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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 21 décembre 2023, n° 22/00474

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mayotte Channel Gateway (SAS), Société Nel Import Export (SARL)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barbier

Conseillers :

Mme Fenayrou, Mme Tréard

Avocats :

Me Jorion, Me Grobelny, Me Lebedinsky

CA Paris n° 22/00474

20 décembre 2023

Vu la déclaration de recours formée le 7 janvier 2022 contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-D-28 du 9 décembre 2021 relative à la mise en oeuvre du V de l'article L. 464-2 du code de commerce concernant l'obstruction par la société MCG à l'investigation des services de l'Autorité ;

Vu le mémoire déposé au greffe de la Cour le 22 février 2022 par les sociétés Mayotte Channel Gateway et Nel Import Export ;

Vu la lettre du 21 octobre 2022 par laquelle le ministre chargé de l'économie informe la Cour de ce qu'il n'entend pas déposer d'observations ;

Vu les observations déposées au greffe de la Cour le 25 octobre 2022 par l'Autorité de la concurrence ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe de la Cour le 18 avril 2023 par la société Mayotte Channel Gateway et Nel Import Export,

Vu l'avis du ministère public en date du 12 septembre 2023, communiqué le même jour aux demandeurs au recours, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 28 septembre 2020, les conseils des sociétés Mayotte Channel Gateway et Nel Import Export, le représentant de l'Autorité de la concurrence et le ministère public, les demandeurs au recours ayant été mis en mesure de répliquer.

FAITS ET PROCÉDURE

1.L'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») a ouvert en 2018 une enquête sur des pratiques relevées dans le secteur du transport maritime à Mayotte, sur la base d'indices transmis par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la « DGCCRF »).

2.L'instruction du dossier d'enquête a conduit les rapporteures à s'intéresser au secteur des services portuaires du port de [Localité 6] ' unique port de commerce de l'île de Mayotte ' et aux pratiques mises en oeuvre par la SAS Mayotte Channel Gateway (ci-après « MCG »), qui l'exploite et le gère depuis le 1er novembre 2013 dans le cadre d'une délégation de service public accordée par le conseil départemental de Mayotte pour une durée de 15 ans.

3.Par ordonnance du 23 octobre 2019, le juge des libertés et de la détention (ci-après « JLD ») du tribunal de grande instance de Mamoudzou a autorisé le rapporteur général de l'Autorité à faire procéder à des opérations de visite et saisie (ci-après les « OVS ») sur le fondement de l'article L. 450-4, alinéa 6 du code de commerce, notamment dans les locaux de MCG et de son ancienne filiale, la société de manutention portuaire Manu-port.

4.Ces OVS ont été menées le 7 novembre 2019 dans les locaux de MCG.

5.Le 14 décembre 2020, les services d'instruction ont adressé un questionnaire à MCG, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et par courriel, en lui impartissant un délai de six semaines pour y répondre.

6.En l'absence de réponse de la part de MCG le 25 janvier 2021, un courriel a été adressé le 26 janvier 2021 à sa présidente, lui demandant de prendre très rapidement contact avec les services de l'Autorité.

7.Dans un courriel du même jour, cette dernière a expliqué que le retard de MCG était dû à l'absence de plusieurs personnels atteints du Covid-19 et a demandé un délai de deux semaines supplémentaires, correspondant au temps nécessaire à la préparation des dossiers au retour des personnels absents.

8.Par courriel du 27 janvier 2021, les services d'instruction ont accordé le délai de deux semaines demandé, fixant une nouvelle échéance au 8 février 2021, tout en rappelant qu'« en application de l'article L. 450-8 du code de commerce et du V de l'article L. 464-2 du même code, toute entreprise est tenue de répondre aux questions de l'Autorité de la concurrence dans les délais impartis de sorte que toute demande de report de délai, dûment motivée, doit être formulée avant l'expiration du délai fixé par les rapporteures ».

9.À l'expiration de cette première prolongation de délai, les services d'instruction ont adressé un courriel à la présidente de MCG le 9 février 2021, constatant l'absence de réponse dans les délais impartis et lui demandant de prendre contact avec eux par retour de mail.

10.Le lundi 15 février 2021, cette dernière a adressé un courriel aux rapporteures, son avocat en copie du message, indiquant que toutes les informations se trouvaient dans les fichiers informatiques saisis à l'occasion des OVS.

11.Le même jour, les services d'instruction lui ont adressé en réponse un courriel, ainsi qu'à son conseil, lui rappelant son obligation de répondre aux demandes d'informations de l'Autorité et les sanctions auxquelles MCG s'exposait en cas de défaillance, au regard des articles L. 450-8 du code de commerce et L. 464-2 V du code de commerce. Un nouveau délai de réponse a été octroyé à MCG jusqu'au 22 février 2021.

12.Sans réponse de MCG, les services d'instruction ont adressé un dernier courriel à sa présidente et à son conseil le 5 mars 2021, indiquant qu'en l'absence de réponse à leur dernier courriel de relance et après avoir exposé, à deux reprises, les risques de sanction encourue par MCG en cas de refus de se soumettre à son obligation légale de répondre aux demandes d'informations, ils ne pouvaient que conclure que MCG persistait dans son refus de répondre, en toute connaissance des conséquences auxquelles ce refus l'exposait.

13.MCG n'a pas répondu à ce courriel.

14.Le 23 juin 2021, les services d'instruction ont adressé un rapport à MCG et à sa société mère, la Société Nel Import Export (ci-après la « SNIE »), leur reprochant d'avoir, en violation de l'alinéa 2 du V de l'article L. 464-2 du code de commerce, fait obstruction à leur enquête en ne répondant pas à la demande d'informations adressée à MCG.

15.Par décision n° 21-D-28 du 9 décembre 2021 (la « décision attaquée »), l'Autorité a considéré que les sociétés MCG, en tant qu'auteure de l'infraction, et SNIE, en sa qualité de société mère de MCG, avaient enfreint les dispositions du V de l'article L. 464-2 du code de commerce en s'abstenant, de manière délibérée et répétée, de répondre à la demande d'informations envoyée par l'Autorité le 14 décembre 2020.

16.L'Autorité a infligé solidairement à ces sociétés une sanction pécuniaire d'un montant de 100 000 euros et leur a enjoint de lui fournir, sous un délai d'un mois à compter de la notification de la décision, tous les éléments d'information et justificatifs en leur possession répondant à l'objet des demandes adressées par les services d'instruction.

17.Ces deux sociétés ont formé un recours en annulation et réformation contre cette décision le 7 janvier 2022.

18.Par leur recours, MCG et SNIE demandent, en substance, à la Cour :

- à titre principal, de juger que la procédure est entachée de diverses irrégularités et que les faits en cause ne peuvent pas être qualifiés d'obstruction au sens de l'article L. 464-2, V, alinéa 2 du code de commerce et en conséquence d'annuler la décision attaquée ;

- à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en modérant la sanction infligée.

19.Aux termes de ses observations écrites, l'Autorité invite la Cour à rejeter le recours.

20.Le ministère public conclut au rejet du recours.

MOTIVATION

I. SUR LE RESPECT DES PRINCIPES DU CONTRADICTOIRE ET DES DROITS DE LA DÉFENSE

21.MCG et SNIE soutiennent que l'Autorité a violé les principes du contradictoire et des droits de la défense, en ce qu'elle :

- n'a pas fait figurer dans la présente procédure les mesures d'enquêtes antérieures prises par la DGCCRF et par l'Autorité, telles que l'ordonnance du JLD autorisant les OVS ainsi que les procès-verbaux y afférents, pourtant de nature à démontrer une coopération active de MCG à ces opérations et à permettre l'évaluation de la proportionnalité de la demande d'instruction ;

- a adopté une motivation lacunaire et imprécise de la sanction, tenant sur quatre paragraphes et ne laissant pas apparaître les bases retenues pour son évaluation de la sanction ;

- n'a pas fait référence au chiffre d'affaires retenu pour sanctionner MCG, empêchant ainsi MCG et SNIE de connaître et de contester l'assiette de la sanction, au regard du plafond légal.

22.L'Autorité leur oppose, en premier lieu, que le rapport ainsi que la décision attaquée font expressément référence à l'enquête de la DGCCRF et aux OVS réalisées dans les locaux de MCG le 7 novembre 2019 et que la réalisation de ces mesures ne permet pas d'apprécier le degré de coopération de MCG à la première mesure prise par l'Autorité nécessitant sa coopération, à savoir l'envoi d'un questionnaire.

23.En deuxième lieu, l'Autorité soutient que la décision attaquée énonce clairement les critères sur lesquels elle s'est fondée pour déterminer le montant de la sanction, et que, par conséquent, les principes de proportionnalité et l'obligation de motivation ont été respectés.

24.Enfin, elle considère avoir fait application du principe d'individualisation de la sanction en prenant en compte le chiffre d'affaires hors-taxes de MCG, s'élevant à 27 512 432 € en 2020, et en fixant un montant de sanction inférieur au plafond légal prévu.

25.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour :

26.En premier lieu, concernant l'absence des documents relatifs aux mesures d'enquête antérieures dans les pièces du dossier, la Cour relève que l'argument selon lequel les pièces de l'enquête de la DGCCRF seraient susceptibles de démontrer la coopération active de MCG à l'instruction menée par les rapporteures de l'Autorité est inopérant.

27.En effet, d'une part, la DGCCRF est une autorité distincte de l'Autorité de la concurrence. D'autre part, les pièces afférentes aux OVS, diligentées par les services d'instruction dans le cadre procédural contraignant d'une enquête sur autorisation judiciaire, prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce, ne sauraient démontrer une coopération active de l'entreprise à une autre mesure d'instruction consistant en une demande de renseignements.

28.Par ailleurs, les requérantes se bornent à invoquer l'impossibilité pour les juges, en l'absence de ces pièces, d'examiner la proportionnalité de la demande de renseignements à laquelle MCG a dû faire face, sans préciser en quoi cette demande serait disproportionnée et sans procéder d'initiative au versement des pièces qu'elles détiennent au dossier de la Cour.

29.Au surplus, les irrégularités invoquées, en ce qu'elles portent sur le respect des droits de la défense dans le cadre du recours exercé contre la décision attaquée, ne sont pas, en elles-mêmes, de nature à vicier la régularité de la procédure antérieure et à entraîner l'annulation par voie de conséquence de la décision attaquée.

30.En deuxième lieu, concernant la méthode de calcul de la sanction forfaitaire, la décision attaquée a souligné l'absence de lignes directrices précisant la méthode applicable au calcul des amendes dans les affaires d'obstruction (paragraphe 68 de la décision attaquée).

31.Lorsque, comme en l'espèce, l'Autorité fixe de manière forfaitaire le montant de la sanction, sans faire application du communiqué sanctions qui concerne la méthodologie applicable aux sanctions infligées aux pratiques anticoncurrentielles poursuivies, elle n'est pas tenue d'indiquer la traduction chiffrée de son appréciation de chacun des critères légaux mentionnés au quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, que sont la gravité des faits reprochés, l'importance du dommage causé à l'économie, la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et l'éventuelle réitération de pratiques prohibées.

32.La Cour constate qu'après avoir relevé le caractère particulièrement grave de l'infraction d'obstruction et la nécessité de garantir à sa sanction un effet suffisamment dissuasif (paragraphes 69 et 70 de la décision attaquée), l'Autorité précise les éléments tenant à la nature et aux caractéristiques des pratiques sur lesquels elle s'est fondée pour apprécier la gravité des faits et les conséquences de ces pratiques d'obstruction sur l'action des services d'instruction (paragraphes 71 à 74 de la décision attaquée).

33.La décision attaquée satisfait donc à l'exigence de motivation en ce qu'elle indique l'ensemble des éléments ayant permis à l'Autorité de proportionner la sanction en tenant compte des critères légaux précités, peu important le nombre de paragraphes consacrés à ces développements.

34.En troisième lieu, concernant l'absence de référence au chiffre d'affaires retenu dans la décision attaquée, l'Autorité dispose d'une marge d'appréciation dans la détermination du montant de la sanction, en particulier s'agissant d'une amende forfaitaire, à condition de respecter le plafond prévu par l'article L. 464-2, V, alinéa 2, du code de commerce, qui ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre.

35.En l'espèce, la décision attaquée précise que la sanction de 100 000 euros infligée solidairement à MCG et SNIE est inférieure au plafond légal applicable (paragraphe 75 de la décision), ce que les requérantes ne contestent pas.

36.En se fondant sur le chiffre d'affaires hors taxe de 27 512 432 euros en 2020 ' plus élevé que celui de 2018 auquel les requérantes font référence dans leurs écritures ', comme les y invitent les termes de l'article L. 464-2, V, alinéa 2, du code de commerce précité, MCG et SNIE étaient en mesure de déterminer à l'avance le montant maximal de l'amende susceptible d'être mise à leur charge, puis d'évaluer précisément le pourcentage de chiffre d'affaires représenté par l'amende prononcée, et ce d'autant plus facilement qu'elles avaient elles-mêmes transmis aux services d'instruction, à leur demande, les chiffres d'affaires mondiaux hors taxes des comptes sociaux des sociétés MCG et SNIE couvrant les exercices clos de 2017 à 2021 ainsi que la date de clôture de leurs comptes (cote 494).

37.L'absence de mention du montant et de l'année du chiffre d'affaires retenu ne leur faisant pas grief, MCG et SNIE ne sont pas fondées à reprocher à la décision attaquée de les avoir privées de la possibilité de connaître l'assiette retenue pour la sanction et de vérifier le quantum de celle-ci au regard du plafond légal.

38.Dès lors, il convient de rejeter les moyens pris de la violation des principes du contradictoire et des droits de la défense.

II. SUR LA CARACTÉRISATION DE L'INFRACTION D'OBSTRUCTION

39.Aux paragraphes 24 à 28 de la décision attaquée, l'Autorité, après avoir rappelé la jurisprudence européenne et la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 du 26 mars 2021, a retenu qu'il résultait du second alinéa du V de l'article L. 464-2 du code de commerce que le refus de communiquer les renseignements ou les documents demandés dans le délai prescrit, de même que l'omission de rectifier une réponse incorrecte ou incomplète, pouvaient constituer une obstruction, dès lors qu'ils font obstacle aux pouvoirs d'enquête dévolus aux agents de l'Autorité.

40.En l'espèce, après un rappel de la chronologie et de la teneur des échanges entre les services d'instruction et MCG (paragraphes 29 à 34 de la décision), l'Autorité a constaté que malgré trois relances, un double rappel des sanctions encourues, deux prorogations des délais de réponse laissant au total à l'entreprise dix semaines pour répondre au questionnaire et l'envoi d'un rapport d'obstruction, MCG, qui a formulé deux explications très différentes pour justifier de son absence de réponse, n'avait apporté aucune réponse à la date de la séance, soit dix mois après l'envoi du questionnaire des services d'instruction (paragraphes 35 à 40).

41.L'Autorité a déduit de l'ensemble de ces éléments que MCG avait, de manière totalement délibérée et dès la première mesure d'instruction nécessitant sa coopération, refusé de répondre aux services d'instruction en toute connaissance des risques de sanction qu'elle encourait et, ainsi, fait obstacle au bon déroulement de l'enquête menée par les services d'instruction. Elle a retenu, en conséquence, que le comportement de MCG était constitutif de l'infraction d'obstruction visée au second alinéa du V de l'article L. 464-2 du code de commerce (paragraphe 41 à 44 de la décision).

