Cass. com., 11 octobre 1988, n° 86-17.170
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baudoin
Rapporteur :
M. Bézard
Avocat général :
M. Montanier
Avocat :
Me Delvolvé
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'une convention a été conclue le 20 février 1980 entre M. E..., dirigeant une entreprise individuelle espagnole et la société française Multi-Agra, en vue de l'achat en Espagne et l'importation en France d'oranges ; que l'opération était financée par la société Multi-Agra qui a fait parvenir à M. E... des fonds pour l'achat des fruits aux producteurs par l'intermédiaire de la Banque Vernes et Commerciale de Paris, dont le correspondant en Espagne est la Banco Exterior de Espana (BEE) ; que les fruits ayant subi des dommages n'ont pu être livrés ; qu'une nouvelle convention est intervenue le 1er mai 1980 entre les mêmes parties selon laquelle M. E... s'engageait à vendre des fruits en France par l'intermédiaire de la société Multi-Agra dans le courant de l'été 1980, pour une somme déterminée, la commission de la société Multi-Agra étant fixée à 10 % ; que la convention prévoyait que cette société pouvait compenser la somme qui lui restait due avec les sommes qu'elle pourrait devoir à M. E... sur le prix de vente des marchandises ; qu'estimant que M. E... n'avait pas plus respecté ce nouvel accord que le premier, la société Multi-Agra l'a assigné ainsi que la BEE en réparation du préjudice commercial subi et pour non exécution du contrat et que le tribunal lui a donné satisfaction ; qu'elle a été mise ensuite en règlement judiciaire ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches :
Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à verser différentes sommes citées ci-après à la société, alors, selon le pourvoi, d'une part, que lors des débats tant devant le tribunal que devant la cour, les parties avaient toujours considéré que le contrat litigieux était un contrat de commission ; qu'en soulevant d'office un moyen tiré du fait que M. E... aurait été un associé de la société Multi-Agra, en vertu d'un contrat de société, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen comme le lui imposait l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel a violé ce texte ; et alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1832 du Code civil, les associés d'une société s'engagent à contribuer aux pertes et qu'aux termes de l'article 1843-2 du même code, les apports en nature et en industrie entrent dans l'actif social de la société ; que dès lors en condamnant M. E... à rembourser à la société Multi-Agra la totalité des apports en numéraire de celle-ci sans prendre en compte les apports de M. E... en nature et en industrie, l'arrêt attaqué a fait supporter par ce dernier seul la totalité des pertes subies par la société, en violation des textes susvisés ;
Mais attendu, d'une part, que la société Multi-Agra a exposé dans ses conclusions que la convention litigieuse s'analysait comme un contrat de société en participation, alors que M. E... soutenait qu'il s'agissait d'un contrat de commission ; que la cour d'appel qui a énoncé qu'il résultait de ce contrat que le rôle assigné à M. E... n'était pas celui d'un commissionnaire, mais celui d'un associé, n'a fait que se conformer aux prescriptions de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, sans méconnaître le principe de la contradiction ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt ayant fait ressortir que la société en participation établie par la convention n'avait jamais existé faute pour M. E... d'effectuer ses apports en nature, représentés par les marchandises qui devaient être commercialisées en France; que la cour d'appel a retenu à bon droit que la société Multi-Agra devait se voir restituer ses apports en numéraire ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que M. E... fait aussi grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il était redevable envers la société Multi-Agra de la somme qu'il a fixée, alors, selon le pourvoi, que l'accord comportait un engagement des deux parties de vendre et de placer à la commission sur le marché français une quantité minimum de marchandises représentant un montant de vente de 7 500 000 francs, la société Multi-Agra devant percevoir une commission de 10 % du prix de vente et étant autorisée à compenser une somme de 650 000 francs avec les sommes qu'elle pourrait devoir à M. E... sur le prix de vente ; qu'en isolant de cette convention une reconnaissance de dette de M. E... envers la société Multi-Agra, sans rechercher si une telle reconnaissance de dette n'était pas subordonnée à l'exécution du contrat dans le courant de l'été 1980 pour les quantités et montants convenus contractuellement, exécution qui n'avait pas eu lieu, la cour d'appel a dénaturé l'accord du 1er mai 1980 et violé par là l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que c'est hors toute dénaturation et en appréciant le sens et la portée des différentes conventions intervenues entre les parties, et dont le rapprochement nécessitait l'interprétation, que la cour d'appel qui a relevé que M. E... était tenu d'une responsabilité contractuelle pour la non-exécution du contrat du 20 février 1980, devait respecter la reconnaissance de dette prévue au contrat du 1er mai 1980 ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi incident :
Attendu que la société Multi-Agra fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande en paiement de la somme de 750 000 francs, pour inexécution par M. E... de la convention du 1er mai 1980, alors, selon le pourvoi, qu'il résulte des termes mêmes de la décision critiquée, que M. E... était tenu au remboursement de la somme de 650 000 francs indûment versée par la société Multi-Agra en février 1980 et dont M. E... s'était reconnu débiteur et que par ailleurs, M. E... devait se voir reprocher une faute, s'étant abstenu de respecter les nouveaux engagements convenus dans le protocole du 1er mai 1980 ; qu'en déboutant la société Multi-Agra de sa demande en réparation du préjudice subi en raison de l'inexécution de la seconde convention, au seul motif qu'il était par ailleurs fait droit à la demande en restitution de 650 000 francs, demande dont le fondement était étranger à tout principe de responsabilité, sans rechercher si la faute constatée de M. E... avait pu, postérieurement au 1er mai 1980, causer un préjudice à la société Multi-Agra, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir souverain en considérant par motifs propres et adoptés que dans la mesure où la société Multi-Agra avait obtenu une juste indemnisation pour le préjudice qu'elle avait subi au titre de la première opération, il n'y avait pas lieu de considérer qu'elle ait subi un préjudice nouveau et supplémentaire au titre de la deuxième opération, laquelle n'avait été conclue que pour permettre le remboursement des sommes indûment versées lors de la première opération ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident :
Vu l'article 40 de la loi du 13 juillet 1967 ;
Attendu que pour déclarer recevable et fondée la demande reconventionnelle de M. E... tendant à ce que la société Multi-Agra soit condamnée à lui payer la somme de 159 750 francs et pour ordonner la compensation de cette somme avec celles dont M. E... se trouvait débiteur envers cette société, l'arrêt se borne à énoncer qu'il y a connexité entre les deux créances et que les factures produites par M. E... justifiaient le montant de sa réclamation ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle avait été invitée à le faire par les conclusions de la société Multi-Agra si M. E... avait produit la créance dont il se prévalait au passif du règlement judiciaire de cette société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal mais, sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a "dit que les dettes réciproques des parties, telles qu'elles résultent des condamnations prononcées à leur encontre se compensent à due concurrence" et en ce qu'il a "ramené la condamnation en principal prononcée contre M. E... à la somme de 478 181,40 francs, l'arrêt rendu le 3 décembre 1985, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims.