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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 22 décembre 2023, n° 21/02738

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/02738

22 décembre 2023

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 22 DECEMBRE 2023

N° 2023/372

Rôle N° RG 21/02738 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG7YW

[K] [B]

C/

Société SOLEAM

Copie exécutoire délivrée

le :

22 DECEMBRE 2023

à :

Me Odile LENZIANI de la SCP LENZIANI & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Laurent DESCHAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 04 Février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/02389.

APPELANT

Monsieur [K] [B], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Odile LENZIANI de la SCP LENZIANI & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Société SOLEAM, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Laurent DESCHAUD, avocat au barreau de MARSEILLE - Me Michèle DUVAL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Novembre 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Mme Véronique SOULIER, Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Décembre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Décembre 2023,

Signé par Mme Véronique SOULIER, Présidente et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M. [K] [B] a été engagé par la société [Localité 6] AMENAGEMENT, aux droits de laquelle se trouve la société SOLEAM, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 20 septembre 2010, en qualité de responsable de programmes, statut cadre, échelle C IV de la convention collective promotion-construction, complétée par l'accord d'entreprise du 25 juin 2001.

A compter du 1er octobre 2014, M. [B] a été affecté au département renouvellement urbain.

M. [B] a été sanctionné par un avertissement le 21 janvier 2015 et il a été en arrêt de travail du 22 janvier 2015 au 27 février 2015.

Le 2 mars 2015, M. [B] a été déclaré apte par le médecin du travail à la reprise de son poste de responsable de programmes et il a été affecté au sein la direction de l'aménagement et de la construction.

Le 10 mars 2015, M. [B] a été élu délégué du personnel suppléant.

Monsieur [B] a été sanctionné par une mise à pied disciplinaire par courrier du 26 mars 2015.

Par courrier du 18 août 2015, M. [B] a sollicité de son employeur une rupture conventionnelle de son contrat de travail qui n'a pas aboutie.

Le 11 avril 2018, M. [B] a procédé à une alerte par inscription sur le recueil des alertes issu de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II, et du décret du 19 avril 2017.

Par lettre du 12 avril 2018, l'employeur a informé M. [B], qu'à compter du 2 mai 2018, il rejoindrait le pôle infrastructures, qu'il serait placé sous la responsabilité de M. [P] et qu'il occuperait le bureau 506 au 5ème étage.

Par lettre du 29 mai 2018, M. [B] a pris acte de la rupture du contrat de travail en ces termes :

'Je suis au regret par la présente de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts, en raison des comportements que vous adoptez à mon encontre.

Depuis un certain temps déjà vous avez mis en œuvre différents procédés pour me contraindre à quitter l'entreprise et je dois vous avouer qu'aujourd'hui la situation me conduit à aller malheureusement dans votre sens.

Mon état de santé s'en est trouvé fortement dégradé.

J'ai procédé en toute bonne foi à une alerte en date du 16 février 2018 consignée de plus le 11 avril 2018 sur le registre dédié.

Vous avez à nouveau exercé sur moi des pressions peu acceptables.

A titre d' exemple, vous m'imposez la réalisation d'un travail qui n'est pas le mien et n'entre pas dans mes attributions et qui est en lien direct avec l'alerte que j'ai lancée.

Puis vous avez mis en place et m'avez affecté dans un nouveau service dont le responsable n'est autre qu'un responsable de programme comme moi et de plus sans informer ou consulter les instances représentatives du personnel.

Vous m'avez imposé de changer de bureau et vous avez déplacé mon ordinateur pendant mes congés.

Vous avez adopté une attitude cruelle lors du décès de mon neveu de 25 ans.

Il est bien évident que ces exemples ne sont pas exhaustifs.

J'ai contracté une maladie, contagieuse, ce que vous savez parfaitement.

Devant votre insistance je suis de nouveau allé voir mon médecin qui a établi un certificat que je joins.

Vous refusez toute possibilité de médiation et par conséquent toute possibilité de trouver une issue amiable aux problèmes auxquels je me heurte.

Cette décision que je prends à regret emportera j'en suis convaincu votre pleine satisfaction et vous serez soulagé notamment des multiples questions et actions que j'initie même si je ne suis que Délégué du Personnel suppléant.

J'ai transmis lundi à mon nouveau chef l'état d'avancement de chacune des opérations dont j'ai la charge et l'ensemble des éléments relatifs à mon travail est archivé dans le serveur.

Même si mon contrat s'arrête immédiatement avec la capacité de faire valoir tous mes droits, vous pouvez compter sur ma conscience professionnelle et me contacter le cas échéant.

Je me tiens par ailleurs à votre disposition pour un rendez-vous de remise de téléphone professionnel, carte véhicule et autres avec, de votre part, la transmission d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi, du paiement des congés payés, du prorata 13ème mois, le reçu pour solde de tous comptes, et autres'.

C'est dans ces conditions que M. [B] a saisi, le 24 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de voir juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul du fait de son statut de salarié protégé et de voir condamner l'employeur à payer des indemnités de rupture, une indemnité pour violation du statut protecteur et des dommages-intérêts au titre d'un préjudice moral, notamment.

Par jugement du 4 février 2021, le conseil de prud'hommes a dit que la prise d'acte de M. [B] doit s'analyser comme une démission, a débouté le demandeur de ses demandes, a condamné le demandeur à payer la somme de 11.076,93 euros au titre du préavis non exécuté, a condamné le demandeur à payer 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné le demandeur aux entiers dépens.