42.MCG et SNIE contestent cette analyse. Elles soutiennent que MCG a été empêchée de répondre à la demande de renseignements de l'Autorité du 14 décembre 2020 dans les délais impartis en raison du contexte sanitaire à Mayotte, qui a nécessité d'abord un confinement strict de la population du 5 février au 15 mars 2021, interdisant aux salariés en télétravail d'avoir accès à une partie des documents demandés par l'Autorité, puis un couvre-feu jusqu'au 20 mai 2021. Elles estiment que ces circonstances, par nature extérieures à MCG, ne pouvaient être ni prévues, ni évitées par la société, de sorte qu'elles constituent une cause étrangère revêtant les caractères de la force majeure, tels que définis par l'article 1218 du code civil.

43.En outre, elles font valoir, en substance, que les faits en cause ne peuvent pas être qualifiés d'obstruction, dès lors que MCG s'est trouvée devant une impossibilité matérielle :

- de communiquer certains documents en raison, pour les uns, de leur ancienneté, supérieure au délai légal de conservation, et, pour d'autres, de difficultés rencontrées dans leur conservation ayant conduit à leur destruction ;

- de respecter les délais impartis, manifestement insuffisants au regard des contraintes spécifiques et du contexte sanitaire mahorais auxquels MCG était confrontée, de la nature variée et du degré de précision des informations demandées et de la charge représentée par la collecte d'informations relatives à d'autres procédures concomitantes à celles de l'Autorité ;

- de faire face, dans ces délais, à la multiplicité et à l'ampleur des mesures d'instruction, pour certaines extérieures au champ de l'enquête, qui, s'ajoutant à l'enquête de la DGCCRF et aux OVS, ont fait peser une charge disproportionnée sur MCG.

44.L'Autorité soutient que MCG et SNIE ne sauraient exciper du contexte sanitaire mahorais, dans la mesure où aucune réponse n'avait été communiquée par MCG aux services d'instruction à la date de la séance du 19 octobre 2021, soit 7 mois après la fin du confinement. Elle ajoute que si MCG a fait état, dans un premier courriel, du contexte sanitaire pour justifier son absence de réponse et solliciter un délai supplémentaire, qui lui a été immédiatement accordé, elle s'est ensuite opposée, sans plus faire référence au contexte sanitaire, à la communication des informations demandées au motif que l'Autorité en disposait déjà à la suite des saisies réalisées dans le cadre des OVS.

45.Elle écarte l'argument selon lequel MCG ne disposait plus de certaines informations demandées par les services d'instruction, en soulignant d'une part, que MCG n'avait jamais fait part aux rapporteures de difficultés à collecter ces informations et, d'autre part, qu'à supposer que certaines informations aient été indisponibles, les nombreuses informations communiquées in fine le 8 février 2022 témoignent de ce que MCG était en possession d'une grande partie des informations demandées.

46.Elle estime que MCG et SNIE ne sauraient reprocher aux services d'instruction d'avoir accordé à MCG un délai insuffisant pour répondre au questionnaire, alors qu'ils lui ont spontanément octroyé un délai supplémentaire de deux semaines qu'elle ne demandait pas.

47.Enfin, l'Autorité considère que les services d'instruction étaient fondés à adresser une demande d'informations à MCG s'ajoutant aux OVS réalisées antérieurement, sans que cette mesure ne soit interprétée comme un acharnement. Selon elle, MCG et SNIE ne démontrent pas que les informations demandées ne présentaient aucun rapport avec le champ de l'enquête. Elle en conclut que la demande d'informations litigieuse ne représentait aucunement une charge disproportionnée de nature à désorganiser MCG.

48.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité, en précisant notamment que MCG et SNIE sont mal fondées à invoquer la force majeure prévue à l'article 1218 du code civil, dont les dispositions sont inapplicables à une obligation légale, et, plus généralement, toute cause d'exonération liée au contexte sanitaire de Mayotte, MCG n'ayant communiqué aucun élément de réponse pour la séance de l'Autorité, sept mois après la fin des mesures de confinement.

Sur ce, la Cour :

49.À titre liminaire, la Cour rappelle que l'article L. 464-2, V, alinéa 2, du code de commerce dispose que « [l]orsqu'une entreprise ['] a fait obstruction à l'investigation ou à l'instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l'Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l'entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire ».

50.Ces dispositions, qui garantissent l'effectivité des pouvoirs d'enquête et d'instruction de l'Autorité, s'appliquent à tous les comportements de l'entreprise qui tendent, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle aux actes d'investigation ou d'instruction (Cass. com. 13 janvier 2021, Akka, n° 20-16.849 ; Cons. cons. 26 mars 2021, n° 2021-892 QPC, §15).

51.Concernant, en premier lieu, l'ancienneté et l'indisponibilité de certains documents demandés par l'Autorité, la Cour relève qu'une entreprise est tenue de conserver, pendant les délais légaux, un certain nombre de documents relatifs notamment au fonctionnement de sa société, à ses comptes annuels, à ses salariés et à son activité.

52.L'argument selon lequel la communication de certains documents, visés par les questions 1 à 7, 14 et 15 du questionnaire, a été sollicitée sur une période allant de 2013 à 2020, et donc supérieure à leur durée minimum de conservation, ne justifie aucunement l'absence complète de réponse à ces neuf questions pour les années correspondant à leurs délais légaux de conservation.

53.S'agissant de la période allant au-delà de ces délais, force est de constater qu'indépendamment des délais écoulés, les requérantes ont été en mesure et se sont prévalues de la communication in fine à l'Autorité de certaines pièces, sans fournir aucune explication sur les éventuelles difficultés à communiquer les autres pièces demandées.

54.En outre, la panne de disque dur, attestée par la société en charge de la maintenance informatique pour MCG (pièce 6 des requérantes), n'est pas de nature à exonérer l'entreprise de toute responsabilité et à justifier l'indisponibilité des rapports annuels d'exploitation demandés (question 17, cote 21 856), dès lors qu'il appartenait à MCG de prendre les précautions nécessaires à leur conservation.

55.Il en va de même de l'inondation alléguée pour expliquer le défaut de communication des contrats de prêts souscrits par MCG et des tableaux d'amortissement correspondants, dont l'existence n'est étayée que par un rapport interne à MCG émanant de son propre service d'entretien, révélant que l'eau s'est infiltrée à travers les percements du toit et des parois métalliques du local d'archives, dégradés par la rouille (question 10, cote 21 851).

56.Ces circonstances, dénotant un manque d'entretien incompatible avec le devoir incombant à chaque entreprise de veiller à la bonne conservation des éléments susceptibles de retracer la licéité de ses pratiques, ne permettent pas à la Cour de retenir l'existence d'une cause étrangère, imprévisible, extérieure et irrésistible, dont les requérantes se prévalent.

57.En tout état de cause, l'ensemble des raisons invoquées, qui n'ont jamais été présentées aux services d'instruction, ne justifient pas l'absence totale de réponse aux 62 questions que comportait la demande de renseignements.

58.Concernant, en deuxième lieu, l'insuffisance des délais de réponse fixés par les services d'instruction et leur inadéquation aux contraintes de MCG, il ressort des éléments versés au dossier que, si les services d'instruction ont effectivement octroyé à MCG un premier délai de réponse au questionnaire de six semaines, sans que la durée des congés mahorais de fin d'année ne leur soit opposé par MCG, ils ont ensuite prolongé le délai initial par deux fois.

