CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 7 octobre 2011, n° 11/00473
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
PATAUGAS (SA)
Défendeur :
GALEC (SA), SIPLEC (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. LACHACINSKI
Conseillers :
Mme NEROT, Mme REGNIEZ
Avoués :
SCP NARRAT PEYTAVI, SCP MIREILLE GARNIER
Avocats :
Me BESSIS, Me GILLOT
La société PATAUGAS SA, se prévalant de droits d'auteur sur des chaussures référencées MARACCI créées, selon elle, pour l'été 2007, par Philippe MORVAN, styliste, lequel lui a cédé ses droits d'auteur, et de droits sur un modèle de semelle déposé à l'Institut National de la propriété intellectuelle le 7 mars 2007 sous le n° 07/1173 'RIDE', a constaté, après avoir effectué un achat dans un magasin LECLERC à RUEIL-MALMAISON le 28 avril 2009, que les magasins sous cette enseigne distribuaient des chaussures référencées SALOME, qui reproduiraient les caractéristiques de la chaussure MARACCI et de la semelle RIDE.
Elle a ensuite, après y avoir été autorisée, fait procéder à une saisie contrefaçon le 3 juillet 2009 au siège de la société COOPERATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC (ci-après GALEC), procédure au cours de laquelle la société D'IMPORTATION LECLERC (ci-après SIPLEC), importatrice des chaussures incriminées a donné des informations sur leur origine.
Elle a assigné par actes du 20 juillet 2009 les sociétés GALEC et SIPLEC devant le tribunal de grande instance de CRETEIL sur le fondement de la contrefaçon, subsidiairement, de la concurrence déloyale, et d'agissements distincts de concurrence déloyale et de parasitisme pour obtenir notamment paiement de dommages et intérêts et des mesures d'interdiction et de publication.
Par jugement du 4 janvier 2011, le tribunal de grande instance de CRETEIL a débouté les sociétés GALEC et SIPLEC de leur demande de mise hors de cause de la société GALEC, débouté la société PATAUGAS de l'ensemble de ses demandes et condamné cette dernière à payer à la société SIPLEC la somme de 2 000 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ,
Par conclusions du 8 juin 2011, la société PATAUGAS demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société GALEC, de l'infirmer pour le surplus et de dire que les sociétés GALEC et SIPLEC se sont rendues coupables :
- d'actes de contrefaçon des droits d'auteur concernant les chaussures MARACCI et de modèle de semelle RIDE, d'ordonner des mesures d'interdiction, de saisie et de destruction de tous produits, documents ou supports contrefaisants et de condamner ces sociétés à lui verser la somme de 800 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait des actes de contrefaçon, et à titre subsidiaire, si la cour estime qu'il n'y a pas de contrefaçon, de lui allouer cette somme en raison des actes de concurrence déloyale,
- d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitisme et de les condamner à ce titre au paiement de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- d'ordonner des mesures de publication et d'ordonner par application des articles L.335-8 et L.521-8 du Code de la propriété intellectuelle que les produits reconnus comme contrefaisants soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits et détruits au profit de la partie lésée sous astreinte de 2000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,
- de condamner in solidum les sociétés intimées à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ,
Par conclusions du 22 juin 2011, les sociétés intimées prient la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société GALEC et de condamner la société PATAUGAS à régler à la société SIPLEC la somme de 15 000 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ,
SUR CE, LA COUR :
Sur l'originalité de la chaussure MARACCI :
Considérant que la société PATAUGAS souligne que sa chaussure est protégeable en ce qu'elle combine les éléments suivants : - sandale à quatre brides, - les brides latérales s'insèrent dans une languette centrale longitudinale, - chaque passant se termine par une boucle ronde en métal vieilli et les lanières comportent des 'illets en métal vieilli et des surpiqûres, - une semelle débordante à l'avant, à l'arrière et sur les côtés, - la présence de surpiqûres et une alternance de lanières de toile et de cuir vieilli ;
Considérant que les sociétés intimées soutiennent qu'il n'est nullement dit en quoi cette combinaison serait originale ; qu'en réalité les deux chaussures appartiennent au même genre celui très banal des chaussures de type 'spartiate' ; que ce style de chaussure se caractérise par un aspect très aéré laissant entrevoir le pied et par la présence de brides s'insérant dans une languette centrale, tous éléments techniques qui ne sont pas seulement fonctionnels mais qui sont commandés par ce genre de chaussure dans la mesure où ils sont indispensables pour permettre la tenue du pied (pièces 5,6, 23 et 28) ;
Que la forme débordante en partie avant et arrière de la semelle est un élément classiquement utilisé pour les modèles de chaussures 'Sportwear' (pièces 15, 16, 17 et 18) ;
Mais considérant que si la chaussure en cause s'inspire du genre spartiate en ce qu'elle utilise des brides s'insérant dans une languette centrale, (déjà connu par des documents 5 et 6), elle s'en distingue par la combinaison de ces éléments avec des caractères plus sportifs, s'agissant non pas d'une sandale ouverte mais d'une chaussure fermée dont les faces avant et arrière sont renforcés; qu'en outre, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il n'est nullement banal d'utiliser pour ce genre de chaussure de type sport des motifs décoratifs tenant notamment à l'aspect vieilli des boucles de métal ainsi que celui des 'illets des brides et une alternance de cuir vieilli et de lanières de toile ; que l'ensemble de ces éléments combinés révèle l'empreinte de la personnalité de son auteur et rend éligible la chaussure en cause à la protection relevant du Livre I du Code de la propriété intellectuelle ; que le jugement sera sur ce point infirmé ;
Considérant que les sociétés intimées soutiennent que la contrefaçon n'est pas établie dès lors qu'il existe de nombreuses différences entre les chaussures : nombre de brides de 3 au lieu de 4, sandale montante en raison d'une bride qui enserre la cheville, nombre d''illets, la matière et la couleur et que 'l'impression d'ensemble' est distincte ;
Mais considérant que 'l'impression d'ensemble' est indifférente pour apprécier l'existence d'une contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur laquelle est constituée dès lors que les caractéristiques originales de la création sont reproduites, peu important les différences ;
Considérant qu'en l'espèce, la chaussure SALOME comprend la combinaison des éléments suivants : brides insérées dans une languette centrale, comportant des 'illets en métal vieilli ainsi que des boucles de fermeture en métal vieilli, avec des contreforts de style sport à l'avant et à l'arrière ; qu'est également reprise l'alternance de deux matières cuir et toile ; qu'ainsi, les éléments caractéristiques du modèle de chaussure MARACCI (alliance d'une spartiate et d'une chaussure sport) se retrouvent dans la chaussure SALOME ; que la société PATAUGAS est dès lors bien fondé en son action en contrefaçon des droits d'auteur du modèle de chaussure MARACCI ;
Sur la contrefaçon du modèle de semelle :
Considérant que la semelle 'RIDE', représentée par quatre photographies prises de dessous et de côté, objet du dépôt, bien que peu lisible dans l'exemplaire présenté à la cour, se caractérise, cela n'étant pas contesté par les intimées, par les éléments suivants : semelle comportant dans sa partie en contact avec le sol, un trait central longitudinal et des stries parallèles horizontales, 'débordante' sur l'avant de la chaussure, bord comprenant de faux rivets à intervalles réguliers, et débordante également sur le côté de la chaussure, remontant de façon quasi symétrique à l'arrière du talon ; Considérant que l'appelante insiste également sur la forme en bateau des 'débords' de la semelle en sa partie centrale ; que toutefois, cette caractéristique n'est pas visible sur le modèle déposé versé aux débats ; qu'elle ne peut en conséquence être valablement opposée aux sociétés intimées ;
Considérant que la validité de ce modèle n'est pas contestée étant seulement relevé sans en tirer de conclusion que la forme débordante de la semelle en avant et en arrière est dénuée de nouveauté ; que cette critique n'a toutefois pas d'incidence, le caractère protégeable devant être apprécié par rapport à l'ensemble du modèle déposé, étant en outre relevé qu'aucun élément ne permet de dire que le modèle serait dénué de nouveauté et ne présenterait aucun caractère propre au sens des articles L.511-2, L.511-3 et L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que selon les dispositions de l' article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle , 'la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente';
Or considérant qu'en l'espèce, le dessin de la semelle de la chaussure litigieuse présente un sillon central en forme de S allongé entrecoupé de sillons verticaux non rectilignes et est totalement distinct de celui du modèle déposé en ce qu'il ne comporte pas les lignes géométriques de la semelle ; qu'ainsi, malgré l'aspect débordant de la semelle (qui en soi est un élément connu) et la présence de décor en forme de rivets au demeurant peu visibles, l'impression visuelle d'ensemble produite est différente pour l'observateur averti ; que le jugement sera sur ce point confirmé ;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant qu'il ne peut être opposé au titre de la concurrence déloyale des actes identiques à ceux retenus au titre de la contrefaçon ni, à titre subsidiaire, des actes déjà écartés sur le fondement de la contrefaçon ;
Considérant qu'ainsi, la société PATAUGAS ne peut être suivie lorsqu'elle prétend que les actes invoqués au titre du modèle déposé peuvent constituer à titre subsidiaire des actes de concurrence déloyale ;
Considérant, par ailleurs, que la société PATAUGAS soutient que des actes de concurrence déloyale consistent dans l'atteinte portée à son image de marque et à la volonté des sociétés intimées de se placer dans son sillage ; qu'elle insiste
sur le fait que sa marque est notoire et que le style de ses chaussures est très 'reconnaissable et marqué' et qu'il est manifeste que les intimées ont voulu détourner le style des chaussures PATAUGAS en vendant à vil prix des chaussures reprenant ce style très identifiable ; qu'ainsi, elles ont eu, selon elle, un 'comportement déloyal parasitaire' ;
Mais considérant que de tels faits, s'ils sont susceptibles d'aggraver le préjudice subi par la société appelante ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon ; qu'en outre, il n'est pas établi que les chaussures MARACCI seraient un produit phare de la société PATAUGAS et que les sociétés intimées auraient ainsi tenté de tirer profit de leur notoriété ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ; Sur la demande de la société GALEC tendant à être mise hors de cause :
