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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 21 décembre 2023, n° 22/10074

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/10074

21 décembre 2023

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 21 DECEMBRE 2023

N° 2023/ 201

Rôle N° RG 22/10074 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJXU7

S.A.S. ESPACE FOOT

C/

LE DIRECTEUR GENERAL DE L'INSTITUT

LE PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Pascal ALIAS

INPI

PG

Décision déférée à la Cour :

Décision de Monsieur le Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle en date du 13 Juin 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 4421279.

DEMANDERESSE

S.A.S. ESPACE FOOT, dont le siège social est sis, représentée par son Président en exercice, Monsieur [U] [C], domicilié audit siège en cette qualité [Adresse 1] - [Localité 4]

représentée par Me Pascal ALIAS de la SELAS SELAS ALIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Frank SAUNIER de la SCP NEMOZ-SAUNIER, ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, plaidant

DEFENDEUR

Monsieur LE DIRECTEUR GENERAL DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE

demeurant [Adresse 3] - [Localité 5]

représenté par Madame [T] [X], en vertu d'un pouvoir général, entendue en ses observations

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL

demeurant [Adresse 6] - [Localité 2]

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023,

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 19 janvier 2018 la société Espace Foot a déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) une demande d'enregistrement n°4421279 portant sur le signe verbal ESPACE FOOT et visant les produits en classes 18, 24, 25, 28 et les services en classes 35 et 41.

Le directeur de l'INPI a notifié au déposant une objection provisoire à enregistrement aux motifs que le signe déposé n'était pas susceptible de distinguer les produits et services mentionnés à la demande d'enregistrement de ceux d'une autre entreprise et qu'il pouvait servir à en désigner une caractéristique.

Après les observations déposées par la société Espace Foot le directeur de l'INPI a rejeté la demande d'enregistrement par décision du 13 juin 2022.

Le 13 juillet 2022 la société Espace Foot a exercé un recours en annulation devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence à l'encontre de cette décision.

* * *

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 24 août 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Espace Foot (SAS) demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L.411-4 alinéas 1 à 3, L.411-5, L.711-2 (ancien), L.711-2 (nouveau), R.411-19 alinéa 1, R.411-19-1, R.411-21 et R.411-42 du code de la propriété intellectuelle,

Vu celles de l'article L.330-3 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu, enfin, l'ensemble des pièces versées aux débats,

- Déclarer la société Espace Foot recevable et bien-fondée à exercer un recours en annulation à l'encontre de la décision du directeur de l'INPI du 13 juin 2022 portant rejet de la demande d'enregistrement de la marque verbale française ESPACE FOOT déposée le 19 janvier 2018 sous le n° 4421279 dans les classes de produits 18, 24, 25 et 28 et de services 35 et 41,

- Juger que les pièces 2, 3, 3 bis, 5, 10, 25, 26, 37, 38, 41 et 42 ne doivent pas être écartées des débats et ne sont pas irrecevables, et que la demande de rejet de la pièce numérotée 46 est sans objet car cette pièce n'a jamais été versée aux débats,

- Déclarer nulle cette décision du directeur de l'INPI du 13 juin 2022 en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

- Juger que la demande d'enregistrement de la marque verbale française ESPACE FOOT est évocatrice et donc distinctive en ce qu'elle constitue un syntagme suffisamment distinctif pour pouvoir être enregistrée pour l'ensemble des produits et services visés,

- Surabondamment, juger que la demande d'enregistrement de la marque verbale française ESPACE FOOT est un signe évocateur ayant acquis en outre un caractère distinctif renforcé en raison de son usage continu, intense et de longue durée, pour pouvoir être enregistrée pour l'ensemble des produits et services visés,

- Ordonner en conséquence l'enregistrement de la marque semi-figurative française ESPACE FOOT déposée le 19 janvier 2018 sous le n° 4421279 dans les classes de produits 18, 24, 25 et 28 et de services 35 et 41,

- Ordonner la notification de l'arrêt à intervenir aux parties à l'instance et au directeur général de l'INPI.

La société Espace Foot expose à titre liminaire qu'elle a été immatriculée en 1999 et anime depuis 23 ans un réseau commercial en qualité de franchiseur autour d'une offre d'articles de sport dans le domaine exclusif du football, et que pour ce faire, elle a déposé plusieurs marques.

S'agissant de la procédure en annulation, elle conteste l'irrecevabilité de certaines pièces invoquée par le directeur de l'INPI en faisant valoir que ces pièces ne sont pas nouvelles ou que leur teneur figurait déjà dans le cadre des précédents débats devant le directeur de l'INPI, et ajoute que la pièce 46 n'a pas été versée aux débats.

Sur le fond, la société Espace Foot souligne le caractère suffisamment distinctif du signe évocateur ESPACE FOOT et surabondamment, fait valoir que l'acquisition du caractère distinctif du signe évocateur est renforcé par son usage.

