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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 6 juin 1996, n° 95-7229

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Lagourgue

Avocats :

Me Campana, Me Delamare

T. com. Paris, du 27 févr. 1995

27 février 1995

Considérant que la BANQUE MONOD a fait appel d'un jugement contradictoire du 27 février 1995 du Tribunal de Commerce de PARIS qui a déclaré que la société financière de crédit SOFIC, représentée par son liquidateur NICOLAU GUILLAUMET, était fondée à se retirer du pool bancaire de financement de l'opération de la SNC CIMMO et Cie, l'a condamnée à rembourser à la société SOFIC la somme de 4 270 199,94 francs avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 avril 1993, à lui verser 876 123,16 francs d'intérêts impayés avec intérêts au taux légal à compter du même 13 avril 1993 et à lui payer 25 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et a dit que le versement de 810 600 francs opéré le 19 avril 1994 s'imputera sur la créance de la société SOFIC ;

Considérant que la BANQUE MONOD expose qu'elle a proposé le 22 mars 1991 à la société SOFIC de participer à concurrence de 20 % au financement d'une opération de rénovation immobilière de la SNC CIMMO et Compagnie du groupe COPROR animé par le promoteur DARMOUNI sous forme de deux prêts d'acquisition de 15 750 000 et 4 100 000 francs et d'un prêt pour travaux et éviction de 4 100 000 francs garantis par un privilège de préteur de deniers pour 14 500 000 francs, par une hypothèque en second rang sur certains lots pour 1 750 000 francs et par la caution des dirigeants de la SNC CIMMO et compagnie, Jean-Claude DARMOUNI et Gilbert ABOUKRAT, pour 10 000 000 francs, que la société SOFIC a accepté cette proposition le 9 avril 1991 et que le troisième des financements a été réduit à 1 520 000 francs le 17 octobre 1991 de telle sorte que la part de la société SOFIC au financement de l'opération s'est élevée en définitive à 4 270 200 francs ;

Qu'elle ajoute que la crise du marché immobilier a conduit la SNC CIMMO et Compagnie qui n'a pu payer les intérêts dûs au titre du quatrième trimestre de l'année 1991, à chercher un repreneur de l'opération immobilière, qu'une promesse d'achat à 18 000 000 francs hors taxes n'a pas été levée à son échéance de fin février 1992 et que la BANQUE MONOD a mis vainement en demeure la SNC CIMMO et Compagnie le 10 avril 1992 de payer les intérêts échus, a décidé avec la société SOFIC de "rendre exigible au 25 juin 1992 la totalité des crédits et a mis en demeure en vain les cautions le 27 mai 1992 de lui régler 22 762 838,97 francs ;

Qu'elle précise qu'elle a tenu constamment la société SOFIC informée de l'évolution de la situation et entrepris toutes les diligences nécessaires à la sauvegarde des intérêts du pool bancaire mais qu'elle n'a pu saisir que 3 078 francs, que la société SOFIC n'a pas accepté que soit opérée une cession partielle qui aurait permis de récupérer 6 000 000 francs, qu'une procédure de règlement amiable a été ouverte malgré son opposition à l'encontre du groupe COPROR dont le passif bancaire s'élevait à 700 000 000 francs, qu'elle a pu obtenir à la suite de la revente de lots un remboursement partiel qui a procuré le 19 avril 1994 810 600 francs à la société SOFIC elle-même en liquidation amiable depuis juillet 1993, qu'elle a été contrainte de se soumettre pour le surplus à la procédure de règlement amiable des dettes du groupe COPROR afin d'éviter une liquidation désastreuse des actifs immobiliers, et que l'une des cautions ne possède aucun immeuble susceptible de garantir sa dette et l'autre qu'un immeuble sur lequel elle n'a pu inscrire qu'une hypothèque pour sûreté de 2 000 000 francs ;

Qu'elle soutient que son association avec la société SOFIC s'analyse en une société en participation dont aucun associé ne peut demander le partage des biens indivis tant qu'elle n'est pas dissoute ; qu'elle en déduit que la demande d'autorisation de retrait du pool bancaire est irrecevable et que la demande de restitution ou de paiement de fonds ne peut s'analyser qu'en une demande d'annulation de l'accord du 9 avril 1991 ou d'indemnisation des conséquences des fautes qu'elle aurait commises ;

