CA Nouméa, ch. com., 28 décembre 2023, n° 21/00102
NOUMÉA
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Footprint Pacifique (SARL)
Défendeur :
S.A.R.L. KEANOU,
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Allard
Conseillers :
Mme Magherbi, Mme Vernhet-Heinrich
Avocats :
Me Descombes, Me Moresco, Me Guerin-Fleury
Le 20 août 2011, dans le cadre de discussions sur le rachat des parts sociales de la société Footprint Pacifique dont M. [H] était le gérant, M. [B] a souscrit l'engagement suivant :
« Je soussigné (...) déclare :
M’engager au titre des années 2012 et 2013, si je ne procède pas, au rachat des parts sociales de ladite société Footprint Pacifique au plus tard le 31 décembre 2011, à ne créer ou concurrencer directement ou indirectement les activités actuellement déclarées par la société Footprint Pacifique :
' Editions de livres et accessoires apparaissant dans le catalogue 2010-2011 de la société Footprint Pacifique,
' Editions de cartes postales,
- m'interdire, dès à présent, tant vis-à-vis de Monsieur [S] [H] que vis à vis de la société Footprint Pacifique, de m'intéresser, directement ou indirectement ou encore "par personne interposée, même comme simple associé commanditaire ou dirigeant salarié, dans une entreprise de la nature de celle exploitée aujourd'hui par la société Footprint Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, et ce, pendant une durée de deux (2) ans à compter du 1er janvier 2012, le tout sous peine de tous dommages et intérêts envers la société Footprint Pacifique, Monsieur [S] [H], ses héritiers ou ayants-droits ou leurs ayants-cause et sans préjudice du droit, pour ces derniers, de faire cesser la contravention et de faire fermer l'établissement ouvert et exploité au mépris de la présente clause, sous astreinte convenue dès à présent comme contractuelle et définitive de cinquante mille francs CFP (50000 F.CFP) par jour et par infraction, depuis le jour de la constatation de l'infraction jusqu'à sa cessation définitive ; les parties soussignées attribuant compétence à Monsieur le président du tribunal mixte de commerce de Nouméa pour constater, prononcer et liquider ladite astreinte. »
Le 14 juin 2013, M. [B] et Mme [G], son épouse, ont constitué une société à responsabilité limitée dénommée Kéanou, ayant pour objet « la création, l'achat et l'exploitation d'un fonds d'édition dans tous domaines, la création et la réalisation d'objets et/ou produits et notamment d'objets et/ou produits souvenirs, l'impression sur tous supports et notamment le textile, le graphisme, la PAO, la communication, le marketing, le design, la photographie et toutes autres activités annexes ou connexes ayant un lien direct ou indirect avec l'objet social ci-dessus. »
Par requête introductive d'instance déposée le 27 avril 2017, la société Footprint Pacifique et M. [H], reprochant à M. [B] d'avoir violé la clause de non-concurrence en créant la société Kéanou, directement concurrente de la société Footprint Pacifique, qui distribuait de « nombreux produits photographiques », ont recherché la responsabilité de M. [B] et de la société Kéanou devant le tribunal mixte de commerce de Nouméa. Ils ont ultérieurement reproché aux défendeurs de se livrer à une concurrence déloyale en imitant les calendriers commercialisés par la société Footprint Pacifique.
M. [B] et la société Kéanou se sont opposés à cette demande en excipant de la nullité de la clause de non-concurrence invoquée et en contestant tout acte de concurrence. A titre reconventionnel, ils ont imputé aux demandeurs des agissements déloyaux dont ils ont sollicité la cessation et la réparation.