* * *

Par observations du 22 mars 2023 le directeur de l'INPI expose que la décision a retenu à bon droit que les pièces produites devant l'INPI n'étaient pas de nature à surmonter le défaut de caractère distinctif intrinsèque de la demande litigieuse.

Le directeur de l'INPI soulève à titre liminaire l'irrecevabilité de certaines pièces au motif de l'absence d'effet dévolutif du recours en annulation.

Il rappelle également, sur le fond, que l'exigence de distinctivité obéit à un double impératif, celui de préserver la liberté de concurrence et celui d'identifier l'origine commerciale des produits ou services, et fait valoir qu'en l'espèce, le signe ne présente pas de caractère distinctif intrinsèque mais sera perçu comme un lieu, physique ou virtuel proposant des produits et services se rapportant au football.

Le directeur de l'INPI ajoute que la société Espace Foot ne démontre pas en outre l'acquisition du caractère distinctif par l'usage, ni à titre d'enseigne, de dénomination sociale et de nom de domaine, ni par l'usage de deux précédentes marques.

* * *

Par avis en date du 14 septembre 2023 le ministère public sollicite la confirmation de la décision déférée.

MOTIFS

Sur la recevabilité des pièces :

Le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle demande à ce que les pièces numérotées 2, 3, 3bis, 5, 10, 25, 26, 37, 38, 42 et 46 produites par la société Espace Foot soient déclarées irrecevables comme étant nouvelles en appel.

La société Espace Foot réplique qu'il n'y a pas lieu d'écarter ces pièces dès lors que, soit elles ne sont pas nouvelles, soit leur teneur figurait déjà dans les débats lors de la phase d'instruction de la demande d'enregistrement de marque.

S'agissant de la pièce 46 la société Espace Foot soutient que la demande est sans objet dans la mesure où elle n'a jamais communiqué de pièce sous ce numéro.

A cet égard, il a été jugé que les recours exercés à l'encontre des décisions du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle statuant sur la délivrance, le rejet ou le maintien d'un titre de propriété industrielle sont des recours en annulation.

Il en résulte que s'agissant d'un recours en annulation, et non d'un recours en réformation, seuls peuvent être examinés les moyens et pièces soumis au directeur de l'Institut national de la propriété industrielle antérieurement au prononcé de sa décision.

Ainsi, à l'examen du bordereau de pièces communiquées à l'Institut national de la propriété industrielle le 6 juillet 2018 (pièce 46 du requérant) sont déclarées irrecevables les pièces suivantes visées au bordereau de communication joint aux conclusions de la société Espace Foot, dès lors qu'elles incluent des mises à jour constitutives d'éléments nouveaux qui n'étaient pas aux débats lors de la décision rendue par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle :

- numéro 2 : mise à jour de la pièce 3 produite devant l'Institut national de la propriété industrielle (devenue 2bis),

- numéros 3 et 3bis : mise à jour du site internet espacefoot.fr dont il est fait état dans le procès-verbal de constat du 16 octobre 2017 joint aux observations devant l'Institut national de la propriété industrielle aux pièces 5 et 12,

- numéro 10 : inclut des adresses et photographies complémentaires à la pièce anciennement produite sous le numéro 13,

- numéros 25 et 26 : pièces nouvelles ,

- pièces 37 et 38 : pièces nouvelles ; si le moyen tiré de la notoriété de la société Espace Foot a été soulevé devant l'Institut national de la propriété industrielle, en revanche, ces pièces n'avaient pas été produites,

- pièce 42 : pièce nouvelle

En revanche, sont déclarées recevables les pièces suivantes :

- numéro 5 : cette pièce correspondant au « Manuel opératoire du réseau de franchise ESPACE FOOT » produit devant l'Institut national de la propriété industrielle en pièce 11.

La demande tendant à écarter la pièce 46 est sans objet au regard du bordereau incluant seulement des pièces numérotées de 1 à 43 inclus.

En tout état de cause, seules sont donc recevables les pièces 1 à 18 visées au bordereau transmis par la société Espace Foot à l'Institut national de la propriété industrielle le 6 juillet 2018 telles qu'elles ressortent de la pièce 46 produite aux débats devant la cour.

Sur l'enregistrement de la marque verbale Espace Foot :

En application de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 applicable à la date du dépôt, « le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.

Sont ainsi dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage. »

Aux termes de l'article L.714-3 (ancien) du code de la propriété intellectuelle est déclaré nul l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L.711-1 à L.711-4.

Le caractère distinctif d'une marque, au sens de l'article L.711-2 susvisé, signifie que cette marque est apte à identifier le produit pour lequel est demandé l'enregistrement comme provenant d'une entreprise déterminée.

Ainsi, le signe doit présenter un caractère intrinsèquement distinctif permettant de déterminer l'origine commerciale des produits et de les distinguer d'une autre marque.

