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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 25 janvier 2022, n° 20/15987

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MECHANISCH-OPTISCHE-METALLVERARBEITUNG (SARL)

Défendeur :

BRILLENMANUFAKTUR (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme DOUILLET

Conseillers :

Mme LEHMANN, Mme BOHÉE

Avocat :

SELARL WEILAND & PARTENAIRES

TGI Paris, du 23 mars 2018

23 mars 2018

La société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH (ci-après la société M.), fondée en 2011, dont le gérant et designer des modèles est M. Thomas M., se présente comme une société spécialisée dans la conception et la fabrication de montures de lunettes qu'elle commercialise dans le monde entier.

Elle expose être titulaire de droits d'auteur sur dix montures de lunettes dénommées ETON, ARLES, TENBY, PARIS , VIBORG, SUNDERLAND créées en 2011, LYNN créée en 2012, PANTOS et FLINT créées en 2013, et YSTAD créée en 2015, qui se caractérisent notamment par leur charnière en forme de « E », dont l'extrémité du tenon vient épouser en négatif la forme du E, créée par M. Thomas M. en 2004, exploitée par la société M. EYEWEAR jusqu'à sa liquidation en décembre 2010, et depuis par la société M..

La société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung (ci-après la société MOM), fondée en 1999 par M. Wolfgang S., se présente comme fabricant de montures de lunettes en titane et acier inoxydable, fabriquant ses propres collections ainsi que des collections pour ses clients.

Elle a fabriqué en 2008 des lunettes pour la société M. EYEWEAR et notamment des montures comportant la charnière en forme de « E ».

Indiquant avoir constaté à l'occasion du salon mondial de l'optique (SILMO) se tenant à Paris du 25 au 28 septembre 2015 que la société MOM, exerçant sous le nom commercial GRAFIX, exposait sur son stand et offrait à la vente dix montures de lunettes constituant, selon elle, la contrefaçon de ses montures, la société M., après avoir diligenté des opérations de saisie-contrefaçon sur le stand de la société MOM le 25 septembre 2015, et avoir fait procéder le 2 octobre 2015 à un procès-verbal de constat d'achat sur le site internet grafix-eyewear.de de la société MOM, a fait assigner la société MOM en contrefaçon de droit d'auteur et concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Paris .

Par ordonnance du 14 octobre 2016, le juge de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande d'annulation des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, et a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée.

Par jugement du 23 mars 2018 dont appel, le tribunal a :

-REJETÉ le moyen d'irrecevabilité pour défaut de titularité;

-DIT que la charnière en forme de « E » et les montures de lunettes ETON, PANTOS, ARLES, TENBY, FLINT, PARIS , VIBORG, SUNDERLAND, YSTAD et LYNN ne sont pas protégeables par le droit d'auteur;

-REJETÉ en conséquence les demandes de la société M.BRILLEN MANUFAKTUR GMBH en contrefaçon de droit d'auteur;

-DIT qu'en commercialisant six montures de lunettes référencées 2225, 2229, 2215, 2122, 6113 et 6110 très similaires respectivement aux lunettes ETON, ARLES, FLINT, PARIS , VIBORG et LYNN de la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH, la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH;

-INTERDIT à la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung la poursuite de ces agissements, et ce sous astreinte de 350 euros par produit, passé un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision pendant une durée de 4 mois ;

-AUTORISÉ la publication de l'insertion suivante extraite du dispositif du présent jugement : «Par décision en date du 23 mars 2018, le tribunal de grande instance de Paris a notamment jugé que la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH et l'a condamnée à indemniser la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH en réparation des préjudices subis de ce fait. », et ce dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque publication n'excède, à la charge de celle-ci, la somme de 3.500 euros H.T. ;

-DIT que le présent tribunal se réserve la liquidation des astreintes ;

-CONDAMNÉ la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung à payer à la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH la somme globale de 20.000 euros en réparation de ses préjudices au titre de la concurrence déloyale ;

-REJETÉ le surplus des demandes ;

-CONDAMNÉ la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung à payer à la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à laquelle s'ajouteront les frais de constat d'huissier;

-ORDONNÉ l'exécution provisoire du présent jugement sauf en ce qui concerne la mesure de publication ;

-CONDAMNÉ la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société MOM a interjeté appel de ce jugement le 12 juin 2018.