M. [B] a interjeté appel de ce jugement.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 2 août 2023, il demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille le 4 février 2021 en ce qu'il a dit que «la prise d'acte de M. [B] doit s'analyser en une démission» et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en paiement des sommes suivantes:

* 53.376,70 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur.

* 24.635,34 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* 12.317,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

* 1.231,76 euros à titre d'incidence congés payés.

* 7.869,61 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

* 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

* 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné M. [B] au paiement de dommages-intérêts d'un montant de 11.076,93 euros au titre du préavis non exécuté.

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné M. [B] au paiement de la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Et, statuant à nouveau, de :

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement nul et illicite, M. [B] étant salarié protégé.

- juger que M. [B] a subi un préjudice moral.

Par conséquent, de :

- condamner la société SOLEAM à verser à M. [B] les sommes suivantes :

* 53.376,70 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur.

* 24.635,34 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite.

* 12.317,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

* 1.231,76 euros à titre d'incidence congés payés.

* 7.869,61 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

* 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

* 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel et de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.

- juger que le montant des condamnations portera intérêts de droit à compter du jour de l'introduction de la demande en justice avec capitalisation.

- condamner la société SOLEAM aux dépens.

A titre Subsidiaire:

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par conséquent,

- condamner la société SOLEAM à verser à M. [B] les sommes suivantes :

* 24.635,34 euros à titre de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* 12.317,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

* 1.231,76 euros à titre d'incidence congés payés.

* 7.869,61 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

* 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

* 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel et de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.

- juger que le montant des condamnations portera intérêts de droit à compter du jour de l'introduction de la demande en justice avec capitalisation.

- condamner la société SOLEAM aux dépens.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2021, la société SOLEAM demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 4 février 2021 par le conseil de prud'hommes de Marseille en ce qu'il a :

'Dit que la prise d'acte de M. [B] doit s'analyser comme une démission.

Débouté le demandeur de ses demandes.

Condamné le demandeur à payer la somme de 11.076,93 euros au titre du préavis non exécuté.

Condamné le demandeur aux entiers dépens.'.

- infirmer ledit jugement quant au quantum et en ce qu'il a : 'Condamné le demandeur à payer 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile'.

En conséquence.

- dire M. [B] infondé en son action.

- constater que la prise d'acte de M. [B] doit s'analyser en une démission.

- constater l'absence de manquements graves de la part de la société SOLEAM rendant impossible la poursuite du contrat de travail de M. [B].

- débouter M. [B] de sa demande de requalification de sa prise d'acte en licenciement nul et illicite.

- débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre reconventionnel :

- condamner M. [B] à payer à la société SOLEAM des dommages -intérêts à hauteur de 11.076,93 euros nets, et correspondant au préavis conventionnel de trois mois non exécuté.

- condamner M. [B] à payer à la société SOLEAM la somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

- le condamner aux entiers dépens.

- et statuant à nouveau sur le quantum octroyé au titre de l'article 700 du code de procédure civile : condamner M. [B] à payer à la société SOLEAM la somme de 3.000 euros titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance.

A titre infiniment subsidiaire :

- minorer le montant des dommages-intérêts alloués pour licenciement nul, ainsi que le montant des autres indemnités sollicitées au titre de la violation du statut protecteur.

- ramener sa demande indemnitaire à de plus justes proportions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 octobre 2023 à 8heures dont la copie en a été portée à la connaissance des parties par le RPVA à 10h34.

La société SOLEAM a notifié des conclusions d'intimée n°2 par voie électronique le 27 octobre 2023, à 19h42.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 2 novembre 2023, M.[B] demande à la cour de déclarer irrecevables les conclusions d'intimée n°2 de la société SOLEAM ainsi que la pièce n°85, communiquées postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Suivant conclusions n°3 signifiée le 10 novembre 2023, la société SOLEAM demande à la cour de:

- à titre principal, recevoir les conclusions n°2 ainsi que la nouvelle pièce n° 85 de l'intimée communiquées le 27 octobre 2023 et par conséquent, rejeter la demande d'irrecevabilité sollicitées par l'appelant.

- à titre subsidiaire : prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 27 octobre 2023 à 10h34 sur le fondement des articles 15, 16 et 803 du code de procédure civile, et par conséquent la réouverture des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'irrecevabilité des conclusions d'intimée signifiées le 27 octobre 2023

Alors que M. [B] demande de déclarer irrecevables les conclusions d'intimée du 27 octobre 2023comme ayant été notifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture, la société SOLEAM fait valoir que :

- le message RPVA du 10 mars 2023 de la cour avec avis de clôture et de fixation des plaidoiries au 13 novembre 2023 à 9 heures, indiquait que l'ordonnance de clôture interviendrait le 27 octobre 2023 mais ne mentionnait aucune heure pour la clôture et le message RPVA adressé aux parties le 27 octobre 2023, jour de la clôture, indique qu'il s'agit d'une copie « officieuse » de la décision et délivrée à titre de « simple information ».