A cet égard, il a été jugé que le caractère distinctif d'un signe s'apprécie à la date de son dépôt et qu'il s'apprécie en outre par rapport à chacun des produits ou services visés par l'enregistrement, ainsi que par rapport à la perception qu'en a le public auquel la marque est destinée.

En l'espèce, il ressort de la demande d'enregistrement effectuée le 19 janvier 2018 par la société Espace Foot, et à laquelle il convient de renvoyer expressément s'agissant de la liste des produits et services visés, que cet enregistrement concerne divers produits et services, suivis de cette mention : tous les produits (ou services) précités étant destinés à être utilisés par les adeptes du football dans le cadre de la pratique ou de l'intérêt porté au football.

La société Espace Foot anime ainsi un réseau de franchisés créé en février 2000 comprenant plusieurs magasins à l'enseigne Espace Foot.

Si la juxtaposition de deux termes, dont l'usage est banal pris isolément, peut conduire à créer un effet inhabituel de nature à conférer à ce syntagme un caractère distinctif propre, de nature à justifier son enregistrement à titre de marque, il apparaît qu'en l'espèce, la juxtaposition des termes « Espace » et « Foot » ne peut être considérée comme une « invention lexicale », et ce, d'autant que s'agissant d'une marque verbale, aucun élément figuratif ne permet de lui conférer un caractère distinctif.

A contrario, le signe verbal Espace Foot peut être perçu comme un lieu physique ou un site virtuel proposant des articles en lien avec le football ou la pratique de ce sport.

Il a ainsi vocation à être décliné tant par les espaces publics sportifs, les manifestations sportives que par d'autres enseignes multisports, notamment dans le cadre de l'agencement matériel ou virtuel des différents espaces consacrés aux disciplines sportives, dans son usage banal d'espace dédié au football.

Dès lors, le signe verbal Espace Foot, en ce qu'il désigne, dans le langage courant et au regard des nécessités de contraction et de simplification des messages visuels, un lieu, physique ou virtuel, dédié soit à la pratique du football, soit à l'achat d'articles en lien avec cette pratique sportive, peut être considéré comme une expression descriptive des produits et services mentionnés à l'enregistrement et n'est pas suffisamment distinctif au sens de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle ci-dessus rappelé.

La société Espace Foot invoque en outre une acquisition de son caractère distinctif par l'usage.

A cet égard, l'usage exigé ne se limite pas à l'utilisation du terme litigieux mais vise l'utilisation du signe en tant que marque. Il a ainsi été jugé qu'un signe, qui remplit d'autres fonctions que celle de marque, est distinctif s'il peut être perçu comme une indication de l'origine commerciale des produits ou des services, afin de permettre au public concerné de distinguer sans confusion possible les produits ou services provenant d'une entreprise déterminée de ceux qui ont une autre provenance commerciale (Cass. Com., 8 juin 2017 n°15-22.792).

En l'espèce, s'il n'est pas contesté que la société Espace Foot a enregistré une première marque verbale déposée le 14 mai 1999, puis expirée depuis l'année 2009 faute de renouvellement, qu'elle utilise également le terme Espace Foot à titre de dénomination sociale et a réservé un nom de domaine espacefoot.fr le 3 mars 2006, elle ne prouve par aucune pièce que l'expression Espace Foot est appréhendée comme une marque et non comme un espace dédié au football par les consommateurs et utilisateurs de ce type de services et produits, considérés comme le public pertinent en l'espèce.

Au demeurant, les enseignes utilisées par les franchisés, qu'il s'agisse de la première marque semi-figurative enregistrée, à savoir des caractères blancs sur fond rouge assortis d'un ballon de football, que du signe utilisé postérieurement, à savoir des caractères dorés sur fond noir, ne sont en rien similaires avec le signe verbal en cause.

Ainsi, il n'est pas établi qu'à la date du dépôt la société Espace Foot ait utilisé de façon continue et intense, et sur une longue durée le signe verbal Espace Foot à titre de marque et qu'il ait été perçu comme tel par le public concerné.

En conséquence, il y a lieu de juger bien-fondée la décision rendue le 13 juin 2022 par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle statuant sur la demande d'enregistrement n°4421279 déposée par la société Espace Foot portant sur le signe verbal ESPACE FOOT et visant les produits en classes 18, 24, 25, 28 et les services en classes 35 et 41.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DIT irrecevables et écarte des débats les pièces numérotées 2, 3, 3bis, 10, 25, 26, 37, 38, 42 communiquées par la société ESPACE FOOT en cause d'appel ;

DIT recevable la pièce numéro 5 ;

DIT sans objet la demande tendant à écarter la pièce numérotée 46 ;

Sur le fond,

DIT bien-fondée la décision rendue le 13 juin 2022 par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle statuant sur la demande d'enregistrement n°4421279 déposée par la société Espace Foot portant sur le signe verbal ESPACE FOOT et visant les produits en classes 18, 24, 25, 28 et les services en classes 35 et 41,

REJETTE en conséquence le recours formé par la société ESPACE FOOT à l'encontre de la décision.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,