59.Un premier délai supplémentaire de deux semaines, qui portait l'échéance du délai de réponse au questionnaire au 8 février 2021, a été concédé par mail du 27 janvier 2021, à la demande de MCG qui invoquait l'absence de personnels atteints du Covid-19 en ces termes : « Desole pour le retard, mais plusieurs personnes a du covid dans le bureau , et ce qui travail ne peu pas préparé les dossiers . on prépare pour ici dans 2 semaine d'que le retour des personnes qui doit s'occupe du dossier. ».

60.Un second délai supplémentaire de deux semaines, portant l'échéance du délai de réponse au 22 février 2021, a été octroyé à MCG d'initiative par les services d'instruction, en réponse à son mail du 15 février 2021 qui s'était borné à les renvoyer aux pièces saisies lors des OVS.

61.En conséquence, MCG a bénéficié d'un délai de réponse total de 10 semaines, dont deux semaines accordées à la seule initiative des services d'instruction.

62.Quelles qu'aient été les difficultés rencontrées par MCG au regard de la nature des informations demandées ou de l'existence d'autres procédures concomitantes à celle de l'Autorité, impliquant également un travail de collecte d'informations, la Cour constate que l'entreprise n'en a pas informé les services d'instruction.

63.Au total, MCG s'est limitée à l'envoi de deux courriels et n'a fait état de difficultés consécutives à l'absence de personnels atteints du Covid-19 que dans son premier courriel, dont il ressortait que lesdites difficultés devaient être résolues dans un délai de deux semaines.

64.Sans autres explications de la part de MCG, les services d'instruction n'ont pas été mis en mesure d'apprécier la nécessité d'octroyer, le cas échéant, de nouveaux délais de réponse.

65.Au surplus, il convient de souligner que MCG n'a pas non plus fait usage du délai de deux mois, dont elle a bénéficié pour formuler ses observations à compter de la notification du rapport d'obstruction en date du 21 juin 2021, pour communiquer les informations demandées.

66.Au vu de ces éléments, c'est en vain que MCG et SNIE font valoir que les délais fixés par les services d'instruction ne leur ont pas permis de répondre utilement à la demande d'informations litigieuse.

67.Concernant, en troisième lieu, l'ampleur et le manque de pertinence des mesures d'instruction, il résulte des articles L. 450-1 et L. 450-6 du code de commerce que le rapporteur dispose d'un large pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations et apprécie librement l'opportunité des mesures à mettre en oeuvre.

Sur la multiplicité des mesures d'instruction prises à l'encontre de MCG

68.Au regard des articles précités, les services d'instruction étaient fondés à envoyer à MCG une demande de renseignements plus d'un an après les OVS du 7 novembre 2020, les deux mesures revêtant, au demeurant, des caractéristiques différentes et complémentaires.

69.L'argument selon lequel les services d'instruction étaient déjà en possession d'une grande partie des informations demandées au moment de l'envoi du questionnaire est inopérant, la circonstance que certaines des informations sollicitées figureraient parmi les documents saisis n'étant pas de nature à justifier le refus délibéré de MCG de répondre à l'ensemble des questions posées par les services d'instruction.

Sur l'absence de pertinence de certains documents au regard de l'objet de la saisine

70.MCG et SNIE qui se bornent à contester la pertinence des demandes adressées n'établissent pas en quoi leur objet serait manifestement étranger à la saisine.

71.À cet égard, la demande relative aux conventions collectives applicables aux salariés de MCG (question 13, cote 21 853), qu'ils critiquent comme ne présentant aucun lien avec la saisine, n'est manifestement pas hors du champ de l'enquête sur les services portuaires au port de [Localité 6], cette demande tendant notamment à démontrer la perméabilité des personnels de MCG et d'une autre société.

Sur la charge disproportionnée imposée à MCG par les mesures d'instruction

72.Il ressort des éléments de réponse communiqués le 8 février 2022 que 15 des 62 questions n'ont pas fait l'objet de réponses de la part de MCG, pour dix d'entre elles parce qu'elle a considéré qu'elles ne lui étaient pas applicables (mention « néant » intégrée dans le document de réponse) et pour cinq d'entre elles parce que l'entreprise ne disposait pas des informations demandées. MCG a répondu à 18 autres questions par l'envoi « d'une soixantaine de documents volumineux », selon les requérantes. Aux 29 questions restantes, MCG a répondu par l'élaboration de tableaux sous format Excel pour 7 d'entre elles, par la rédaction de réponses littérales pour 21 questions portant principalement sur le fonctionnement de la délégation de service public dont bénéficie MCG pour l'exploitation et la gestion du port de [Localité 6] et par l'insertion d'un organigramme pour la question 12 (cotes 864 à 886).

73.Au total, seules 28 des 62 questions de la demande de renseignements ont nécessité la rédaction de développements explicatifs ' de longueurs variables ' ou l'élaboration de tableaux sous format Excel. Le questionnaire n'a donné lieu in fine qu'à l'établissement d'un document comportant 40 pages.

74.Par ailleurs, eu égard au délai écoulé entre la demande d'informations et la communication de sa réponse, l'argument de la mobilisation de plusieurs salariés de MCG durant plusieurs jours ne suffit pas à établir l'existence d'une charge disproportionnée pesant sur elle, de nature à désorganiser totalement son activité.

75.Il se déduit de l'ensemble de ces considérations que la demande de renseignements ne présentait aucun caractère excessif, ni quant à son champ matériel, ni quant à son champ temporel.

76.Concernant, en quatrième lieu, la nature des pratiques, il est constant que MCG n'a envoyé aux services d'instruction que deux courriels concernant la demande de renseignements : un premier courriel du 26 janvier 2021 sollicitant une prolongation de deux semaines du délai de réponse au questionnaire au vu de l'absence de certains de ses personnels atteints du Covid-19 et un second courriel du 15 février 2021 renvoyant, quant à lui, les services d'instruction aux pièces saisies lors des OVS : « bonjour madame, vous avez toute ses informations sur les fichier informatique que vous avez pris ».

77.L'argument selon lequel toutes les informations demandées se trouvaient sur les fichiers informatiques saisis lors des OVS n'est pas fondé, dans la mesure où l'analyse du document envoyé par MCG le 8 février 2022 montre que 28 des 62 questions de la demande de renseignements ont nécessité l'élaboration de réponses écrites ou de tableaux Excel, qui, par définition, ne se trouvaient pas dans les documents saisis.

78.Seules 21 questions ont fait l'objet d'une réponse sous la forme de la communication de fichiers informatiques, dont il n'est pas démontré qu'ils avaient d'ores et déjà été saisis lors des OVS.

79.Malgré un courriel du 15 février 2021 des services d'instruction rappelant à MCG son obligation de répondre aux demandes d'informations de l'Autorité et les sanctions auxquelles elle s'exposait en cas de défaillance et lui octroyant un nouveau délai de réponse jusqu'au 22 février 2021, MCG n'a plus communiqué avec les services d'instruction, qui ont conclu, dans un courriel du 5 mars 2021, au refus de MCG de répondre à la demande de renseignements.

80.C'est en vain que MCG fait valoir que des réponses ont été apportées au questionnaire avant la séance du 19 octobre 2021, dès lors que les éléments communiqués le 22 septembre 2021 l'ont été en réponse à un courrier de la rapporteure du 13 septembre 2021, demandant uniquement les chiffres d'affaires mondiaux hors taxes des comptes sociaux des sociétés MCG et SNIE couvrant les exercices clos de 2017 à 2021 ainsi que la date de clôture de leurs comptes (cote 494).

81.Ces informations ont été sollicitées, non pas dans le cadre de la saisine n° 18/0104 E de l'Autorité portant sur des pratiques relevées dans le secteur du transport maritime à Mayotte mais dans le cadre de l'instruction de la saisine n° 21/0042 F relative à la procédure d'obstruction, dans la perspective de la séance du 19 octobre 2022. La circonstance que ces informations ont également fait l'objet de la question 6 du questionnaire envoyé dans le cadre de l'affaire n° 18/0104 E est donc indifférente.