- alors que l'appelant avait communiqué ses premières conclusions le 24 février 2021 et l'intimée avait répliqué et communiqué ses pièces le 20 mai 2021, l'appelant avait estimé ne pas devoir y répliquer puisqu'il a demandé la fixation pour plaidoiries par requête du 13 octobre 2022. Or, l'appelant a conclu à nouveau au fond et a communiqué de nouvelles conclusions et pièces complémentaires, le 2 août 2023, soit deux ans et trois mois après avoir reçu les conclusions de l'intimée et dix mois après sa demande de fixation de l'affaire.

- alors que les conclusions de l'appelant du 2 août 2023 ne comportaient aucune marge permettant de faire apparaître les modifications apportées, l'intimée devait y répliquer sans qu'aucune date pour les répliques de la part de l'intimée n'ait été était fixée par la cour et l'ordonnance de fixation avec clôture différée ne prévoyait pas une heure précise pour la clôture de sorte que la société intimée pouvait donc communiquer ses conclusions et pièces dans la journée du 27 octobre 2023, ce qu'elle a fait.

- le principe du contradictoire n'a pas été respecté.

- Les conclusions « de procédure » de l'appelant du 2 novembre 2023 sont elles-mêmes irrecevables puisque communiquées après la clôture et que n'est pas sollicitée la révocation de la clôture.

*

Selon l'article 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. Sont néanmoins recevables les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture et les demandes de rejet des conclusions ou de pièces déposées tardivement.

Il résulte de la combinaison des articles 748-1 et 748-3 du code de procédure civile que lorsqu'il est recouru, dans la procédure d'appel avec représentation obligatoire, à la communication par voie électronique, les conclusions sont déposées aux jour et heure mentionnés dans le dossier du réseau privé virtuel des avocats (RPVA).

En l'espèce, l'ordonnance de clôture a été rendue le 27 octobre 2023 et la copie en a été portée à la connaissance des parties par le RPVA à 10h34.

Dès lors que les conclusions n°2 de l'intimée, qui ne comportent pas de demande de révocation de l'ordonnance de clôture, et la pièce n°85 ont été déposées par RPVA le 27 octobre 2023 à 19h42, celles-ci sont irrecevables.

Les conclusions de l'appelant du 2 novembre 2023, dès lors qu'elles comportent uniquement une demande de rejet des conclusions d'intimé n°2 et de la pièce n°85, sont par contre recevables.

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

A titre subsidiaire, la société intimée sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture sur le fondement des dispositions de l'article 803 du code de procédure civile et des articles 15 et 16 du code de procédure civile. Elle fait valoir que l'appelant a déposé de nouvelles conclusions et six pièces complémentaires le 2 août 2020 dans lesquelles il invoque de nouveaux arguments à l'encontre de la société SOLEAM et auxquelles cette dernière doit répondre. Monsieur [B] a versé des conclusions tardives produites le 2 août 2023, soit plus de deux ans et trois mois après les conclusions de l'intimée, et alors que l'appelant avait sollicité la fixation pour plaidoiries le 13 octobre 2022, manifestant ainsi son intention de ne pas conclure à nouveau. Les nouvelles conclusions et pièces versées par l'appelant sont susceptibles d'avoir une incidence sur les débats et la décision qui sera prise par la cour. La clôture est particulièrement préjudiciable à la société SOLEAM puisqu'elle lui interdit la communication de tout moyen de défense.

* * *

En application de l'article 803 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'un avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Si l'appelant a sollicité le 13 octobre 2022 la fixation de l'affaire à une audience de la cour, notamment dans le but d'interrompre le délai de caducité de l'instance, cette demande ne le prive pas du droit de notifier des conclusions postérieurement au 13 octobre 2022.

M. [B] a notifié ses conclusions d'appelant n°2 le 2 août 2023 de sorte que la société intimée disposait d'un délai suffisant pour y répondre au regard de la date de la clôture de l'instruction fixée au 27 octobre 2023. Ainsi, le principe du contradictoire a été respecté conformément aux articles 15 et 16 du code de procédure civile.

La société SOLEAM n'explicitant pas d'une autre cause grave, il convient de rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture.

La cour prendra donc en compte les conclusions d'intimée du 20 mai 2021.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul), si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue qui ne résultent pas uniquement de l'écrit par lequel il prend acte de la rupture et qui doivent constituer des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, M. [B] invoque les manquements suivants : l'employeur ne lui a pas garanti une stricte confidentialité en sa qualité d'auteur du signalement d'une alerte ; l'employeur a modifié ses conditions de travail ; l'employeur a fait preuve d'une attitude qualifiée de cruelle alors qu'il était confronté à un drame familial et qu'il était lui-même victime d'une maladie contagieuse.

Sur le manquement de l'employeur lié à l'absence de garantie d'une stricte confidentialité de son salarié, auteur du signalement d'une alerte

Invoquant les dispositions de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II, et du décret du 19 avril 2017, M. [B] fait valoir qu'il avait lancé une alerte le 16 février 2018 concernant l'implantation d'une aire pour les gens du voyage à [Localité 3], au lieu du Vallon de la Forge et, compte tenu du silence de sa direction, il s'était rapproché de la secrétaire générale afin de savoir si des modalités particulières avaient été mises en place car aucune information n'avait été transmise concernant le recueil des alertes. C'est dans ces conditions qu'il apprenait qu'un recueil, à sa disposition au secrétariat général, pouvait être rempli s'il le souhaitait. Il a donc consigné à nouveau cette alerte le 11 avril 2018 sur le recueil.