Selon jugement en date du 30 août 2021, la juridiction saisie a :
- dit nul et de nul effet l'acte de non-concurrence signé par M. [B] au profit de la société Footprint Pacifique,
- débouté la société Footprint Pacifique et M. [H] de l'ensemble de leurs demandes principales et subsidiaires,
- débouté M. [B] et la société Kéanou de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles,
- condamné la société Footprint Pacifique et M. [H] in solidum à payer à M. [B] et la société Kéanou une indemnité globale de 300 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Les premiers juges ont principalement retenu :
- que l'engagement de non-concurrence n'était pas l'accessoire d'un compromis de cession de parts sociales mais seulement de pourparlers auxquels ne pouvait s'adosser la clause litigieuse, compte tenu de son caractère contraignant ;
- que M. [B] n'avait commis « aucune sorte d'imitation ou de parasitisme » en faisant fabriquer et commercialiser des produits « plus ou moins semblables » qui étaient « partout dans le monde » ;
- que la commercialisation de calendriers par la société Kéanou n'était pas constitutive d'une concurrence déloyale au préjudice de la société Footprint Pacifique qui ne se plaignait pas d'une contrefaçon ;
- qu'il n'était pas établi que M. [B] s'était rendu coupable de dénigrement ;
Par requête déposée le 18 octobre 2021, la société Footprint Pacifique et M. [H] ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives transmises le 31 mars 2023, la société Footprint Pacifique et M. [H] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Footprint Pacifique et M. [H] de leurs demandes à l'encontre de M. [B] et la société Kéanou ;
- juger recevables les demandes de la société Footprint Pacifique et M. [H] ;
- enjoindre à la société Kéanou de produire l'échange de mails intervenu avec la boutique de la marine nationale (Pointe Chaleix) ;
- constater que la société Kéanou imite de façon fautive les calendriers édités par la société Footprint Pacifique depuis 2015 créant un risque de confusion ;
- constater que la société Kéanou engage sa responsabilité délictuelle du fait de son comportement déloyal à l'égard de la société Footprint Pacifique et de M. [H], équivalent à du parasitisme et du dénigrement ;
- juger que ces agissements de la société Kéanou et de M. [B] s'apparentent à des faits de concurrence déloyale a l'égard de la société Footprint Pacifique ;
- enjoindre à la société Kéanou et à M. [B] de cesser ces agissements déloyaux et donc de cesser d'éditer de commercialiser les calendriers litigieux sous astreinte de 50.000 FCFP par jour de retard, à compter de la décision à intervenir ;
- condamner solidairement M. [B] et la société Kéanou à payer à la société Footprint pacifique la somme de 27.410.112 FCFP à titre de dommages et intérêts ;
- condamner solidairement M. [B] et la société Kéanou à verser à la société Footprint Pacifique la somme de 5.000.000 FCFP pour le trouble commercial subi ;
- condamner solidairement M. [B] et la société Kéanou à payer à M. [H] la somme de 40.550.326 FCFP au titre du préjudice subi pour la perte de valeur des parts de la société Footprint Pacifique ;
- condamner solidairement M. [B] et la société Kéanou à payer à M. [H] la somme de l.500.000 FCFP au titre du préjudice moral subi ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [B] et la société Kéanou de leurs demandes à l'encontre des appelants ;
- débouter M. [B] et la société Kéanou de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner solidairement M. [B] et la société Kéanou au versement de la somme de 300.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de la selarl D & S Légal.
Selon conclusions transmises le 27 février 2023, M. [B] et la société Kéanou prient la cour de :
- écarter des débats comme étant nouvelle la demande présentée dans le dispositif des appelants visant à voir condamner les intimés au paiement de la somme de 40 550 326 FCFP à M. [H] pour perte de valeur des parts de la société Footprint Pacifique ;
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit nul et de nul effet l'acte de non-concurrence signé par M. [B] au profit de la société Footprint Pacifique le 20 août 2011 et débouté la société Footprint Pacifique et M. [H] de l'ensemble de leurs demandes principales et subsidiaires ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [B] et la société Kéanou de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles ;
- juger que la société Footprint Pacifique et M. [H] se sont livrés à une imitation fautive des produits innovants commercialisés par M. [B] et la société Kéanou ;
- juger que la société Footprint Pacifique et M. [H] ont commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de M. [B] et la société Kéanou ;
- condamner la société Footprint Pacifique et M. [H] de cesser ces agissements déloyaux sous astreinte de 50 000 FCFP par jour de retard, à compter de la décision à intervenir ;
- les condamner à payer à M. [B] et la société Kéanou la somme de 5 000 000 FCFP pour le trouble commercial subi ;
- les condamner en tout état de cause à verser à M. [B] et la société Kéanou la somme totale de 1.000.000 F.CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la selarl Aguila-Moresco.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 août 2023.
