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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 21 décembre 2023, n° 22/03846

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/03846

21 décembre 2023

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT

DU 21 DECEMBRE 2023

N° 2023/ 198

Rôle N° RG 22/03846 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJBON

Syndicat SYNDICAT DE DEFENSE DES VINS DU SARTENAIS A APPELL ATION CONTROLEE

C/

LE DIRECTEUR DE L'INSTITUT

PROCUREUR GENERAL 2

S.C.A. LA CAVE D'[Localité 2] (ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE SCA UNION DE VIGNERONS DE L'ILE DE BEAUTE)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me TAYER

Me Romain CHERFILS

INPI

PG

Décision déférée à la Cour :

Décision de Monsieur le Directeur Général de l'Institut [4] en date du 16 Février 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° NL 21-0024.

DEMANDERESSE

SYNDICAT DE DÉFENSE DES VINS DU SARTENAIS À APPELLATION CONTRÔLÉE, dont le siège social est [Adresse 6]

représentée par Me David-irving TAYER, avocat au barreau de GRASSE et assisté de Me Sophie HERRBURGER de la SAS CABINET HERRBURGER, avocat au barreau de PARIS, plaidant

DEFENDEURS

Monsieur LE DIRECTEUR GENERAL DE L'INSTITUT [4]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Maame [S] [W], en vertu d'un pouvoir général, entendue en ses observations

S.C.A. LA CAVE D'[Localité 2] (ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE SCA UNION DE VIGNERONS DE L'ILE DE BEAUTE), dont le siège social est [Adresse 7]

représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Gwendal BARBAUT, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Madame la PROCUREURE GENERALE, demeurant [Adresse 3]

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Valérie GERARD, première présidente de chambre a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023,

Signé par Madame Valérie GERARD, première présidente de chambre et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Union des vignerons de l'Île de Beauté a déposé le 1er octobre 2014 la marque «[V]» n°14/122236 en classe 33 boissons alcooliques (autres que les bières), vins, vins de Corse, vins de pays de l'Île de Beauté. L'enregistrement de la marque a été publié au BOPI n°2015-07 du 13 février 2015.

Le 11 février 2021, le syndicat de défense des vins du sartenais à appellations contrôlées a présenté une demande en nullité de cette marque pour tous les produits pour lesquels la marque a été enregistrée en invoquant trois motifs absolus :

- le signe est dépourvu de signe distinctif,

- le signe est de nature à tromper le public,

- le signe est exclu de l'enregistrement en application des législations prévoyant la protection des appellations d'origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties.

Le 6 mai 2021, la SCA Union des vignerons de l'Île de Beauté a procédé à une renonciation partielle de la marque en limitant les produits désignés aux «vins d'appellation d'origine protégée (AOP) vins de Corse [N]».

Par décision NL 21-0024/NG du 16 février 2022, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) a rejeté la demande de nullité sur le fondement du défaut de caractère distinctif, du caractère déceptif du signe et sur le fondement de l'utilisation légalement interdite en application des législations prévoyant la protection des appellations d'origines et des indications géographiques.

Le 15 mars 2022, le syndicat de défense des vins du sartenais à appellation contrôlée a formé un recours en réformation contre cette décision.

* * *

Par conclusions notifiées et déposées le 2 octobre 2023, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, le syndicat de défense des vins du sartenais à appellation contrôlée demande à la cour de :

Vu les articles L411-4, L411-5 et R411-19 à R411-43 du code de la propriété intellectuelle et les articles 122 à 126 du code de procédure civile

- dire et juger que le syndicat de défense des vins du sartenais à appellation contrôlée et recevable et bien fondé en son recours,

- annuler totalement la décision de l'Institut du 16 février 2022 dans la procédure [5]-0024,

- prononcer l'annulation de la marque française [V] n°14/4122236, pour l'ensemble des produits suivants : «Vins d'appellation d'origine protégée (AOP) «vin de Corse [N]»

- subsidiairement, reconnaître le caractère déceptif de la marque [V] n°14/4122236 pour les produits suivants : «Vins d'appellation d'origine protégée (AOP) «vin de Corse [N]» et l'atteinte portée à l'Appellation d'Origine Protégée [N].

Elle fait valoir que la marque [V] n°14/4122236 est dépourvue de caractère distinctif, qu'elle ne peut être considérée comme arbitraire permettant au consommateur d'avoir connaissance du fait qu'il est face à une marque, que l'aire de Tizzano est connue depuis des décennies pour les vignobles qu'elle abrite et que le lien entre le signe et les vins ne peut être contesté.

À titre subsidiaire, elle soutient que le signe est déceptif et porte atteinte à l'appellation d'origine protégée [N] puisque le déposant produit des vins exclusivement issus de site situés en Haute Corse, que la cave d'[Localité 2] ne bénéficie nullement de la certification appellation d'origine protégée [N] comme le laisse supposer la marque [V] alors que le consommateur percevra immédiatement la marque [V] comme faisant référence au site du même nom situé en Corse du sud. Elle soutient enfin qu'il existe une atteinte aux droits de l'appellation d'origine protégée [N] en ce que les produits visés par le cahier des charges de l'AOP et la marque [V] sont identiques.

* * *

Par mémoire en défense notifié et déposé le 10 mars 2023, auquel il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SCA Cave d'[Localité 2] (anciennement dénommée SCA Union de Vignerons de l'Île de beauté) demande à la cour de :

- dire et juger mal fondé le recours en annulation formé par le syndicat de défense des vins du sartenais à appellation d'origine contrôlée,

En conséquence :

- rejeter les demandes, fins et conclusions du syndicat de défense des vins du sartenais à appellation d'origine contrôlée,

- confirmer la décision du directeur général de l'INPI en date du 16 février 2022,

- condamner le syndicat de défense des vins du sartenais à appellation d'origine contrôlée à verser à la Cave d'[Localité 2] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le syndicat de défense des vins du sartenais à appellation d'origine contrôlée aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Romain Cherfils ' Lexavoue Aix-en-Provence, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La Cave d'[Localité 2], qui rappelle que l'appréciation du caractère descriptif de la marque doit s'apprécier au jour de son dépôt, fait observer que le village de [V] ne jouit d'aucune renommée dans le domaine viticole au regard du public pertinent lequel n'identifie pas plus [V] en tant que nom géographique et qu'il ne peut être tiré aucun argument de la limitation du libellé de la marque.

Sur la déceptivité, qui s'apprécie également au jour du dépôt de la marque, la Cave d'[Localité 2] fait également observer que le village de [V] n'ayant aucune réputation ou renommée dans le domaine viticole et le public pertinent ne connaissant pas [V] comme lieu géographique, de sorte que le public pertinent ne pouvait croire, au jour du dépôt de la marque que les produits visés dans le libelle provenaient du village de [V].

Elle conteste enfin toute violation prétendue du cahier des charges de l'AOP et toute atteinte à l'appellation d'origine protégée.

* * *

Le Directeur général de l'INPI a, par observations déposées pour l'audience du 12 décembre 2022 rappelé que la validité du signe contesté doit être apprécié au regard des dispositions de la loi n°92-597 du 1er juillet 1992 soit les anciens articles L. 711-1 à L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle. Il fait observer, qu'au vu des pièces produites la dénomination «[V]» ne décrit aucune caractéristique objective des vins visés dans le libellé et qu'il n'est démontré aucun lien direct entre la marque et le produit. Il ajoute que le requérant n'établit pas en quoi la marque, appliquée aux produits pour lesquels elle est enregistrée, serait de nature à tromper le public notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou service, dès lors que le libellé est en accord avec le terme géographique [V] et que l'atteinte alléguée à une AOP n'est pas démontrée, les textes visés par le requérant étant inapplicables.

Par observations complémentaires du 2 octobre 2023, le directeur général de l'INPI, rappelle que le public pertinent est pour le type de produits considérés, l'ensemble des consommateurs français, dont la grande majorité ne vit pas en Corse ou n'en n'est pas originaire. Sur l'appréciation du lien entre le terme TTIZZANO et l'origine des produits pour le public pertinent, il se réfère à l'arrêt de la CJUE du 4 juin 1999 Chiemsee pour en déduire que pour établir le caractère descriptif d'un nom géographique, il faut que ce nom soit connu dans les milieux intéressés en tant que désignation d'un lieu et qu'il présente aux yeux des milieux intéressés un lien avec la catégorie de produits ou de services concernés, ce que n'établissent pas les documents produits initialement. S'agissant des nouvelles pièces produites par le requérant, il s'en remet à l'appréciation de la cour sur la question de savoir si ces nouvelles pièces permettent d'établir qu'au jour du dépôt de la marque contestée, «[V]» était connu dans les milieux intéressés en tant que désignation d'un lieu et s'il désignait un lieu qui pressentait, aux yeux des milieux intéressés un lien avec les vins ou s'il était raisonnable d'envisager que dans l'avenir un tel lien pourrait être établi.

Par avis notifié et déposé le 26 septembre 2023, la procureure générale près la cour d'appel d'Aix-en-Provence sollicite la confirmation de la décision déférée se référant à l'avis du directeur général de l'INPI.

MOTIFS

Selon l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur au jour du dépôt de la marque contestée, la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale. Peuvent notamment constituer un tel signe, les noms géographiques.

En application de l'article L. 711-2 b) du même code, sont dépourvus de caractère distinctif, les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service.

Enfin, en application de l'article. 711-3 du code de la propriété intellectuelle ; ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

La CJUE dans son arrêt du 4 mai 1999 C-108/97 et C-109/97, statuant sur une question préjudicielle relative à l'article 3 paragraphe 1 sous c de la directive 89/104/CEE transposée en droit français par l'article L. 711-2 b, a dit pour droit que ce texte ne se limite pas à interdire l'enregistrement des noms géographiques en tant que marque dans les seuls cas où ceux-ci désignent des lieux qui présentent actuellement, aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits concernée, mais s'applique également aux noms géographiques susceptibles d'être utilisés dans l'avenir par les entreprises intéressées en tant qu'indication de provenance géographique de la catégorie de produits en cause, que dans les cas où le nom géographique ne présente pas actuellement aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits concernée, l'autorité compétente doit apprécier s'il est raisonnable d'envisager qu'un tel nom puisse, aux yeux des milieux intéressés, désigner la provenance géographique de cette catégorie de produits, qu'il convient plus particulièrement de prendre en compte la connaissance plus ou moins grande que les milieux intéressés ont du nom géographique en cause ainsi que les caractéristiques du lieu désigné par celui-ci et de la catégorie de produits concernés et enfin, que le lien entre le produit concerné et le lieu géographique ne dépend pas nécessairement de la fabrication du produit dans ce lieu.

[V], déposé en tant que signe par la cave d'[Localité 2], est le nom d'un village situé en Corse du sud, dans la zone géographique de l'appellation d'origine protégée Vins de Corse [N].

S'agissant d'un signe pour les produits «vins d'appellation d'origine protégée (AOP) ' Vin de Corse [N], le public pertinent à prendre en compte est l'ensemble des, consommateurs français d'attention moyenne, comme l'a exactement déterminé le directeur général de l'INPI, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par l'appelant qui doit donc démontrer que ce public perçoit immédiatement dans le signe, une description des produits ou de leurs caractéristiques.

Or, en premier lieu, il n'est même pas démontré par l'appelant que le public concerné reconnaisse en [V] le nom d'un village corse situé de surcroit dans la zone d'appellation d'origine protégée Vins de Corse [N].

En second lieu, les pièces produites par l'appelant à l'appui de son recours ne permettent en aucun cas de faire un tel lien entre [V] et une production viticole. En effet, sa pièces n°5 montre que sur internet [V], est décrit comme un ancien village de pêcheurs désormais doté d'un port de plaisance et vanté pour ses plages et ses criques, sans aucune référence à un vignoble sur ce territoire, lequel, pour le public concerné, n'est pas plus associé au nom de [N], situé bien plus au nord dans les terres.

Les pièces montrant la réputation des vins de [N] sont sans pertinence dès lors qu'il n'est démontré l'existence d'aucun lien fait immédiatement par le public concerné entre [V] et [N].

En revanche et en troisième lieu, s'agissant de déterminer si, au jour du dépôt, il était raisonnable de penser que la vallée de [V] était susceptible de devenir connue pour son vin, il convient d'examiner les pièces 12 à 20, non soumises à l'INPI.

Les pièces 12 à 16, 18 et 19 montrent l'existence d'exploitations viticoles «domaine de Tizzano», «Domaine Mondoloni» et «Domaine Sant Armettu» situées dans la vallée de Tizzano et faisant état d'une exploitation viticole continue de plusieurs décennies avant le dépôt de la marque contestée.

La pièce 20 est la capture d'écran d'une recherche sur le moteur «Google» intitulée «vins de la vallée de Tizzano» montrant l'existence d'autres domaines viticoles dans cette vallée et enfin, la pièce 17 est la reproduction d'un livre intitulé «[Localité 8], vins et vignerons», écrit par [O] [P], publié en 1991, dans lequel il est vanté la région viticole de Tizzano et ses très beaux vignobles, rappelant l'ancienneté de l'exploitation viticole de cette région remontant au 18ème siècle.

Ainsi, au regard de l'histoire du lieu, très lié à la viticulture, pratiquée sur de grands espaces, aujourd'hui conservée de manière active par les exploitations viticole exerçant sur le territoire de la commune de Tizzano, déjà existantes au jour du dépôt de la marque contestée, et de la recherche par le public concerné de terroirs nouveaux, avec des cépages spécifiques comme ceux mis en œuvre sur ce territoire, il est raisonnable d'envisager que dans l'avenir un tel lien pourra être établi.

La demande de nullité de la marque [V] est accueillie et la décision du directeur général de l'INPI NL21-0024 du 16 février 2022 est réformée en ce sens.

Il n'y a pas lieu dès lors d'examiner le caractère trompeur de la marque ni les atteintes qui auraient été portées à l'AOP.

La SCA Cave d'[Localité 2], qui succombe est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

REFORME en toutes ses dispositions la décision NL 21-0024 du directeur de l'INPI du 16 février 2022 ;

Statuant à nouveau,

ANNULE la marque française [V] n°14/4122236 pour les produits Vins d'appellation d'origine protégée AOP vis de Corse [N], classe 33 ;

CONDAMNE la SCA CAVE D'[Localité 2] aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,