Qu'elle conteste que le consentement de la société SOFIC ait été vicié et que son partenaire puisse se dégager des pertes dues à l'effondrement du marché immobilier en se retirant du pool bancaire ; qu'elle soutient qu'elle n'a commis aucun dol fût-ce par réticence, qu'elle a inscrit les hypothèques prévues et obtenu l'engagement de deux cautions et que la société SOFIC avait la possibilité de prendre elle-même les renseignements nécessaires avant de s'engager ; qu'elle ajoute que la société SOFIC n'apporte aucune preuve d'un lien de causalité entre le dommage dont elle demande réparation et les fautes qu'elle allègue ;

Qu'elle demande à la Cour d'infirmer le jugement, de lui donner acte de son offre de régler à la société SOFIC sa part des loyers saisis, de débouter la société SOFIC de ses prétentions et de la condamner à lui payer 50 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Considérant qu'après avoir conclu à l'irrecevabilité de l'appel sans en préciser la raison ce qui dispense la Cour de l'obligation d'une réponse, la société SOFIC précise que la banque MONOD avait assorti sa proposition du 22 mars 1991 de renseignements favorables concernant le prix d'acquisition de l'immeuble, ses relations anciennes avec Gilbert ABOUKRAT, avocat disposant d'un patrimoine de 31 000 000 francs dont 6.000 000 francs en biens immobiliers, et sur le patrimoine de Jean-Claude DARMOUNI qui s'élevait à 70.000 000 francs, et avait promis d'intervenir elle-même à concurrence de 80 % du financement, ses clients apportant en outre 2 500 000 francs de fonds propres ; qu'elle ajoute que le pool bancaire n'était pas "formalisé" à l'égard de l'emprunteur qui n'avait pour co-contractant que la banque MONOD, chef de file du pool ;

Qu'elle reproche à la banque MONOD d'avoir tardé à diligenter les mesures conservatoires et les poursuites à l'encontre de la société CIMMO et Compagnie et des cautions dès que la défaillance de l'emprunteur s'est produite, de n'avoir que très parcimonieusement et tardivement informé la société SOFIC de ses diligences, d'avoir même fourni de fausses informations quant aux premiers actes annoncés et d'avoir déchargé pour finir Jean-Claude DARMOUNI de son engagement de caution dans le cadre d'un accord de conciliation dont la société SOFIC a été exclue ; qu'elle soutient que ces violations répétées de l'obligation d'information du partenaire et les fautes de gestion des intérêts communs des membres du pool bancaire justifiaient qu'elle notifie son retrait le 13 avril 1993 ;

Que la société SOFIC accepte que le pool bancaire soit qualifié de société en participation mais soutient que cette société peut être dissoute comme elle a été constituée c'est-à-dire sans formalisme ; qu'elle relève que la banque MONOD précise dans ses conclusions d'appel que Gilbert ABOUKRAT ne disposerait d'aucun actif immobilier et en déduit qu'elle a été victime à l'origine d'un dol qui rendrait nul l'accord de constitution du pool bancaire ; qu'elle reproche à la banque MONOD d'avoir protégé abusivement ses clients Jean-Claude DARMOUNI et Gilbert ABOUKRAT et que ce comportement abusif pour un chef de file a compromis la récupération de sa créance ;

Qu'elle demande à la Cour de confirmer le jugement déféré et de condamner la banque MONOD à lui verser 25 000 francs pour ses frais irrépétibles d'appel ;