82.L'envoi par MCG de ses réponses le 8 février 2022 étant intervenu en suite de la décision du 9 décembre 2021 enjoignant à MCG et SNIE de fournir, sous un délai d'un mois, tous les éléments d'information répondant aux demandes des services d'instruction, MCG et SNIE soutiennent à tort que les faits de l'espèce doivent s'entendre comme un retard et non comme un refus de répondre à la demande d'informations des services d'instruction.

83.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le bref courriel envoyé par MCG le 15 février 2021 et son omission d'envoyer les éléments sollicités par les services d'instruction doivent être analysés comme un refus délibéré de répondre à ces demandes, MCG n'ayant consenti à communiquer ces informations que le 8 février 2022, soit 14 mois après l'envoi du questionnaire.

84.L'article L. 464-2 V, alinéa 2 précité sanctionnant toute entrave au déroulement des mesures d'investigation ou d'instruction, c'est à juste titre que la décision attaquée a retenu que l'obstruction de MCG s'était manifestée par un refus de répondre ab initio à la demande de renseignements du 14 décembre 2020.

85.Cette analyse ne saurait être remise en cause par l'allégation d'une exonération du fait de la force majeure.

86.En effet, force est de constater, d'abord, que l'article 1218 du code civil invoqué n'est applicable qu'en matière contractuelle et, ensuite, que la notion de force majeure, selon une jurisprudence constante, s'entend de circonstances étrangères à celui qui l'invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n'auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 22 septembre 1988, Jensen, 199/87, Rec. p. 5045, point 21).

87.Dans le cas d'espèce, la force majeure ne saurait être caractérisée s'agissant d'un refus délibéré de MCG de répondre au questionnaire des services d'instruction malgré plusieurs relances de leur part.

88.Au surplus, il convient de relever que les spécificités du territoire mahorais invoquées par les requérantes et la situation sanitaire de l'archipel à cette période, quelque difficile qu'elle fût, ne sauraient à elles seules expliquer le silence conservé par MCG après son dernier courriel du 15 février 2021, dans lequel, au demeurant, elle invoquait non pas des difficultés liées au contexte sanitaire mais le fait que les éléments de réponse au questionnaire se trouvaient dans les fichiers informatiques saisis. Après le 15 février 2021, MCG n'a, en effet, plus jamais fait part à l'Autorité de difficultés résultant du contexte sanitaire mahorais, ni sollicité une nouvelle prolongation du délai de réponse.

89.Dès lors, il convient de rejeter le moyen.

III. SUR L'IMPUTATION DES FAITS À SNIE PRISE EN SA QUALITÉ DE SOCIÉTÉ MÈRE

90.Dans la décision attaquée, l'Autorité a exposé les règles applicables en matière d'imputabilité des pratiques d'une filiale à sa société mère dans le cas de pratiques d'obstruction (paragraphes 45 à 51) et, en particulier, celle selon laquelle une société mère est présumée exercer une influence déterminante sur sa filiale lorsqu'elle détient la totalité ou la quasi-totalité de son capital (paragraphe 46).

91.Elle a appliqué cette présomption d'influence déterminante à la SNIE en considérant, au paragraphe 52, que la présomption devait s'appliquer en raison de la détention par cette dernière de 90 % du capital de sa filiale MCG pendant la période des pratiques. Elle a ensuite précisé, au paragraphe 53, qu'en tout état de cause, les éléments du dossier relatifs aux liens économiques et organisationnels entre la SNIE et MCG démontraient l'absence d'autonomie de cette dernière, avant d'exposer ces éléments tenant essentiellement à l'appartenance des deux entreprises à un groupe familial et aux liens économiques et organisationnels unissant les deux sociétés.

92.MCG et SNIE contestent l'application de la présomption d'influence déterminante à l'espèce, estimant que cette présomption viole plusieurs principes du droit :

- le principe de légalité des délits et des peines, qui implique qu'une sanction ne puisse être prononcée à l'encontre d'une entreprise qu'à la condition d'être prévue par un texte clair et précis ;

- la présomption d'innocence, dès lors que la pratique décisionnelle a transformé la présomption d'imputabilité en une présomption quasi-irréfragable, contraire à la présomption d'innocence ;

- les droits de la défense et le droit à un procès équitable ainsi que le droit à l'égalité des armes, dans la mesure où cette présomption implique un renversement total de la charge de la preuve au détriment de la société mère confrontée au caractère quasi-irréfragable de la présomption.

93.Elles font valoir, en outre, que l'Autorité s'est écartée de sa pratique décisionnelle en considérant que la détention par la SNIE de 90 % du capital social de MCG équivalait à la détention de la quasi-totalité de son capital.

94.Elles soutiennent que la décision du Tribunal de l'Union (ci-après le « TUE »), invoquée par l'Autorité, aux termes de laquelle la présomption a été appliquée sur la base d'une détention de 93 % du capital n'est pas transposable, dès lors que dans l'espèce soumise au TUE, la société mère a détenu 100 % du capital social de sa filiale pendant la majeure partie de la durée des pratiques (environ 6 années sur les 8 années au total) et que ce n'est qu'à la fin des pratiques que la détention est tombée non pas à 93 % comme le soutient l'Autorité mais à 93,864 %, soit un seuil plus proche de 94 % que de 93 %, ne pouvant être considéré comme un ordre de grandeur analogue au seuil de 90 % de l'espèce.

95.Elles ajoutent que, dans une décision récente (Goldman Sachs Group Inc. contre Commission du 21 janvier 2021), la CJUE a constaté qu'il n'était pas possible de considérer qu'une société mère détenant 91 % du capital de sa filiale détenait la « quasi-totalité » de son capital.

96.Enfin, MCG et SNIE considèrent que les éléments retenus par l'Autorité dans sa décision ne sont pas de nature à établir l'exercice effectif d'une influence déterminante de SNIE sur sa filiale MCG. Elles font valoir, en outre, que les deux sociétés ne sont pas présentes sur les mêmes secteurs d'activité, ni sur les mêmes marchés et qu'elles ont des adresses distinctes, pour soutenir que certains éléments attestant d'une autonomie réelle de MCG par rapport à SNIE ont été volontairement occultés par l'Autorité.

97.L'Autorité répond que les moyens tirés de la méconnaissance des principes de légalité et des délits et des peines, de la présomption d'innocence et des droits de la défense doivent être écartés au regard de la jurisprudence en la matière.

98.Elle rappelle que ni la jurisprudence européenne, ni la jurisprudence française n'ont fixé de seuil de détention capitalistique en deçà duquel une société mère ne peut être présumée exercer une influence déterminante sur sa filiale.

99.Elle fait valoir qu'une société mère peut être regardée comme détenant la quasi-totalité du capital de sa filiale lorsqu'elle détient 90 % ou plus de ce capital. Dans une telle hypothèse, compte tenu d'un tel niveau de participation, il lui paraît, en effet, cohérent de présumer, mutatis mutandis, que la société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale auteure des pratiques, laquelle ne détermine pas son comportement de façon autonome sur le marché, au sens de la jurisprudence européenne (CJUE, 10 septembre 2009, [O] [P] e.a, C-97/08, point 58), cette dernière ayant déjà appliqué la présomption à une mère détenant 93 % du capital de sa filiale, soit un niveau de détention très proche de celui de SNIE sur MCG.

100.Elle soutient que les éléments retenus dans la décision caractérisent l'absence d'autonomie de MCG à l'égard de SNIE. Elle souligne que les requérantes ne contestent pas les éléments factuels retenus par la décision attaquée pour démontrer l'existence d'une entité économique unique poursuivant des intérêts communs.

101.Elle en déduit que le moyen doit être rejeté.

102.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour :

103.En premier lieu, il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 10 septembre 2009, [O] [P] e.a., C-97/08 P, point 58 et jurisprudence citée).