M. [B] soutient d'une part qu'aucune information ne lui était faite de la réception de son signalement ainsi que du délai raisonnable et prévisible nécessaire à l'examen de sa recevabilité et des modalités suivant lesquelles il devait être informé des suites données à son signalement, son supérieur hiérarchique se contentant de lui préciser que la direction avait pris bonne note de ses remarques sur la protection de la flore et de la faune, ce qui n'excluait pas que l'on avance sur ce projet.

M. [B] fait valoir d'autre part que son identité et l'alerte elle-même ont été communiquées à un tiers, à savoir M. [G] de la métropole [Localité 2]-[Localité 6]-Provence, et les échanges de courriels reprenant le mail contenant son identité et son alerte, ont été mis en copie auprès d'autres personnes.

Cette situation était de nature à lui nuire alors qu'il évoluait dans un secteur d'activité très fermé et ce qui l'a contraint, après la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, de changer de région et de déménager pour espérer retrouver un emploi.

En réplique à l'argumentation de l'employeur, M. [B] soutient notamment que son alerte était fondée dès lors qu'une étude d'impact était bien un préalable obligatoire ainsi que l'assistance d'un expert technique nécessaire ; qu'aucune étude d'impact du projet sur l'environnement n'avait été diligentée alors que celle-ci avait été exigée par le Préfet dans son arrêté du 27 septembre 2013 ; qu'un simple diagnostic écologique avait été mené qui ne procédait pas à une analyse de l'impact du projet et qui avait d'ailleurs conclu à la nécessité de réaliser une étude d'impact ; que le 16 avril 2018, l'employeur a finalement pris contact avec un expert ; que dans son courriel du mois de février 2018, il indique clairement qu'il s'agit d'une alerte sans la moindre ambiguïté et qu'il mettait en avant les risques environnementaux, notamment de destruction d'espèces protégées et d'habitat d'espèces protégées ainsi que les désavantages financiers et sociaux du projet.

La société SOLEAM fait valoir que :

- M. [B] ne peut se prévaloir du statut de lanceur d'alerte en ce que les conditions d'application de la loi Sapin II ne sont pas réunies, notamment celles liées à la bonne foi et au désintéressement de l'auteur de l'alerte dès lors que M. [B] ne peut justifier d'un intérêt général dans son alerte mais au contraire de la poursuite d'un intérêt uniquement personnel ; que pour autant l'intérêt général est celui de fournir aux gens du voyage des aires d'accueil dignes et relève en outre d'une obligation légale pour les collectivités locales ; qu'un diagnostic environnemental avait déjà été réalisé en 2014, par la société NATURALIA, consultants en environnement,,sur le terrain situé à [Localité 3] et l'impact environnemental a donc été pris en compte par la Métropole [Localité 6] -Provence ; que M. [B] n'a jamais utilisé la deuxième étape de la procédure à savoir qu'à ce jour il n'a déposé aucune plainte contre la société SOLEAM et il n'a donné aucune suite à sa prétendue alerte ; qu'il a uniquement orchestré cette mise en scène aux fins de tenter de déguiser sa démission et il ne justifie d'ailleurs pas de ses difficultés à retrouver un travail.

- M. [B] ne détaille aucunement en quoi l'employeur n'aurait pas garanti une stricte confidentialité à son salarié et il se contente de procéder par voie d'affirmations. La pièce invoquée par M. [B] est un mail confidentiel qui était uniquement destiné à justifier auprès de la métropole, qui lui demandait des explications, le retard pris par la société SOLEAM.

- dès le 19 février 2018, M. [L], supérieur hiérarchique de M. [B], lui a répondu et le 25 mai 2018, il a adressé à M. [B] un courrier circonstancié relatif à cette prétendue alerte et la question a été évoquée lors de la réunion du comité d'entreprise du 24 mai 2018.

- M. [B] a, dans les faits, refusé d'assurer la mission sur l'aire d'accueil des gens du voyage de [Localité 5] qui n'avait fait l'objet d'aucune alerte et a donc fait preuve d'insubordination.

* * *

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II », dans sa rédaction applicable au litige, et son décret du 19 avril 2017, entrés en vigueur le 1er janvier 2018, définissent le lanceur d'alerte comme toute personne physique de bonne foi et désintéressée signalant ou révélant un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général dont elle a eu personnellement connaissance.

La loi institue une procédure de signalement de l'alerte graduée, composée de trois niveaux et impose la mise en place de procédures internes de recueil des alertes dans certaines entreprises.

Ainsi, le signalement d'une alerte doit en premier lieu être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. Si aucune suite n'est donnée dans un délai raisonnable pour vérifier la recevabilité du signalement, le lanceur d'alerte peut saisir l'autorité judiciaire ou administrative ou les ordres professionnels. En dernier ressort, à défaut de traitement du signalement par l'un des trois organismes précités dans un délai de trois mois, le lanceur d'alerte peut dévoiler les faits à l'opinion publique.

La loi impose aux personnes morales de droit privé ou de droit public d'au moins 50 salariés de se doter de procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels dont les modalités de mise en œuvre de cette obligation sont détaillées par le décret nº 2017-564 du 19 avril 2017.

Les procédures mises en œuvre pour recueillir les signalements doivent garantir une stricte confidentialité de l'identité du lanceur d'alerte, de la ou des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires du signalement. Les éléments qui permettraient d'identifier le lanceur d'alerte ne peuvent être divulgués qu'avec son consentement. Le fait de divulguer des éléments confidentiels est puni de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.