Considérant que la société GALEC sollicite sa mise hors de cause, soutenant n'avoir pas participé à l'achat, à l'importation et à la commercialisation du modèle de sandales SALOME ;
qu'elle n'est qu'une centrale de référencement et qu'en l'occurrence ce produit n'a pas été référencé par elle, mais a été proposé directement à la vente auprès des distributeurs à enseigne Centre Leclerc par la société SIPLEC ; qu'elle n'a pas été en relation avec le fournisseur ; qu'elle ajoute que sur les chaussures incriminées et sur le catalogue édité par elle (portant reproduction de la chaussure en cause) se trouve inscrite la marque TISSAIA dont elle est titulaire ; que néanmoins, elle concède les droits d'utilisation de sa marque sans avoir en l'espèce eu connaissance de la destination ; Qu'elle fait valoir à titre subsidiaire qu'elle est de parfaite bonne foi et que si elle devait être condamnée, elle ne pourrait l'être solidairement avec la société SIPLEC, n'étant pas à l'origine du préjudice subi par la société PATAUGAS ; qu'à tout le moins, sa participation au préjudice subi n'est pas identique à celle de la société SIPLEC, puisqu'elle n'a pas passé commande de la marchandise ;
Mais considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que le tribunal a rejeté la demande de mise hors de cause de la société GALEC ayant retenu que la chaussure SALOME arguée de contrefaçon était reproduite sur le catalogue édité par cette société et que sur cette chaussure était apposée la marque de la société GALEC ; qu'elle a ainsi participé aux actes de contrefaçon par la diffusion de la chaussure en cause sur des catalogues ;
Considérant que par ailleurs, la bonne foi est inopérante en matière civile, s'agissant en outre d'une société dont le professionnalisme est certain ; qu'elle ne peut davantage soutenir avoir participé dans une proportion moindre que celle de la société SIPLEC au préjudice de la société PATAUGAS puisqu'elle a contribué à la commercialisation des chaussures en cause en éditant le catalogue reproduisant la chaussure, à plus d'un million d'exemplaires ; qu'elle sera tenue in solidum à la réparation du préjudice ;
Sur la réparation du préjudice : Considérant que compte tenu de la portée de la décision, seul doit être réparé le préjudice résultant de la contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur ;
Considérant que selon les dispositions de l' article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle , le préjudice doit être calculé en prenant en compte les 'conséquences économiques négatives dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte' ; Considérant que les sociétés intimées font valoir qu'elles sont de bonne foi, que la marge sur laquelle se base la société PATAUGAS pour fixer son préjudice est excessive au regard du prix de vente affiché par la société PATAUGAS ; qu'elles soutiennent qu'elles n'ont pas fait perdre des ventes à cette société dès lors que durant la période litigieuse, les chaussures en cause n'étaient plus commercialisées par la société appelante ;
Considérant que la société PATAUGAS expose essentiellement que les dommages et intérêts qu'elle sollicite tiennent compte de l'importance de la masse des chaussures vendues (9156 paires), de la marge qu'elle aurait pu réaliser sur la base du prix de vente conseillé au détail (105 euros), de l'importance des investissements engagés ainsi que du grand nombre de diffusion des catalogues tirés à plus d'1 million d'exemplaires ;
Considérant cela exposé que les sociétés intimées font exactement valoir que la perte de marge ne saurait avoir l'importance avancée par la société PATAUGAS dans la mesure où cette dernière ne tient pas compte de l'arrêt de la commercialisation de la chaussure MARACCI ; que compte tenu de l'importance de la vente et de la diffusion par catalogue, de la dépréciation de la chaussure du fait de l'importance de cette divulgation ainsi que des investissements liés à la vente des chaussures et des bénéfices réalisés par les sociétés contrefactrices, il convient de fixer à la somme de 100 000 euros le montant des dommages et intérêts ;
Considérant qu'il convient de faire droit aux mesures d'interdiction sollicitées ; que les mesures de saisie aux fins de destruction, de retours afin de destruction et de publication ne sont pas nécessaires ; Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer à la société PATAUGAS la somme de 5 000 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile et d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société PATAUGAS à ce titre ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement sauf sur le rejet de la demande en contrefaçon du droit d'auteur, sur la condamnation de la société PATAUGAS au titre de l' article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,
Infirmant de ces chefs, statuant à nouveau,
Dit que la société COOPERATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC (GALEC) et la société d'IMPORTATION LECLERC (SIPLEC) se sont rendues coupables de contrefaçon des droits d'auteur concernant les chaussures MARACCI, Leur fait interdiction de détenir, offrir et vendre des produits contrefaisants les chaussures MARACCI dans le délai de quinze jours du présent arrêt sous astreinte de 200 euros par infraction constatée,
Les condamne in solidum à payer à la société PATAUGAS SA la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile , Rejette toutes autres demandes, Condamne les sociétés GALEC et SIPLEC aux dépens, Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de procédure civile .