Considérant que la banque MONOD soutient dans d'ultimes conclusions que les renseignements qu'elle a pu fournir sur les actifs de ses clients, concernaient en fait des actifs du groupe COPROR et que la société SOFIC, qui n'a pas engagé de procédure de dissolution obligatoire pour un retrait d'une société en participation, n'apporte aucune preuve de ce qu'une mesure de conservation ou d'exécution dont elle critique l'absence, aurait permis de diminuer la perte subie du fait de l'effondrement en 1992 du marché immobilier ; qu'elle précise que le groupe COPROR avait au 30 septembre 1992 un passif de 327 000 000 francs pour un actif de 262 000 000 francs, que les prévisions de 1991 chiffraient à 9 300 francs le mètre carré le profit attendu mais que le seul lot qui a pu être vendu en 1993 l'a été avec une perte de 10 700 francs au mètre carré, et que les loyers échus et à échoir sur les autres lots sont saisis au bénéfice du pool ;

Que la société SOFIC réplique que son action en sortie du pool bancaire est une demande de dissolution de la société en participation, que le remboursement partiel de 810 600 francs du 19 avril 1994 constitue un début de dissolution et que la BANQUE MONOD avait admis elle-même le 29 avril 1994 qu'elle n'était pas hostile à un "désengagement" de la société SOFIC "si les conditions en étaient raisonnables" ; qu'elle dénonce la tardiveté du compte-rendu de gestion que comportent selon elle les conclusions du 23 avril 1996 de la BANQUE MONOD et réitère sa demande de confirmation de la décision déférée ;

Considérant qu'il résulte de l'assignation introductive d'instance du 1er juillet 1993, des conclusions de première instance de la société SOFIC, du jugement déféré et des conclusions de l'intimée qui en sollicite la confirmation, qu'aucune demande d'annulation du pacte de pool bancaire du 22 mars-9 avril 1991 n'a été formulée ; qu'il s'en suit qu'est sans portée juridique le grief de dol formulé par la société SOFIC sur la base d'une inexactitude des renseignements fourni sur les actifs immobiliers de Gilbert ABOUKRAT, l'une des deux cautions ; que la société SOFIC lourdement engagée elle-même dans le financement d'autres programmes immobiliers apparemment compromis, ne démontre au surplus ni que Gilbert ABOUKRAT n'avait pas en 1991 un patrimoine de l'ordre des 31 000 000 francs annoncés et suffisant en tout cas pour couvrir les 5 000 000 francs constituant le plafond de son engagement de caution, ni qu'elle n'aurait pas accepté l'offre de la BANQUE MONOD si la seule caution de Gilbert ABOUKRAT avait fait défaut ;

Considérant que le Tribunal de Commerce de PARIS a déclaré "la société SOFIC bien fondée dans son retrait du pool bancaire" ; que la société SOFIC demande la confirmation de cette décision ; qu'elle se place elle-même dans l'optique d'une dissolution du pool bancaire par retrait d'un de ses deux seuls participants qu'autorise l'article 1872-2 du Code Civil ;

Que les participants d'un pool bancaire que les parties s'accordent à qualifier de société en participation, n'ont aucun droit d'exiger à l'occasion de la dissolution du pool la restitution de leur investissement initial ; que l'article 1832 du Code Civil leur accorde un droit de "partager le bénéfice" mais les contraint à "contribuer aux pertes" ;

Qu'il en résulte que la demande de restitution des 4 270 199,94 francs, montant de la participation de la société SOFIC au financement de l'opération litigieuse de la société CIMMO et Compagnie, est irrecevable en ce qu'elle se fonderait sur les articles 1832 et suivants du code civil ; que le financement était au surplus consenti pour deux ans à compter de la signature à intervenir de l'acte authentique d'acquisition de l'immeuble, selon l"offre du 22 mars 1991 de la BANQUE MONOD, de telle sorte que la notification du retrait du pool bancaire et la mise en demeure de paiement de la société SOFIC du 13 avril 1993 étaient selon toute vraisemblance prématurées ;

Considérant que la société SOFIC est désormais fondée à se retirer du pool bancaire dont la durée d'existence est expirée ; que sa décision de retrait équivaut à une demande de dissolution de la société en participation que constitue ce pool de deux participants, et de partage des résultats qu'ils soient bénéfices ou pertes ; qu'elle a reçu légitimement 810.600 francs provenant d'une cession partielle de l'immeuble et devra recevoir, au fur et à mesure des réalisations, sa part des résultats des cessions ultérieures ;