104.Dans une telle situation, la société mère et sa filiale font, en effet, partie d'une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens de l'article 101 du TFUE.

105.La notion d'entreprise unique constituée de la société mère et de sa filiale permet d'infliger une sanction à la première sans qu'il soit nécessaire d'établir son implication personnelle dans l'infraction (voir, en ce sens, arrêt du TUE du 27 septembre 2012, Nynas, T-347/06, point n° 33), et ce quelle que soit la nature des comportements de la filiale, aucune distinction n'étant à faire entre ceux caractérisant une pratique anticoncurrentielle et ceux caractérisant une obstruction à une enquête portant sur l'existence d'une telle pratique.

106.En faisant référence à la notion d'entreprise et à celle de chiffre d'affaires mondial au second alinéa du paragraphe V de l'article L. 464-2 du code de commerce, le législateur s'est référé à des catégories juridiques précises permettant de déterminer avec une certitude suffisante les personnes responsables et la peine encourue (Conseil constitutionnel, 26 mars 2021, n° 2021-892 QPC, § 16), au regard de la jurisprudence précitée et, partant, de satisfaire aux exigences du principe de légalité des délits et des peines.

107.En outre, il résulte d'une jurisprudence également constante qu'en considération de cette unité économique formée par une société mère et sa filiale, les agissements des filiales peuvent être rattachés à la société mère sur le fondement d'une présomption réfragable d'influence déterminante sur leur comportement, dans le cas particulier où la société mère contrôle 100 %, ou la quasi-totalité de leur capital (CJCE, 25 octobre 1983, Allgemeine Elektrizitäts - Gesellschalt AEG - Telefunken AG, C-107/82), et ce même si les liens capitalistiques sont indirects (CJUE, 29 septembre 2011, Arkema, C-520/09).

108.Le caractère réfragable, et donc non absolu, de la présomption d'exercice d'influence déterminante permet précisément de ménager un équilibre entre, d'une part, l'objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et à en prévenir le renouvellement et, d'autre part, les exigences de certains principes généraux du droit tels que, notamment, les principes de présomption d'innocence, de la sécurité juridique, ainsi que les droits de la défense

109.Au vu de ces éléments, le moyen pris de la violation des principes de légalité des délits et des peines, de la présomption d'innocence, des droits de la défense, du droit à un procès équitable et du droit à l'égalité des armes n'est pas fondé.

110.Concernant, en second lieu, l'applicabilité de la présomption d'influence déterminante au cas d'espèce où la SNIE détient 90 % du capital social de MCG, il y a lieu de rappeler que ni la jurisprudence interne, ni celle de l'Union n'a fixé de seuil ou fourchette de niveau de détention de capital permettant d'appliquer à la société mère la présomption d'influence déterminante sur sa filiale.

111.En effet, ce n'est pas la simple détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale, en elle-même, qui fonde la présomption de l'exercice effectif d'une influence déterminante, mais le degré de contrôle de la société mère sur sa filiale que cette détention implique.

112.Il ne s'agit donc pas de savoir si le niveau de détention par une société mère du capital social de sa filiale peut être qualifié ou non de « quasi-total » mais si sa participation dans ce capital est d'un niveau tel qu'il est de nature à lui conférer un degré de contrôle excluant l'autonomie de cette dernière sur le marché.

113.Sur ce point, contrairement à ce que soutiennent MCG et SNIE, la CJUE n'a pas jugé que la détention de 91 % du capital social était insuffisante pour faire jouer la présomption d'exercice d'une influence déterminante.

114.En effet, la CJUE indique, au point 34 de l'arrêt Goldman Sachs Group Inc. : « Certes, il est constant que la requérante ne détenait pas, pendant la période antérieure à l'OPI, la totalité du capital de Prysmian, la participation des fonds GSCP V au capital de Prysmian s'élevant ['] pendant cette période, et à l'exception des 41 premiers jours, tout d'abord, à environ 91 %, puis à environ 84 %. Il est également constant que, dans la décision litigieuse, la Commission n'a pas considéré que cette participation signifiait que la requérante avait détenu la presque totalité du capital de Prysmian. » (CJUE, 27 janvier 2021, Goldman Sachs Group Inc., C-595/18).

115.Il résulte de ces motifs que la CJUE s'est bornée à constater, d'abord, que la société mère ne détenait pas la totalité du capital de sa filiale puisque cette détention avait été de 91 % à 84 %, et non de 100 % ; et ensuite, que la Commission n'avait pas tiré de conséquence particulière de ce niveau de détention pour préciser s'il équivalait ou non à une quasi-totalité du capital.

116.Il ne saurait être déduit de ce dernier constat que la Commission, et à sa suite la CJUE, aient expressément exclu qu'une détention de 91 % puisse être qualifiée de détention de la quasi-totalité du capital, et ce quelles que soient les circonstances de l'espèce.

117.En outre, la jurisprudence a déjà admis l'application de la présomption d'exercice d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale à raison d'une participation inférieure à 94 %, de sorte que l'application qui en a été faite par l'Autorité n'est pas inédite.

118.Ainsi, dans sa décision du 11 juillet 2019 (CCPL e.a, T-522/15, points 87 et suivants), écartant le grief d'une société mère qui faisait valoir qu'elle n'avait pas détenu une participation de 100 % dans le capital de sa filiale pendant toute la durée de l'infraction (sa participation ayant baissé à 93,864 % les deux dernières années de la période infractionnelle), le Tribunal de l'Union a approuvé la Commission d'avoir estimé qu'une participation de 93,864 % était suffisante pour présumer qu'une société mère exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale en rappelant « que la société mère qui détient la quasi-totalité du capital de sa filiale se trouve, en principe, dans une situation analogue à celle d'un propriétaire exclusif, en ce qui concerne son pouvoir d'exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, eu égard aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui l'unissent avec ladite filiale » et que par conséquent, la Commission était « en droit d'appliquer à cette situation le même régime probatoire, à savoir recourir à la présomption que ladite société mère fait un usage effectif de son pouvoir d'exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. ».

119.Dans un arrêt récent, la présomption d'exercice d'influence déterminante a également été appliquée à raison de la participation d'une société mère à hauteur de 92 % du capital social de sa filiale (CA Paris, 6 octobre 2022, RG nº 20/01494).

120.En l'espèce, la Cour estime que la détention par SNIE de 90 % du capital de sa filiale MCG implique un degré de contrôle qui permet de présumer qu'elle détermine la stratégie économique et commerciale de sa filiale.

121.Il appartient à SNIE de renverser cette présomption en apportant tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer que cette dernière avait un comportement autonome sur le marché et qu'elles ne constituent pas une seule entité économique (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 20 janvier 2011, General Química e.a, C-90/09 P, point 51).

122.Or, SNIE, bien qu'étant la mieux à même de rechercher la preuve contraire nécessaire pour renverser cette présomption dans sa propre sphère d'activité (arrêt de la CJUE du 29 sept. 2011, Arkema, C-521/09), n'invoque ni ne produit d'élément permettant de remettre en cause cette présomption d'exercice d'influence déterminante, que l'Autorité lui a donc appliquée à juste titre.

123.À titre surabondant, la Cour relève qu'en se bornant à faire valoir que l'absence de consolidation des comptes de MCG auprès de sa mère, la présence des deux sociétés sur des secteurs d'activité et des marchés différents et l'existence de deux adresses distinctes attestaient d'une autonomie réelle de MCG par rapport à la SNIE, la société mère ne produit pas d'éléments de nature à démontrer qu'elle et sa filiale ne constituent pas une seule entité économique, qui excluraient l'exercice effectif de l'influence déterminante de la société mère sur sa filiale.