Sur ce, la cour,
1) La société Footprint Pacifique et M. [H] ne sollicitent plus le bénéfice de la clause de non-concurrence dont ils avaient dénoncé la violation en première instance.
Ils reprochent à leurs adversaires de se rendre coupables d'actes de concurrence déloyale en commercialisant depuis 2015 des calendriers qui reprennent des « concepts développés et protégés par Footprint » ou encore qui imitent « un ensemble de concepts, de modèles et d'idées propres à Footprint, dont certains ont fait l'objet d'un dépôt auprès de l'INPI », ou qui s'approprient « l'identité artistique » de M. [H] ou « sa griffe et (...) son empreinte artistique », au point qu'il existerait un risque de confusion pour la clientèle.
Ils ajoutent que les agissements de la société Kéanou constituent du parasitisme puisqu'elle s'est « tranquillement immiscée dans le sillage de Footprint Pacifique ».
Enfin, ils reprochent à leurs adversaires d'avoir dénigré la société Footprint Pacifique auprès de sa clientèle.
2) Pour caractériser la « campagne de dénigrement » dont ils affirment avoir été victimes, les appelants ne versent aucun témoignage : ils soutiennent que la preuve de ce dénigrement résiderait dans la circonstance que leurs adversaires produisent des attestations « en défaveur de la société Footprint Pacifique », à savoir les « pièces adverses n° 13 à 17 » (en réalité 17 à 21).
En examinant le témoignage de M. [I], gérant de la librairie [5], les premiers juges ont démontré l'inanité du raisonnement de M. [H] et de la société Footprint Pacifique. Les autres attestations produites par les intimés, celles de Mmes [X], [M], [C] ou [P], montrent que M. [B] visitait sa clientèle potentielle pour promouvoir ses produits, en mettant à disposition des présentoirs. Or, un tel démarchage n'était pas en lui-même un comportement agressif, prohibé.
En conclusion, il n'est nullement démontré que M. [B] et la société Kéanou se sont rendus coupables de dénigrement.
3) En dépit de la référence dans les conclusions des appelants à la notion de concepts « protégés » et de dépôt auprès de l'INPI, la cour n'est pas saisie d'une action en contrefaçon. Il n'est d'ailleurs pas prétendu, ni démontré que les calendriers commercialisés par la société Kéanou reproduisent les caractéristiques des deux modèles de « couverture d'un calendrier, calendrier 14 photos symétriques » et de « sous-main » plastifié inséré dans le calendrier.
L'examen des photographies des calendriers des sociétés Footprint Pacifique et Kéanou produites par les appelants, ceux-ci n'ayant pas jugé opportun de verser des exemplaires des calendriers litigieux, montrent que ces calendriers concurrents, essentiellement destinés à une clientèle touristique ou de résidents temporaires, reposent sur l'exploitation d'une base iconographique commune, à savoir des représentations des sites locaux les plus notoires, dont les appelants n'ont pas un usage exclusif. L'utilisation par la société Kéanou d'une photographie de la plage du [Localité 4] à [Localité 7] dans son calendrier 2022 que dénoncent les appelants dans leurs conclusions (page 13) alors que ce même site avait été reproduit par la société Footprint Pacifique dans ses calendriers 2019 et 2020 n'appelle aucune réserve, sauf à admettre que cette dernière aurait un monopole quant à l'utilisation des photographies de ce site, dans la mesure où les angles de vue ne sont pas identiques. De même, il ne serait être reproché à la société Kéanou d'avoir utilisé sur la couverture de son calendrier 2019 la photographie d'un objet tressé évoquant la forme d'un poisson, c'est-à-dire d'un article sans grande originalité vendu dans les magasins de souvenirs et présent dans les devantures des magasins.