Qu'elle ne peut prétendre à davantage et notamment à une anticipation des paiements à la charge de son associée, qu'en apportant la preuve de ce que des fautes que la société SOFIC aurait commises dans la gestion des intérêts communs des membres du pool bancaire, auraient compromis la revente des actifs et lui auraient porté préjudice ;

Que la société SOFIC n'allègue que l'insuffisance ou l'inexactitude de l'information qu'elle a obtenue concernant les diligences de la BANQUE MONOD, chef de file du pool bancaire et seul interlocuteur de la société CIMMO et Compagnie, et la tardiveté ou l'absence des prises de garanties qui s'imposaient ; qu'il ne résulte pour autant de ces griefs ni que l'opération immobilière financée ait été mal conduite et les reventes anormalement différées et qui plus est par la faute de la BANQUE MONOD, ni que les loyers susceptibles d'être appréhendés ne l'aient pas été, ni enfin qu'une meilleure information émanant du chef de file du pool aurait permis d'améliorer la récupération de la créance ;

Que l'opération immobilière qui n'était apparemment pas déraisonnable lorsqu'elle a été engagée, s'est trouvée en fait compromise par un effondrement du marché dont la BANQUE MONOD n'est pas responsable ; que la société SOFIC a pris un risque qu'elle doit assumer ;

Considérant toutefois que Jean-Claude DARMOUNI et Gilbert ABOUKRAT se sont portés cautions des engagements de la société CIMMO et Compagnie chacun dans la limite de 5 000 000 francs ; que la BANQUE MONOD reconnaît elle-même qu'elle a "rendu exigible" la créance du pool bancaire le 25 juin 1992 ;

Qu'il lui appartient sous l'angle de sa responsabilité contractuelle de justifier de ses diligences à l'encontre des deux cautions et des raisons pour lesquelles la société SOFIC se trouve à ce jour privée des 2 000 000 francs en principal constituant sa part des 10 000 000 francs au total que les cautions s'étaient engagées à verser en cas de défaillance de la société CIMMO et Compagnie ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles actuels,

PAR CES MOTIFS

Infirme la décision déférée,

Constate que la Cour n'est saisie d'aucune demande d'annulation du pool bancaire et déclare irrecevable la demande de remboursement de 4 270 199,94 francs et de paiement d'intérêts,

Constate que l'échéance convenue du pool bancaire est atteinte et déclare la société SOFIC fondée à demander la dissolution de la société en participation que ce pool constitue, avec pour conséquence le partage des résultats ;

Constate que la société SOFIC a reçu à ce titre 810 600 francs le 19 avril 1994

Déclare la société SOFIC fondée à exiger de la Banque MONOD le paiement de 20 % de tout recouvrement de la créance commune en ce compris tous loyers sur saisies-arrêts et tous prix de cession de lots hypothéqués,

Constate qu'en demandant à la BANQUE MONOD de lui restituer les fonds investis au motif que ce chef de file du pool bancaire avait commis des fautes de gestion des intérêts communs des participants de ce pool, la société SOFIC a fondé également sa demande sur la responsabilité contractuelle du mandataire à l'égard de son mandant ;

Déclare l'action en responsabilité mal fondée sauf en ce qu'elle concernerait l'absence ou l'insuffisance des diligences à l'encontre des cautions qui ne pourraient au surplus légitimer qu'une demande de 2 000 000 francs en principal de la société SOFIC ;

Renvoie les parties à s'expliquer sur les sommes qui auraient été indûment retenues par la banque MONOD, sur la responsabilité de la BANQUE MONOD du fait de son éventuelle carence à l'encontre des cautions et sur le préjudice en résultant et à reformuler leurs demandes à ces titres ;

Fixe la nouvelle clôture au 22 décembre 1996 et les nouvelles plaidoiries au 6 février 1997,

Déboute les parties de leurs demandes présentes de frais irrépétibles ; réserve les frais irrépétibles ultérieurs ;

Condamne la société SOFIC en tous les dépens de première instance et d'appel exposés à ce jour ;

Admet la société civile professionnelle Teytaud, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.