124.C'est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu la responsabilité de SNIE en sa qualité de société mère, au titre du refus de MCG de répondre à la demande d'informations de l'Autorité. Sa demande de mise hors de cause doit être rejetée.

IV. SUR LA SANCTION

A. Sur la gravité des pratiques

125.Aux paragraphes 67 et 68 de la décision attaquée, l'Autorité a rappelé les termes des deuxième et troisième alinéas du V de l'article L. 464-2 du code de commerce et a précisé qu'en l'absence de lignes directrices indiquant une méthode de calcul pour la fixation des amendes en cas d'obstruction, elle devait tenir compte des principes de proportionnalité et d'individualisation de la sanction et, partant, de la gravité du comportement reproché aux sociétés mises en cause à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, des effets de ce comportement sur le déroulement de l'instruction, et plus généralement, de ses conséquences sur l'ordre public économique, qu'elle a pour mission de préserver.

126.L'Autorité a ensuite relevé que l'infraction d'obstruction était, en soi, une infraction particulièrement grave, dès lors que, par nature, elle met en péril, voire peut faire échec à la finalité de l'instruction de ses saisines contentieuses, qui est de constater les infractions au droit de la concurrence, national et européen, d'en établir la preuve et de les sanctionner, dans le but ultime de rétablir le bon fonctionnement concurrentiel du marché. Elle a fait valoir qu'elle était fondée à prendre en considération, pour la détermination du montant de l'amende, la nécessité de garantir à celle-ci un effet suffisamment dissuasif (paragraphes 69 et 70).

127.Elle a estimé, par ailleurs, que l'obstruction reprochée à MCG revêtait une particulière gravité, dès lors que les textes ont été méconnus de façon délibérée et répétée, que l'absence totale de réponse de MCG a perduré après l'envoi du rapport d'obstruction et que l'efficacité de l'action des services d'instruction, empêchés d'obtenir les réponses nécessaires à la poursuite de leurs investigations, a été compromise (paragraphes 69 et 70).

128.L'Autorité a déduit de l'ensemble de ces éléments la fixation d'une sanction pécuniaire de 100 000 euros, infligée solidairement à MCG, en tant que société auteure, et SNIE, en tant que société mère (paragraphes 74 et 75).

129.MCG et SNIE, en premier lieu, reprochent à l'Autorité de ne pas avoir adopté un raisonnement in concreto, en se référant à « la nature particulièrement grave de l'infraction d'obstruction », sans prendre en considération la nature de la pratique dénoncée, limitée en l'espèce à un simple retard dans la communication des réponses au questionnaire.

130.En deuxième lieu, elles contestent le caractère intentionnel de l'infraction relevé par l'Autorité, évoquant le résultat d'une simple négligence et non d'un refus. Elles soulignent que les sanctions encourues ne leur ont été précisées qu'une seule fois par les services d'instruction, et non à plusieurs reprises comme l'indique la décision attaquée, et que ce rappel ne démontre pas le caractère intentionnel de l'infraction. Faisant référence au bon déroulement des OVS dans ses locaux ainsi qu'aux éléments transmis le 22 septembre 2021 à l'Autorité, elles se prévalent d'une volonté de collaborer aux mesures d'instruction dès qu'elles ont été en mesure de le faire. Elles critiquent la brièveté du délai écoulé entre la demande de renseignements et la décision de sanction de l'Autorité, au regard de la pratique décisionnelle de l'Autorité.

131.En troisième lieu, elles réfutent toute mise en péril et tout préjudice causé à l'instruction. Elles considèrent que l'envoi d'informations le 22 septembre 2021, un mois avant la séance de l'Autorité, contredit la décision attaquée, en ce qu'elle indique que la gravité de l'infraction est amplifiée par la circonstance que celle-ci a perduré après l'envoi du rapport d'obstruction.

132.De l'ensemble de ces éléments et de la pratique décisionnelle de l'Autorité, MCG et SNIE déduisent que la gravité de la pratique dénoncée est extrêmement limitée, ce qui doit conduire, selon elles, à la réformation de la sanction et au prononcé d'une amende symbolique, n'excédant pas 5 000 euros.

133.L'Autorité rappelle que les éléments communiqués par MCG le 22 septembre 2021 ne se rattachent pas au questionnaire du 14 décembre 2020 et que lors de la séance du 14 octobre 2021 devant le collège de l'Autorité, MCG n'avait toujours pas fourni la moindre réponse au questionnaire.

134.Elle considère que, malgré les deux courriels envoyés par les services d'instruction à MCG pour lui rappeler les conséquences légales auxquelles elle s'exposait en cas de refus de répondre à leur demande de renseignements, la société a, en toute connaissance de cause, refusé de coopérer avec l'Autorité, afin de faire obstacle à une enquête la concernant.

135.Elle regrette que MCG n'ait répondu à la demande de renseignements litigieuse que le 8 février 2022, postérieurement à la décision attaquée et en vue de se conformer aux injonctions prononcées.

136.Le ministère public, partageant cette analyse, estime, au regard des paragraphes 69 et 71 à 75 de la décision attaquée, que l'Autorité a procédé à une appréciation in concreto de la gravité de l'absence totale de réponse de MCG et considère que les requérantes sont mal fondées à alléguer un simple retard sans gravité, alors qu'elles n'avaient fait parvenir aucune réponse à la date de la séance du 19 octobre 2019.

Sur ce, la Cour :

137.En premier lieu, les principes de proportionnalité et d'individualisation de la sanction conduisent, ainsi que l'a justement rappelé l'Autorité au paragraphe 68 de la décision attaquée, à prendre en considération la gravité du comportement reproché aux sociétés mises en cause à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, des effets de ce comportement sur le déroulement de l'instruction, et plus généralement, de ses conséquences sur l'ordre public économique, que l'Autorité a pour mission de préserver.

138.En l'espèce, l'Autorité a relevé que MCG a refusé « en toute connaissance de cause, de répondre à une demande répétée de renseignements de l'Autorité, et ce dès la première mesure d'instruction nécessitant sa coopération », qu'elle « n'a répondu à aucune des questions posées par les services d'instruction », leur opposant un « refus de réponse délibéré et répété », alors qu'elle se savait visée par une enquête de l'Autorité (paragraphes 71 et 72 de la décision attaquée).

139.En outre, l'Autorité s'est appuyée sur la circonstance que l'obstruction a perduré après l'envoi du rapport d'obstruction pour considérer que la gravité particulière de l'infraction d'obstruction reprochée était amplifiée (paragraphe 73 de la décision attaquée).

140.Elle a également constaté que l'obstruction dénoncée avait compromis l'efficacité de l'action des services d'instruction, en les empêchant d'obtenir les réponses nécessaires à la poursuite des investigations menées à l'encontre des sociétés mises en cause (paragraphe 71 de la décision attaquée).

141.Il ressort des motifs de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutiennent MCG et SNIE, l'Autorité a procédé à une appréciation concrète des faits d'obstruction à la lumière des circonstances particulières de l'espèce et de leurs effets sur l'enquête.

142.En deuxième lieu, au regard de l'analyse du présent arrêt qui précède concluant au refus délibéré de MCG de répondre à la demande de renseignements des services d'instruction en renvoyant aux documents saisis lors des OVS, c'est en vain que MCG et SNIE arguent d'une volonté de collaboration, d'une impossibilité matérielle de répondre à la demande d'informations et d'une simple négligence pour contester le caractère intentionnel de l'omission sanctionnée par l'Autorité.

143.En outre, il ressort des éléments versés au dossier que les services d'instruction ont, à plusieurs reprises, rappelé les conséquences légales auxquelles MCG s'exposait si elle persistait à ne pas répondre à la demande de renseignements.

