que RWE acquiert. Or, la combinaison de l’acquisition des actifs d’E.ON et de la participation minoritaire d’E.ON ne conduit pas à ce que RWE acquière un contrôle sur E.ON. En ce sens, en cédant ses actifs à RWE, E.ON n’a plus de lien avec ceux-ci, de sorte que RWE ne saurait, par leur intermédiaire, exercer une influence déterminante sur E.ON.
96 Dans ces circonstances, il ne saurait être admis que les opérations de concentration visent, comme résultat, l’acquisition de contrôle d’une ou de plusieurs entreprises par la ou les mêmes entreprises. En définitive, en dehors de l’interdépendance créée volontairement par RWE et E.ON, il n’existe pas de lien fonctionnel entre les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19, dès lors que l’opération globale de l’espèce n’est pas une opération par laquelle plusieurs transactions intermédiaires sont réalisées afin d’aboutir au contrôle d’une ou de plusieurs entreprises par la ou les mêmes entreprises.
97 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante.
98 Premièrement, la requérante soutient que, en définitive, RWE est l’entreprise acquéreuse dans toutes les opérations de concentration composant l’opération globale, puisque, dans la concentration M.8870, elle acquiert certains actifs rétrocédés d’innogy. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la concentration M.8870 consiste en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif de l’activité de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy, filiale de RWE. Il est vrai qu’il est prévu qu’E.ON acquerra l’ensemble des actifs d’innogy, mais il importe de remarquer que cette acquisition globale n’est faite qu’à titre temporaire. En effet, certains des actifs d’innogy, à savoir les actifs rétrocédés, auront vocation à être retransférés à RWE lors d’une seconde phase de l’échange d’actifs. Selon RWE et E.ON, cette structure et ce séquencement de transferts étaient nécessaires, car il aurait été trop compliqué de démanteler innogy telle qu’elle était organisée. Autrement dit, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, dès lors que l’acquisition par E.ON des actifs rétrocédés n’est réalisée qu’à titre temporaire, il ne s’est pas produit de changement durable du contrôle sur lesdits actifs au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, de sorte que, dans la concentration M.8870, RWE ne saurait être considérée comme l’entreprise acquéreuse. Il convient donc de rejeter l’argument de la requérante.
99 Deuxièmement, la requérante considère que la Commission n’a pas respecté sa pratique décisionnelle antérieure en matière de qualification d’opérations de concentration de « concentration unique », dès lors que l’opération globale en l’espèce est comparable à la situation qu’a eu à connaître la Commission dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à la décision, du 26 février 2007, déclarant la compatibilité avec le marché commun d’une concentration (Affaire N COMP/M.4521 – LGI/TELENET), dans laquelle la Commission a reconnu l’existence d’une concentration unique. À cet égard, il suffit de relever que, contrairement à ce que la requérante soutient, la concentration qui était en cause dans l’affaire précitée ne saurait être considérée comme similaire à celle en cause en l’espèce. En effet, dans cette dernière affaire, étaient en jeu deux opérations de concentration. Par la première, Telenet faisait l’acquisition d’UPC Belgium qui appartenait, au préalable, à LGI. Par la seconde, LGI faisait l’acquisition de Telenet. De ce fait, ainsi que l’indique pertinemment la Commission dans son mémoire en défense, c’était finalement la même entreprise, à savoir LGI, qui contrôlait UPC Belgium et Telenet. Or, ainsi qu’il a été constaté au point 98 ci-dessus, RWE ne saurait être considérée comme étant l’entreprise acquéreuse dans toutes les opérations de concentration composant l’opération globale.
100 Il en résulte que l’opération globale ne remplit pas la condition relative au résultat.
101 Par ailleurs, la légalité d’une décision se prononçant sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée. Ainsi, l’appréciation, par la Commission, de la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur doit tenir compte des circonstances de fait et de droit existant au moment de la notification de cette concentration et dont la portée économique peut être évaluée au moment où intervient cette décision (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 296/18, EU:T:2021:724, point 55 et jurisprudence citée).
102 Or, dans le cadre d’un échange d’actifs, tel que celui de l’espèce, la Commission, de même que les parties notifiantes aux différentes opérations de concentration, peut anticiper les effets sur le marché intérieur que la mise en œuvre probable de chaque opération de concentration sera susceptible d’avoir, de manière séparée et conjointe. En effet, l’interdépendance de droit et de fait des opérations de concentration en l’espèce permet à la Commission de concevoir la situation de la structure du marché après leur réalisation.
103 Il convient encore d’ajouter que l’objectif poursuivi par la notion de « concentration unique » est de permettre l’examen conjoint de transactions qui visent, in fine, le même résultat, à savoir l’acquisition par une ou plusieurs entreprises du contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres entreprises. Cela est justifié par le fait que, dans un tel cas de figure, les transactions envisagées soulèvent les mêmes problématiques et engendrent des conséquences de même nature sur le marché intérieur.
104 Cette interprétation est conforme à l’interprétation qu’il convient de donner au considérant 20 et à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, en se fondant tant sur leur finalité que sur leur économie générale (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, point 20 et jurisprudence citée).
105 En revanche, lorsque, comme en l’espèce, les opérations de concentration n’ont pas vocation à produire le même résultat, elles ne sont pas unitaires par essence et n’ont pas à être examinées ensemble, en tant que transactions faisant partie d’une concentration unique, puisqu’elles ne soulèvent pas nécessairement les mêmes problématiques et ne produiront pas des effets de même nature sur le marché. En effet, dans un tel cas de figure, plusieurs entreprises acquièrent le contrôle d’éléments d’actifs différents, de sorte qu’un regroupement distinct de ressources s’opère pour chacune des entreprises acquéreuses et que l’incidence sur le marché de chacune de ces acquisitions de contrôle est différente.
106 Pour autant, si elles présentent un lien permettant à la Commission d’anticiper les effets probables sur le marché de chaque concentration, il appartient à la Commission d’en tenir compte dans l’appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve pertinents qu’elle réalise de chacune de ces opérations. En effet, dans ce cas, chacune des opérations en cause constitue, au regard des autres opérations, un élément dont doit tenir compte la Commission dans son analyse globale des effets de l’opération sur le marché intérieur.
107 Par conséquent, l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas tenu compte, dans le cadre de son analyse de la concentration M.8870, des effets des concentrations B8-28/19 et M.8871, est inopérant aux fins de démontrer que c’est à tort que la Commission a scindé l’opération globale en trois opérations de concentration. En revanche, celui-ci est traité dans le cadre du sixième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets de l’opération globale, de la seconde branche du deuxième moyen (voir points 372 à 377 ci-dessous).
108 De même, en raison de l’appréciation globale à laquelle doit se soumettre la Commission en cas d’échanges d’actifs, la requérante ne saurait valablement soutenir que les objectifs principaux du contrôle des opérations de concentration ne pourraient pas être réalisés si les échanges d’actifs étaient systématiquement considérés comme constituant des opérations de concentration distinctes.
109 Pour conclure, l’une des deux conditions pour la reconnaissance de l’existence d’une concentration unique faisant défaut en l’espèce, à savoir la condition relative au résultat, c’est à juste titre que la Commission a considéré que les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19 ne constituaient pas les composantes d’une concentration unique.
110 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.
2. Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation
111 Par le deuxième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a considéré, à tort, que la concentration était compatible avec le marché intérieur, alors qu’elle aurait dû déclarer la concentration incompatible avec le marché intérieur au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.
a) Considérations liminaires
112 Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, doivent être déclarées incompatibles avec le marché intérieur les opérations de concentration qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante.
113 En ce qui concerne les exigences de preuve, il ressort de l’arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C 413/06 P, EU:C:2008:392, points 50 à 53), que la Commission est, en principe, tenue de prendre position soit dans le sens de l’autorisation de l’opération de concentration dont elle est saisie, soit dans celui de l’interdiction de celle-ci, selon son appréciation de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte. Il s’agit donc d’une appréciation de probabilités et non d’une obligation pesant sur la Commission de démontrer sans doutes raisonnables qu’une concentration ne soulève pas de problèmes de concurrence (arrêt du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T 79/12, EU:T:2013:635, point 47).
114 Dans ce contexte, il appartient à la Commission d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence. Il se peut, à cet égard, que certains éléments soient privilégiés et que d’autres soient écartés. Cet examen et la motivation qu’il comporte font l’objet du contrôle de légalité exercé par le Tribunal sur les décisions de la Commission en matière de concentrations (arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 136).
115 De plus, selon une jurisprudence constante, les règles de fond du règlement no 139/2004 et, en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique et, en conséquence, le contrôle par le juge de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentration, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (voir arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 29 et jurisprudence citée).
116 Il en résulte que le contrôle par le juge de l’Union d’une décision de la Commission en matière d’opérations de concentration est limité à la vérification de l’exactitude matérielle des faits et à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (voir arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 144 et jurisprudence citée).
117 Cela étant, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C 12/03 P, EU:C:2005:87, point 39, et du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 54).
118 Il convient également de rappeler que la question de savoir si l’appréciation matérielle selon laquelle la concentration en cause ne soulevait pas de problèmes de compatibilité avec le marché intérieur, au titre de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, relève de l’examen de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, afin de vérifier si c’est à bon droit que la Commission s’est fondée sur la disposition précitée pour rendre sa décision, il convient d’analyser si la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste dans son appréciation des effets du projet de concentration sur la concurrence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 48).
119 C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation.
120 Le deuxième moyen se décompose en deux branches. La première est tirée d’une définition erronée des marchés pertinents et la seconde est tirée d’une appréciation erronée des effets de la concentration.
121 Néanmoins, avant de les examiner, il convient d’analyser les éléments pris en compte par la Commission aux fins de son analyse.
b) Sur les éléments pris en compte par la Commission aux fins de son analyse
1) Sur les informations fournies par les parties à la concentration et l’ensemble des données pertinentes
122 La requérante fait valoir que la Commission a fondé son examen du projet de concentration sur une base factuelle visiblement insuffisante et qu’elle a, en tout état de cause, tiré les mauvaises conclusions des informations et des données à sa disposition. Ce faisant, elle aurait mal apprécié les effets concurrentiels de ce projet de concentration et serait ainsi parvenue, à tort, à la conclusion qu’il ne produirait pas d’effets négatifs sur le marché. En outre, la Commission aurait repris les indications des parties à la concentration sans les soumettre à un examen critique.
123 À cet égard, la Commission, à la date d’adoption de la décision attaquée, aurait déjà disposé d’informations qui auraient clairement montré les répercussions négatives du projet de concentration sur la concurrence. En particulier, la Commission aurait déjà eu le rapport d’expertise sur les conséquences du projet de concentration commandé auprès de la société de conseil LBD Beratungsgesellschaft mbH (ci après l’« étude LBD »)Or, la Commission aurait soit complètement ignoré l’étude LBD, soit en aurait tiré des conclusions erronées. En outre, les conclusions de l’étude d’octobre 2020 menée par le Büro für Energiewirtschaft und technische Planung GmbH (BET), intitulée « Kurzgutachten zu den Ergebnissen der Marktbefragung im Zusammenhang mit der Neuaufteilug der Geschäftsfelder zwischen E.ON und RWE/innogy » (Expertise sommaire sur les résultats de l’enquête de marché relative à la nouvelle répartition des domaines d’activité entre E.ON et RWE/innogy, ci-après l’« étude BET »), et du rapport d’expert du 13 janvier 2021 également réalisé par le BET, intitulé « Expert Report concerning the consequences of acquisition of Innogy’s retail supply, consumer solutions and distribution business » (Rapport d’expert concernant les conséquences de l’acquisition de la fourniture de détail, solutions pour les consommateurs et activités de distribution d’Innogy, ci-après le « rapport d’expert BET »), contrediraient les faits retenus par la Commission.
124 La Commission conteste les arguments de la requérante, fait valoir qu’elle n’a pas fondé sa décision sur une base factuelle insuffisante et soutient qu’elle a mené à bien et correctement toutes les mesures nécessaires à l’enquête. En outre, la requérante n’aurait pas le droit de substituer sa propre enquête de marché à la base factuelle de la Commission. De plus, l’étude de la société de conseil LBD Beratungsgesellschaft constituerait une nouvelle version de l’étude LBD datée du 25 janvier 2021 (ci après la « nouvelle étude LBD »). Cette nouvelle étude LBD et l’étude BET seraient tardives et irrecevables. En tout état de cause, ces études auraient une valeur probante limitée par rapport aux enquêtes de marché de la Commission et ne seraient pas non plus appropriées pour fournir des résultats détaillés. Enfin, la Commission soulève, à titre subsidiaire, des défauts méthodologiques qui entacheraient ces études.
125 Dans un premier temps, le Tribunal analysera le grief général selon lequel la Commission n’a pas tenu compte d’autres informations publiques ou d’informations fournies par des tiers et s’est fondée sur les informations fournies par les parties à la concentration sans les soumettre à un examen critique. Dans un second temps, le Tribunal examinera la recevabilité, ainsi que la pertinence, la cohérence et la solidité des études présentées par la requérante, dans la mesure où elles visent à démontrer que la Commission n’a pas tenu compte de tous les éléments de fait pertinents aux fins de son analyse des effets de la concentration.
126 En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission se serait appuyée sur les indications fournies par les parties à la concentration sans procéder à un examen critique de celles-ci et aurait ignoré d’autres sources d’information, il convient de constater que la requérante n’indique pas l’existence d’une règle juridique interdisant à la Commission de prendre appui sur les données fournies par les parties à la concentration elles-mêmes dans le cadre de la procédure administrative ou, au contraire, l’obligeant à mener sa propre enquête de marché indépendamment des données fournies par les parties à la concentration (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 126).
127 De même, il convient de relever que, compte tenu de l’impératif de célérité et des délais stricts qui s’imposent à la Commission dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations, celle-ci ne peut pas, à défaut d’indices indiquant l’inexactitude des informations fournies, être tenue d’effectuer des vérifications s’agissant de toutes les informations qu’elle reçoit. En effet, bien que l’obligation d’examen diligent et impartial qui incombe à la Commission, dans le cadre d’une telle procédure, ne lui permette pas de se fonder sur des éléments ou des informations qui ne peuvent pas être considérés comme véridiques, ledit impératif de célérité suppose, toutefois, que celle-ci ne peut pas vérifier par elle-même, dans le moindre détail, l’authenticité et la fiabilité de toutes les communications qui lui sont envoyées, la procédure de contrôle des concentrations reposant nécessairement et dans une certaine mesure sur la confiance (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 240/18, EU:T:2021:723, point 87 et jurisprudence citée).
128 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la législation en matière de contrôle des concentrations, sont prévues différentes mesures visant à décourager et à punir la transmission d’informations inexactes ou trompeuses. En effet, non seulement les parties notifiantes sont soumises, au titre de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 2, du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 (JO 2004, L 133 p. 1), à l’obligation expresse de fournir à la Commission de manière véridique et complète les faits et circonstances pertinents pour la décision, cette obligation étant sanctionnée à l’article 14 du règlement no 139/2004, mais la Commission peut aussi révoquer, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 3, sous a), et de l’article 8, paragraphe 6, sous a), du règlement no 139/2004, la décision de compatibilité si celle-ci repose sur des indications inexactes dont une des entreprises concernées est responsable ou si elle a été obtenue par tromperie (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 240/18, EU:T:2021:723, point 88 et jurisprudence citée).
129 Ainsi, rien n’empêche la Commission de se fonder sur les informations fournies par les parties à la concentration, à défaut d’indices de leur inexactitude, et pour autant qu’elles constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe.
130 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission s’est fondée en partie sur les données produites par les parties à la concentration. Néanmoins, une lecture de l’ensemble de la décision attaquée révèle que la Commission ne s’est pas fiée sans discernement aux indications des parties à la concentration. Au contraire, pour autant que la requérante conteste la fiabilité des données fournies par les parties à la concentration à la Commission, il y a lieu de relever que ces données étaient corroborées par les autres éléments mis à la disposition de la Commission. À titre d’exemple, aux points 81 et suivants de la décision attaquée, la Commission a soumis les déclarations des parties à la concentration, en ce qui concerne la définition du marché géographique de la fourniture d’électricité au détail, à un examen critique. De même, au point 230 de ladite décision, la Commission a confronté les assertions des parties à la concentration relatives à leur relation concurrentielle dans le cadre des appels d’offres pour des concessions d’électricité et de gaz, au point de vue de certains concurrents. En outre, au point 293 de la décision attaquée, la Commission a également comparé l’information qu’elle a recueillie lors de son étude du marché, en ce qui concerne les possibles effets d’éviction des concurrents des sites Internet de comparaison de prix, à sa propre connaissance du marché. Par ailleurs, au point 191 de la décision attaquée, la Commission a traité les indications des parties à la concentration en tenant compte d’autres informations pertinentes telles que les rapports de l’Office fédéral des ententes, en ce qui concerne le surprix important pour les stations-service situées sur les autoroutes par rapport aux stations-service situées à proximité immédiate des autoroutes et en dehors des autoroutes.
131 Dans ces conditions, il importe de relever que la Commission a vérifié les données fournies par les parties à la concentration à la lumière de l’ensemble des données dont elle disposait. Ainsi, l’ensemble des informations prises en compte par la Commission comprenait non seulement des indications provenant des parties à la concentration, mais aussi d’autres informations publiques et d’autres informations recueillies auprès de tiers par l’intermédiaire de demandes de renseignements, d’enquêtes de marché ou d’entretiens, ainsi qu’il ressort, par exemple, des points 12, 13, 21 ou 58 de la décision attaquée.
132 Par conséquent, il convient de conclure, sans préjuger, à ce stade, de la question de savoir si, dans toutes les parties spécifiques de son analyse, la Commission a bien pris en compte tous les éléments pertinents pour celle-ci, qu’elle a cherché, de façon générale, à recueillir les éléments de preuve pertinents susceptibles de lui permettre de prévoir quel impact aura la concentration et qu’elle les a recoupés.
133 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler qu’il appartient à la Commission d’apprécier si les informations dont elle dispose suffisent pour l’analyse concurrentielle (arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T 162/10, EU:T:2015:283, point 109) et d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence. En application de cette évaluation globale, la Commission peut privilégier certains éléments et en écarter d’autres. Le Tribunal doit contrôler la légalité de cet examen et sa motivation (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 136).
134 À cet égard, la requérante se borne à indiquer, en substance, que la Commission a établi les faits de façon erronée ou incomplète en ignorant certains éléments de preuve. Toutefois, il ressort clairement de la décision attaquée que la Commission a pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle en a privilégié certains et écarté d’autres, ce qui relève de sa marge d’appréciation, en comparant tous les éléments de preuve entre eux et en indiquant, de manière générale, les raisons pour lesquelles elle a décidé de ne pas retenir certaines indications.
135 En second lieu, s’agissant des trois études présentées par la requérante, rappelées au point 123 ci-dessus, il convient de relever qu’il a été jugé que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir arrêts du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C 501/11 P, EU:C:2013:522, point 31 et jurisprudence citée, et du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, point 260 et jurisprudence citée). En particulier, la légalité d’une décision en matière de concurrence doit être appréciée, selon une jurisprudence constante, en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir arrêt du 27 janvier 2021, KPN/Commission, T 691/18, non publié, EU:T:2021:43, point 141 et jurisprudence citée).
136 En conséquence, la décision attaquée doit être examinée selon les éléments factuels existant au jour de son adoption et non à la lumière d’éléments factuels postérieurs à celle-ci (arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 204).
137 Il convient de constater que l’adoption de la décision attaquée date du 17 septembre 2019 et qu’il est constant que l’étude BET date d’octobre 2020, le rapport d’expert BET, du 13 janvier 2021, et que la nouvelle étude LBD présentée par la requérante date du 25 janvier 2021. Ainsi, ces trois études sont postérieures à l’adoption de la décision attaquée.
138 Néanmoins, la Commission ne saurait invoquer, de façon générale, la jurisprudence selon laquelle la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait existant à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée (arrêt du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T 87/05, EU:T:2005:333, point 158).
139 En effet, dans la mesure où la production d’une annexe ne constitue pas une tentative de modifier le cadre juridique et factuel précédemment soumis à la Commission en vue de l’adoption de la décision attaquée, mais relève de la constitution d’un argumentaire dans la simple mise en œuvre des droits de la défense, ladite annexe doit être considérée comme recevable (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 63).
140 En l’espèce, il convient de constater que les trois études ont été élaborées spécifiquement en vue de contester la légalité de la décision attaquée. Ainsi, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 139 ci-dessus, la Commission ne peut prétendre à ce que ces études soient déclarées irrecevables du seul fait qu’elles ont été élaborées après l’adoption de la décision attaquée, sans que leur contenu ne soit analysé, afin de vérifier si elles constituent ou non une tentative de modifier le cadre juridique ou factuel existant à la date de l’adoption de la décision attaquée.
141 En revanche, la Commission est habilitée à faire valoir en défense, sur des points précis, le fait qu’une annexe méconnaît les déclarations expresses ou les omissions des parties lors de la procédure administrative (arrêt du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T 87/05, EU:T:2005:333, point 158). De même, il se peut que l’analyse d’une annexe sur un point précis soit basée sur des éléments d’information existant à la date d’adoption de la décision attaquée, au sens de la jurisprudence citée au point 138 ci-dessus. En d’autres termes, rien n’empêche une partie requérante, dans l’exercice de ses droits de la défense, de se référer à une analyse contenue dans une annexe et effectuée après l’adoption de l’acte attaqué, à condition que cette analyse soit fondée sur des éléments factuels disponibles au moment de l’adoption dudit acte.
142 Premièrement, concernant l’étude BET, celle-ci contient, dans sa section 2, une critique de la méthodologie utilisée par la Commission dans le cadre de la première enquête de marché. Or, une telle critique doit être considérée comme faisant partie intégrante de l’argumentaire mettant en œuvre les droits de la défense de la requérante. Dès lors, cette section de l’étude BET est recevable.
143 En revanche, la section 3 de l’étude BET fait état des résultats d’une enquête de marché réalisée par le BET entre le 29 juillet et le 18 août 2020, soit presque une année entière après l’adoption de la décision attaquée, ainsi qu’il ressort du point 41 de la section 3 de ladite étude.
144 À cet égard, il convient de constater que la requérante n’a pas démontré, ni même soutenu, que l’avis des entreprises participantes était le même que celui qu’elles auraient eu si elles avaient été interrogées au moment où la décision attaquée était adoptée. Or, compte tenu, en outre, de la nature dynamique du marché de l’énergie, il est raisonnable de prévoir que les réponses des entreprises participantes à l’enquête de marché de l’étude BET, près d’un an après l’adoption de la décision attaquée, aient changé parallèlement à l’évolution du marché de l’énergie. De surcroît, les réponses ont été données dans un contexte où la concentration avait déjà eu lieu. Ainsi, l’analyse des réponses a été effectuée sur la base d’éléments factuels dont la Commission ne pouvait pas disposer au moment de l’adoption de la décision attaquée. En effet, la Commission ne pouvait pas savoir quelle serait l’opinion des acteurs du marché près d’un an plus tard, notamment après la réalisation de la concentration.
145 Dès lors que la situation du marché de l’énergie au moment où l’enquête de marché de l’étude BET a été réalisée était nécessairement différente de sa situation au moment où la Commission a mené ses propres enquêtes, la pertinence et la valeur probante des analyses effectuées dans l’étude BET sur la base de ces données ultérieures sont, au mieux, limitées. En effet, l’usage de ces données ne s’inscrit pas seulement dans le cadre de la constitution d’un argumentaire pour la mise en œuvre des droits de la défense de la requérante, mais constitue, au moins en partie, une tentative de modifier le cadre factuel existant au moment où la Commission adoptait la décision attaquée, au sens de la jurisprudence citée au point 139 ci-dessus.
146 De même, il ressort du rapport d’expert BET qu’une partie importante des chiffres utilisés pour l’élaboration de celui-ci datent de la fin de l’année 2019 et de 2020 et sont donc postérieurs à l’adoption de la décision attaquée. Il ressort du point 5 du rapport d’expert BET que les analyses contenues dans ledit rapport sont basées notamment sur l’enquête de marché de l’étude BET menée par le BET du 29 juillet au 18 août 2020 et sur de nombreuses données fournies par le Bundesnetzagentur (BNetzA, agence fédérale des réseaux, Allemagne), par l’Office fédéral des ententes et par des opérateurs de bases de données privées.
147 À ce titre, il ressort clairement de ce rapport que le BET disposait de données contemporaines à l’étude de marché menée par la Commission. Cependant, alors que de telles données auraient pu être utilisées, ce sont majoritairement des données de la fin de l’année 2019 et de 2020 qui ont été utilisées.
148 Ainsi, étant donné que l’analyse du rapport d’expert BET était largement basée sur des données de la fin de l’année 2019 et de 2020, donc postérieures à l’adoption de la décision attaquée, sans préjuger de la question de savoir si un élément particulier de l’analyse peut faire partie d’un argumentaire dans la simple mise en œuvre des droits de la défense, il convient de noter que l’utilisation de ces données constitue, au moins en partie, une tentative de modifier le cadre factuel dont la Commission pouvait disposer en vue de l’adoption de la décision attaquée, au sens de la jurisprudence citée au point 139 ci-dessus. Par conséquent, même en supposant qu’elles soient recevables, la pertinence et la valeur probante de ces analyses sont, au mieux, limitées.
149 En revanche, deuxièmement, s’agissant, de la nouvelle étude LBD, il convient de constater que la plupart des données utilisées dans cette étude, fournie par la requérante, datent des années précédant celle de l’adoption de la décision attaquée. En effet, la Commission a fait mention explicite de la version de cette étude dont elle disposait dans la décision attaquée, aux points 81, 83, 84 et 86, ainsi qu’aux notes en bas de page 79, 80, 84, 85, 90 à 92 et 315.
150 En définitive, les études présentées par la requérante ne font pas état de données dont la Commission aurait omis de tenir compte lors de l’adoption de la décision attaquée. Ainsi, ce n’est pas par le biais de ces études que la requérante parviendra à démontrer que la Commission a omis de prendre en compte certaines données.
2) Sur la première enquête de marché de la Commission
151 La requérante fait valoir, en substance, que la première enquête de marché ne saurait livrer des résultats concluants et représentatifs, étant donné qu’elle ne se serait pas déroulée dans des conditions satisfaisantes et que les participants, en particulier, n’auraient pas été correctement choisis, de sorte que les résultats n’auraient pas fidèlement reproduit la situation concrète du marché.
152 En premier lieu, la Commission aurait fixé un cadre d’échantillonnage trop étroit et un cercle de destinataires trop large qui ne reproduirait pas adéquatement les caractéristiques des marchés en cause. Ainsi, comme seules 161 entreprises auraient répondu, le nombre d’entreprises ayant exprimé le point de vue de leur catégorie de concurrents serait très faible. De même, la Commission n’aurait contacté que 383 fournisseurs d’énergie sur les 2 200 que compte l’Allemagne.
153 En deuxième lieu, la Commission aurait exagéré la valeur probante de ses résultats. Premièrement, la première enquête de marché se serait adressée à un cercle de destinataires très large et non spécifique et il ne saurait être exclu que les entreprises des groupes RWE et E.ON aient donné des réponses partiales et qu’elles aient enjolivé les réalités du marché. Deuxièmement, la Commission aurait prévu un délai de réponse très court pour répondre et le questionnaire, rédigé uniquement en anglais, aurait été difficile à comprendre pour des raisons linguistiques et de contenu.
154 En troisième lieu, les appréciations de la Commission sur la première enquête de marché seraient incompréhensibles. Premièrement, du fait que la Commission n’a pas indiqué le taux de participation pour chaque question, ni sa répartition entre les différentes réponses, il serait impossible de vérifier la pertinence des appréciations de la Commission. Deuxièmement, pour contrôler la légalité de la décision attaquée, il aurait été indispensable de divulguer les différents résultats de la première enquête de marché, ainsi que leur évaluation par la Commission, le cas échéant anonymisés.
155 La Commission conteste les arguments de la requérante et fait valoir que la première enquête de marché est complète et a été exécutée correctement.
156 En premier lieu, s’agissant de l’échantillon retenu aux fins de la première enquête de marché, il ressort de la note en bas de page no 52 de la décision attaquée que 161 entreprises ont effectivement participé à la première enquête de marché, y compris, en plus des concurrents importants comme EnBW et Vattenfall, plus de 50 régies municipales de différentes tailles, des coopératives de régies municipales, des sociétés dans lesquelles seules les municipalités ou leurs régies municipales détenaient des parts, des sociétés dans lesquelles les régies municipales et les fournisseurs indépendants détenaient des parts, des sociétés dans lesquelles seuls les fournisseurs indépendants détenaient des parts, des fournisseurs indépendants ainsi que de nouveaux entrants sur le marché.
157 Lors de l’audience, la Commission a expliqué comment elle a choisi les entreprises cibles, étant donné qu’il y avait plus de 2 000 acteurs dans le secteur de l’énergie. Les parties à la concentration lui ont fourni les adresses des entreprises auxquelles l’enquête de marché devrait être envoyée. La Commission a, ensuite, sélectionné, parmi celles-ci, des petites et moyennes entreprises ainsi que des grandes entreprises, actives dans tous les secteurs du marché de l’énergie ou dans une partie de ceux-ci.
158 Ainsi, la Commission a sélectionné un large éventail d’acteurs du marché pour répondre à son enquête de marché.
159 Afin de déterminer la taille d’échantillon correcte aux fins d’une étude de marché, il convient de tenir compte, premièrement, de la taille de la population auprès de laquelle le sondage va être réalisé, deuxièmement, du niveau de confiance, qui est le pourcentage indiquant le degré de certitude avec lequel la population va choisir une réponse située entre deux valeurs données, et, troisièmement, de la marge d’erreur, qui correspond au pourcentage indiquant dans quelle mesure les résultats du sondage sont susceptibles de refléter l’opinion de la population globale.
160 En l’espèce, la population totale est d’environ 2 500 entreprises dont l’avis pourrait être utile. Pour un niveau de confiance situé à 95 %, ce qui correspond à la norme de l’industrie, et une marge d’erreur à 10 %, la taille adéquate de l’échantillon serait de 93 répondants. Ainsi, en ayant interrogé 383 entreprises du marché de l’énergie, dont il pouvait être attendu qu’un certain nombre ne répondraient pas, la Commission a cherché à constituer un échantillon suffisamment représentatif.
161 De même, il ne saurait être valablement reproché à la Commission de n’avoir contacté que 383 entreprises, dès lors que la logistique et l’organisation d’une telle enquête constituent un effort important, tout comme le traitement ultérieur des informations, et ce, d’autant plus, s’il est tenu compte des ressources limitées de la Commission ainsi que des impératifs de célérité qui s’imposent à elle dans le cadre du contrôle des concentrations. Ainsi, compte tenu du principe de célérité qui régit la procédure de contrôle des concentrations, le Tribunal estime que, dès lors que 161 des 383 entreprises sollicitées ont effectivement répondu à la première enquête de marché, cet échantillon peut être considéré comme suffisamment représentatif et à même de donner des résultats significatifs sur lesquels la Commission pouvait se fonder dans ses conclusions.
162 En deuxième lieu, la requérante critique la transmission du questionnaire en anglais. À cet égard, il est constant que les questions étaient rédigées en anglais, mais que rien n’empêchait les entreprises destinataires de répondre en allemand.
163 Dans l’arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission (T 441/14, EU:T:2018:453), les parties requérantes soutenaient que la Commission avait violé leur droit à un procès équitable et leurs droits de la défense en leur notifiant les demandes d’informations et la communication des griefs exclusivement en anglais dans le cadre d’une procédure d’ententes, alors qu’une des parties requérantes avait demandé, à plusieurs reprises, à communiquer en allemand. Aux points 46 à 50 dudit arrêt, le Tribunal a conclu que le refus de la Commission d’adresser les demandes d’informations à Brugg Kabel AG en allemand n’avait pas empêché cette dernière de donner utilement son point de vue quant aux informations sollicitées par la Commission, en particulier en raison du fait que la Commission n’avait nullement exigé de Brugg Kabel que celle-ci répondît aux demandes d’informations en anglais.
164 L’application a fortiori de cette jurisprudence amène le Tribunal à conclure que le questionnaire de la première enquête de marché, qui, en soi, n’était pas susceptible d’aboutir à l’adoption de sanctions à l’encontre des entreprises à qui il était adressé, pouvait être rédigé en anglais. De plus, si les entreprises rencontraient des problèmes de traduction, elles auraient pu demander une prolongation du délai pour des raisons linguistiques. Enfin, force est de relever que rien ne les empêchait de donner leur point de vue de manière utile, puisqu’elles pouvaient répondre en allemand aux questions posées en anglais.
165 Ainsi, compte tenu, de surcroît, de l’impératif de célérité, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle traduise les questions dans les langues demandées par les entreprises interrogées.
166 À titre surabondant, il convient de relever qu’une telle solution est d’autant plus raisonnable que la Commission a procédé à des enquêtes de marché sur les différents marchés géographiques concernés, y compris la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, et le Royaume-Uni. Or, exiger de la Commission qu’elle traduise ses questionnaires dans les langues des États membres sur le territoire desquels elle réalise ses enquêtes de marché serait disproportionné en termes de coûts pour les services de la Commission et incompatible avec l’impératif de célérité qui s’impose à elle.
167 En troisième lieu, il convient d’analyser la complexité du questionnaire et le délai de réponse octroyé par la Commission. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission doit concilier la nécessité de mener une enquête complète afin de disposer de l’ensemble des éléments pertinents pour son appréciation avec l’impératif de célérité qui s’impose à elle. Ainsi, d’une part, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir posé 228 questions. D’autre part, bien que le délai de réponse ait été court, le fait que 161 entreprises aient répondu dans le délai, ainsi que le fait que les entreprises pouvaient demander une prolongation du délai, ce dont la requérante a fait usage en l’espèce, suffit pour conclure que la Commission n’a pas manqué à son devoir de diligence à cet égard.
168 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la première enquête de marché a été correctement menée. Ainsi, elle ne saurait être considérée comme étant, en elle-même, entachée d’erreurs manifestes d’appréciation.
169 Par ailleurs, quant à la critique de la requérante fondée sur le fait que, en substance, la décision attaquée ne donnerait pas assez d’éléments d’information sur la première enquête de marché, de sorte que les appréciations de la Commission fondées sur celle-ci seraient incompréhensibles, il y a lieu de relever que, ce faisant, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir assez détaillé, au sein de la décision attaquée, les résultats de la première enquête de marché.
170 À cet égard, il convient de rappeler que le degré de précision de la motivation d’une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 167).
171 Or, exiger de la Commission qu’elle procède aux précisions exigées par la requérante serait manifestement disproportionné compte tenu des possibilités matérielles dont disposait la Commission ainsi que des conditions techniques et de délai dans lesquelles la décision attaquée devait intervenir.
172 En effet, il ne saurait être demandé à la Commission qu’elle détaille, pour chaque élément abordé dans la décision attaquée, le taux de participation à chaque question ainsi que sa répartition entre les différentes réponses, sous peine de retarder encore davantage la rédaction, l’adoption et la publication de la décision attaquée.
173 En outre, rien n’empêchait la requérante de demander au Tribunal, dans le cadre de ses écritures, d’adopter une mesure d’organisation de la procédure visant à ce que la Commission fournisse, de manière ponctuelle, ce type de renseignements concernant certaines questions déterminées avec précision afin de pouvoir prendre position. Or, elle ne l’a pas fait, se contentant de critiquer de manière générale et non spécifiquement circonstanciée le degré de précision de la décision attaquée en ce qui concerne la première enquête de marché.
174 Enfin, s’agissant de l’arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service (C 265/17 P, EU:C:2019:23, point 55), il convient de constater, à l’instar de la Commission, que celui-ci ne saurait être interprété comme exigeant de la Commission qu’elle détaille, dans le sens voulu par la requérante, les résultats de la première enquête de marché. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission était critiquée pour ne pas avoir été suffisamment transparente dans l’élaboration des modèles économétriques utilisés pour l’analyse prospective des effets d’une concentration.
175 Partant, le présent grief ne saurait en tout état de cause prospérer.
c) Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’une définition erronée des marchés pertinents
176 En l’espèce, la Commission a procédé à la définition des marchés pertinents en Allemagne dans la section 7.1 de la décision attaquée. La Commission a notamment analysé la définition des marchés de produits et géographiques dans les domaines suivants : la production et la fourniture en gros d’électricité (section 7.1.1), la distribution d’électricité ou réseaux électriques (section 7.1.2), la fourniture au détail d’électricité (section 7.1.3), la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage (section 7.1.4), la distribution de gaz ou réseaux de gaz (section 7.1.5), la fourniture au détail de gaz (section 7.1.6), les services de comptage (section 7.1.7) et l’électromobilité (section 7.1.8).
1) Sur le premier grief, tiré de la définition erronée des marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz
177 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a insuffisamment examiné les faits dans le secteur de la fourniture au détail d’énergie aux ménages et aux petits clients commerciaux et qu’elle a défini les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz de façon manifestement erronée.
178 En premier lieu, la Commission aurait défini le marché de produits pertinent de manière inexacte, en ce qu’elle n’aurait pas suffisamment tenu compte du point de vue des consommateurs. Par conséquent, elle aurait conclu, à tort, que le marché de la fourniture au détail d’énergie aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base était différent du marché de la fourniture au détail d’énergie aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux.
179 En second lieu, la Commission aurait fait une appréciation erronée de la définition géographique du marché de la fourniture au détail d’énergie aux ménages et aux petits clients commerciaux, en considérant, à tort, sur la base des zones de code postal, qu’il s’agissait d’un marché national et non local.
180 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
181 Il y a lieu de relever que la Commission a, notamment, analysé la définition des marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux sections 7.1.3 et 7.1.6 de la décision attaquée. Elle a conclu, au point 91 de la décision attaquée, que, aux fins de ladite décision :
– le marché de la fourniture au détail d’électricité aux grands clients industriels sera considéré comme étant de dimension nationale ;
– le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base sera considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension locale limité à la zone d’approvisionnement de base concernée ;
– le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux sera considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension nationale avec des éléments locaux.
182 Au point 129 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la structure et le fonctionnement du marché de la fourniture au détail du gaz étaient très similaires à ceux du marché de la fourniture au détail de l’électricité.
i) Sur la définition du marché de produits pertinent
183 S’agissant du marché de produits pertinent, la Commission a analysé le marché de produits de la fourniture au détail d’électricité à la section 7.1.3.2 (points 52 à 62) et de la fourniture au détail de gaz à la section 7.1.6.1 (points 130 à 133) de la décision attaquée.
184 Il convient de constater, d’emblée, qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission a analysé plusieurs sources d’information pour définir les marchés de produits de la fourniture au détail d’électricité et de gaz. Ainsi, elle n’a pas seulement analysé le point de vue des parties à la concentration (points 51, 55, 58 et 132), mais elle a également tenu compte de sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que de celle de l’Office fédéral des ententes et du BNetzA (points 52 à 54, 58, 130 et 131), des informations provenant de l’Office fédéral des ententes (point 50), de la réglementation applicable (points 47, 51, 56 et 133), d’un rapport de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) (point 59), des réponses des concurrents à la première enquête de marché (points 58 et 60), ainsi que des documents internes des parties à la concentration (point 61). De ce fait, la Commission a pris en compte les preuves pertinentes dont elle disposait. En tout état de cause, la requérante reproche plutôt à la Commission de ne pas être parvenue aux mêmes conclusions qu’elle. En effet, le problème n’est pas tant que la Commission a ignoré des preuves pertinentes, mais, plutôt, que la requérante ne partage pas l’analyse desdites preuves faite par la Commission.
185 À titre de remarque préliminaire, il y a lieu de relever que, en distinguant le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base et dans le cadre des contrats spéciaux, la Commission a procédé à une définition plus étroite des marchés pertinents que si elle n’avait pas distingué entre approvisionnement de base et contrats spéciaux. À cet égard, il peut être d’ailleurs relevé, ainsi qu’il ressort des points 55 et 132 de la décision attaquée, que les parties à la concentration étaient également d’avis, au cours de la procédure administrative, qu’une distinction entre l’approvisionnement de base et les contrats spéciaux ne serait pas appropriée.
186 Premièrement, s’agissant de la prise en compte de l’interchangeabilité du point de vue des consommateurs, la requérante estime, tout d’abord, que les tarifs des contrats spéciaux et les tarifs de l’approvisionnement de base seraient complètement interchangeables du point de vue du consommateur, ensuite que l’inertie des clients n’est pas un phénomène propre à l’approvisionnement de base, mais est inhérente à tous les groupes de clients, quels qu’ils soient, et, enfin, que la raison du faible taux de changement entre approvisionnement de base et contrats spéciaux ne tiendrait pas au manque de sensibilité des clients finaux, mais au fait que la satisfaction des clients des fournisseurs régionaux serait très élevée et que de nombreux clients finaux du fournisseur de base ignoreraient simplement comment procéder pour changer de fournisseur.
187 En l’espèce, la Commission, à la lumière des éléments de preuve cités au point 184 ci-dessus, a analysé certains éléments déterminants du point de vue de la demande.
188 Ainsi, la Commission a établi une distinction dans le marché de produits entre les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base et ceux bénéficiant de contrats spéciaux, du fait qu’il n’y avait pas de substituabilité de la demande. Malgré le fait que le pourcentage de ménages approvisionnés selon les tarifs d’électricité de base soit en constante diminution, passant d’environ 59 % en 2007 à 37 % en 2012, à 31 % en 2016 et à 28 % en 2017 (point 50 de la décision attaquée), la Commission a estimé que les tarifs de l’approvisionnement de base d’électricité et de gaz n’étaient pas matériellement contraints par les tarifs des contrats spéciaux et que, par conséquent, les deux types de contrats constituaient deux marchés de produits distincts (points 62 et 133 de la décision attaquée).
189 À cet égard, la Commission a fondé une grande partie de son analyse sur l’inertie des consommateurs. Ainsi, elle a élaboré une partie introductive à la section 7.1.3.1 de la décision attaquée, dans laquelle elle explique le concept d’inertie des clients, caractérisée par le fait que, après la libéralisation du marché de l’électricité en Allemagne en 1998, une proportion importante de clients, en particulier les ménages et les petites entreprises, est restée chez le fournisseur historique malgré la disponibilité d’offres plus compétitives, comme c’est le cas dans la plupart des marchés européens de l’électricité au détail (point 48 de la décision attaquée). Selon la Commission, cet effet de l’opérateur historique est particulièrement prononcé pour les clients qui sont toujours approvisionnés dans le cadre de contrats d’approvisionnement de base, qui ne cherchent pas à changer de fournisseur et s’en tiennent aux tarifs d’approvisionnement de base plus chers de l’opérateur historique (point 50 de la décision attaquée). Pour la Commission, une concentration telle que celle en cause dans la présente affaire n’est susceptible d’avoir qu’un impact matériel limité ou nul dans l’immédiat à l’égard de ces consommateurs (point 49 de la décision attaquée). La Commission considère que les mêmes considérations sont applicables au secteur du gaz (point 133 de la décision attaquée).
190 Ainsi, bien que la Commission ne fasse pas mention de la nature homogène de l’électricité et du gaz, qu’elle ne remet pas en question, elle a observé, cependant, que, en 2017, malgré la diminution progressive du nombre de contrats d’approvisionnement de base et les conditions généralement plus favorables des contrats spéciaux, 28 % des ménages avaient encore ce type de contrat pour la fourniture d’électricité.
191 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel l’inertie touche tous les groupes de clients, il suffit de constater que les clients avec un contrat spécial ont dû changer de contrat au moins une fois pour sortir du contrat de base, ce qui témoigne de leur part d’un souci de rechercher de meilleures conditions que celles obtenues par défaut. Selon la requérante, la raison du faible taux de changement entre approvisionnement de base et contrats spéciaux ne tiendrait pas au manque de sensibilité des clients finaux, mais au fait que la satisfaction des clients des fournisseurs régionaux serait très élevée et que de nombreux clients finaux du fournisseur de base ignoreraient simplement comment procéder pour changer de fournisseur.
192 Or, il convient de relever que, si un nombre important de clients titulaires de contrats de base ne changent pas de contrat, soit parce qu’ils sont satisfaits de leurs fournisseurs de base, malgré les meilleures conditions offertes par les contrats spéciaux, soit parce qu’ils ne savent pas comment le faire, cela montre en fait qu’il existe bien une inertie chez les consommateurs, qui restent, par conséquent, dans ces contrats de base. À cet égard, la Commission a indiqué, au point 59 de la décision attaquée, sur la base du rapport de l’ACER mentionné au point 184 ci-dessus, que la faiblesse perçue du gain monétaire qui pourrait résulter d’un changement de fournisseur, le manque de confiance dans les nouveaux fournisseurs, la complexité perçue du processus de changement et le niveau de satisfaction quant au fournisseur ont été identifiés comme les facteurs les plus influents dans l’inhibition du comportement de changement des consommateurs. Ainsi, indépendamment du fait que le changement de fournisseur soit aussi facile que le suggère la requérante, un nombre important de clients maintient, malgré les avantages théoriques, ses contrats de base.
193 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime que la Commission a bien étayé l’existence d’une certaine inertie des clients de l’approvisionnement de base, dont la demande est plus inélastique, comme en témoigne le fait que, malgré les conditions plus avantageuses des contrats spéciaux, une partie de la demande est toujours réticente à bénéficier d’un changement de contrat.
194 Il est vrai que la diminution progressive des contrats de base en raison de la souscription à des contrats spéciaux par les clients indique un certain niveau de substitution de la demande entre les contrats de base et les contrats spéciaux. Cependant, il relève de la marge d’appréciation de la Commission d’observer l’existence encore importante d’un grand nombre de contrats de base qui tend à démontrer l’existence d’un marché de produits séparé. C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission ne s’est pas limitée à constater que les caractéristiques objectives de l’électricité et du gaz étaient homogènes, mais qu’elle a également analysé la situation concurrentielle et notamment la structure de l’offre et de la demande sur le marché. Il convient donc de rejeter cet argument.
195 Deuxièmement, la requérante estime, s’agissant du test « small but significant non-transitory increase of price » (augmentation de prix non transitoire faible mais significative, ci-après le « test SSNIP »), qu’une hausse de prix de 5 à 10 % conduirait les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base à opter pour des contrats spéciaux, ce qui confirmerait que l’inertie des clients est inhérente à tous les groupes de clients. À cet égard, presque tous les acteurs de marché ayant participé à la première enquête de marché considèreraient qu’une hausse du tarif de la fourniture de base de 5 à 10 % influerait sur le taux de changement, et seule l’intensité de cette influence ferait débat.
196 À ce sujet, il convient de rappeler que le test SSNIP, aux termes du paragraphe 17 de la communication de la Commission, du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, ci-après la « communication sur la définition du marché »), pose la question de savoir si une hausse de prix de 5 à 10 % conduirait les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base à opter pour des contrats spéciaux.
197 À cet égard, au point 60 de la décision attaquée, la Commission a mentionné, s’appuyant sur la première enquête de marché, que, alors qu’un certain nombre de répondants avaient indiqué qu’une telle augmentation du prix des contrats d’approvisionnement de base aurait pu déclencher une augmentation du niveau de passage aux contrats spéciaux, près de 70 % des concurrents avaient répondu que l’augmentation du passage aurait été probablement faible ou négligeable. Ainsi, une majorité des acteurs du marché ont estimé qu’il n’y aurait pas une substituabilité de la demande aux termes du test SSNIP. Ce résultat confirme l’idée que les consommateurs ayant des contrats de base souffrent d’inertie.
198 S’il est vrai que la Commission n’a pas élaboré une analyse quantitative ou de grande ampleur au-delà des réponses des concurrents, il convient de rappeler qu’il appartient à la Commission d’apprécier si les informations dont elle dispose suffisent pour l’analyse concurrentielle (arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T 162/10, EU:T:2015:283, point 109).
199 Il doit être également rappelé qu’il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie entre « éléments de preuve non techniques » et « éléments de preuve techniques », mais qu’il appartient à la Commission d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence et qu’il se peut, à cet égard, que certains éléments soient privilégiés et que d’autres soient écartés (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission, T 175/12, non publié, EU:T:2015:148, point 133).
200 Compte tenu des appréciations faites à cet égard par la majorité des répondants à la première enquête de marché, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que les informations dont elle disposait suffisaient pour l’analyse concurrentielle de la substituabilité entre les contrats de base et les contrats spéciaux en raison d’une augmentation légère, mais significative et permanente des prix des contrats de base.
201 Troisièmement, s’agissant du taux de changement de fournisseur, selon la requérante, des changements n’auraient pas seulement été observés et comptabilisés du tarif de base vers le tarif spécial, mais également dans l’autre sens. À cet égard, il suffit de constater que la requérante n’apporte aucune preuve pour étayer ses allégations.
202 Par ailleurs, la requérante fait valoir que 34 % de tous les foyers allemands sont passés de l’approvisionnement de base aux contrats spéciaux alors que, par comparaison, seuls 46 % de l’ensemble des foyers allemands ont changé de fournisseur d’électricité depuis la libéralisation du milieu des années 90, ce qui démontrerait que l’inertie affecte tous les clients. À supposer même que ces chiffres soient précis, il suffit d’indiquer que des clients qui ont décidé de passer d’un contrat de base à un contrat spécial ont, de ce fait même, déjà dû changer de contrat au moins une fois, ce qui montre que ces clients ne sont pas comparables à ceux qui ont toujours conservé leur contrat de base, de sorte que l’inertie n’affecte pas de la même manière ces deux groupes de clients.
203 À cet égard, il ne saurait être soutenu que l’inertie constatée par la Commission à l’égard des clients des contrats de base, dont les conditions sont sensiblement moins avantageuses que celles des contrats spéciaux, soit réellement comparable à la situation des clients spéciaux qui bénéficient donc déjà d’un tarif plus compétitif. Les raisons expliquant la fidélité des clients bénéficiant de tarifs spéciaux pourraient se trouver dans le fait, par exemple, qu’ils bénéficient d’un bon tarif, ce qui n’est pas le cas des clients de base qui restent avec des contrats de base malgré des conditions moins avantageuses. Il convient donc de rejeter cet argument.
204 Quatrièmement, la requérante soutient qu’il n’y aurait pas de différence de prix significative entre l’approvisionnement de base et les contrats spéciaux. Tout d’abord, la Commission aurait retenu des différences de prix allant de 30 % à 50 % entre les contrats de base et les contrats spéciaux, mais les différences seraient beaucoup plus faibles pour les acheteurs les plus représentatifs, c’est-à-dire le foyer allemand moyen qui achète une quantité d’environ 3 500 kilowatts/heure. Ensuite, la Commission aurait supposé, à tort, que la dynamique tarifaire des deux types de contrats était fondamentalement différente, alors que, d’une part, seulement 24,7 % du tarif final dépendrait des fournisseurs, le reste étant des charges obligatoires, et, d’autre part, une hausse des charges obligatoires se reflèterait dans les deux types de tarifs, parce qu’ils se feraient mutuellement concurrence. Enfin, la différence de prix marginale ne résulterait pas de différences significatives dans les caractéristiques des produits ou dans les profils de demande des clients, mais du profil de risque des clients et par des coûts plus élevés imputables à l’obligation théorique d’approvisionnement de tous les foyers.
205 Il convient de relever que la Commission a, en effet, noté, aux points 51 et 60 de la décision attaquée, que la réglementation régissant la conclusion des contrats de base et celle relative aux contrats spéciaux étaient différentes. En effet, en Allemagne, la législation prévoit qu’il ne peut y avoir qu’un seul fournisseur de base par zone d’approvisionnement et que l’entreprise qui sera le fournisseur de base doit être déterminée tous les trois ans par le GRD compétent. Ainsi, la fourniture de base est soumise à une réglementation spécifique. Le fournisseur de base a l’obligation légale de conclure des contrats de fourniture de base, il ne peut résilier un contrat de fourniture de base que dans des circonstances exceptionnelles, alors que le client peut résilier le contrat à tout moment avec un préavis de seulement deux semaines. En outre, les fournisseurs de base ont l’obligation légale de répercuter les coûts légaux irrécupérables, à savoir les taxes, les redevances de concession, les surtaxes et les prélèvements, à l’exception des redevances de réseau, et sont confrontés à des limitations des augmentations de prix du fait que les augmentations de la marge bénéficiaire ne sont pas autorisées. Enfin, la fluctuation des prix sur les marchés de gros ne peut être reflétée que dans une mesure limitée dans les prix de détail de l’approvisionnement de base.
206 Il en découle que la fixation des prix et la politique tarifaire de l’approvisionnement de base et des contrats spéciaux ne sont, en définitive, pas comparables et que la Commission a conclu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la distinction entre les tarifs d’approvisionnement de base et les tarifs des contrats spéciaux était également évidente du fait que les parties à la concentration adoptaient des politiques de tarification et d’ajustement des prix différentes pour les deux types de tarifs. Pour étayer ses affirmations, la Commission s’est fondée non seulement sur les différences réglementaires, mais également sur les documents internes des parties à la concentration qui, dans la pratique de la Commission, constituent des preuves généralement privilégiées, avec une haute valeur probatoire, du fait qu’ils ne font pas l’objet d’un traitement par les parties à la concentration pour les besoins de la concentration, mais constituent des documents contenant des informations non traitées.
207 Par ailleurs, s’agissant des différences de prix allant de 30 % à 50 % entre les contrats de base et les contrats spéciaux constatées par la Commission et contestées par la requérante, il convient de remarquer que la Commission a tenu compte, pour avoir une image des écarts de prix pour tous les clients, de la consommation de l’ensemble des ménages et des petits clients commerciaux et ne s’est pas limitée à la consommation du client médian (consommant 3 500 kilowatts/heure), contrairement à la requérante. Le Tribunal estime que cette approche ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation. Au contraire, cette approche a permis à la Commission d’avoir une vision d’ensemble, et non limitée, de la situation sur le marché de la fourniture au détail d’énergie aux ménages et aux petits clients commerciaux. De même, l’utilisation des prix nets, qui n’incluent pas les taxes et autres charges obligatoires, reflète de façon plus fiable la situation concurrentielle que les prix bruts, dans la mesure où c’est dans la partie du prix dépendant des fournisseurs que ces derniers peuvent être compétitifs. Cela est d’autant plus important dans un marché aussi réglementé que celui de l’énergie, où la partie concurrentielle du tarif est faible. Aux fins de la comparaison de différents tarifs, la présence de différences de charges ou de taxes peut entraîner une distorsion qui empêche, à cet égard, la comparaison de la partie du tarif soumise à la concurrence. Il convient donc de rejeter également cet argument.
208 Cinquièmement, s’agissant des spécificités réglementaires, la requérante soutient que, en vertu de l’article 36, paragraphe 2, première phrase, de l’Energiewirtschaftsgesetz (loi sur la gestion de l’énergie), du 7 juillet 2005 (BGBl. I, p. 1970 et 3621), telle que modifiée par l’article 2, paragraphe 6, de la loi du 20 juillet 2017 (BGBl. I, p. 2808, 2018 I p. 472), le fournisseur de base serait l’entreprise de fourniture énergétique qui assure l’approvisionnement général du plus grand nombre des foyers dans une zone donnée et ce, indépendamment de l’identité du fournisseur et du point de savoir si, au moment du calcul du nombre de foyers desservis dans une zone, la fourniture a lieu en vertu d’un contrat d’approvisionnement de base ou spécial, de sorte qu’un fournisseur de base aurait un intérêt considérable à gagner et à conserver, outre des clients d’approvisionnement de base, des clients de contrats spéciaux, ce qui contredirait la thèse de marchés séparés.
209 Le Tribunal estime, tout d’abord, que les différences réglementaires identifiées par la Commission et rappelées au point 205 ci-dessus, indiquent une différence du point de vue de l’offre. À cet égard, la requérante se réfère aux points 54 et suivants de la nouvelle étude LBD. Il ressort du point 55 de ladite étude que le fournisseur de base est prêt à accepter une marge nettement inférieure plutôt que de perdre un client au profit d’un concurrent et de ne conserver aucune marge. Le fournisseur de base s’assure ainsi qu’il maintient son statut de fournisseur de base. Toutefois, il a été établi au point 193 ci-dessus que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en constatant que les clients avec contrats de base faisaient preuve d’inertie et que, malgré les conditions plus favorables des contrats spéciaux, ils ne changeaient pas de contrat. Par ailleurs, le fait que le fournisseur de base ait une certaine incitation à être compétitif sur les contrats spéciaux afin de conserver son statut de fournisseur de base ne signifie pas que les contrats de base exercent une pression concurrentielle sur les contrats spéciaux et vice versa. En effet, d’une part, il existe des différences réglementaires importantes entre les deux types de contrats, ainsi qu’il a été établi au point 205 ci-dessus. D’autre part, un client bénéficiant d’un contrat spécial chercherait plutôt à obtenir un autre contrat spécial auprès d’un autre fournisseur. En tout état de cause, si une pression concurrentielle sur les contrats spéciaux devait être admise, elle ne proviendrait pas des conditions des contrats de base, mais de la préférence du fournisseur de base à maintenir son statut. Ainsi, l’existence d’incitations pour les fournisseurs de base à être compétitifs sur le marché de la fourniture des clients dans le cadre des contrats spéciaux ne fait pas obstacle à la différenciation des deux marchés de produits.
210 Sixièmement, la requérante fait valoir que la décision attaquée est entachée d’erreurs, parce que, en distinguant les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base de ceux bénéficiant de contrats spéciaux dans la définition du marché de produits en cause, la Commission a dérogé à sa pratique décisionnelle. Ainsi, dans la décision C(2015) 9088 final, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), la Commission aurait estimé que les contrats spéciaux de l’électricité exerçaient une forte pression concurrentielle sur les fournisseurs de base.
211 À ce sujet, la Commission a analysé, aux points 52 à 54 de la décision attaquée, sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que celle de l’Office fédéral des ententes.
212 À cet égard, il ressort des points 53 et 133 de la décision attaquée que, par le passé, la Commission ne s’est pas fermement prononcée sur la question de savoir si les contrats spéciaux et les tarifs de l’approvisionnement de base relevaient de marchés distincts. Ainsi, dans la décision C(2015) 9088 final de la Commission, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), la Commission a évalué l’impact de la concentration sur les ménages et les petits clients commerciaux, en prenant en compte au niveau national, d’une part, sans les distinguer, les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base et ceux bénéficiant de contrats spéciaux, et, d’autre part, pris séparément, les clients des contrats spéciaux. Néanmoins, dans cette décision, la Commission a laissé ouverte la question de la définition du marché de produits. En effet, la Commission a indiqué, au point 19 de ladite décision, que, dans ce cas, la question de la définition exacte du marché de produits en cause pouvait être laissée ouverte, étant donné que l’opération de concentration envisagée ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, quelle que soit la définition envisagée.
213 Il en découle que, en l’espèce, la Commission ne saurait être considérée comme ayant dérogé à sa pratique décisionnelle antérieure. Au contraire, la Commission a considéré ses appréciations passées comme un élément pertinent d’analyse. Or, la Commission, exerçant sa marge d’appréciation, a constaté, aux points 56 à 62 et 133 de la décision attaquée, que les conditions du marché au moment de l’adoption de la décision attaquée exigeaient une définition plus étroite du marché de produits.
214 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, lorsque la Commission statue sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur sur la base d’une notification et d’un dossier propres à cette opération, une partie requérante n’est pas en droit de remettre en cause ses constatations au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire, sur la base d’une notification et d’un dossier différents, à supposer même que les marchés en cause dans les deux affaires soient similaires, voire identiques. Ainsi, dans la mesure où cette partie requérante invoque des analyses faites par la Commission dans une décision antérieure, cette partie de son argumentation est sans pertinence (voir arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission, T 251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 78 et jurisprudence citée).
215 En toute hypothèse, ni la Commission ni, a fortiori, le Tribunal ne sont liés par les constatations de fait et les appréciations économiques figurant dans une décision antérieure. À supposer que l’analyse menée dans la décision attaquée soit différente de celle menée dans une décision antérieure sans que cette différence soit objectivement justifiée, le Tribunal ne devrait annuler la décision attaquée dans la présente procédure que si celle-ci, et non la décision antérieure, était entachée d’erreurs. Il appartient donc toujours à la partie requérante de démontrer en quoi les appréciations contenues dans la décision qui est attaquée sont, en elles-mêmes et indépendamment de celles figurant dans la décision antérieure, erronées (arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission, T 251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 79).
216 En outre, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, la Commission n’est pas tenue par les appréciations relatives aux marchés pertinents réalisées dans ses précédentes décisions (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2017, Topps Europe/Commission, T 699/14, non publié, EU:T:2017:2, point 93).
217 Il résulte de tout ce qui précède que la requérante échoue à démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de la définition du marché de produits pertinent. Il convient, dès lors, de rejeter le grief tiré d’une définition erronée du marché de produits pertinent en ce qui concerne la fourniture au détail d’électricité et de gaz.
ii) Sur la définition du marché géographique
218 Au point 90 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, aux fins de ladite décision, malgré l’existence des éléments de concurrence locaux, le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages dans le cadre de contrats spéciaux était national, bien que la Commission eût également examiné les effets de la concentration au niveau local et eût conclu que, même sur une base locale, la concentration ne soulevait pas de problèmes de concurrence. En ce qui concerne le gaz, la Commission a conclu, au point 147 de la décision attaquée, que, aux fins de ladite décision, le marché de la fourniture au détail de gaz aux ménages dans le cadre de l’approvisionnement de base serait considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension locale, limité à la zone d’approvisionnement de base concernée, et que le marché de la fourniture au détail de gaz aux ménages dans le cadre de contrats spéciaux serait considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension nationale.
219 La requérante soutient, en substance, que le marché de fourniture au détail d’électricité ou de gaz aux ménages dans le cadre des contrats spéciaux aurait dû être défini comme un marché local et non comme un marché national avec des éléments locaux.
220 Premièrement, il convient de vérifier si la Commission a pris en compte, d’une manière générale, tous les éléments pertinents pour l’analyse de la définition du marché géographique. À cet égard, le Tribunal constate, en ce qui concerne l’électricité, que la Commission a analysé sa pratique décisionnelle aux points 63 à 65 de la décision attaquée, celle de l’Office fédéral des ententes aux points 66 et 67 de ladite décision, l’avis des parties à la concentration au point 68 de celle-ci, et qu’elle a procédé à son analyse aux points 69 à 90 de la décision attaquée.
221 S’agissant, d’une part, du marché géographique de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux, la Commission n’a pas, aux fins de son analyse, seulement tenu compte du point de vue des parties à la concentration (points 78, 83, 84 et 88). En effet, elle a également examiné sa pratique décisionnelle antérieure (points 69 et 70), celle de l’Office fédéral des ententes (points 69, 74, 85 et 86), les informations provenant de l’Office fédéral des ententes (points 80, 82, 83 et 86), la réglementation applicable (point 66), les réponses des concurrents à la première enquête de marché (points 74 à 76, 79 et 80), le questionnaire de la phase d’examen approfondi adressé aux clients des PME et des microentreprises en Allemagne (point 85), les contributions des concurrents (points 75, 79, 81, 84 et 87) et l’étude LBD dont elle disposait au moment de l’adoption de la décision attaquée (points 81, 84 et 87). En outre, la Commission a effectué ses propres analyses (point 88). Il en ressort que la Commission a procédé à un recoupement des différentes sources d’information disponibles lors de la définition du marché géographique de la fourniture au détail d’électricité.
222 S’agissant, d’autre part, du marché géographique de la fourniture au détail de gaz, la Commission a analysé sa pratique décisionnelle aux points 134 et 135 de la décision attaquée, celle de l’Office fédéral des ententes au point 136 de ladite décision et l’avis des parties à la concentration au point 137 de celle-ci. En outre, elle a procédé à un examen d’ensemble aux points 138 à 146 de la décision attaquée.
223 Ainsi qu’elle l’a fait dans le domaine de l’électricité, aux fins de son analyse, la Commission n’a pas seulement considéré le point de vue des parties à la concentration, mais elle a également pris en compte la pratique décisionnelle antérieure de l’Office fédéral des ententes (points 138 et 139), les informations provenant de l’Office fédéral des ententes (points 142 et 144), les réponses des concurrents à la première enquête de marché (points 138 et 143), ses propres analyses (point 145) et les documents internes des parties à la concentration (point 143). Il en ressort que, comme pour le secteur de l’électricité, la Commission a procédé à un recoupement des différentes sources d’information lors de la définition du marché géographique de la fourniture au détail de gaz.
224 Par conséquent, il ne saurait être soutenu que la Commission a mené des enquêtes insuffisantes sur les marchés géographiques de la fourniture au détail d’électricité et de gaz.
225 Deuxièmement, la requérante fait valoir, d’une part, que les clients finaux ne peuvent pas choisir librement entre tous les fournisseurs actifs et, d’autre part, qu’il existe des offres seulement locales avec des prix différents.
226 À cet égard, la Commission aurait fondé son appréciation sur une diversité des fournisseurs purement théorique. En particulier, environ 79 % des 1 289 fournisseurs proposeraient leurs tarifs dans moins de 10 % des zones de code postal selon le rapport d’expert BET. Bien que 124 fournisseurs, en moyenne, soient théoriquement accessibles aux clients finaux, seuls environ 0,005 % à 0,012 % des tarifs proposés en Allemagne seraient disponibles dans chaque zone correspondant à un code postal selon l’étude LBD. De la même manière, de nombreux fournisseurs ne seraient pas actifs dans toutes les zones de code postal des secteurs qu’ils approvisionnent, de sorte qu’aucun client ne pourrait librement choisir entre tous les fournisseurs d’électricité actifs en Allemagne. Enfin, l’importance du rôle des sites Internet de comparaison augmenterait constamment, spécialement pour les fournisseurs opérant sur une base suprarégionale qui pourraient proposer des tarifs avantageux. Cependant, cette importance croissante n’aurait pas pour effet de supprimer les entraves régionales au marché et de créer un marché national.
227 Tout d’abord, s’agissant de l’étude des clients en fonction de leur code postal et de la portée locale des offres des fournisseurs, le Tribunal constate que la Commission a conclu, en effet, au point 73 de la décision attaquée, que, bien qu’il existât des éléments locaux de concurrence, le marché des contrats spéciaux de fourniture d’électricité était de dimension nationale avec des éléments locaux de concurrence. À cet égard, la Commission a constaté, s’agissant de l’électricité, qu’il y avait une tendance à une augmentation du nombre de fournisseurs actifs dans chaque zone de réseau (point 74), que les fournisseurs avaient tendance à appliquer des stratégies de vente similaires dans toutes les régions (point 75), que 65 % des fournisseurs ayant répondu à la première enquête de marché proposaient le même prix net dans tout le pays sauf occasionnellement (point 76), que la substitution du côté de l’offre était considérable du fait de la possibilité d’expansion relativement facile et courante dans les zones locales (point 77), et que le nombre moyen de fournisseurs par zone était passé de 46 en 2008 à 124 en 2017 (point 80).
228 Quant au gaz, la Commission a constaté, au point 142 de la décision attaquée, que, en moyenne, les consommateurs de gaz en Allemagne pouvaient choisir entre près de 120 fournisseurs dans leur zone de réseau et que plus de 50 concurrents étaient présents sur tout le territoire allemand. Au point 143 de la décision attaquée, elle a indiqué que seule une minorité des concurrents avait déclaré que les prix nets différaient d’une région à l’autre pour tous les produits ou la majorité d’entre eux, que les documents internes des parties à la concentration avaient démontré que les parties à la concentration surveillaient les activités des concurrents dans toute l’Allemagne, sans se concentrer sur des régions ou des concurrents spécifiques, étant donné que l’évolution de la concurrence dans le secteur du gaz et de l’électricité était surveillée et évaluée de la même manière par les parties à la concentration, que la substitution du côté de l’offre était considérable et qu’elle n’avait pas identifié d’obstacles importants à l’entrée ou à l’expansion.
229 Ainsi, la Commission a considéré la nature et les caractéristiques de l’électricité, l’existence de barrières à l’entrée, les préférences des consommateurs ainsi que les niveaux de prix sur le territoire, au sens de l’article 9, paragraphe 7, du règlement no 139/2004. À la lumière de ces éléments, la Commission a conclu que les clients bénéficiant de contrats spéciaux avaient accès à un grand nombre de fournisseurs d’électricité avec des conditions similaires partout en Allemagne.
230 En effet, compte tenu des réponses à la question no 12 de la première enquête de marché, la Commission a conclu qu’environ deux tiers des fournisseurs proposaient généralement une tarification nationale, avec des prix nets identiques. En ce qui concerne le gaz, les réponses à la question no 80 de la première enquête de marché ont fondé l’appréciation de la Commission selon laquelle la majorité des répondants ont indiqué que les prix étaient généralement les mêmes dans tout le pays, mais qu’ils différaient occasionnellement d’une région à l’autre. S’il est vrai que la Commission n’a pas enquêté elle-même pour déterminer si les prix offerts différaient en fonction du code postal, en consultant le moteur de recherche Google et les sites Internet de comparaison « Verivox » ou « Check24 », il n’en demeure pas moins qu’il appartient à la Commission d’évaluer la suffisance des informations dont elle dispose pour procéder à son analyse, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 133 et 198 ci-dessus. Le Tribunal estime que la Commission a constaté à suffisance, à travers la première enquête de marché, que la majorité des fournisseurs proposaient des prix comparables sur tout le territoire allemand. Dès lors, des investigations supplémentaires à cet égard sur les sites Internet précités n’étaient pas nécessaires.
231 En tout état de cause, aux points 81 et suivants de la décision attaquée, la Commission a analysé en substance les critiques formulées par la requérante, y compris celles relatives à l’étude LBD dont elle disposait. La Commission a indiqué, notamment, que les prix relativement élevés que les fournisseurs locaux de base d’électricité ou de gaz pouvaient demander pour les contrats spéciaux (points 83 et 144) étaient dus à l’avantage de l’opérateur historique (point 85). En outre, la Commission a identifié, au point 84 de la décision attaquée, un défaut méthodologique, à savoir que l’étude LBD dont elle disposait avait traité différentes filiales des parties à la concentration comme des entités indépendantes, ce qui aurait pu avoir un effet important sur les résultats, si, par exemple, les marges ou les stratégies de prix étaient analysées dans une région où une société du groupe était le fournisseur de base, et que seuls les marges ou les prix de cette entité dans cette région étaient pris en compte, et non ceux des autres sociétés du groupe.
232 Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la portée géographique des conditions tarifaires d’électricité et de gaz.
233 À supposer même que les fournisseurs proposent des tarifs et des conditions différentes en fonction du code postal, cela ne constituerait qu’un des facteurs liés à l’offre, au sens du paragraphe 30 de la communication sur la définition du marché. En effet, d’autres facteurs comme les barrières à l’entrée seraient également pertinents. À cet égard, chaque fournisseur d’électricité a la possibilité d’approvisionner tout ménage ou petit client commercial sur l’ensemble du territoire national. La requérante ne conteste pas la constatation de la Commission selon laquelle les fournisseurs, y compris les petites régies municipales, essaient régulièrement de se développer et de stimuler la concurrence en dehors de leur zone, ni que, au cours des deux ou trois dernières années avant l’adoption de la décision attaquée, deux nouveaux acteurs sont entrés dans une zone correspondant à un code postal donné en moyenne et ont rapidement gagné des parts non négligeables de marché (point 79). Dans le cas du gaz, la concurrence actuelle et la menace d’entrée exercent des contraintes sur les opérateurs historiques locaux (point 145). De ce fait, il est raisonnable d’envisager que, en présence de marges supra-concurrentielles dans les zones correspondant à certains codes postaux, d’autres fournisseurs se fassent concurrence pour répondre à la demande. Dans ces conditions, une existence de tarifs locaux ne suffirait pas, en elle-même, pour justifier la portée locale de la définition du marché géographique.
234 En outre, le nombre de fournisseurs d’électricité qui proposent une offre sur l’ensemble du territoire national ou sur des zones plus amples que leurs zones régionales constitue un facteur lié à l’offre, au sens du paragraphe 30 de la communication sur la définition du marché. En effet, conformément à celui-ci, la Commission peut, le cas échéant, vérifier si des sociétés implantées dans des zones distinctes ne se heurtent pas à des entraves si elles souhaitent développer leurs ventes dans des conditions concurrentielles sur l’ensemble du marché géographique. Le nombre et le rayon d’action des fournisseurs constitue un indice de ce type d’entraves.
235 Quant à l’argument de la requérante selon lequel les structures tarifaires auraient un caractère local et les fournisseurs adapteraient leur stratégie de distribution en fonction de facteurs régionaux, la requérante se fonde en partie sur le rapport d’expert BET, dont la valeur probante est toutefois limitée pour les raisons détaillées aux points 143 à 148 ci-dessus. En tout état de cause, il ressort du point 81 de la décision attaquée que la Commission a examiné ces allégations, mais qu’elle a maintenu son point de vue selon lequel le marché géographique était de dimension nationale. Même en supposant que les fournisseurs aient une perspective locale dans leurs offres, cela ne serait qu’une indication d’un éventuel marché local compatible avec la conclusion de la Commission selon laquelle il existe des éléments locaux sur le marché national. En effet, il n’est pas nécessaire que tous les paramètres de concurrence soient identiques sur tout le territoire d’un État membre pour considérer qu’il y a marché national.
236 Par ailleurs, il ressort du point 81 de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des tarifications locales proposées par les parties à la concentration et constatées par l’étude LBD.
237 De même, la Commission a mené sa propre enquête et a travaillé sur l’hypothèse d’une politique tarifaire locale des fournisseurs. Elle a ainsi examiné s’il existait un lien entre la marge d’un fournisseur et sa part dans la fourniture au groupe de consommateurs qui n’ont pas de contrat spécial avec le fournisseur de base. À cet égard, il s’agit d’un point de départ raisonnable, dès lors que l’on peut s’attendre à ce qu’une entreprise disposant d’un certain pouvoir de marché dans un certain domaine dispose d’une certaine marge de manœuvre pour augmenter les prix et les marges bénéficiaires. Cette analyse de la Commission a notamment fait apparaître qu’il n’existait pas, au niveau local, de corrélation entre marges et parts de marché en ce qui concerne les contrats spéciaux (points 88 et 89 pour l’électricité et 145 pour le gaz). La Commission a conclu que l’absence de lien systématique entre les marges et les parts de marché en ce qui concerne les clients qui étaient en train ou désireux de changer de fournisseur donnait à penser que la concurrence actuelle et la menace d’entrée exerçaient des contraintes sur les opérateurs historiques locaux, du moins en ce qui concerne ce groupe de clients, ce qui indiquait l’existence d’un marché national.
238 Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission n’a pas entériné le point de vue des concurrentes selon lequel la fourniture au détail d’électricité et de gaz était de portée locale.
239 Troisièmement, la requérante soutient que la Commission n’a pas suivi sa pratique décisionnelle habituelle. Dans la décision C(2009) 5111, du 22 juin 2009, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.5496 – Vattenfall/Nuon Energy), concernant une procédure comparable, la Commission aurait reconnu qu’il existait en Allemagne une multitude de marchés locaux de l’électricité. En outre, depuis cette affaire, aucun changement significatif n’aurait été observé dans le comportement des acteurs de marché.
240 À cet égard, il découle des précédents cités dans la décision attaquée que la pratique établie par la Commission ne saurait confirmer les évaluations du marché géographique telles qu’elles ont été proposées par la requérante. En effet, dans ses précédentes décisions, la Commission a laissé la question de la définition du marché géographique de la fourniture au détail d’électricité ouverte et la Commission considère que la définition nationale, régionale ou locale du marché du gaz relève de la casuistique.
241 S’agissant de l’électricité, la Commission a indiqué, au point 63 de la décision attaquée, qu’elle avait généralement défini les marchés géographiques de la fourniture au détail d’électricité aux clients finals comme étant de dimension nationale. Or, dans sa décision C(2009) 5111, du 22 juin 2009, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.5496 – Vattenfall/Nuon Energy), la Commission a également pris en considération la possibilité d’une définition plus étroite du marché géographique au niveau du réseau de distribution pour la fourniture au détail d’électricité aux petits clients pour l’Allemagne, bien qu’elle ait finalement laissé la question de la définition du marché ouverte dans ce cas. Cependant, la Commission a noté, aux points 64 et 65 de la décision attaquée, que, depuis 2009, le marché de la fourniture au détail d’électricité en Allemagne avait considérablement évolué et que la portée géographique de la concurrence s’était élargie, ce qui se reflétait déjà dans sa décision C(2015) 9088 final, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), dans laquelle elle a examiné les parts de marché nationales pour la fourniture au détail d’électricité aux ménages en général et aux clients sous contrat spécial uniquement, alors que la question de la définition du marché géographique était laissée ouverte.
242 Quant au gaz, la Commission a indiqué, au point 134 de la décision attaquée, en citant sa décision C(2015) 9088 final, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), sa décision C(2011) 2638 final, du 11 avril 2011, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.6068 – ENI/ACEGASAPS/JV), et sa décision C(2006) 5418 final, du 14 novembre 2006, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.4180 – Gaz de France/Suez), que, dans des décisions antérieures, elle avait considéré que le marché de la fourniture au détail de gaz pouvait avoir une portée nationale, régionale ou locale, limitée à la zone du réseau de distribution, en fonction des caractéristiques du marché.
243 Partant, il en découle que la Commission n’a pas dérogé à sa pratique décisionnelle antérieure et qu’elle a tenu compte de ses appréciations passées en tant qu’élément pertinent d’analyse.
244 En tout état de cause, le Tribunal rappelle que la Commission n’est pas tenue par les appréciations relatives aux marchés pertinents réalisées dans ses précédentes décisions, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 216 ci-dessus.
245 C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a estimé, aux points 91 et 147 de la décision attaquée, que, aux fins de la décision attaquée, la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base avait une dimension locale, limitée à la zone d’approvisionnement de base concernée, et que la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux avait une dimension nationale avec des éléments locaux.
246 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de rejeter le premier grief, tiré de la définition erronée des marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz.
2) Sur le second grief, tiré de la définition erronée des marchés des services de comptage et de l’électromobilité
247 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a procédé à une définition erronée des marchés des services de comptage et de l’électromobilité.
248 En premier lieu, quant au marché des services de comptage, la requérante soutient, en substance, que la Commission a opéré, à tort, une distinction entre les nGPC et les cGPC, alors que, en réalité, les nGPC et les cGPC peuvent être employés de manière identique et se remplacer mutuellement à tout moment. Ainsi, les considérations de la requérante sur les contrats de base et les contrats spéciaux seraient transposables.
249 En second lieu, la requérante affirme que la Commission ne pouvait pas laisser ouverte la question de la définition du marché géographique de l’électromobilité et qu’elle aurait dû présumer l’existence de marchés locaux, recoupant les districts administratifs, car les clients, tout comme pour le marché des stations-service, orientent leur choix en fonction de la possibilité d’atteindre la prochaine station de recharge et du temps nécessaire à cette fin.
250 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
i) Sur les marchés des services de comptage
251 Ainsi qu’il a été rappelé au point 30 ci-dessus, les services de comptage consistent à mesurer la consommation d’électricité, de gaz, d’eau ou de chaleur à des fins de facturation, de transparence et d’optimisation de la consommation.
252 La Commission a indiqué, aux points 151 à 153 de la décision attaquée, que, en Allemagne, l’exploitation des points de comptage relevait de la responsabilité du GRD, jusqu’à la libéralisation de 2005. La Messstellenbetriebsgesetz (loi sur la gestion des points de mesure), du 1er septembre 2016 (BGBl. I, p. 2034), a introduit la dissociation entre l’exploitation du réseau et celle des points de comptage, a créé les rôles de nGPC et de cGPC et a introduit :
– premièrement, l’obligation, exclusivement pour les nGPC, de remplacer tous les compteurs d’électricité en Allemagne par des compteurs modernes d’ici 2032 ;
– deuxièmement, l’obligation pour les nGPC de déployer des systèmes de mesure intelligents avec des plafonds de prix différents en fonction des types de consommateurs et des niveaux de consommation, ce système ayant toutefois un caractère facultatif pour les petits clients ; la même obligation s’applique aux cGPC, mais sans les plafonds ;
– troisièmement, l’obligation générale de remplacer les compteurs existants par des compteurs de gaz compatibles avec un dispositif de communication hautement sécurisé, la passerelle pour compteurs intelligents, qui permettra la communication des données mesurées aux acteurs du marché autorisés.
253 Dans ces conditions, la Commission a estimé, au point 169 de la décision attaquée, qu’il convenait de faire une distinction entre les services de comptage de l’électricité et du gaz fournis par les nGPC et les services de comptage de l’électricité et du gaz fournis par les cGPC, pour des raisons similaires à celles qui justifiaient la distinction entre les contrats de base et les contrats spéciaux, à savoir, tout d’abord, le fait que la concurrence avait lieu principalement sur le marché des cGPC, ensuite, la circonstance que les cadres réglementaires des nGPC et des cGPC divergeaient, notamment, en ce qui concerne le plafonnement des prix et les obligations de déploiement de compteurs modernes et intelligents, et, enfin, le fait que l’entrée sur le marché national d’acteurs extérieurs dans le secteur de l’électricité comme Deutsche Telekom ou Deutsche Bahn se produisait sur le marché des cGPC. Cependant, la Commission a finalement décidé que la question de savoir si les marchés des services de comptage de l’électricité et du gaz doivent être subdivisés en séparant les nGPC et les cGPC pouvait, in fine, demeurer ouverte, dès lors que la concentration ne soulevait pas de problèmes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, quelle que fût la définition plausible du marché.
254 À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence selon laquelle la Commission peut laisser ouverte la question de la définition du marché du produit en cause dès lors qu’il résulte de manière claire et sans équivoque des motifs explicités par la Commission dans la décision attaquée qu’aucune des définitions du marché ne permet de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, KPN/Commission, T 394/15, non publié, EU:T:2017:756, point 60).
255 Ainsi, il résulte de ce qui précède que l’argument de la requérante selon lequel la Commission a défini à tort le marché de produits en séparant les nGPC et les cGPC doit être rejeté, puisque la Commission ne s’est pas explicitement prononcée en faveur d’une telle définition plus étroite, bien qu’elle ait suggéré qu’une telle distinction pourrait être appropriée.
ii) Sur les marchés de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques
256 Premièrement, s’agissant de la définition géographique du marché de l’installation et de l’exploitation des bornes de recharge publiques rapides sur les autoroutes, d’une part, et celui de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques ultrarapides sur les autoroutes, d’autre part, la Commission a retenu, au point 197 de la décision attaquée, qu’une distance de 50 km était un bon indicateur pour identifier les stations qui étaient susceptibles d’exercer une pression concurrentielle importante les unes sur les autres. Néanmoins, aux points 200 et 218 de la décision attaquée, elle a finalement laissé ouverte la question de la définition du marché géographique (entre local ou national avec des éléments de concurrence locaux), étant donné qu’elle a identifié des entraves significatives à la concurrence effective quelle que soit la définition du marché retenue.
257 À cet égard, la Commission a constaté, aux points 367 et 370 de la décision attaquée, que, ensemble, E.ON et innogy avaient conclu des contrats pour l’installation et l’exploitation de bornes de recharge publiques rapides et ultrarapides pour plus de 60 à 70 % des stations-service des aires d’autoroute de l’entreprise Autobahn Tank & Rast, qui exploitait plus de 90 % des stations-service sur les autoroutes en Allemagne.
258 Dans ces conditions, la Commission a constaté, aux points 379 et 380 de la décision attaquée, que, lorsque des bornes de recharge publiques d’E.ON et d’innogy se trouvaient à une distance de 50 km et qu’il n’y avait pas, entre elles, des bornes de recharge publiques d’un autre concurrent, E.ON et innogy se faisaient la concurrence la plus directe.
259 Ainsi, quelle que soit la définition géographique, locale ou nationale avec des éléments de concurrence locaux du marché, la Commission a identifié une distance de 50 km comme un élément pertinent pour l’analyse de l’existence d’effets anticoncurrentiels.
260 De même, force est de constater que, si la Commission peut laisser la question de la définition d’un marché en cause ouverte si aucune des définitions du marché ne permet de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration, au sens de la jurisprudence citée au point 254 ci-dessus, elle peut tout autant laisser la question de la définition d’un marché en cause ouverte si elle constate qu’il y a des effets anticoncurrentiels quelle que soit la définition retenue, et ce, pour autant que, à la suite des modifications apportées par les entreprises concernées, la concentration n’est plus susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective, quelle que soit la définition du marché en cause.
261 Ainsi, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en laissant ouverte la question de la définition géographique du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques rapides sur les autoroutes et de celui de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques ultrarapides sur les autoroutes.
262 Deuxièmement, en ce qui concerne le marché de l’installation et de l’exploitation des bornes de recharge situées hors autoroute, la Commission, au point 203 de la décision attaquée, a laissé ouverte la question de la définition géographique du marché, étant donné que la concentration ne posait pas de problème quelle que fût la définition plausible du marché, du fait, ainsi qu’il ressort des points 381 à 387 de la décision attaquée, que les parties à la concentration exploitaient très peu de bornes de recharge ultrarapides et qu’il y avait un nombre important de concurrents sur le marché et plusieurs autres grands concurrents avec des plans d’expansion.
263 Ainsi, la Commission a indiqué de façon explicite qu’aucune des définitions du marché ne permettait de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration. Au vu de la jurisprudence citée au point 254 ci-dessus, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en laissant ouverte la question de la définition du marché en ce qui concerne les bornes de recharge situées hors autoroute.
3) Conclusion sur la première branche du deuxième moyen
264 Au vu de ce qui précède, il convient de constater que la Commission a bien tenu compte de l’ensemble des éléments pertinents à sa disposition et qu’elle a identifié et défini les marchés pertinents en l’espèce sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation.
265 Il convient donc de rejeter la première branche du deuxième moyen, tirée d’une définition erronée des marchés pertinents.
d) Sur la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’une appréciation erronée des effets de la concentration
1) Sur le premier grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz
266 La requérante soutient que la Commission a donné une appréciation erronée des effets de la concentration sur les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz. À cet égard, la concentration aurait pour effet de renforcer la position dominante d’E.ON grâce aux nombreuses participations qu’elle acquiert, de faire disparaître la pression concurrentielle exercée par innogy en tant que concurrent important, d’entraîner un risque d’éviction des concurrents et d’augmenter les tarifs sur le marché local des contrats spéciaux.
267 En premier lieu, la Commission n’aurait pas correctement apprécié la situation concurrentielle sur le marché de la fourniture au détail d’énergie aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base.
268 En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission n’a pas correctement analysé l’impact exercé par le regroupement des portefeuilles clients des parties à la concentration en ce qui concerne les contrats spéciaux.
269 En troisième lieu, la requérante soutient que la Commission n’a pas suffisamment apprécié les effets de la disparition de la concurrence entre E.ON et innogy résultant de la participation minoritaire de RWE dans E.ON.
270 En quatrième lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de la puissance grandissante d’E.ON en termes de finances, que lui conféraient des avantages concurrentiels. Ainsi, grâce au potentiel de synergies, à sa taille, à ses parts de marché et aux subventionnements croisés en tant que GRD et propriétaire de plusieurs marques, E.ON pourrait évincer stratégiquement ses concurrents, notamment par le biais de stratégies tarifaires agressives allant jusqu’aux prix prédateurs.
271 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
272 En premier lieu, il convient de constater, en ce qui concerne la prétendue appréciation erronée de la situation concurrentielle sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base, que le Tribunal a déjà conclu, aux points 217 et 245 ci-dessus, que la Commission n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en constatant, aux points 91 et 147 de la décision attaquée, que l’approvisionnement de base en électricité et en gaz devait être considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension locale, limité à la zone de fourniture de base concernée.
273 Premièrement, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait que la concentration entraînait un accroissement considérable du nombre de zones d’approvisionnement de base d’E.ON. À cet égard, la position de marché des fournisseurs de base demeurerait donc très dominante dans leurs zones d’approvisionnement respectives. De même, la Commission aurait omis le fait qu’E.ON augmenterait considérablement ses parts de marché à la suite de la concentration, celles-ci pouvant atteindre localement 69 %. Ainsi, en tant que fournisseur de base, E.ON renforcerait ses possibilités de compenser les faibles prix concurrentiels par les gains générés par la vaste clientèle et l’activité de réseau.
274 À ce sujet, il importe de relever que la requérante ne remet pas en cause le fait que, en raison du monopole de jure affectant les zones d’approvisionnement de base, il n’y a pas de concurrence entre les différentes zones d’approvisionnement de base et donc de possibles effets anticoncurrentiels. Or, la requérante n’explique pas comment le fait que les parts de marché d’E.ON peuvent atteindre localement 69 % dans les zones d’approvisionnement de base peut, en soi, constituer une entrave significative à la concurrence effective dans le marché d’approvisionnement de base ou un indice d’une telle entrave. En effet, à la suite de la concentration, ce ne sont pas les parts de marché d’E.ON dans un marché ou dans une zone d’approvisionnement de base qui ont augmenté, mais le nombre de zones où E.ON joue le rôle de fournisseur de base. C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a conclu que les effets directs de la concentration sur ces marchés seraient, tout au plus, limités.
275 Deuxièmement, quant à la possible réduction des chances des concurrents de devenir fournisseurs de base dans le cadre du contrôle trisannuel du fait que seul un fournisseur de base serait en mesure d’assurer une gestion rentable et durable sur le long terme, il ressort de la décision attaquée que, en dépit de l’inexistence d’un risque probable que la concentration ait un effet matériel direct sur ces marchés, la Commission a consacré, néanmoins, une grande partie de la section 7.2.2.1 de la décision attaquée à examiner les possibles effets indirects, à savoir si la concentration pouvait renforcer la capacité d’E.ON à conserver le statut de fournisseur de base dans certaines zones locales et, ce faisant, pouvait réduire les incitations à fixer les prix des contrats spéciaux de manière concurrentielle.
276 À cet égard, la Commission a constaté, au point 266 de la décision attaquée, que, en effet, le statut de fournisseur de base était déterminé tous les trois ans par le GRD compétent et était attribué au fournisseur d’électricité qui avait le plus de clients résidentiels dans la région, y compris les clients sous contrat d’approvisionnement de base et les clients sous contrat spécial et y compris s’agissant de l’électricité utilisée pour le chauffage. Ainsi, comme l’a indiqué la Commission au même point de la décision attaquée, la détermination de l’approvisionnement de base dépend du nombre de clients résidentiels sous contrat spécial et les stratégies de prix sur les contrats spéciaux peuvent avoir des effets sur le marché de l’approvisionnement de base.
277 Cependant, bien que, en théorie, les parties à la concentration puissent combiner leur clientèle de ménages et de petits clients commerciaux du fait de la concentration pour augmenter leurs chances de conserver le rôle de fournisseur de base ou de l’obtenir, il convient de constater que, comme la Commission l’a indiqué, au point 268 de la décision attaquée, seuls les clients détenus par une entité juridique sont comptabilisés aux fins de la détermination de l’approvisionnement de base, par opposition à la combinaison des clients de toutes les entités détenues par la même société mère. La Commission a estimé, à cet égard, que, si la stratégie de vider certaines entités juridiques pour renforcer la clientèle d’une autre entité du groupe ou de regrouper les clients sous une seule entité juridique était rentable, les parties auraient très probablement déjà essayé de la mettre en œuvre avant la concentration, ce qu’elle n’a pas observé.
278 À cet égard, la requérante se borne à invoquer cette possible théorie du dommage sans toutefois apporter de preuves étayant que, en effet, cette stratégie était déjà mise en œuvre par les parties à la concentration, du fait du nombre de marques et de filiales qu’elles contrôlaient avant la concentration. Or, il y a lieu de noter que, si les parties à la concentration avaient une réelle incitation à essayer de protéger leurs zones de base ou d’accéder à de nouvelles zones, elles auraient déjà probablement regroupé des marques ou des entités, dès lors qu’il est constant que les parties à la concentration possédaient déjà un nombre important de marques et de filiales avant la concentration. La requérante n’indique pas non plus les raisons pour lesquelles le risque d’engager cette stratégie se verrait accru à la suite de la concentration. Vu le manque d’indices de la réalité de cette théorie du dommage, il convient de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en constatant que le risque d’un tel effet indirect était limité.
279 En tout état de cause, s’agissant de la prétendue concurrence étroite entre E.ON et innogy, la Commission a constaté, au point 269 de la décision attaquée, que les parties à la concentration étaient rarement les concurrentes les plus proches l’une de l’autre, et que, le plus souvent, c’étaient les régies municipales qui étaient le deuxième plus grand fournisseur des ménages, et, au point 270 de la décision attaquée, que, d’après les documents internes d’E.ON, cette entreprise n’avait considéré innogy comme le deuxième fournisseur d’une zone qu’une seule fois. La Commission a également constaté, au point 271 de la décision attaquée, que, dans les zones où l’une des parties à la concentration était le fournisseur de base, l’autre partie avait généralement une faible part de clientèle, à savoir 5 % ou moins. Il en découle donc que, bien que la stratégie soit théoriquement possible, la Commission a prouvé à suffisance que les parties à la concentration ne seraient pas en mesure d’en profiter matériellement, compte tenu du chevauchement régional limité de leurs clients.
280 Troisièmement, selon la requérante, la concentration affecterait également la concurrence dans les régions où les parties à la concentration ne détiennent pas de parts de marché significatives dans la zone de fourniture de base de l’autre, comme c’était le cas dans la décision C(2009) 5111 de la Commission, du 22 juin 2009, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.5496 – Vattenfall/Nuon Energy). S’agissant de l’applicabilité des conclusions de cette décision, il convient de relever que les circonstances entourant cette affaire ne sont pas comparables à celles de la présente espèce. En effet, dans cette affaire, l’entreprise cible était un concurrent proche de l’entreprise acquéreuse et, de surcroît, l’entreprise cible offrait des tarifs très compétitifs (en tant que « franc-tireur », soit en tant qu’opérateur animant fortement la concurrence). En tout état de cause, la Commission n’est pas liée par sa pratique passée, en particulier lorsque les circonstances du marché ont changé au fil du temps.
281 La Commission pouvait donc considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base en Allemagne.
282 En deuxième lieu, s’agissant de l’impact exercé par le regroupement des portefeuilles clients des parties à la concentration sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux, il convient de rappeler que, dans le cadre de son appréciation des effets anticoncurrentiels d’une opération de concentration, la Commission compare les conditions de concurrence telles qu’elles résulteraient de l’opération notifiée avec celles que connaîtrait le marché si la concentration n’avait pas lieu (arrêt du 23 mai 2019, KPN/Commission, T 370/17, EU:T:2019:354, point 115).
283 Il convient de relever que l’existence de parts de marché d’une grande ampleur est hautement significative et que le rapport entre les parts de marché détenues par les parties à la concentration et par leurs concurrents, en particulier ceux qui les suivent immédiatement, constitue un indice valable de l’existence d’une position dominante ou d’une entrave significative à une concurrence effective. En outre, une part de marché particulièrement faible détenue par l’une des parties à la concentration tend à suggérer, prima facie, l’absence d’entrave significative à une concurrence effective, surtout lorsque les autres opérateurs disposent de parts de marché beaucoup plus importantes (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T 282/02, EU:T:2006:64, point 201).
284 Il ressort du point 17 des lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5, ci-après les « lignes directrices »), d’une part, que seule une part de marché particulièrement élevée de 50 % et plus peut, en elle-même, constituer la preuve de l’existence d’une position dominante sur le marché et, d’autre part, que, si avec une part de marché inférieure à 50 % l’opération de concentration peut néanmoins soulever des problèmes de concurrence, c’est en raison d’autres facteurs, comme, notamment, la puissance des concurrents et leur nombre (arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 59).
285 En outre, selon le considérant 32 du règlement no 139/2004 et le point 18 des lignes directrices, les concentrations qui, en raison de la part de marché limitée des entreprises concernées, ne sont pas susceptibles d’entraver une concurrence effective peuvent être présumées compatibles avec le marché intérieur. Cette présomption s’applique notamment lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse 25 % ni dans le marché intérieur ni dans une partie substantielle de celui-ci.
286 C’est donc au vu de ces considérations qu’il convient de déterminer si, en l’espèce, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en qualifiant de manière erronée les effets sur le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre des contrats spéciaux par le regroupement des portefeuilles clients des parties à la concentration.
287 Premièrement, la requérante soutient que la Commission n’a pas déterminé l’importance réelle de la pression concurrentielle du marché. Malgré un nombre élevé de fournisseurs, 88 fournisseurs, soit un peu plus de 6 % du total, desserviraient 71 % des clients. Les quatre concurrents les plus importants, à savoir E.ON, innogy, EnBW et Vattenfall, occuperaient une position dominante par rapport aux autres fournisseurs. En plus, l’appréciation de la Commission selon laquelle E.ON et innogy n’étaient pas des concurrentes particulièrement proches serait erronée.
288 À cet égard, il ressort des points 274 et 333 de la décision attaquée que les parts de marché d’E.ON sur les marchés de la fourniture aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux en Allemagne atteignent entre 5 % et 10 %, à savoir [confidentiel] (1), pour l’électricité, et entre 5 % et 10 % pour le gaz. Les parts de marché d’innogy se situent entre 10 % et 20 %, à savoir [confidentiel], pour l’électricité et entre 5 % et 10 % pour le gaz.
289 À cet égard, dans l’arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission (T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 61), le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas méconnu les lignes directrices en estimant que la part de marché commune aux parties à la concentration était « modérée » en tenant compte d’une part de marché commune aux parties à la concentration tant de 35,1 que de 35,5 %.
290 Ainsi, les parts de marché cumulées des parties à la concentration s’élevant entre 15 % et 30 %, à savoir [confidentiel], pour l’électricité, et entre 10 % et 20 % pour le gaz, constituent à tout le moins une forte indication que la concentration n’est pas susceptible d’entraver une concurrence effective sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre des contrats spéciaux en Allemagne.
291 Par ailleurs, la Commission a tenu compte d’autres facteurs. Elle a notamment constaté qu’il existait un grand nombre de concurrents, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrentes proches et que les barrières à l’entrée sur le marché étaient relativement faibles et la pression concurrentielle considérable.
292 Tout d’abord, il ressort du point 275 de la décision attaquée et de la page 253 du document de l’Office fédéral des ententes citée dans la note en bas de page no 281 de la décision attaquée que, selon l’analyse des données fournies par 808 GRD concernant le nombre de fournisseurs, dans plus de 89 % des zones de réseau, plus de 50 fournisseurs étaient actifs et, dans 71 % des zones de réseau, plus de 100 fournisseurs étaient actifs en 2017, de sorte que, en moyenne, chaque client pouvait choisir entre plus de 120 fournisseurs en Allemagne en 2017. En outre, plus de 1 000 fournisseurs d’électricité sont actifs en Allemagne, y compris EnBW et Vattenfall, qui ont entre 5 et 10 % des parts de marché chacune, et EWE, Mainova et Stadtwerke München, qui en ont moins de 5 % chacune. La Commission a constaté, également, aux points 334 et 335 de la décision attaquée, que, en moyenne, les consommateurs de gaz en Allemagne pouvaient choisir entre près de 116 fournisseurs dans leur zone de réseau, que le nombre moyen de fournisseurs par zone n’avait cessé d’augmenter ces dernières années et que les fournisseurs venaient parfois de l’extérieur du secteur, comme c’était notamment le cas de Shell. Par ailleurs, plus de 1 000 fournisseurs de gaz sont actifs en Allemagne, y compris EnBW, qui cumule une part de marché s’élevant entre 5 et 10 %, et EWE, Mainova, Enercity et Rheinenergie, qui possèdent moins de 5 % de parts de marché chacune. De même, les marchés de la fourniture d’électricité et de gaz sont généralement considérés par l’Office fédéral des ententes comme compétitifs, ainsi qu’il ressort des points 276 et 336 de la décision attaquée.
293 Ensuite, la Commission a constaté, aux points 277 et 337 de la décision attaquée, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrentes particulièrement proches pour la fourniture au détail d’électricité et de gaz dans le cadre des contrats spéciaux. En effet, la Commission a relevé que les clients qui se détournaient d’E.ON ou d’innogy dans leurs zones d’implantation se tournaient rarement vers, respectivement, innogy ou E.ON. Au maximum, 20 % des clients choisissaient l’autre partie à la concentration. De plus, la Commission a noté que rien dans les documents internes des parties à la concentration n’indiquait qu’elles se surveillaient mutuellement plus étroitement que les autres fournisseurs. De surcroît, la Commission a remarqué qu’E.ON et innogy n’accordaient pas une attention particulière à l’autre partie dans leurs décisions en matière de tarification. Enfin, la Commission a relevé que la majorité des concurrents ayant répondu à la première enquête de marché avaient indiqué qu’ils avaient été en mesure d’attirer des clients des parties à la concentration. De même, il ressort du point 278 de la décision attaquée que, dans le domaine de l’électricité, la majorité des répondants ont indiqué qu’il n’existait pas de segment de clientèle sur lequel E.ON et innogy étaient en concurrence particulièrement étroite et pour lequel il existait peu d’autres possibilités que les parties à la concentration. La majorité des répondants en concurrence avec les parties à la concentration ont indiqué qu’ils étaient en mesure d’attirer des clients de l’ensemble de la clientèle desdites parties.
294 En outre, la Commission a conclu, aux points 279 et 338 de la décision attaquée, que les barrières à l’entrée et à l’expansion sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et du gaz étaient relativement faibles.
295 Enfin, la Commission a analysé, à titre subsidiaire, les effets de la concentration sur les hypothétiques marchés locaux de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux, aux points 281 à 290 pour l’électricité et aux points 339 à 350 de la décision attaquée pour le gaz. Cette analyse répond aux préoccupations que les régies municipales ont soulevées. Or, étant donné que, par ailleurs, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la définition du marché pertinent, ainsi qu’il ressort des points 232, 238 et 246 ci-dessus, la Commission n’était pas tenue de procéder à cette analyse, qui est donc effectuée à titre surabondant.
296 Deuxièmement, la requérante soutient que la Commission n’aurait pas pris en compte le fait qu’E.ON et innogy détiennent des participations minoritaires dans des entreprises du secteur sur l’activité commerciale sur lesquelles elles exercent une influence considérable, ce qui donnerait des avantages et des options stratégiques à E.ON à la suite de la concentration. Le Tribunal constate que la requérante n’explique pas quelle incidence ces participations pourraient avoir pour l’analyse des entraves à la concurrence liées à la concentration. En effet, la requérante se borne à mentionner le nombre de participations d’innogy et d’E.ON dans d’autres entreprises sans expliquer si celles-ci sont actives dans les marchés concernés, quelles positions elles occupent sur leurs marchés, comment leur relation avec innogy et E.ON pourrait entraver la concurrence ou si ces entraves hypothétiques seraient des conséquences propres à la concentration.
297 En outre, la Commission a pris en compte, lors de son appréciation de la concentration, des parts de marché des entreprises dans le capital desquelles innogy et E.ON détenaient des participations. À cet égard, la Commission a indiqué, dans les notes en bas de page nos 280 et 367 de la décision attaquée, pour l’électricité et le gaz respectivement, que, même si l’on ajoutait la totalité des parts de marché des sociétés dans lesquelles les parties à la concentration détenaient une participation minoritaire, cela augmenterait la part combinée des parties de moins de 5 %. La Commission a ajouté que, étant donné que ce pourcentage était limité et qu’il surestimait la participation financière réelle que les parties détenaient dans ces sociétés, elle considérait que les parts minoritaires des parties ne modifieraient pas sensiblement la position de ces dernières après la concentration et donc son appréciation relative à cette concentration.
298 De plus, il ressort du paragraphe 3 du point 287 de la décision attaquée que, selon l’analyse de la Commission, il n’y a pas de corrélation claire entre les marges d’E.ON et d’innogy sur les tarifs visant les consommateurs plus actifs et la position de l’autre partie à la concentration au niveau local, ce qui indique que les parties à la concentration ne sont pas des concurrents particulièrement proches dans certaines zones locales et que la concentration ne supprimerait pas une contrainte concurrentielle importante au niveau local.
299 Dans ces conditions, il convient de conclure que la Commission a analysé suffisamment, voire de manière exhaustive et extensive, et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, les effets sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux.
300 En troisième lieu, s’agissant des effets de la disparition de la concurrence entre E.ON et innogy, la requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas tenu compte de la participation minoritaire de RWE dans E.ON et que, de ce fait, les concurrents d’E.ON seront discriminés et désavantagés. À cet égard, il convient de renvoyer aux conclusions sur le sixième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets de l’opération globale (voir points 372 à 377 ci-après). Le Tribunal renvoie également aux constatations faites aux points 291 et suivants ci-dessus qui montrent que la Commission a établi, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’il y avait une saine concurrence, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrentes proches et que les barrières d’entrée et d’expansion étaient faibles.
301 En quatrième lieu, s’agissant de la puissance grandissante d’E.ON en termes de finances que lui confèrent des avantages concurrentiels, il convient de constater, d’emblée, que la Commission a traité, aux points 291 à 299 de la décision attaquée, les préoccupations supplémentaires soulevées par les tiers quant à l’impact possible de la concentration sur la fourniture au détail d’électricité en Allemagne.
302 Tout d’abord, en ce qui concerne le risque de subventions croisées des contrats d’approvisionnement de base vers les contrats spéciaux, il ressort du point 292 de la décision attaquée que la Commission a analysé si les parties à la concentration pourraient utiliser les bénéfices importants générés sur le marché de l’approvisionnement de base afin de subventionner et de soutenir des politiques de prix très agressives sur le marché des contrats spéciaux. À cet égard, la Commission a estimé que cette théorie du dommage était peu probable, parce que, si ces stratégies étaient rentables, E.ON et innogy les auraient déjà mises en œuvre, étant donné qu’elles possédaient, avant la concentration, deux des plus grands portefeuilles de clients pour l’approvisionnement de base. Or, la Commission n’a pas trouvé d’indices de ce comportement lors de sa première enquête de marché et a constaté que, sur les sites Internet de comparaison des prix, certains fournisseurs, y compris des discompteurs et des régies municipales, pratiquaient systématiquement, ou occasionnellement, des prix inférieurs à ceux des parties à la concentration. En outre, au vu de l’entrée continue et de la présence d’un grand nombre de nouveaux concurrents, la Commission a considéré que ces stratégies n’avaient pas été mises en œuvre et que, même si elles l’avaient été, elles n’avaient pas permis d’évincer les concurrents ou d’empêcher l’entrée de tiers.
303 Ensuite, quant à la possible éviction de tiers des espaces publicitaires, la Commission a analysé, au point 293 de la décision attaquée, si les parties à la concentration pourraient occuper toutes les premières places dans les classements des sites Internet de comparaison des prix à la suite de la concentration. Elle a constaté que, à la suite de la concentration, E.ON devrait baisser les prix de ses marques en dessous du niveau optimal afin de les faire apparaître sur la première page du site Internet de comparaison des prix, évinçant ainsi les concurrents. Or, il est constant qu’E.ON avait déjà, avant la concentration, de nombreuses marques et des ressources financières importantes. Ainsi, une telle stratégie ne serait pas propre à la concentration.
304 Enfin, la Commission a noté qu’il était peu crédible qu’une compétitivité accrue de la part des parties à la concentration sur le marché allemand de la fourniture au détail d’électricité cause un préjudice aux consommateurs (point 297 de la décision attaquée), notamment en raison du fait que le marché allemand de la fourniture au détail d’électricité avait attiré de nombreuses entreprises et était aujourd’hui très fragmenté, avec plus de 1 000 fournisseurs (point 298 de la décision attaquée), ce qui rendait hautement improbable le fait qu’une stratégie de prédation puisse être rentable. De même, malgré les moyens importants dont les parties à la concentration disposaient avant la concentration, les prix les plus bas du marché étaient souvent proposés par des concurrents plus petits et nouveaux, et non par les parties à la concentration (point 299 de la décision attaquée).
305 Ainsi, la requérante n’a pas prouvé que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation quant à la création d’une capacité ou d’incitations pour une éventuelle stratégie de prix avec des marges négatives soutenues pour évincer les petits concurrents ou pour occuper toutes les premières places dans les classements des sites Internet de comparaison des prix.
306 Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission a analysé les marchés à suffisance et a conclu sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre des contrats spéciaux en Allemagne.
307 Partant, il y a lieu de rejeter le premier grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux en Allemagne.
2) Sur le deuxième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz
308 La requérante soutient, en substance, que la Commission n’a pas suffisamment examiné les effets de la concentration sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz et en a aussi manifestement donné une appréciation erronée. Ainsi, la Commission aurait erronément apprécié les effets sur la concurrence pour la concession de droits pour utiliser les lignes ainsi que pour construire et exploiter des réseaux. En outre, à la suite de la concentration, E.ON obtiendrait des conditions plus avantageuses que ses concurrents en raison des synergies et des économies d’échelle et pourrait augmenter son pouvoir de négociation lors d’achats de produits liés au réseau.
309 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
310 Il convient de constater que, s’agissant de la concurrence pour la concession de droits, la Commission a analysé un certain nombre de scénarios hypothétiques dans lesquels la concentration pourrait causer un préjudice aux consommateurs de gaz et d’électricité, y compris la diminution de la concurrence dans les appels d’offres de concessions, aux points 224 à 236 de la décision attaquée. Il est constant que, en Allemagne, les municipalités organisent l’exploitation des réseaux de distribution en accordant des concessions aux GRD par le biais d’un appel d’offres pour installer et exploiter les réseaux de distribution de gaz et d’électricité sur leur territoire pendant 15 à 20 ans en moyenne (points 224 et 225 de la décision attaquée).
311 La requérante soulève plusieurs arguments relatifs aux effets anticoncurrentiels sur les concessions et plus généralement sur les marchés de distribution.
312 Premièrement, la requérante invoque la possibilité qu’E.ON soumette de meilleures offres pour la concession de droits grâce à son expérience et aux éventuels effets de synergie.
313 Le Tribunal constate, d’emblée, que, s’agissant des conditions plus avantageuses que celles de ses concurrents dont E.ON pourrait bénéficier grâce aux synergies, la requérante renvoie aux points 315 et suivants du rapport d’expert BET, selon lequel E.ON sera en mesure de réaliser d’immenses économies d’échelle et d’augmenter son pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs et prestataires de services. Selon ledit rapport, il en résultera pour E.ON des avantages structurels prenant la forme de réductions de coûts par rapport à ceux de ses concurrents.