Les parties au procès déclinent des concepts similaires, communément adoptés, tels que l'illustration de chaque mois de l'année par une image spécifique ou la reproduction sur la couverture du calendrier de tout ou partie des photographies qui l'illustrent. Les éléments soumis à l'appréciation de la cour ne révèlent pas que la mise en page de la couverture retenue par la société Kéanou (annexe n° 29 des appelants) aurait déjà été adoptée par sa concurrente (annexes n° 26 et 45).
Les appelants insistent sur le fait que la société Kéanou, à l'instar de la société Footprint Pacifique, fournit une enveloppe avec laquelle le calendrier peut être posté ou encore permet à sa clientèle de télécharger les photographies qui illustrent le calendrier.
M. [H] et la société Footprint Pacifique ne démontrent pas que ces idées seraient le résultat d'un travail de recherche qu'ils auraient financé. Bien plus, les propres pièces de la société Footprint Pacifique démontrent que l'idée de permettre au consommateur de poster le calendrier est répandue puisqu'elle est adoptée par un concurrent des parties au litige, la société Solaris (annexe n° 50). De même, la possibilité de télécharger une image en fond d'écran d'ordinateur ne peut pas être tenue pour un attribut distinctif, s'agissant d'une pratique d'une grande banalité pour un consommateur de la seconde décennie du vingt et unième siècle.
En l'état des maigres éléments produits par les appelants, sur lesquels repose la charge de la preuve de la concurrence déloyale, la cour n'est pas en mesure de retenir que les calendriers commercialisés par la société Kéanou sont une imitation fautive des calendriers de la société Footprint Pacifique, les similitudes dénoncées par la société Footprint Pacifique et M. [H] s'expliquant par la fonction même d'un calendrier illustré.
La société Footprint Pacifique et M. [H] seront déboutés de leurs demandes fondées sur la concurrence déloyale.
4) M. [B] et la société Kéanou reprochent aux appelants de se livrer à une concurrence déloyale en imitant « des produits innovants » qu'ils commercialisent, à savoir des blocs de résine translucide dans lesquels est insérée une photographie d'un site touristique local, sous l'appellation « blocdéco ».
L'insertion d'une image dans un bloc de résine n'est pas une idée nouvelle, dont la société Kéanou détiendrait l'exclusivité d'exploitation en Nouvelle-Calédonie. En effet, dans une attestation datée du 18 août 2020, M. [D], commerçant sous l'enseigne Photo discount, explique que « des images imprimées sur bloc acrylique existent depuis les années 2010 par d'autres fabricants étrangers » et qu'il a proposé « ce produit depuis 2013 ».
Enfin, il résulte du constat de Me [R] que les blocs concurrents n'ont pas les mêmes dimensions et qu'ils sont commercialisés sous des emballages dénués de toute similitude de sorte qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les produits.
M. [B] et la société Kéanou reprochent également à leurs adversaires de se livrer à une concurrence déloyale en commercialisant « un nouveau calendrier » au format carré, dont la couverture n'est illustrée que par une photographie.
Ce grief ne sera pas davantage retenu. M. [B] et la société Kéanou ne peuvent d'autant moins se prévaloir d'une quelconque volonté d'imitation que leurs concurrents justifient avoir commercialisé, dès 2005, des calendriers de forme carrée, dont la couverture est ornée d'une unique photographie (annexe n° 36).
Les intimés qui ne démontrent pas être victimes d'une concurrence déloyale seront déboutés de leurs demandes de cessation des agissements prétendument déloyaux de leurs adversaires et en indemnisation.
Par ces motifs
La cour,
Confirme le jugement déféré ;
Condamne la société Footprint Pacifique et M. [H] à payer à M. [B] et la société Kéanou une somme complémentaire de 250.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Footprint Pacifique et M. [H] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la selarl Aguila-Moresco.