Enfin, l'article L.1121-2 du code du travail interdit à l'employeur de prendre des mesures de représailles telles qu'écarter une personne ayant procédé à un signalement ou à une divulgation d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise. Dans le même sens, l'employeur ne peut pas sanctionner, licencier ou discriminer en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat, ni de toutes autres mesures listées par l'article 10-1 de la loi Sapin II, un salarié ayant procédé à un signalement ou à une divulgation.

En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que le 16 février 2018, M. [B] a adressé à son supérieur hiérarchique un mail ayant pour objet le projet de réalisation d'une aire d'accueil pour les gens du voyage à [Localité 3] dans lequel il indique : 'c'est pourquoi, au vu de l'analyse de site de 2015 et des études réalisées lors du mandat de 2012, je vous alerte sur les risques pour l'environnement d'un projet d'aire d'accueil sur le vallon de la forge' et développe ses arguments 'sous l'aspect de la protection environnementale', 'sous l'aspect de l'équité sociale' et 'sous l'aspect de l'efficacité économique'.

Le 11 avril 2018, M. [B] a consigné et signé le même texte dans le recueil des alertes mentionnant qu'il s'agissait de l'alerte du 16 février 2018.

Ainsi, l'alerte a, en partie, pour objet de signaler une violation de la loi ou du règlement ainsi qu' une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général dont M. [B] a eu personnellement connaissance puisqu'il indique : 'Nous avons fait réaliser dans le cadre du mandat de 2012, un diagnostic écologique pour pouvoir interroger l'autorité environnementale sur la nécessité d'étude d'impact.

Ce diagnostic a mis en évidence la destruction d'espèces protégées et de leurs habitats, en phase travaux, comme en phase d'exploitation d'une aire d'accueil sur le terrain du vallon des forges.

Quelques soient les conclusions et, le cas échéant, les mesures compensatoires issues de l'étude d'impact imposée, la destruction d'espèces protégées est inévitable et justifie mon alerte.

En outre, les besoins fonciers pour travaux de mise en sécurité concernent des terrains classés en EBC, en zone Natura 2000 ou sur zone réglementée au PLU comme Espaces littoraux à préserver.'.

Si la mise en oeuvre d'aires pour les gens du voyage relève de l'intérêt général, la préservation de l'environnement dans le cadre de la loi et des règlements en relève tout autant.

Par ailleurs, il ressort de l'arrêté du préfet du 27 septembre 2013 qu' 'en application de la section première du chapitre II du titre II du livre premier du code de l'environnement, le dossier de demande d'autorisation du projet d'aménagement d'une aire d'accueil des gens du voyage situé sur la commune de [Localité 3] (13) doit comporter une étude d'impact dont le contenu est défini par l'article R.122-5 du code de l'environnement'.

Si la société SOLEAM produit un diagnostic écologique du projet qui a été remis le 30 mai 2014 par la société NATURALIA, ce document ne constitue pas l'étude d'impact dont le contenu est défini par l'article R.122-5 du code de l'environnement en ce qu'il ne comporte pas, notamment, une analyse des effets négatifs et positifs, directs et indirects, temporaires (y compris pendant la phase des travaux) et permanents, à court, moyen et long terme, du projet sur l'environnement, une analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus, ne mentionne pas les mesures prévues par le pétitionnaire ou le maître de l'ouvrage pour éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine, pour réduire les effets n'ayant pu être évités et pour compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits.

M. [B] produit un article de presse du 31 mai 2023 intitulé 'fin de parcours pour le projet pharaonique d'aire des gens du voyage à [Localité 3]' qui relate les circonstances de l'abandon du projet notamment en raison des contraintes réglementaires et de son impact sur l'environnement.

Ainsi, dans ces circonstances, les conditions de bonne foi et désintéressement sont également remplies de sorte que M. [B] est en droit de bénéficier du statut de lanceur d'alerte au sens de la loi du 9 décembre 2016.

M. [B] a porté le signalement d'une alerte à la connaissance de son employeur le 16 février 2018, ou à tout le moins le 11 avril 2018.

Si la société SOLEAM a formalisé une réponse officielle à l'alerte du 11 avril 2018 par un courrier du 25 mai 2018, il ressort qu'entre temps, par mail du 14 mai 2018- également adressé en copie à d'autres destinataires - , la société SOLEAM a porté à la connaissance de M. [G] de la Métropole [Localité 2]-[Localité 6]-Provence, les informations suivantes : 'Nous peinons à avancer parce que [K] possède à la fois l'expérience concrète de la Ciotat ainsi que l'étude menée pour tes services sur le territoire métropolitain.

D'ailleurs, il argumente à partir de cette dernière sur une impossibilité de réaliser celle de [Localité 3] pour des raisons sociales et environnementales.

II a d'ailleurs consigné dans un registre officiel de la SOLEAM (réglementaire et ouvert à sa demande), le lancement d'alertes pour volonté d'atteintes à l'environnement, dont serait pénalement responsable [C]! (cf. message du 16/02/18 retranscrit plus bas).

Nous cherchons des solutions pour avancer concrètement sur tes demandes malgré tous les obstacles que s'évertue à mettre M. [B] pour donner les informations indispensables'.