144.Après avoir fait état, dans son courriel du 27 janvier 2021, de l'obligation pour toute entreprise de répondre aux questions de l'Autorité de la concurrence dans les délais impartis et visé les articles L. 464-2 point V et L. 450-8 du code de commerce (cote 100), les services d'instruction ont, dans un courriel du 15 février 2021, rappelé à la présidente de MCG et à son conseil que « les informations demandées [étaient] nécessaires à l'instruction » et que « la société MCG ne pouvait donc pas refuser de répondre à une telle demande sans sembler vouloir échapper à l'application du droit de la concurrence » (cote 112).

145.Il convient d'ajouter que le 5 mars 2021, les services d'instruction ont adressé un nouveau courriel à cette dernière et à son conseil indiquant de manière encore plus explicite : « Le courriel de seconde relance qui vous a été adressé le 15 février, par lequel nous réitérions une nouvelle fois notre demande d'informations adressée le 14 décembre 2020, est resté sans réponse de votre part. Nous vous avons exposé à deux reprises les risques de sanction que vous encouriez en cas de refus de vous soumettre à votre obligation légale de réponse aux demandes d'information de l'Autorité de la concurrence. Nous ne pouvons qu'en conclure que vous persistez dans votre refus de répondre, en toute connaissance des conséquences auxquelles ce refus vous expose » (cote 117).

146.Il résulte de ces éléments que c'est en toute connaissance de cause que MCG et SNIE se sont abstenues de répondre à la demande de renseignements de l'Autorité.

147.Par ailleurs, le bon déroulement de l'enquête de la DGCCRF et des OVS du 7 novembre 2019 ne saurait être invoqué par MCG pour illustrer une quelconque volonté de coopération de nature à minorer la gravité des pratiques relevées, pour les motifs qui précèdent (voir les paragraphes 77 et suivants du présent arrêt).

148.En outre, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu, pour qualifier la gravité des pratiques en cause, la circonstance qu'à la date de la séance pour obstruction MCG et SNIE n'avaient toujours pas communiqué d'éléments de réponse à la demande de renseignements de l'Autorité, les éléments transmis par MCG en réponse à la demande d'informations du 13 septembre 2021, distincte du questionnaire litigieux, ne constituant pas une réponse partielle à ce dernier, nonobstant l'identité de certaines des questions posées.

149.En troisième lieu, la sanction administrative instaurée par les dispositions du second alinéa du paragraphe V de l'article L. 464-2 du code de commerce vise à assurer l'efficacité des enquêtes conduites par l'Autorité de la concurrence pour garantir le respect des règles de concurrence nécessaires à la sauvegarde de l'ordre public économique (Cons. cons. 26 mars 2021, n° 2021-892 QPC, § 22).

150.Comme l'a justement rappelé la décision attaquée, l'infraction d'obstruction est, en soi, une infraction particulièrement grave, dès lors que, par nature, elle met en péril la finalité de l'instruction des saisines de l'Autorité, et qu'elle peut parfois même y faire échec.

151.En outre, l'absence totale de réponse à une demande d'informations comportant 62 questions, dont le caractère « nécessaire à l'instruction » a été mis en exergue dans le courriel envoyé par les services d'instruction à MCG le 15 février 2021 (cote 112), n'a pu qu'entraver l'action des rapporteures de l'Autorité et mettre en péril leur instruction.

152.Aucun des arguments invoqués par les parties n'est ainsi de nature à remettre en cause les éléments d'appréciation retenus par l'Autorité, que la Cour adopte, pour conclure à une particulière gravité de l'infraction.

153.En conséquence, le moyen sur la gravité des pratiques est rejeté.

B. Sur le respect des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité

154.MCG et SNIE soutiennent que les critères légaux d'individualisation et de proportionnalité prévus par le point I de l'article L. 464-2 du code de commerce, de même que la jurisprudence y afférente, ne sont pas applicables aux sanctions pour obstruction et qu'il convient, par conséquent, de comparer la sanction infligée en l'espèce aux sanctions déjà infligées en la matière. À l'aune de la pratique décisionnelle de l'Autorité, elles estiment que l'Autorité a prononcé à leur encontre l'amende la plus lourde jamais infligée en matière d'obstruction, et ce en violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement. Elles demandent la réformation de la sanction et la fixation d'une sanction d'un montant inférieur à 5 000 euros.

155.L'Autorité considère au contraire qu'au regard du principe d'individualisation de la sanction, les requérantes ne sauraient se prévaloir de sa pratique antérieure pour contester le montant de la sanction prononcée. Elle ajoute qu'en tout état de cause le montant de la sanction retenu dans la décision attaquée s'inscrit bien dans sa pratique décisionnelle et respecte le principe de proportionnalité.

156.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour :

157.S'agissant de la disproportion de la sanction infligée et de l'inégalité de traitement, qui résulteraient de la comparaison opérée entre la sanction infligée aux requérantes et celles prononcées dans d'autres décisions, il y a lieu de rappeler que le principe d'égalité de traitement constitue un principe général du droit de l'Union consacré par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, les arrêts de la CJUE du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, point 95, du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, C-303/05 point 56 ; 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique C-127/07, point 23 ; [O] [P] [I], C-550/07 P, points 54 et 55 ; et du 11 juillet 2013, [H], C-439/11, point 132).

158.Le respect de ce principe s'appréciant dans le cadre d'une même affaire, il est vain, compte tenu des spécificités de chaque espèce, de procéder par voie de comparaison avec des affaires distinctes.

159.Il convient en effet de rappeler que le troisième alinéa de l'article L. 464-2 du code de commerce dispose que « [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. »

160.Ainsi, les sanctions ayant le caractère d'une punition, en ce compris les sanctions des pratiques d'obstruction, doivent répondre au principe de proportionnalité selon les critères qu'il énumère et être déterminées individuellement pour chaque entreprise, en tenant compte des particularités de l'espèce, de sorte que MCG et SNIE ne sont pas fondées à se référer à une pratique décisionnelle antérieure pour revendiquer la disproportion de la sanction qui leur a été infligée au regard des sanctions appliquées dans d'autres affaires d'obstruction.

161.En l'espèce, les pratiques d'obstruction ont persisté jusqu'au 8 février 2022, soit 14 mois après l'envoi de la demande de renseignements et plus d'un mois et demi après la notification faite aux requérantes, le 23 décembre 2021, de la décision attaquée, qui comportait une injonction de communiquer les éléments demandés dans un délai d'un mois à compter de cette notification.

162.C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré qu'au regard du refus délibéré de MCG de répondre au questionnaire des services d'instruction, l'entreprise n'avait pas satisfait à son obligation de collaboration active et loyale à l'investigation la concernant et que ces pratiques devaient être sanctionnées par une amende de 100 000 euros.

163.L'Autorité ayant fait une application appropriée des règles relatives à l'individualisation de la sanction, dans le respect du principe de l'égalité de traitement, le moyen doit être rejeté.

164.Au regard de l'ensemble des développements qui précèdent, et considération prise en particulier de la gravité de l'infraction d'obstruction en cause, la Cour retient que la sanction pécuniaire solidaire de 100 000 euros infligée aux sociétés MCG et SNIE est justifiée et proportionnée.

165.Dès lors, il convient de rejeter les moyens.

166.Il résulte de l'ensemble de ces développements que le recours de MCG et SNIE est rejeté.

V. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS

167.MCG et SNIE succombant en leur recours, elles ne peuvent prétendre à l'octroi d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile. L'équité commande qu'elles conservent la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement,

REJETTE le recours formé par les sociétés Mayotte Channel Gateway et Nel Import Export contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-D-28 du 9 décembre 2021 relative à la mise en oeuvre du V de l'article L. 464-2 du code de commerce concernant l'obstruction par la société MCG à l'investigation des services de l'Autorité ;

REJETTE la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE aux sociétés Mayotte Channel Gateway et Nel Import Export la charge des dépens.