Par ordonnance du 26 février 2019, le magistrat en charge de la mise en état a ordonné la radiation du rôle au motif que la société MOM n'avait pas exécuté le jugement.

La société M. a alors fait procéder à son exécution forcée en Allemagne et la société MOM a finalement réglé les sommes qui ont été mises à sa charge par le tribunal.

L'appelante a sollicité le rétablissement de l'affaire devant la cour le 10 novembre 2020.

Parallèlement, d'autres procédures opposent les parties en Allemagne.

La société M. expose avoir intenté une action en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le tribunal de Cologne à l'encontre de la société MOM, la procédure étant actuellement en cours et ayant donné lieu à des auditions de témoins.

La société M. a, par ailleurs, engagé une procédure en référé devant le tribunal de Tubingen qui a rendu sa décision le 8 janvier 2016 en condamnant un agent commercial de la société MOM sur le fondement de l'atteinte à l'exploitation commerciale de l'entreprise et la concurrence déloyale et a ordonné à cet agent de cesser de « prétendre à des tiers que le design et/ou la production des modèles de lunettes M. vendus sous la marque "M." proviennent de la société MOM » et que « Thomas M. n'est pas le créateur des lunettes de la marque "M." » .

Enfin, un jugement du tribunal de Heibronn rendu le 7 septembre 2016 a enjoint à M. Thomas M. et à la société M. de ne plus affirmer que la charnière des lunettes GRAFIX de la société MOM est une contrefaçon et que les lunettes de la même collection sont des 'copies particulièrement frappantes'.

Vu les dernières conclusions numérotées 2 signifiées le 13 novembre 2020 par lesquelles la société MOM, appelante et intimé incidente, demande à la cour de :

Sur la contrefaçon

Sur la titularité des droits

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté le moyen d'irrecevabilité pour défaut de titularité.

- Juger que la titularité des droits patrimoniaux sur le modèle de charnière litigieux ainsi que les contenus et dates des cessions alléguées par la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH ne sont absolument pas établis.

- Juger que la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH ne justifie pas de l'exploitation et de la commercialisation des modèles litigieux antérieurement à la société MOM GmbH.

- Constater que par suite, elle ne peut « se prévaloir d'actes d'exploitation propres à justifier l'application de la présomption de titularité des droits ».

- Juger que la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH ne justifie pas être titulaire des droits d'auteur attachés à l'exploitation des modèles litigieux.

- Déclarer ses demandes irrecevables.

Sur l'originalité

- Juger que les charnières des sociétés M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH (modèle de charnière sans vis fermé) et MOM GmbH (modèle de charnière sans vis ouvert) ne présentent aucune ressemblance.

- Constater que la forme de la charnière des lunettes de la société MOM GmbH est dictée par les nécessités de sa fonction.

- Juger qu'en l'absence de ressemblance entre les modèles de la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH et les modèles argués de contrefaçon, aucune contrefaçon ne saurait être établie.

- Subsidiairement, constater que toute ressemblance éventuelle serait liée au genre de l''uvre.

- En tout état de cause, juger qu'aucune marque de la personnalité de l'auteur n'est établie.

- En conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la charnière en forme de «E» et les montures de lunettes ETON, PANTOS, ARLES, TENBY, FLINT, PARIS , VIBORG, SUNDERLAND, YSTAD et LYNN ne sont pas protégeables par le droit d'auteur,

- Et rejeté en conséquence, les demandes de la société M.BRILLEN MANUFAKTUR GmbH en contrefaçon de droit d'auteur.

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'en commercialisant six montures de lunettes référencées 2225, 2229, 2215, 2122, 6113 et 6110 très similaires respectivement aux lunettes ETON, ARLES, FLINT, PARIS , VIBORG et LYNN de la société M. BRILLEN MANUFAKTUR GmbH, la société MOM GmbH Mechanisch-Optische- Metallverarbeitung a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH ;

- Juger que les demandes de la société M.BRILLEN MANUFAKTUR GmbH sont infondées et injustifiées.

- Constater qu'aucun préjudice n'est établi.

- Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la société M. BRILLEN MANUFAKTUR GmbH.

En tout état de cause,

- Condamner la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH à verser à la société MOM GmbH la somme de 10 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais de traduction.

Vu les dernières conclusions numérotées 2 signifiées le 24 janvier 2021 par lesquelles la société M., intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

- CONFIRMER le jugement, rendu le 23 mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance de Paris , en ce qu'il a déclaré la société M. recevable à agir en contrefaçon,

- L'INFIRMER en ce qu'il a dit que la charnière de lunette revendiquée ne serait pas protégeable par le droit d'auteur et a en conséquence rejeté les demandes en contrefaçon de la société M.

Statuant à nouveau,

- JUGER que la charnière sus-décrite sur laquelle la société M. détient des droits d'auteur est éligible à la protection par le droit d'auteur,

- CONSTATER que la société MOM offre à la vente et commercialise 23 montures de lunettes qui reproduisent servilement les caractéristiques originales de la charnière de la société M.,

- JUGER qu'en offrant à la vente et en commercialisant ces 23 montures, la société MOM a commis des actes de contrefaçon en application des dispositions des articles L. 122-4, L. 335-2 et L. 335-3 du Code de propriété intellectuelle,

En conséquence,

- FAIRE INTERDICTION à la société MOM d'importer, d'offrir à la vente, de promouvoir et/ou de commercialiser les 23 montures précitées qui intègrent la charnière de la société M. et ce sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- ORDONNER en application de l'article L. 331-1-4 du CPI sous astreinte de 5.000 € par jour de retard, à compter du huitième jour suivant la signification de l'arrêt, que les montures contrefaisantes soient rappelées des circuits commerciaux et détruites aux frais de la société MOM,

- CONDAMNER la société MOM à verser à la société M. la somme provisionnelle de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis à son encontre, sauf à parfaire en fonction des éléments comptables qui seront versés aux débats par la société MOM sur les quantités importées, offertes à la vente et commercialisées,

- ORDONNER la publication de l'arrêt à intervenir dans CINQ journaux ou revues au choix de la société M. et aux frais avancés de la société MOM sans que le coût global de chacune de ces insertions ne puisse excéder 5.000 € H.T.,

Subsidiairement,

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a :

- dit qu'en commercialisant 6 montures de lunettes référencées 2225, 2229, 2215, 2122, 6113 et 6110 très similaires respectivement aux lunettes ETON, ARLES, FLINT, PARIS , VIBORG et LYNN de la société M., la société MOM a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société M.,

- interdit à la société MOM la poursuite de ces agissements sous astreinte de 350 € par produit, passé un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision pendant une durée de quatre mois,

-autorisé la publication de l'insertion suivante extraite du dispositif du jugement: 'Par décision en date du 23 mars 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a notamment jugé que la société MOM a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société M. et l'a condamné à indemniser la société M. en réparation du préjudice subi de ce fait»,et ce dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais de la défenderesse sans que le coût de chaque publication n'excède, à la charge de celle-ci, la somme de 3.500 € H.T., sauf à faire mention de l'arrêt,

- dit que le Tribunal se réserve la liquidation des astreintes

- condamné la société MOM à régler à la société M. la somme de 20.000 € en réparation de ses préjudices au titre de la concurrence déloyale ainsi que la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 et les entiers dépens,

- L'INFIRMER en ce qu'il a débouté la société M. de son action en concurrence déloyale et parasitaire pour les 17 autres montures imitantes qu'offre à la vente et commercialise la société MOM et DIRE ET JUGER qu'en offrant à la vente et en commercialisant ces 17 produits, sans que cela ne soit justifié par une quelconque nécessité technique ou autre, engendrant ainsi un risque de confusion, la société MOM a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- INTERDIRE à la société MOM de poursuivre ses agissements sous astreinte de 350 € par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- CONDAMNER la société MOM à verser à la société M. la somme provisionnelle de 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son encontre, sauf à parfaire en considération des éléments comptables qui seront versés aux débats par la société MOM sur les quantités importées, offertes à la vente et commercialisées,

- CONDAMNER la société MOM au paiement de la somme de 15.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNER la société MOM aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Me Pascale F., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2021.

MOTIFS DE L'ARRET

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

- Sur la titularité des droits d'auteur de la société M.

La société MOM conteste la titularité des droits d'auteur de la société M. retenant qu'il n'est pas justifié que la charnière a été créée en 2004 par M. Thomas M., et que, de son côté, elle établit avoir développé fin 2003 une charnière à lunette sans vis. Elle ajoute que la société M. EYEWEAR aujourd'hui liquidée qui exploitait le modèle de charnière litigieux, se considérait comme titulaire des droits d'auteur, rendant l'exploitation revendiquée équivoque. Elle soutient que la société M. BRILLEN MANUFAKTUR GmbH, créée en 2011, ne justifie pas de l'exploitation et de la commercialisation des modèles litigieux antérieurement à la commercialisation de ses propres modèles.

La société M. réplique qu'elle démontre la création de la charnière par M. M. au mois de mars 2004, que les déclarations précises et circonstanciées de Mme F. (son ex épouse) concordent avec la publication d'un article en 2005 dans la revue « EYE BIZZ » et les factures de sa commercialisation. Elle fait observer que la société M. EYEWEAR a vendu les produits sans que les droits d'auteur de M. M. lui aient été cédés, et qu'à la suite de la liquidation de ladite société M. M. a fondé en 2011 la société M. BRILLENMANUFAKTUR à laquelle il a cédé ses droits, ainsi que cela résulte de la confirmation de cession versée au débat. Elle prétend que la société MOM ne justifie pas de la création du modèle de charnière litigieux en 2003 et qu'elle est d'autant plus infondée à invoquer cette prétendue antériorité qu'elle reconnaît ne l'avoir exploitée qu'à partir de 2009.

La cour rappelle que l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs fait présumer, à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété intellectuelle.

Sur ce, c'est par des motifs exacts et pertinents, que les premiers juges, après avoir analysé les pièces versées par la société M., soit un extrait du magazine 'EYE BIZZ' daté du mois de janvier 2005 dans lequel est publié un article présentant la charnière revendiquée en forme de E photographiée en gros plan sur une monture de lunette, puis, démontée, ainsi qu'une photographie de M. M., une attestation de Mme Charlotte F., l'ex-épouse de M. M., qui témoigne de manière précise et circonstanciée, de ce que la charnière en cause, dont une photographie est jointe à l'attestation, a été créée en mars 2004 par Thomas M. durant un voyage en Suède et qu'ils ont commencé à produire la première collection en juin 2004, exposée pour la première fois au selon de l'optique à Paris en octobre 2004, une attestation de Thomas M. datée du 21 décembre 2015 aux termes de laquelle il confirme avoir cédé en janvier 2011 à la société M. BRILLENMANUFAKTUR GMBH l'ensemble des droits patrimoniaux (droit de reproduction, de représentation et d'adaptation) sur le modèle en cause et une attestation de son expert-comptable du 22 décembre 2015 certifiant d'un chiffre d'affaire de 917 840 euros réalisé sur 12 montures de lunettes dont 10 comportent la charnière en cause de février 2011 à octobre 2015, ont retenu qu'elle justifiait de sa titularité sur les droits patrimoniaux d'auteur relatifs à la charnière en forme de E.

Il y a seulement lieu d'ajouter que ces éléments, qui démontrent que, depuis sa constitution en 2011, la société M. exploite sous son nom de manière non équivoque en France notamment la charnière sur plusieurs modèles de lunettes qu'elle commercialise, sont confortés par le témoignage de M. W. recueilli dans le cadre de la procédure de contrefaçon en Allemagne qui indique avoir commencé à travailler pour Thomas M. en 2006, et qu'à cette époque, les lunettes étaient déjà équipées des charnières en cause, indiquant que ce dernier lui avait confirmé en être le créateur, et qu'il n'avait jamais vu auparavant ce type de charnière, et que les outils pour les réaliser avaient été conçus par Thomas M. et son père, confirmant les propos de l'ex-épouse du créateur.

En outre, si la société MOM soutient avoir développé fin 2003 le modèle de charnière 'sans vis', la cour retient, comme les premiers juges, que les documents versés au débat, ne permettent nullement d'établir qu'il s'agit du même modèle de charnière en forme de E dont l'extrémité du tenon vient épouser en négatif la forme du E, de sorte qu'il ne constitue pas une antériorité de la charnière revendiquée, sauf pour la cour à ajouter que M. Wolfgang S., qui se présente comme leur concepteur affirme dans une attestation ' cette charnière n'est et n'était en aucune façon identique à la charnière à galets conçue par M. M.', et que, dans ses écritures, la société MOM explique dans le détail les différences existant entre la charnière «fermée» de la société M., à la différence de la sienne qui est «ouverte», confortant ainsi l'analyse du tribunal.

Par ailleurs, la cour fait sienne l'analyse des premiers juges qui ont retenu que la société MOM ne pouvait se prévaloir de l'absence de production du contrat de cession au profit de la société M., alors que M. Thomas M. confirme avoir cédé ses droits patrimoniaux sur le modèle revendiqué uniquement à la société M. BRILLENMANUFAKTURE GMBH dont il est le gérant, la société M. EYEWEAR, précédente société exploitée par M. M., aujourd'hui liquidée, n'ayant jamais revendiqué de tels droits d'auteur, cession qui n'est contredite par aucun élément et qui est, en outre, corroborée par l'exploitation non contestée depuis 2011 par cette société des lunettes portant la charnière en forme de E, établissant ainsi la titularité de celle-ci sur les droits patrimoniaux d'auteur la concernant.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir opposée pour défaut de titularité par la société MOM.

- Sur l'originalité

La société MOM soutient que la forme de la charnière est dictée par sa fonction en ce que la charnière sans vis et la fente correspondent à des améliorations techniques de modèles déjà connus. Elle ajoute en outre que la société M. BRILLENMANUFAKTUR GmbH ne démontre pas le caractère original de l'oeuvrerevendiquée.

La société M. fait valoir que la charnière revendiquée présente sur toute la hauteur de l'extrémité de la branche un découpage ornemental en forme de « E » dont la barre centrale est plus courte que les barres inférieure et supérieure, que l'extrémité du tenon vient épouser « en négatif » la forme du « E » en présentant deux saillies rectangulaires et deux petits retraits, et qu'en outre, à mi-hauteur du tenon, une fente apparaît et se prolonge jusqu'au verre, cette fente étant horizontale sur toute sa longueur, sauf sur les modèles LYNN et ARLES où elle forme une ligne courbe vers le bas. Elle soutient qu'il importe peu que certains éléments de la charnière en cause soient déjà connus et appartiennent au fonds commun de la lunetterie, puisque l'originalité doit s'apprécier de manière globale dans la combinaison d'éléments qui la caractérise. Elle expose qu'en l'espèce, les caractéristiques de sa charnière se distinguent très nettement des modèles de charnière préexistants, aucune charnière antérieure ne réunissant l'ensemble de ses caractéristiques. Elle retient que même si la charnière a une fonction utilitaire, les choix opérés par M. M. dans la composition et la combinaison des éléments lui confèrent une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et un effort créateur.

La cour rappelle que l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur celle-ci, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. L'originalité de l'oeuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur.

L'originalité de l'oeuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais, également, de la combinaison originale d'éléments connus.

Or, comme l'a justement relevé le tribunal, la société M., qui se borne dans ses écritures à détailler la composition et l'aspect de la charnière, correspondant à la description de la forme d'un «E» écrit en lettre capitale et à mentionner l'existence d'une fente de la barre de fixation, horizontale ou en ligne courbe, vers les verres de lunettes, ce qui est banal pour une fente de charnière de lunettes, ne décrit ni ne démontre, à hauteur d'appel, les choix arbitraires et créatifs qui ont présidé à sa conception et les partis pris esthétiques de l'auteur portant l'empreinte de sa personnalité de nature à la rendre protégeable par le droit d'auteur. En outre, contrairement à ce qu'affirme la société M. pour critiquer le jugement, les attestations et auditions, versées au débat, de témoins devant le tribunal de Cologne ne viennent nullement confirmer que la forme de cette charnière est purement esthétique, un des témoins mentionnant au contraire, 'la particularité de ces lunettes se caractérise surtout par l'absence de vis. L'assemblage est uniquement assuré par un métal coudé autour de la tige métallique.'

Ainsi, si la société M. revendique des choix opérés dans la composition et la combinaison des éléments ainsi décrits, force est de constater qu'elle ne procède que par affirmations sans les caractériser dans les faits.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu que la charnière en cause n'est pas protégeable par le droit d'auteur et a débouté en conséquence la société M. de l'ensemble de ses demandes sur le fondement de la contrefaçon de droit d'auteur.

- Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société M. fait valoir, à titre subsidiaire, que la société MOM a commis à son encontre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en commercialisant 23 montures de lunettes dont la charnière et les formes sont une copie servile de celles qu'elle vend, qu'elle a cherché à créer un risque de confusion afin de détourner à son profit la clientèle dans des conditions manifestement contraires aux usages loyaux du commerce, risque de confusion d'autant plus avéré que la charnière litigieuse est le signe distinctif des lunettes de la société M. depuis plus de 10 ans. Elle considère enfin qu'en s'appropriant indûment ses investissements, la société MOM a commis des actes de parasitisme.

La société MOM conteste ces accusations, retenant que les formes de charnière diffèrent, qu'elles reposent sur des impératifs techniques et que de nombreux fabricants commercialisent des lunettes avec des charnières similaires depuis 1999. Elle fait valoir que la comparaison des modèles laisse apparaître qu'il ne s'agit pas de copies serviles et conteste tout risque de confusion pour le professionnel et le consommateur.

Elle ajoute démontrer avoir commercialisé les modèles en cause avant l'intimée.

Sur le parasitisme, elle soutient que la société M. ne démontre aucun élément caractérisant un acte parasitaire puisqu'elle n'apporte pas la preuve des investissements particuliers effectués afin de commercialiser ses lunettes, ni que la société MOM aurait bénéficié de ses investissements et de sa notoriété. Elle estime que les seuls éléments apportés concernant l'engagement de frais pour la participation à des salons commerciaux auxquels elle participe également (SILMO)ne sont pas probants et insiste sur le fait que l'intimée ne justifie ni du préjudice allégué, ni du lien de causalité entre la faute et le dommage.

La cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par l'application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit ou un service qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

La charge de la preuve incombe au cas présent à l'intimée.

En l'espèce, il résulte du procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 25 septembre 2015, que la société MOM, a présenté sur le salon SILMO, salon mondial de l'optique à destination des professionnels, situé à Paris , des lunettes de sa collection GRAFIX référencées 2225, 2229, 6113, 2215, 2122 et 2227. Par ailleurs, il ressort d'un procès-verbal de constat réalisé sur le site internet de la société MOM www.grafix-eyewear.de le 2 octobre 2015 que cette dernière offre à la vente dans le cadre de cette collection GRAFIX une série de modèles de lunettes référencés GX 2121, GX 2122, GX 2210, GX 2211, GX 2215, GX 2216, GX 2217, GX 2218, GX 2219, GX 2220, GX 2221, GX 2222, GX 2223, GX 2225, GX 2227, GX 2228, GX 2229, GX 6110, GX 6113, GX 6114, GX 6115, GX 6116.

Cependant, il convient de relever d'abord que la charnière présente sur les lunettes de la société MOM, si elle présente une même apparence en forme de E, diffère en ce qu'elle est constituée d'une charnière ouverte, à la différence de la charnière de la société M. qui est fermée, soit une caractéristique technique différente importante, notamment pour les opticiens, puisqu'elle implique que les montures n'offrent pas les mêmes possibilités quant au montage des verres, comme l'illustre la société MOM notamment dans ses pièces 5, 39, 52 et 59, de sorte que la société M. ne peut soutenir que la charnière en cause en constitue une copie servile.

Par ailleurs, si les modèles de lunettes commercialisés par la société MOM dans sa collection GRAFIX présentent des similitudes quant à leur forme ou leur couleur avec celles mises en vente par la société M., cette commercialisation de modèles non protégés au titre du droit d'auteur, aux formes banales, appartenant au fonds commun de la lunetterie et dans plusieurs gammes de couleurs, ne peut constituer un comportement fautif de la société MOM qui démontre, notamment, au travers de sa pièce 38 que les modèles qu'elle a commercialisés présentent des différences quant à leur proportion et sont fabriqués à partir d'un alliage différent.

En outre, la cour constate que la société MOM justifie, pour l'essentiel de ses modèles GRAFIX, d'une commercialisation antérieure à la mise sur le marché des modèles revendiqués par la société M., par de nombreuses pièces attestant de leur date de conception, puis de leurs premières mises en vente.

La société M. ne justifie pas, de son côté, des conditions de commercialisation de ses propres montures, notamment dans le temps, permettant d'établir un effet de gamme fautif dans la commercialisation par la société MOM de ses propres modèles.

Au demeurant, le fait que la société MOM a été le fabriquant des montures de la société M. en 2007-2008, ne saurait en soi constituer la preuve d'un usage fautif des connaissances acquises à cette occasion, puisque les modèles en cause ont été créés très postérieurement, soit en 2011 pour les modèles ETON, ARLES, TENBY, PARIS , VIBORG, SUNDERLAND, 2012 pour LYNN, 2013 pour PANTOS et FLINT et 2015 pour YSTAD.

Enfin, s'il est établi l'existence de contentieux opposant les parties depuis 2014 en Allemagne et que dans ce contexte, la société MOM s'est engagée par courrier du 20 mai 2015, soit antérieurement aux faits en cause, à 'cesser de prétendre ou à laisser prétendre vis à vis de tiers que les lunettes produites par eux ou pour eux présentent la même qualité et la même forme que celle de [la société M.]' et de 'cesser de prétendre ou de laisser prétendre via à vis des tiers qu'ils ont repris le service de distribution des lunettes produites par la [société M.] ou des lunettes de la société M. BRILLENMANUFAKTUR», cet élément ne saurait constituer davantage la preuve des actes de concurrence déloyale dénoncés par l'intimée dans la présente instance.

Au surplus, la cour rappelle que le fait de démarcher la clientèle d'un concurrent, en l'absence de tout comportement déloyal, ne peut être considéré comme fautif, de sorte que la société M. n'est pas fondée à imputer de tels agissements à la société MOM sur la base d'un seul mail du 29 décembre 2014, extrait d'un échange non retranscrit, adressé à un de ses agents allemands, en l'incitant à prospecter les clients de l'intimée en ces termes « M. EYEWEAR est notre concurrent direct! Ci-joint, vous trouverez ci-joint une liste de tous les clients qui vendent du M. et s'il vous plaît, cherchez leur adresse et contactez-les (...). Notre expérience: 90% des clients M. passent chez nous!!!!», message dont le contenu ne permet pas d'établir que la société MOM cherche à créer une confusion chez cette clientèle ou fasse état de fausses informations.

S'agissant des faits de parasitisme dénoncés par la société M., la cour constate qu'elle échoue à apporter la preuve que ses modèles de lunettes incorporant la charnière en forme de E constitueraient une valeur économique individualisée, fruit d'un savoir-faire ou d'investissements particuliers, ne versant aux débats aucune preuve des investissements en cause, les seules charges de commercialisation de ses produits, qui ne sont pas limitées aux modèles en cause, ne permettant pas d'apporter la preuve d'un investissement individualisé. En outre, elle ne démontre pas communiquer spécifiquement sur cette charnière, les quelques articles de presse versés aux débats, en langue allemande et non traduits, mettant en image différentes formes de lunettes avec la charnière présente mais sans communication particulière à son propos, de sorte qu'il n'est pas établi qu'il s'agit d'un produit 'phare', la preuve de ses investissements en matière de recherche ne ressortant pas davantage des deux témoignages produits au cours de la procédure allemande selon lesquels 'la fabrication de lunettes demande beaucoup de travail' ou 'il faut beaucoup de matière grise pour développer ce produit'.

En conséquence en l'absence de preuve de ces investissements, il convient de retenir que la société M. n'est pas fondée à imputer à la société MOM des faits de concurrence parasitaire, et ce d'autant qu'il a déjà été vu que la charnière présente sur les montures de l'appelante présente certaines caractéristiques différentes du modèle «phare» invoqué par l'intimée.

Ainsi, la société M. n'apporte pas la preuve que la société MOM s'est livrée, à son encontre, à des faits de concurrence déloyale et parasitaire, et doit être déboutée de l'ensemble des demandes formulées à ce titre, le jugement dont appel étant infirmé de ce chef et en ce qu'il a fait droit aux demandes de dommages et intérêts et de publication présentées par la société M..

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société M., partie qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant infirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société M. au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société MOM en première instance et en appel peut être équitablement fixée à 10.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 23 mars 2018 sauf en ce qu'il a :

-REJETÉ le moyen d'irrecevabilité pour défaut de titularité;

-DIT que la charnière en forme de « E » et les montures de lunettes ETON, PANTOS, ARLES, TENBY, FLINT, PARIS , VIBORG, SUNDERLAND, YSTAD et LYNN ne sont pas protégeables par le droit d'auteur;

-REJETÉ en conséquence les demandes de la société M.BRILLEN MANUFAKTUR GMBH en contrefaçon de droit d'auteur;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Déboute la société M.BRILLEN MANUFAKTUR GMBH de l'ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- Condamne la société M.BRILLEN MANUFAKTUR GMBH aux dépens de la première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement à la société MOM GMBH Mechanisch-Optische-Metallverarbeitung de la somme de 10.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.