Il en résulte que la société SOLEAM a bien divulgué à un tiers à la société, l'identité du lanceur de l'alerte, sans le consentement de M. [B], et a même délivré à ce tiers l'alerte elle-même, violant ainsi délibérément l'obligation légale de stricte confidentialité de l'identité du lanceur d'alerte.

Cette divulgation totale de l'alerte et de son auteur procède d'une intention de nuire de l'employeur envers son salarié en ce qu'il ressort du procès-verbal du comité d'entreprise du 24 mai 2018 que 'Le Président confirme effectivement que la Métropole a très mal pris ce lancement d'alerte et que par exemple cela pourrait aboutir à confier ce type de missions à d'autres SPL, comme la SEMEPA.d' [Localité 2] qui a déjà réalisé des aires de gens du voyage'.

Enfin, il ressort de la lettre du 25 mai 2018, portant réponse officielle de l'employeur à l'alerte du 11 avril 2018, que même la réponse de l'employeur à son salarié a été adressée en copie à Monsieur [G].

Le manquement de la société SOLEAM est donc caractérisé.

Sur le manquement de l'employeur lié à la modification des conditions de travail de M.[B]

M. [B] fait valoir que dès le 12 avril 2018, soit le lendemain de la consignation de l'alerte du 16 février 2018 sur le recueil des alertes, il a été informé de la création soudaine d'un service 'infrastructures', sans que cela n'ait jamais été évoqué auprès des instances représentatives du personnel, et placé sous la responsabilité de M. [P], responsable de programmes. Il a du changer de bureau et son poste de travail a été déménagé pendant ses congés. Il explique avoir alerté le CHSCT de cette modification de ses conditions de travail.

M. [B] soutient que l'intention de l'employeur s'inscrit dans une démarche volontaire d'exercer à son encontre une pression dans le but de le pousser à quitter l'entreprise.

L'employeur, qui soutient que le projet du nouveau service a été examiné par le comité d'entreprise et le CHSCT, ne produit pas les procès-verbaux dans leur intégralité et il s'évince néanmoins des quelques extraits choisis et produits qu'il n'était pas visé par les restructurations spatiales au mois de mars 2018, que la modification de son affectation, annoncée le 12 avril 2018, n'apparaissait pas dans l'organigramme du 16 avril 2018 et que ce n'est que le 24 mai 2018 que l'employeur aurait informé le comité d'entreprise à ce sujet.

M. [B] soutient que l'employeur a bien modifié sa place dans la hiérarchie de l'entreprise et le changement de bureau n'avait d'autre but que de l'isoler de l'ensemble de l'équipe.

Il soutient encore que la création d'un service 'infrastructures' est un projet important nécessitant la consultation des institutions représentatives du personnel, notamment en application de l'article L.4612-8-1 du code du travail.

La société SOLEAM réplique qu'en mars 2018, le comité d'entreprise et le CHSCT ont été consultés au sujet de la création d'une équipe 'infrastructure' au sein du département construction et aménagement alors même que ces consultations n'étaient pas obligatoires s'agissant d'une mesure qui n'avait pas 'une certaine importance'. Lors de la réunion du mois de mai 2018, l'existence d'un pôle 'infrastructures' au sein de ce département a été rappelée. M.[B] ne peut prétendre avoir été affecté sur un nouveau service, dès lors que le pôle 'infrastructures' fait pleinement partie du département aménagement et construction dirigé par M. [L], dont relevait déjà M. [B]. Par courrier du 12 avril 2018, M. [B] a été informé de son affectation au sein de ce pôle 'infrastructures' placé sous l'autorité de M. [P] et de l'attribution d'un bureau situé dans ce pôle, au 5ème étage. M.[B], qui revendiquait la direction de ce pôle, a refusé d'être placé sous l'autorité de M. [P]. M. [B] ne peut invoquer une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail en ce que sa rémunération n'a pas été modifiée, ses missions sont restées les mêmes - et notamment les dossiers relatifs aux aires d'accueil des gens du voyage -, le déménagement de son bureau au 5ème étage dans le pôle infrastructure était indispensable et d'ailleurs M. [B] l'a accepté puisqu'il commencé à travailler dans ce bureau.

* * *

Toute modification du contrat ou changement des conditions de travail d'un salarié protégé nécessite son accord préalable à défaut duquel l'employeur ne peut imposer aucun changement. L'accord du salarié protégé doit être exprès car cet accord ne saurait résulter ni de l'absence de protestation de sa part, ni de la poursuite de son travail aux nouvelles conditions.

Par courrier du 12 avril 2018, la société SOLEAM a informé M. [B] que : 'pour faire suite à notre entretien du 9 avril 2018 dans mon bureau, nous vous confirmons qu'à compter du 2 mai 2018, vous rejoindrez le pôle « Infrastructures» placé sous la responsabilité de Monsieur [V] [P]. En outre, vous occuperez le bureau n° 506 situé au 5ème étage.

Les missions qui sont les vôtres actuellement ne font l'objet d'aucun changement, et vous rendrez compte de l'avancement de l'ensemble des opérations sur lesquelles vous intervenez directement auprès de Monsieur [P]'.

Il ne ressort pas des procès-verbaux du CHSCT du 15 mars 2018 et du comité d'entreprise du 22 mars 2018 que le sujet de la création du pôle 'infrastructures' ait été évoqué puisqu'il est simplement indiqué que 'dans le cadre de la mise en place de sa nouvelle direction, [Y] [L] a procédé à quelques restructurations spaciales au sein de l'équipe aménagement'.