314 À cet égard, le rapport d’expert BET s’appuie sur l’étude BET. Or, cette enquête est d’une pertinence et d’une valeur probante limitées pour évaluer la situation concurrentielle au moment de l’adoption de la décision attaquée pour les raisons indiquées aux points 135 à 150 ci-dessus. En réponse à la question no 39, 80 % des 87 répondants ont indiqué que les parties à la concentration pourraient avoir des synergies. Cependant, rien n’indique que les entreprises ayant répondu à l’étude BET considéraient que ces synergies donnaient lieu à une entrave significative à une concurrence effective. Quant à la question no 42, elle contient, dans sa formulation, l’idée de départ selon laquelle les synergies entraîneraient des exigences d’efficacité plus élevées. Toutefois, l’étude ne fournit aucune preuve de cela. Sur cette base, 71 % des répondants comprennent qu’ils ne seraient pas en mesure d’atteindre ces exigences. Cependant, le fait de savoir si ces exigences seront réalisées ne ressort pas clairement de l’étude. Il suffit de noter que, au total, plus de deux tiers des répondants confirment, en réponse à la question no 43, que les concessions qui leur ont été attribuées n’ont pas été contestées par E.ON ou innogy. Cela confirme les conclusions de la Commission selon lesquelles la concurrence entre les parties à la concentration en matière de concessions est très limitée.
315 Quant aux possibles avantages des économies d’échelle accrues, la Commission a constaté, au point 235 de la décision attaquée, que, avant la concentration, les parties à la concentration étaient nettement plus grandes que la plupart des entreprises concurrentes, notamment les régies municipales. À cet égard, les parties à la concentration avaient surtout réussi à remporter des appels d’offres lorsqu’elles étaient déjà l’opérateur historique, mais elles avaient eu un succès limité dans l’acquisition de nouvelles concessions.
316 En outre, la Commission a constaté, au point 231 de la décision attaquée, que les parties à la concentration ont principalement perdu des appels d’offres au profit des régies municipales. Au moins 90 % des concessions d’électricité perdues par E.ON ont été attribuées à des sociétés publiques ou semi-publiques, et au moins 80 % de ces concessions perdues par innogy sont allées à des régies municipales. La Commission a relevé que la situation pour le gaz était similaire.
317 Dans ces conditions, il était raisonnable de conclure, compte tenu du fait que la Commission ne disposait d’aucun élément indiquant que les régies municipales perdaient de nouvelles concessions au profit des parties de taille importante, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments indiquant que d’éventuelles économies d’échelle ou qu’une expérience antérieure liée à la participation à de tels appels d’offres conféreraient un avantage anticoncurrentiel à E.ON à la suite de la concentration.
318 Ainsi, la requérante n’a fourni aucune indication pertinente suffisante, de nature à démontrer une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission, et permettant d’affirmer que, à la suite de la concentration, E.ON serait en mesure de proposer de meilleures offres pour les concessions, et encore moins que, si tel était le cas, cela pourrait être anticoncurrentiel. Au contraire même, si la concentration permettait à E.ON de faire de meilleures offres, cela pourrait se révéler positif pour la concurrence. Des effets préjudiciables pour la concurrence ne pourraient, en théorie, survenir que si, à plus long terme, les parties à la concentration étaient en mesure de monopoliser le marché dès lors qu’aucun concurrent ne serait en mesure de s’aligner sur la structure de coûts des parties, ainsi que la Commission l’a rappelé, à juste titre, au point 234 de la décision attaquée.
319 Deuxièmement, en ce qui concerne les synergies et l’augmentation du pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs et prestataires de services, la Commission a analysé ces questions aux points 262 et 263 de la décision attaquée.
320 D’une part, quant à l’avantage par rapport aux petits GRD du fait qu’E.ON aura la priorité pour obtenir des services de réseau auprès des prestataires de services, dont la capacité à fournir ces services serait limitée, la Commission n’a pas identifié une quelconque pénurie dans la fourniture de services de réseau. En tout état de cause, elle a constaté, aux points 234 et 235 de la décision attaquée, qu’E.ON et innogy avaient déjà un poids plus important que la plupart des autres GRD avant la concentration.
321 D’autre part, la Commission a conclu que le verrouillage de la clientèle dans l’accès aux services de réseau des parties à la concentration était improbable, du fait que la plupart des services de réseau étaient principalement fournis et achetés localement, dès lors que, la concentration étant géographiquement complémentaire, il était peu probable qu’elle entrainât une augmentation significative du volume des achats au niveau local. La Commission a noté également que les services aux GRD ne constituaient qu’une partie de la demande disponible pour les fournisseurs actifs en amont.
322 Il convient donc d’en déduire que la Commission a tenu compte de la nature locale de ce type de services. Compte tenu du détail de l’analyse de la Commission en général et de l’analyse de la totalité des préoccupations concernant les services liés au réseau, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir suffisamment enquêté. En réalité, la requérante reproche plutôt à la Commission de ne pas avoir tiré d’autres conclusions des informations et des preuves dont elle disposait. À cet égard, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.
323 Dans ces conditions, il convient de rejeter l’argument de la requérante sur les avantages anticoncurrentiels qu’E.ON obtiendrait sur les services liés au réseau.
324 Troisièmement, selon la requérante, E.ON serait présente dans une large zone du territoire et pourrait réaliser des synergies dans la gestion locale du réseau et desservir davantage de zones de réseau voisines. À cet égard, la Commission a constaté, au point 230 de la décision attaquée, que les appels d’offres auxquels les parties à la concentration avaient participé entre 2013 et 2017 n’étaient pas concentrés dans une région particulière et n’étaient pas toujours situés près de la limite des zones GRD d’E.ON et d’innogy. La Commission a également constaté, au point 231 de la décision attaqué, cité au point 316 ci-dessus, la forte contrainte concurrentielle exercée par les régies municipales.
325 Quatrièmement, la requérante estime que les parties à la concentration étaient des concurrentes proches. Ainsi, la Commission n’aurait pas analysé la proximité concurrentielle des parties à la concentration à suffisance, du fait qu’elle n’aurait pas pris en compte la circonstance selon laquelle les procédures d’adjudication étaient en règle générale anonymes, de sorte que les soumissionnaires écartés étaient tout bonnement inconnus. En outre, il conviendrait de relativiser le nombre prétendument réduit de changements de concessions, car l’intensité de la concurrence autour des concessions serait globalement faible. Par ailleurs, la concurrence directe entre innogy et E.ON disparaîtrait complètement, en particulier dans les zones voisines où l’une ou l’autre sont les GRD et la concurrence indirecte induite par les entreprises liées se restreindrait elle aussi considérablement. De même, la Commission n’aurait pas analysé la concurrence potentielle entre E.ON et innogy, comme elle l’aurait fait pour la Slovaquie.
326 À cet égard, il suffit de constater que la Commission, en examinant plus de 1 000 procédures de concession ayant eu lieu entre 2013 et 2017, a constaté, aux points 228 et 229 de la décision attaquée, que les parties à la concentration n’étaient pas en concurrence étroite, du fait qu’elles avaient participé aux mêmes appels d’offres dans moins de 5 % des cas. Il ressort également de la note en bas de page no 244 de la décision attaquée que la Commission a analysé si les parties à la concentration avaient participé à de telles procédures par l’intermédiaire d’entreprises dans lesquelles elles détenaient des participations minoritaires. Ainsi, la Commission a établi à suffisance l’absence de chevauchement significatif entre les parties à la concentration dans les différentes procédures de concession.
327 Cinquièmement, la requérante soutient qu’il existe toute une série d’instruments et de stratégies qu’un GRD suprarégional et important tel qu’E.ON peut utiliser pour contrecarrer l’acquisition d’une concession par un gestionnaire régional à la suite de la concentration, à savoir le prix d’achat excessif des réseaux, le retard dans le transfert de réseau, le manque de transparence et le retard dans la publication des données, la baisse des bénéfices pour les concurrents, les plaintes et recours contre les municipalités ou les autres candidats, les menaces de pertes d’emplois à la suite de la fermeture d’implantations, la prolongation anticipée des contrats de concession, la remise en cause des compétences techniques des autres candidats en matière d’approvisionnement, la participation des municipalités à l’actionnariat ou aux conseils consultatifs, l’engagement des salariés du consortium dans la politique municipale, ou la conclusion de nouveaux contrats désavantageux.
328 À cet égard, la Commission a analysé, au point 236 de la décision attaquée, les possibles tactiques contentieuses visant à retarder délibérément le transfert des concessions que les parties à la concentration ont perdues (sham litigation).
329 Sur ce point, il convient de rappeler que le Tribunal a déjà eu l’occasion d’indiquer qu’une action en justice pouvait parfois constituer un abus de position dominante. Pour ce faire, deux conditions cumulatives doivent être réunies. En premier lieu, il faut que l’action en justice ne puisse être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l’entreprise en cause et ne puisse dès lors servir qu’à harceler la partie adverse. En second lieu, l’action doit être conçue dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer la concurrence (voir arrêt du 13 septembre 2012, Protégé International/Commission, T 119/09, non publié, EU:T:2012:421, point 49 et jurisprudence citée).
330 En l’espèce, la Commission a conclu au point 236 de la décision attaquée, à juste titre, que ces tactiques ne pouvaient être imputées à la concentration, en ce sens que la concentration n’est pas susceptible d’accroître les incitations des parties à la concentration à poursuivre des stratégies de ce type. Il convient de relever, à cet égard, que, à supposer même que l’existence de ces tactiques soit avérée, la requérante n’explique pas comment les incitations à adopter de telles tactiques par les parties à la concentration augmenteraient à la suite de celle-ci, et n’a donc pas prouvé d’erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission.
331 Quant aux autres théories du préjudice invoquées par la requérante, il s’agit d’hypothèses non étayées par des preuves. En effet, la requérante fournit une liste de la manière dont, en théorie, la concurrence sur le marché de la distribution pourrait être entravée, mais ne tente pas d’expliquer dans quelle mesure ces hypothèses seraient plausibles et dans quelle mesure elles pourraient causer une entrave significative à la concurrence effective. La requérante n’a donc pas apporté d’éléments de preuve du fait que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard.
332 Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la Commission a analysé toutes les préoccupations de la requérante et n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant aux concessions.
333 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz.
3) Sur le troisième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité
334 La requérante affirme que la Commission n’a pas apprécié correctement les effets de la concentration sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité.
335 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
i) Sur les marchés des services de comptage
336 S’agissant des effets de la concentration sur le marché des services de comptage, il y a lieu de remarquer que, au point 355 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz des nGPC et les sous-marchés potentiels en fonction du produit mesuré étaient également des monopoles au niveau de la zone de réseau, l’opérateur de réseau étant le seul opérateur de point de comptage habilité. En outre, la Commission a indiqué, au point 356 de la décision attaquée, que le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz des cGPC était un marché émergent en Allemagne et que la part de marché cumulée en Allemagne des parties à la concentration était de moins de 5 %, même en divisant davantage les sous-marchés. La Commission en a conclu que ces marchés n’étaient pas affectés par la concentration.
337 La requérante soulève plusieurs arguments relatifs aux effets anticoncurrentiels de la concentration sur les marchés des services de comptage.
338 Premièrement, la requérante fait valoir que, à la suite de la concentration, E.ON gérera près de 40 % de tous les points de comptage d’Allemagne, selon le rapport d’expert BET, ce qui ferait d’elle, et de loin, le plus important des gestionnaires de stations de mesure.
339 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant à la définition du marché des services de comptage, ainsi qu’il a été établi au point 255 ci-dessus. De ce fait, les parts de marché des parties à la concentration en tant que nGPC ne sont pas pertinentes pour l’analyse du marché des services de comptage de l’électricité et du gaz des cGPC.
340 En tout état de cause, il convient de constater que la requérante se borne à utiliser ses propres données sans expliquer les raisons pour lesquelles les données utilisées par la Commission ne seraient pas correctes.
341 Or, il ne saurait suffire à la requérante d’utiliser des données différentes de celles utilisées par la Commission dans la décision attaquée aux fins d’établir l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission sans apporter d’élément concret de nature à démontrer que la prise en compte des données dans la décision attaquée constitue une erreur manifeste d’appréciation de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 156).
342 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que les données utilisées par la Commission et pertinentes pour le calcul des parts de marché étaient incorrectes. Par conséquent, la requérante n’a pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les marchés relatifs aux nGPC et aux cGPC n’étaient pas affectés par la concentration.
343 De plus, quant à une possible définition de marché, la Commission a conclu, au point 358 de la décision attaquée, que la concentration ne donnait pas lieu à un marché affecté pour les services en marque blanche ou à des sous-marchés potentiels. À cet égard, il ressort de la note en bas de page no 180 de la décision attaquée que la Commission a considéré que les services en marque blanche, du moins au moment de l’adoption de la décision attaquée et dans un avenir proche, étaient plus susceptibles de jouer un rôle concernant les marchés où il existait une obligation de fournir certains services, qui pouvaient ensuite être externalisés. Par conséquent, la Commission n’a pas considéré un marché des services en marque blanche pour le comptage du gaz et de l’électricité comme un marché cGPC, le marché cGPC étant encore à ses débuts et seuls les acteurs disposant d’une capacité propre étant aptes à se lancer dans cette activité. Au point 178 et dans la note en bas de page no 186 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle considérait que les services en marque blanche aux nGPC et cGPC étaient susceptibles d’avoir une portée nationale, étant donné que la plupart, sinon tous les nGPC et cGPC étaient encore des monopoles locaux et que, pour avoir une base de clients d’une certaine taille, il fallait une couverture géographique plus large. En outre, la Commission a constaté, au point 359 de la décision attaquée, que la part de marché cumulée des parties à la concentration ne dépassait pas les 5 % sur un sous-marché potentiel de services en marque blanche pour le comptage de l’électricité et du gaz.
344 La Commission a également apprécié les effets verticaux entre le marché des nGPC en aval et les services en marque blanche en amont, aux points 414 à 417 de la décision attaquée. D’une part, elle a conclu que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective en raison des effets non coordonnés résultant des liens verticaux entre ces deux marchés, du fait que, en aval, les nGPC étaient des monopoles locaux et qu’il n’y avait donc pas de concurrence, et que la part de marché des parties à la concentration dans les services en marque blanche était de moins de 5 %. D’autre part, en amont, la concentration ne changeait ni la capacité d’évincer les fournisseurs de services en marque blanche, car les nGPC étaient déjà des monopoles locaux, ni les incitations à verrouiller, qui n’augmentaient pas sensiblement, compte tenu de la position très limitée des parties à la concentration sur le marché en amont des services en marque blanche et de l’augmentation mineure due à la concentration.
345 De même, la Commission a constaté, aux points 178 et 407 de la décision attaquée, l’existence d’entrées sur le marché et l’absence de barrières à l’entrée. Ainsi, aucun obstacle perceptible ne viendrait limiter l’offre de ces services à une certaine région, étant donné que la plupart des nGPC et cGPC fournissent également de tels services en marque blanche et que les nouveaux entrants comme Telefónica ou Deutsche Telekom, qui ne faisaient pas partie du secteur, entrent sur le marché national.
346 À cet égard, la requérante ne fournit aucune preuve pour remettre en question les conclusions de la Commission concernant les fournisseurs de services en marque blanche, qui, selon la Commission, seraient disponibles pour répondre aux besoins des nGPC et cGPC ne disposant pas des capacités nécessaires au bon fonctionnement des compteurs.
347 Deuxièmement, s’agissant des prétendus bénéfices tirés des économies d’échelle et du pouvoir d’achat en tant que nGPC, la Commission a constaté, aux points 362 et 363 de la décision attaquée, que certaines hypothèses, notamment en ce qui concerne les coûts et les économies d’échelle pour E.ON et innogy et d’autres acteurs, n’avaient pas été justifiées. Pour étayer cette théorie du dommage, la requérante renvoie globalement aux points 266 et suivants du rapport d’expert BET pour les économies d’échelle et au point 273 dudit rapport pour la puissance financière. Néanmoins, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels elle se fonde ne ressortent pas du texte de la requête d’une façon cohérente et compréhensible. En outre, ce rapport est d’une pertinence et d’une valeur probante limitées pour apprécier la situation concurrentielle à la date d’adoption de la décision attaquée, pour les raisons indiquées aux points 135 à 150 ci-dessus. En tout état de cause, la requérante n’explique pas comment le rapport d’expert BET serait de nature à remettre en question les conclusions de la Commission en ce qui concerne le manque d’affectation des marchés des services de comptage et surtout le manque de plausibilité des allégations liées aux économies d’échelle. En effet, la Commission a contesté, au point 363 de la décision attaquée, l’allégation selon laquelle seuls certains grands acteurs seraient en mesure de fournir des services d’exploitation de compteurs intelligents de manière rentable. La Commission a constaté, à cet égard, qu’une telle éventualité était peu probable, parce que, tout d’abord, le matériel des passerelles pour compteurs intelligents et l’infrastructure nécessaire étaient fournis par plusieurs fournisseurs indépendants, ensuite, l’exploitation commerciale était possible à partir de 100 000 à 300 000 compteurs intelligents, ce qui représentait une faible proportion du nombre total de compteurs, de plus, les fournisseurs ayant moins de compteurs pouvaient toujours coopérer pour atteindre de plus grandes échelles, et, enfin, l’arrivée sur le marché de grands acteurs extérieurs au secteur de l’énergie montrait que l’entrée sur le marché et, partant, la concurrence, étaient possibles.
348 Il convient donc de rejeter les arguments de la requérante relatifs au marché des services de comptage.
ii) Sur le marché de l’électromobilité
349 La requérante conteste l’analyse de la Commission dans le domaine de l’électromobilité. À cet égard, en premier lieu, il ressortirait du rapport d’expert BET que la concentration permettra à la nouvelle E.ON d’augmenter sa part de marché au niveau national, qui est actuellement de 6 %, à un total de 20,3 %, ce qui la hissera au rang de premier fournisseur, loin devant EnBW, deuxième avec une part de marché de 6 %. Au niveau régional, dans plus de 20 % des 401 districts, E.ON détiendrait, dès à présent, une part de marché de plus de 40 %, et dans 21 des districts, elle atteindrait même une part de marché de plus de 80 %. Comme l’entrée sur le marché ou l’expansion de tiers serait improbable à cause des coûts d’investissement considérables, la nouvelle E.ON ne subirait aucune pression concurrentielle notable à l’avenir.
350 À cet égard, tout d’abord, le Tribunal observe que la Commission a constaté, au point 381 de la décision attaquée, que la part de marché cumulée des parties à la concentration en termes de points de charge pour les véhicules électriques hors autoroute en Allemagne était inférieure à 20 %, et cela même en supposant un marché distinct pour les bornes de recharge normales et pour les bornes de recharge rapides. Ensuite, la Commission a constaté, au point 384 de la décision attaquée, que les parties à la concentration exploitaient très peu de stations de recharge publiques ultrarapides en dehors des autoroutes et que de nombreux concurrents importants tels qu’Allego, EnBW ou Ionity avaient des plans d’expansion pour des bornes de recharge ultrarapides, d’une taille similaire ou supérieure à celle desdites parties. En outre, la Commission a constaté, au point 385 de la décision attaquée, que, à l’échelle nationale, il existait plusieurs concurrents présents et futurs comme Deutsche Telekom ou Volkswagen, et que cette dernière avait également annoncé son intention d’entrer sur le marché de l’électromobilité et envisageait de construire des bornes de recharge publiques pour véhicules électriques dans les installations de ses 4 000 concessionnaires automobiles et stations-service partenaires en Europe. Enfin, au point 386 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, même dans les 16 zones locales hors autoroute qu’elle avait identifiées, dans lesquelles la part de marché cumulée des parties à la concentration était supérieure à 25 % ou le delta de l’indice Herfindahl-Hirschman supérieur à 150, la concentration n’était pas susceptible d’entraver de manière significative la concurrence, dès lors que, premièrement, d’autres concurrents, y compris des acteurs spécialisés dans l’électromobilité et des régies municipales, étaient présents, deuxièmement, dans certaines de ces régions, des concurrents avaient annoncé des plans d’expansion, troisièmement, l’augmentation de capacité liée à la concentration était souvent inférieure à 10 % des parts de marché et, quatrièmement, certaines des zones se trouvant à proximité immédiate de grandes villes ou d’autres municipalités étaient soumises, par ce fait, à une pression concurrentielle.
351 Il en résulte que la Commission a procédé à une analyse cohérente et complète, y compris hors autoroute, des éléments concurrentiels du point de vue du plus petit marché concevable, notamment à la lumière des parts de marché des parties à la concentration, de leur proximité concurrentielle, de la structure du marché et des barrières à l’entrée.
352 En second lieu, la requérante avance plusieurs arguments relatifs aux effets anticoncurrentiels de la concentration sur le marché de l’électromobilité. Ainsi, sur la base du rapport d’expert BET, la requérante fait valoir, en substance, premièrement, que les petits fournisseurs ne pourront pas développer un réseau de recharge à l’échelle nationale, deuxièmement, que les économies d’échelle réalisées par E.ON grâce à la concentration auront un effet d’éviction et, troisièmement, que la disparition d’innogy élimine la plupart de la concurrence.
353 À cet égard, la Commission a conclu que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective en raison d’effets horizontaux non coordonnés résultant des chevauchements des activités des parties à la concentration sur les marchés de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge hors autoroute en Allemagne notamment pour les raisons détaillées au point 350 ci-dessus.
354 S’agissant des constatations s’appuyant sur le rapport d’expert BET, au caractère limité de sa pertinence et de sa valeur probante (voir points 135 à 150 ci-dessus), il convient d’ajouter que l’enquête sur laquelle le rapport est principalement basé n’est pas suffisamment représentative de l’état de la concurrence sur le marché de l’électromobilité, puisque les participants sont seulement des entreprises d’approvisionnement énergétique et des GRD, alors que, dans ce secteur, sont actives des entreprises venant d’autres secteurs, comme Deutsche Telekom, Volkswagen, Ionity, Shell ou BP, ainsi que des entreprises spécialisées dans l’électromobilité telles que Fastned, eLoaded, ChargePoint ou Allego.
355 En tout état de cause, la requérante se borne à utiliser ses propres données sans expliquer les raisons pour lesquelles les données utilisées par la Commission ne seraient pas correctes. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 341 ci-dessus, il ne saurait suffire à la requérante d’utiliser des données différentes de celles utilisées par la Commission dans la décision attaquée aux fins d’établir l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission sans apporter d’élément concret de nature à démontrer que la prise en compte des données dans la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que les données utilisées par la Commission étaient incorrectes.
356 Ainsi, la requérante n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne le marché de l’électromobilité.
357 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de rejeter le troisième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité.
4) Sur le quatrième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets des solutions clients fondées sur les données des clients
358 La requérante fait valoir qu’il ressortirait du rapport d’expert BET qu’E.ON aura accès, grâce à ses stations de mesure, à une énorme quantité de données sur les clients, ce qui lui procurera des avantages considérables pour le développement de services énergétiques à base de données, importants pour les systèmes de mesure intelligents, l’infrastructure de bornes de recharge et l’électromobilité.
359 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
360 Il convient de constater que la Commission a analysé d’autres théories du dommage dans la section 7.4 de la décision attaquée. La Commission a notamment analysé les théories du dommage liées à l’accès aux données de clients aux points 422 à 427 et les offres groupées de services liés à l’énergie aux points 428 à 435.
361 En premier lieu, s’agissant de l’accès aux données, la Commission a constaté, au point 423 de la décision attaquée, qu’E.ON n’aurait pas accès, à la suite de la concentration, à des types de données plus variés que ceux déjà disponibles pour chacune des parties avant la concentration, mais qu’elle aurait accès à davantage d’informations du même type. La Commission en a déduit que le fait de disposer d’un plus grand nombre d’informations du même type n’ajoutait pas nécessairement de la valeur et que les économies d’échelle qu’elles pourraient apporter seraient réduites. De même, la Commission a constaté, aux points 424 et 425 de la décision attaquée, qu’il ressortait de la première enquête de marché qu’il existait une grande incertitude quant à la quantité minimale et au type de données nécessaires pour développer de nouvelles solutions énergétiques. En outre, la Commission a analysé le risque d’éviction et constaté qu’il ressortait de la première enquête de marché que plusieurs concurrents, y compris des régies municipales, proposaient ou développaient déjà différentes solutions axées sur les données, seuls ou en coopération avec d’autres acteurs. De même, la première enquête de marché et les documents internes des parties à la concentration montraient que de grandes entreprises comme Google, Amazon, Samsung, Bosch, Phillips, proposaient déjà, également en coopération avec de petits détaillants d’énergie, des services ou produits liés à la maison intelligente et aux données, ou envisageaient de le faire. Par ailleurs, la Commission a noté, au point 427 de la décision attaquée, que la réglementation de la collecte et de l’utilisation de données devrait réduire le risque de comportements abusifs ou discriminatoires de la part d’entreprises verticalement intégrées.
362 À cet égard, la requérante ne fournit aucune preuve qu’E.ON sera en mesure d’agir différemment à la suite de la concentration qu’avant celle-ci, étant donné son accès déjà étendu aux données des clients. La requérante ne fournit pas non plus de preuves quant au préjudice concret qui résulterait de la fourniture d’offres mieux adaptées aux clients. En outre, en soi, fournir des offres mieux adaptées pourrait être bénéfique aux consommateurs, si cela ne conduit pas à la monopolisation du marché en évinçant les concurrents du marché. Ainsi, en l’absence de preuves d’éventuels effets d’éviction, la requérante n’a pas prouvé que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation.
363 En second lieu, s’agissant des solutions innovantes et des offres groupées, la Commission a noté, aux points 432 à 435 de la décision attaquée, que plusieurs concurrents, y compris certains petits, proposaient ou développaient déjà aujourd’hui des offres groupées, le concept de regroupement de produits étant courant dans le secteur. Elle a indiqué que ces concurrents proposaient ces offres seuls ou en coopération, qu’un certain nombre d’acteurs multinationaux s’intéressaient aux offres groupées et aux plateformes énergétiques et qu’il était probable qu’ils disposaient de capacités de vente croisée et de ressources financières comparables à celles des parties à la concentration. Enfin, elle a relevé que certaines de ces entreprises étaient de grandes sociétés financièrement solides déjà actives sur les marchés dits « Business-to-Consumer » (B2C), à savoir des entreprises qui ciblent des clients individuels particuliers dans d’autres marchés, et qu’elles disposaient donc déjà d’une large base de clientèle à laquelle elles pourraient vendre de manière croisée.
364 À cet égard, la requérante ne donne aucune indication relative à des informations qui auraient été à la disposition de la Commission avant l’adoption de la décision attaquée et qui permettraient de penser que la puissance financière d’E.ON, les ventes groupées ou croisées ou, plus généralement, les solutions innovantes résultant de la concentration pourraient avoir des effets anticoncurrentiels. La requérante ne fournit pas non plus de preuves de nature à nier la présence et l’entrée sur le marché de concurrents capables d’exercer une pression concurrentielle sur les parties à la concentration ou l’absence de preuves d’obstacles à l’entrée ou à l’expansion. La requérante ne présente aucun élément de preuve pour étayer l’allégation selon laquelle, après la concentration, le portefeuille d’E.ON s’étendra en raison de l’acquisition de capacités jusqu’alors indisponibles. Au contraire, il existait une complémentarité géographique des portefeuilles d’E.ON et d’innogy avant la concentration, de sorte que, après cette concentration, E.ON aura les mêmes capacités, mais dans plus d’endroits. Il en ressort que les affirmations de la requérante constituent des hypothèses non étayées qui ne remplissent pas le niveau de preuve requis.
365 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter le quatrième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets des solutions clients fondées sur les données des clients.
5) Sur le cinquième grief, tiré de la répartition des marchés de l’électricité décidée par RWE et E.ON
366 La requérante soutient, en substance, que la répartition, entre E.ON et RWE, des étapes de la chaîne de valeur du secteur de l’énergie comporte une restriction de concurrence prohibée en violation de l’article 101 TFUE.
367 La Commission, soutenue par RWE, conteste le grief de la requérante.
368 Il convient de relever que, ainsi qu’il résulte de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ce dernier est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3 de ce règlement, pour lesquelles le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), ne trouve, en principe, pas à s’appliquer. En revanche, ce dernier règlement demeure applicable aux comportements des entreprises qui, sans constituer une opération de concentration au sens du règlement no 139/2004, sont néanmoins susceptibles d’aboutir à une coordination entre elles contraire à l’article 101 TFUE et qui, pour ce motif, sont soumis au contrôle de la Commission ou des autorités de concurrence nationales (arrêt du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, points 32 et 33).
369 Le fait que l’objet de la décision attaquée concerne une opération de concentration n’est pas contesté. Eu égard à ce qui précède, le grief tiré d’une violation de l’article 101 TFUE est inopérant.
6) Sur le sixième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets de l’opération globale
370 La requérante se plaint du fait que la Commission a largement occulté les effets et les interactions de la concentration. Ainsi, la Commission n’aurait pas suffisamment examiné les effets découlant des interactions des concentrations B8-28/19 et M.8871. Une telle analyse aurait pourtant été nécessaire afin de se faire une idée exacte des rapports de concurrence et de pouvoir correctement apprécier les conséquences de la participation minoritaire de RWE dans E.ON ainsi que le transfert d’innogy.
371 La Commission, soutenue par RWE, conteste les arguments de la requérante.
372 Il convient de relever que, lorsqu’il est fait grief à la Commission de ne pas avoir pris en compte un éventuel problème concurrentiel sur d’autres marchés que ceux sur lesquels a porté l’analyse concurrentielle, il appartient à la partie requérante d’apporter des indices sérieux venant démontrer de manière tangible l’existence d’un problème concurrentiel qui aurait dû, en raison de son impact, être examiné par la Commission. Aux fins de répondre à cette exigence, il appartient à la partie requérante d’identifier les marchés concernés, de décrire la situation concurrentielle en l’absence de concentration et d’indiquer quels seraient les effets probables d’une concentration eu égard à la situation concurrentielle sur ces marchés (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 296/18, EU:T:2021:724, point 67 et jurisprudence citée).
373 Or, les critiques que fait valoir la requérante sont générales et se bornent à expliquer l’analyse que, selon elle, la Commission aurait dû faire sans pour autant démontrer comment une telle analyse aurait pu conduire la Commission à apprécier différemment l’influence que RWE pouvait exercer sur E.ON et donc, plus généralement, la concentration M.8871. De plus, elle ne fournit ni des indices de nature à étayer que la Commission n’a pas correctement apprécié les effets des concentrations B8-28/19 et M.8871 pour l’analyse de la concentration M.8870, ni de preuves pour étayer que sa solution est plus adéquate.
374 En tout état de cause, le Tribunal constate que, à la note en bas de page no 417 de la décision attaquée, la Commission a fait un renvoi à ses conclusions dans la décision M.8871, qui sont susceptibles de s’appliquer encore davantage à la présente concentration, étant donné que RWE détient une part minoritaire dans E.ON, mais qu’E.ON n’a pas de participation financière dans RWE et ne bénéficiera donc pas de stratégies visant à renforcer la position de RWE sur le marché, comme une stratégie de verrouillage de la clientèle. La Commission a également indiqué que ce raisonnement vaudrait également pour les relations verticales entre E.ON et RWE qui résultaient de l’acquisition de la participation minoritaire.
375 Le Tribunal constate également que la Commission a analysé les effets de la participation minoritaire de RWE dans E.ON, ainsi qu’il ressort des points 74 à 95 de la décision M.8871, de même que les effets de la concentration M.8870, ainsi qu’il ressort des points 33 et 34 de la même décision.
376 De même, l’acquisition par E.ON de la filiale de RWE, innogy, ne serait même pas à déclarer comme une concentration si, comme le prétend la requérante, RWE contrôlait E.ON, car il s’agirait d’une transaction intragroupe.
377 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a apprécié la relation entre RWE et E.ON. Il convient, dès lors, de rejeter le sixième grief de la requérante, tiré de l’appréciation erronée des effets de l’opération globale.
7) Conclusion sur la seconde branche du deuxième moyen
378 Étant donné que le Tribunal a rejeté tous les griefs, il convient de rejeter la seconde branche du deuxième moyen dans son ensemble.
e) Conclusion
379 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de conclure que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation en considérant que, sous réserve du respect des engagements définitifs, la concentration ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.
380 Il en résulte qu’il convient de rejeter l’ensemble du deuxième moyen.
3. Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de diligence
381 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a insuffisamment établi les faits pertinents et a tiré de mauvaises conclusions des informations et des données à sa disposition en violation de son obligation de diligence. Ainsi, la Commission n’aurait pas constaté, avec circonspection et soin, les circonstances susceptibles d’avoir une incidence sur le résultat du processus décisionnel. En ce sens, la Commission aurait adopté les points essentiels de la décision attaquée en prenant exclusivement en compte la première enquête de marché qui ne serait pas une source appropriée. De la même manière, la Commission aurait repris les indications des parties à la concentration sans les soumettre à un examen critique.
382 La Commission conteste les arguments de la requérante.
383 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions de l’Union disposent d’un pouvoir d’appréciation, comme dans le domaine du contrôle des concentrations, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C 269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 31).
384 Dans le domaine du contrôle des concentrations, la Commission dispose, selon une jurisprudence bien établie, d’une marge d’appréciation, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique. Le respect par celle-ci des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, dont l’obligation de diligence qui lui impose d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce, prend donc, dans ledit domaine, d’autant plus d’importance (voir arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 164 et jurisprudence citée).
385 La Commission étant soumise, dans ce domaine, au respect de l’obligation de diligence dans le cadre de son action, il lui incombe de constater, avec le soin nécessaire, les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice de son pouvoir d’appréciation en rassemblant les éléments factuels indispensables à l’exercice dudit pouvoir et susceptibles d’avoir une incidence significative sur le résultat du processus décisionnel. Cette obligation implique, premièrement, que la Commission est tenue de prendre en considération tant les éléments factuels et les informations qui lui sont soumis par les parties notifiantes que ceux soumis par tout autre tiers participant activement à la procédure et, deuxièmement, qu’elle est tenue, le cas échéant, de rechercher lesdits éléments factuels par le biais d’enquêtes de marché ou de demandes de renseignements adressées aux acteurs du marché (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 165).
386 Cependant, il y a lieu de relever que, dans ce domaine, l’exigence du respect par la Commission des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, et donc également celle du respect de l’obligation de diligence, doit être interprétée, à l’instar de celle du respect du devoir de motivation, d’une façon compatible avec l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale du règlement no 139/2004 et qui impose à la Commission de respecter des délais stricts lorsqu’elle exerce son pouvoir d’appréciation (voir arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 166 et jurisprudence citée).
387 À la lumière des constatations faites notamment dans le cadre du deuxième moyen, il ne saurait être nié que la Commission a examiné avec le soin nécessaire tous les éléments de fait et de droit pertinents, puisqu’elle a pris en considération tous les éléments factuels et les informations fournis tant par la partie notifiante que par les tiers ayant participé à la procédure. La Commission a également fait ses propres recherches par le biais de ses enquêtes de marché et de demandes de renseignements adressées aux acteurs du marché. Il ressort d’ailleurs clairement de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des résultats de ces recherches.
388 Il convient, dès lors, de rejeter le troisième moyen.
4. Sur le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir
389 La requérante fait valoir, en substance, l’existence d’un détournement de pouvoir de la part de la Commission. En effet, la Commission aurait tenu compte, lors de l’opération globale, de considérations de politique industrielle. À ce titre, elle tournerait le dos aux principes fondamentaux du traité FUE en faveur de la concurrence et elle préférerait les « champions nationaux ».
390 La Commission, soutenue par RWE, conteste les arguments de la requérante.
391 Selon une jurisprudence constante, la notion de « détournement de pouvoir » se réfère au fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt du 19 juin 2009, Qualcomm/Commission, T 48/04, EU:T:2009:212, point 161 et jurisprudence citée).
392 En l’espèce, force est de constater que la décision attaquée ne contient aucune référence à des considérations de politique générale. À cet égard, la requérante se limite à indiquer que des considérations politiques ont sous-tendu l’approbation par la Commission de la concentration M.8870, mais elle n’invoque aucun élément de preuve à l’appui de son allégation.
393 Il convient, dès lors et en tout état de cause, de rejeter le quatrième moyen.
5. Sur la demande de production de documents
394 Dans le cadre de ses observations communes aux mémoires en intervention de RWE et d’E.ON, la requérante propose au Tribunal de demander à la Commission de produire une copie de l’accord de relations entre investisseurs.
395 Il y a lieu de rappeler qu’il revient au Tribunal d’apprécier l’utilité des mesures d’organisation de la procédure et des mesures d’instruction (arrêt du 19 juin 2018, Le Pen/Parlement, T 86/17, non publié, EU:T:2018:357, point 206).
396 En vertu de l’article 88, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu’une demande de mesure d’organisation de la procédure est formulée après le premier échange de mémoires, la partie qui présente la demande doit exposer les raisons pour lesquelles elle n’a pas pu la présenter antérieurement. En l’espèce, force est de constater que la demande de la requérante n’intervient qu’au stade des observations sur les mémoires en intervention et que la requérante n’indique aucunement les raisons pour lesquelles elle n’a pas pu présenter cette demande au stade de la requête (arrêt du 19 juin 2018, Le Pen/Parlement, T 86/17, non publié, EU:T:2018:357, points 207 à 209). Par conséquent, il y a lieu de rejeter comme irrecevable la demande de la requérante.
IV. Sur les dépens
397 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, par E.ON et par RWE, conformément aux conclusions de ces dernières.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) enercity AG supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, par E.ON SE et par RWE AG.