La création d'un pôle 'infrastructures' au sein de la direction de la construction et de l'aménagement, placé sous la direction de M. [P], a été annoncée lors de la réunion du comité d'entreprise du 24 mai 2018.

M. [B] produit l'organigramme de la société SOLEAM au 16 avril 2018 (pièce 16) qui indique que la direction de l'aménagement et de la construction était dirigée par le directeur opérationnel, M. [L], sous l'autorité duquel dépendaient trois directeurs de programmes, étant eux-même les supérieurs hiérarchiques des responsables de programmes, dont faisaient parties M. [B] et M. [P], placés au même niveau hiérarchique.

Suite à la réorganisation opérée par la société SOLEAM, il ressort de l'organigramme produit par la société SOLEAM (pièce 26) que la direction de l'aménagement et de la construction était toujours dirigée par le directeur opérationnel, M. [L] et organisée hiérarchiquement en ce que les directeurs de programmes étaient les supérieurs hiérarchiques des responsables de programmes. Le pôle 'infrastructures' était créé qui dépendait directement du directeur opérationnel, dont la direction était confié à M. [P] et dans lequel M. [B] était affecté.

Il en résulte que la réorganisation opérée par la société SOLEAM s'analyse bien en une restructuration d'une direction avec une modification du rattachement hiérarchique de M. [B]. La création de ce nouveau pôle a opéré un réaménagement des tâches au sein de la direction de la construction et de l'aménagement et un déménagement du bureau de M. [B] au 5ème étage de la société.

Il en résulte que les conditions de travail de M. [B], salarié protégé, ont bien été modifiées.

La société SOLEAM ne justifie pas avoir sollicité l'accord de M. [B] à ces modifications et au contraire, M. [B] produit un mail qu'il a adressé au CHSCT le 22 mai 2018, dans lequel il demande 'une prise de mesure rapide relativement à mes conditions de travail modifiées'.

Il en résulte que le manquement de l'employeur est établi.

Sur l'attitude de l'employeur face à des situations personnelles du salarié

M. [B] invoque l'attitude qu'il qualifie de 'cruelle' de l'employeur notamment lors du décès de son neveu en ce qui lui a refusé des jours de congés. Par ailleurs, étant atteint d'une maladie contagieuse (la gale), dont avait parfaitement connaissance son employeur, il avait remis un certificat médical pour justifier de son absence au mois de mai 2018.

La société SOLEAM réplique que le 2 mai 2018, après son retour de trois semaines de congés payés, du 13 avril au 1er mai 2018 inclus, M. [B] a sollicité à nouveau la prise de 17 jours calendaires de congés et 'RTT' et son supérieur. M. [L] lui a alors indiqué qu'il n'était pas possible, pour des raisons de continuité de service, de lui accorder ces nouveaux congés. Toutefois, il lui accordait la journée du 7 mai, lui permettant ainsi d'avoir quatre jours consécutifs et de pouvoir se rendre à l'enterrement de son neveu. Finalement, la direction de SOLEAM décidait de lui accorder également le 9 mai en 'RTT', dans un esprit d'apaisement.

La société SOLEAM conteste avoir été informée du fait que M. [B] aurait contracté une maladie contagieuse, soutient l'avoir appris dans le cadre du présent contentieux et indique qu'à compter du 14 mai 2018, M. [B] a été en absence injustifiée.

* * *

Il résulte des échanges de mails du 2 et 3 mai 2018 que M. [B] a demandé à son employeur des jours de congés pour assister aux obsèques de son neveu décédé le 1er mai. La société SOLEAM a refusé de faire droit à la demande de son salarié pour des 'raisons de continuité de service' en invoquant la période antérieure de congés déjà prise par M. [B] et en lui accordant toutefois la journée du 7 mai. Dans un second temps, la société SOLEAM a accepté de lui accorder la journée du 9 mai.

De même, il ressort de l'échange de mails du 22 mai 2018 que l'employeur reconnaît avoir été informé par M. [B] de son absence dès le 15 mai 2018. M. [B] produit le certificat médical du docteur [R] [M] du 28 mai 2018 qui indique qu'elle a bien reçu en consultation M. [B], le 11 mai 2018, et que son état de santé ne lui permettait pas de se présenter à son travail pendant 10 jours.

Dans ce contexte, il ressort du courrier de la société SOLEAM du 22 mai 2018 que celle-ci a informé M. [B] que la mission relative à l'aire des gens du voyage a été confiée à un autre collaborateur, a mis en demeure M. [B] 'd'exécuter l'ensemble de ses missions, y compris le mandat sur [Localité 3]' pour lequel le salarié avait fait une alerte et de justifier de son absence du 14 au 21 mai 2018, à défaut de quoi, elle serait 'contrainte d'entamer une procédure à son encontre'.

Enfin, M. [B] a eu connaissance de ce que l'employeur avait adressé en copie à M. [G], de la Métropole [Localité 2]-[Localité 6]-Provence, sa lettre de réponse officielle à son alerte du 25 mai 2018.

Dans ce contexte M. [B] prenait acte de la rupture du contrat de travail le 29 mai suivant.

Ces événements caractérisent assurément les pressions exercées par l'employeur sur son salarié ainsi qu'une volonté d'humiliation par un exercice inapproprié du pouvoir de direction eu égard aux circonstances personnelles auxquelles étaient confrontées M. [B] et par la volonté de l'exposer sciemment et de façon réitérée à la réprobation de tiers à l'occasion de l'exercice de son droit d'alerte.

Le certificat médical du docteur [H] du 29 mai 2018 fait état de la dégradation de l'état de santé de M. [B] qui a nécessité la prise en charge par un traitement médicamenteux et ce dans un contexte de difficultés professionnelles alléguées devant le médecin.

Il en résulte que le manquement de l'employeur est suffisamment caractérisé.

* * *

Concernant la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, la société SOLEAM conclut à l'absence de manquements graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail et à la volonté de démissionner de M. [B] en ce que celui-ci a continué à percevoir une rémunération et n'a donc subi aucun préjudice, n'a jamais été menacé de perdre son emploi et a manifesté sa volonté de développer des activités professionnelles extérieures à la société SOLEAM.

Cependant, dès lors qu'ils concernent la violation de l'obligation de confidentialité de son salarié qui avait lancé une alerte en l'exposant ainsi la réprobation publique d'un tiers, et la violation du statut protecteur lors de la modification des conditions de travail de M. [B], les manquements de l'employeur à ses obligations sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit ainsi les effets d'un licenciement nul car prononcé en violation du statut protecteur du salarié.

Par infirmation du jugement, il convient d'accorder à M. [B] la somme de 12.317,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 1.231,77 euros à titre de congés payés afférents et la somme de 7.869,61 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, sommes contestées en leur principe par la société SOLEAM mais non critiquées en leur montant et qui correspondent aux droits du salarié.

En application des dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (55 ans), de son ancienneté (7 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (4.105,89 euros ) et des circonstances de la rupture, il sera accordé à M. [B] une indemnité pour licenciement nul d'un montant de 24.635,34 euros.

Sur l'indemnité au titre de la violation du statut protecteur

M. [B] expose que son mandat devait normalement expirer le 12 mars 2018 mais que, du fait de la mise en place de la réforme des institutions représentatives du personnel issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, l'employeur a reporté les élections au 22 janvier 2019 s'agissant des membres du CSE. M. [B] soutient donc que sa protection devait s'achever le 22 janvier 2019, date à laquelle doit être rajoutée la période de six mois ,soit le 22 juillet 2019. Le contrat de travail ayant été rompu le 31 mai 2018, M. [B] demande le paiement de treize mois de salaire, soit la somme de 53.376,70 euros.

La société SOLEAM demande de minorer le montant réclamé en ce que la durée des mandats était de trois ans, et non de quatre ans, tels que prévue dans le protocole d'accord préélectoral et le procès-verbal des élections du 10 mars 2015. Ainsi, le mandat de M. [B] devait expirer le 10 mars 2018 et la période de protection s'étend jusqu'au 10 septembre 2018, soit trois mois et douze jours, aucun texte ne prévoyant que la période protection doit inclure une éventuelle prorogation des mandats

* * *

Selon l'article 9-II-3°, lorsqu'en dehors du cas prévu au 1° du présent II, les mandats des délégués du personnel, des membres élus du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel, de l'instance regroupée mise en place par accord et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail arrivent à échéance entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018, leur durée peut être réduite ou prorogée au plus d'un an, soit par accord collectif, soit par décision de l'employeur, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, le cas échéant, de la délégation unique du personnel ou de l'instance regroupée ;

En l'espèce, le mandat de délégué du personnel de M. [B] devait s'achever le 10 mars 2018. A défaut de justification d'un accord collectif ou d'une décision de l'employeur prise dans les conditions de l'article 9-II-3°, M. [B] ne peut se prévaloir d'une prorogation de son mandat jusqu'aux élection du CSE du 22 janvier 2019, et d'une période de protection jusqu'à cette date, augmentée de six mois.

Dans ces conditions, il convient d'accorder à M. [B] une indemnité au titre de la violation du statut protecteur du 10 septembre 2018 (10 mars 2018 + 6 mois) au 29 mai 2018, date de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, soit 3 mois et 12 jours, soit la somme de 13.960,02 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral

M. [B] invoque les pressions exercées par l'employeur, les multiples décisions à caractère humiliant et un management par la peur qui ont dégradé sa santé.

Cependant, M. [B] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui qui a été indemnisé par l'allocation de la somme au titre de l'indemnité pour licenciement nul à raison d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail fondée sur les manquements de l'employeur au titre des pressions et attitudes humiliantes de celui-ci à l'encontre de son salarié et qui ont dégradé la santé de ce dernier. La demande de dommages- intérêts en réparation d'un préjudice moral sera donc rejetée et le jugement confirmé.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 27 juillet 2018.

Les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu'elle est demandée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées et il est équitable de condamner la société SOLEAM à payer à M. [B] la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a engagés en première instance et en cause d'appel.

Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de la société SOLEAM, partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Déclare irrecevables les conclusions d'intimée n°2 de la société SOLEAM et la pièce n°85 notifiées par voie électronique le 27 octobre 2023,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant rejeté la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du 29 mai 2018 produit les effets d'un licenciement nul,

Condamne la société SOLEAM à payer à M. [K] [B] les sommes de :

- 12.317,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.231,77 euros à titre de congés payés afférents,

- 7.869,61 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 24.635,34 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 13.960,02 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2018 et les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par la loi,

Condamne la société SOLEAM aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT