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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 19 décembre 2023, n° 22/02769

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Immobilière de Ré (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Lecler, M. Vetu, Mme Lafond

Avocats :

Me Petillion, Me Berger, Me Billard

T. com. La rochelle, du 16 sept. 2022

16 septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 01er juin 2012, Madame [D] [I] a conclu un contrat d'agent commercial avec la société à responsabilité limitée (SARL) Immobilière de Ré.

Le 09 septembre 2021, se prévalant d'une rupture de ce contrat à l'initiative de la société Immobilière de Ré, Mme [I] a attrait cette dernière devant le tribunal de commerce de La Rochelle aux fins, notamment, de voir constater que la rupture du contrat d'agent commercial est à l'initiative de la société L'immobilière de Ré et obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 110.090,40 € au titre de l'indemnité de fin de contrat d'agent commercial ;

Par jugement contradictoire en date du 16 septembre 2022, le tribunal de commerce de La Rochelle a statué ainsi :

Vu l'article L. 134-12 du code de commerce,

- Reçoit et dit non fondées les prétentions de Madame [D] [I],

- Déboute Madame [D] [I] de ses demandes, fins et conclusions,

- Déboute Madame [D] [I] de toutes ses demandes d'indemnisation,

- Condamne Madame [D] [I] à payer à la société Immobilière de Ré la somme justement appréciée de 2.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamne, conformément à ce qu'indique l'article 696 du Code de procédure civile, Madame [D] [I], au paiement des entiers dépens de l'instance comprenant les frais du greffe s'élevant à la somme de soixante euros et vingt-deux centimes TTC,

- Dit que conformément à l'article 699 du Code de procédure civile, les dépens pourront être recouvrés directement au profit de Me Florence Billard.

Par déclaration en date du 03 novembre 2022, Mme [I] a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués.

Mme [D] [I], par dernières conclusions RPVA du 31 janvier 2023, demande à la cour de :

Vu l'article L. 134-12 du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les pièces versées aux débats,

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de La Rochelle le 16 septembre 2022 ;

- Constater que la rupture du contrat d'agent commercial est à l'initiative de la société L'Immobilière de Ré ;

- Condamner la société L'Immobilière de Ré à payer la somme de 110.090,40 € à Madame [D] [I] au titre de l'indemnité de fin de contrat d'agent commercial ;

- Condamner la société L'Immobilière de Ré à verser à Madame [D] [I] la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société L'Immobilière de Ré aux entiers dépens.

La société L'immobilière de Ré, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 27 avril 2023, demande à la cour de :

A titre principal,

1°- Déclarer mal fondé l'appel formé par Mme [I] à l'encontre du jugement rendu le 16 septembre 2022 par le tribunal de commerce de La Rochelle ;

En conséquence,

2°- Confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

3°- Débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

4°- Condamner Mme [I] à payer à la société L'immobilière de Ré une indemnité de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens ;

- Dire et juger que les dépens pourront être directement recouvrés par Me Billard, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire,

- Si par impossible la cour faisait droit à la demande de Mme [I] de voir constater que la rupture du contrat d'agent commercial était à l'initiative de la Société Immobilière de Ré,

- Débouter Mme [I] de sa demande en paiement de la somme de 35.000 € au titre « du préjudice important subi » ;

- Débouter Mme [I] de sa demande en paiement fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Statuer ce que de droit sur les dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'instruction de l'affaire a été clôturée suivant ordonnance datée du 23 octobre 2023 en vue d'être plaidée à l'audience du 20 suivant, date à partir de laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial et ses conséquences

1. Il résulte des dispositions d'ordre public des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce que la cessation des relations entre l'agent commercial et son mandant ouvre droit en principe, au profit du premier, à l'indemnité compensatrice du préjudice en résultant et que les juges du fond ne peuvent rejeter une demande de paiement d'une telle indemnité, sans relever aucune des circonstances susceptibles de l'exclure.

2. Plus singulièrement, il résulte de l'article L. 134-13 du Code de commerce que, lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale résulte de l'initiative de l'agent et qu'elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, la réparation prévue à l'article L. 134-12 de ce code demeure due à l'agent, quand bien même celui-ci aurait commis une faute grave dans l'exécution du contrat (Cass. com. 16 nov. 2022, n° 21-10.126, publié au Bull).

3. En application de ce texte, il appartient toutefois à l'agent commercial qui demande le paiement de l'indemnité compensatrice après avoir pris l'initiative de la rupture de démontrer que la cessation de son activité est intervenue à l'initiative de son mandant ou, à défaut, qu'elle est justifiée par des actes imputables à celui-ci.

4. Ainsi, conformément à ce principe, Mme [I], qui soutient que le comportement de son mandant (consistant en des pressions et du harcèlement) ne pouvait qu'être l'expression de la volonté de la rupture de son contrat d'agent commercial, doit apporter la preuve des circonstances qu'elle allègue, lesquelles rendent la rupture imputable à la société L'Immobilière de Ré.

5. A cet égard l'appelante fait valoir que :

- Dans un premier temps, et depuis 2018, elle aurait subi de nombreuses remarques répétitives de devoir être disponible en dehors de ses heures de permanence, ce qui n'était aucunement prévu contractuellement et expose que la situation serait devenue intolérable à compter de mars 2020, date à laquelle elle aurait été contrainte de s'adapter aux mesures sanitaires en privilégiant le télétravail, ce qui ne convenait à son mandant et l'aurait contrainte à cesser momentanément son activité ;

- Dans un deuxième temps, au cours des derniers mois, la société L'Immobilière de Ré lui aurait reproché son manque d'implication alors qu'en dépit de la crise sanitaire et de ses effets sur le secteur de l'immobilier, elle avait réussi à transformer 40 estimations en 8 mandats, ce qui représente un rapport supérieur à celui de sa responsable, le tout, en dépit d'une réorganisation professionnelle largement préjudiciable pour son activité (découpage géographique) qui lui avait été imposée ; pendant cette période, son mandant, après avoir consulté illégalement ses mails envoyés depuis son ordinateur portable professionnel, lui a reproché par courrier daté du 11 février 2021 les relations amicales qu'elle entretenait avec la concurrence alors qu'elle écrivait en réalité à une amie, ancienne collègue non concurrente, lui indiquant qu'il s'agissait de faute et souhaitant 'en tirer les conséquences' ;

- Dans un troisième temps, son mandant aurait souhaité, le 12 février 2021, qu'elle lui rapporte l'ordinateur portable avec lequel elle réalisait ses prestations d'agent commercial et lui aurait en outre bloqué les accès au logiciel IMMO FACILE, alors qu'elle était en arrêt de travail ;

- Dans un quatrième temps, son mandant avait fait paraître une annonce dans un journal local, aux termes de laquelle celui indiquait souhaiter recruter un ou une négociatrice salariée(e) ou agent commercial afin de la remplacer, ceci dans le cadre de son développement commercial, alors que la conjoncture immobilière ne s'y prêtait pas ;

- Dans un cinquième et dernier temps, la société L'Immobilière de Ré l'aurait retiré de ses effectifs, ceci, préalablement à sa prise d'acte de la résiliation de son contrat d'agent commercial, et alors même, que le conseil de son mandant n'avait de cesse d'indiquer qu'il ne comptait pas 'se séparer de Madame [I]'.

6. La société L'Immobilière de Ré réplique :

- que le contexte dans lequel est intervenu la demande de prise d'acte de Mme [I] est celui d'un marché de l'immobilier sur l'Ile de Ré resté florissant, et en nette augmentation, et que les différentes alertes qui lui ont été adressées l'ont été afin de savoir pourquoi son chiffre d'affaires correspondait à la moitié de celui réalisé par les autres agents ; que cependant, celle-ci n'avait jamais répondu au courrier adressé le 03 février 2021 faisant état de ce défaut de performance ;

- que la consultation de l'ordinateur de Mme [I] était intervenue sur sa demande, alors qu'il était dans les locaux de l'agence, ceci, du fait que l'intéressée n'avait pas fourni au notaire les diagnostics obligatoires consécutifs à l'une de ses ventes et que le notaire avait contacté l'agence en urgence le 10 février 2021 par téléphone ;

- que la découverte de cette relation entre une ancienne démissionnaire de l'agence qui opérait dans le secteur de [Localité 5] et de l'île de Ré, corrélée par une absence de réponse à son courrier précité du 03 février 2021, l'avait poussée à adresser un second courrier le 11 février 2021, lequel était également demeuré sans réponse, mais avait donné lieu à un arrêt de travail de trois jours prescrit par un médecin de la région d'[Localité 6] où vivait la sœur de Mme [I];

- que deux arrêts maladie successifs avaient ensuite prolongé jusqu'au 25 mars 2021 l'arrêt de travail de Mme [I], sans qu'elle n'apporte de réponse à ses deux courriers ;

- que faute de réponse et dès lors que Mme [I] avait récupéré son ordinateur le matin de son premier arrêt de travail, le mandant avait par précaution, le 03 mars 2021, suspendu provisoirement l'accès informatique de son agent au fichier central de l'agence dénommé AC3;

- que deux autres messages électroniques, datés respectivement des 06 et 24 mars 2021, informant Mme [I] de son droit à mandat pour deux ventes réalisées sur son secteur mais sollicitant des explications sur son silence étaient également demeurés sans réponse hormis la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant une demande de prise d'acte de la rupture.

7. Au regard des moyens des parties développés dans leurs écritures, la cour constate que chacune des parties impute à l'autre la responsabilité de la rupture de leurs relations contractuelles de sorte qu'il y a lieu d'examiner chacun des griefs à l'aune des éléments produits au débat.

Sur les pressions et harcèlement,

8. A titre liminaire, la cour constate qu'en dépit des affirmations de l'appelante aucun élément probatoire n'est versé au débat permettant d'étayer que la société L'Immobilière de Ré lui aurait adressé des remarques répétitives sur son temps de présence entre 2018 et l'année 2020, date de début de la crise sanitaire.

Au regard du télétravail,

9. Dans ce registre et de manière préalable encore, la cour indique que faute de verser au débat des éléments permettant de justifier des prétendus reproches adressés par la société L'Immobilière de Ré à Mme [I] à propos du télétravail ou l'absence de respect des mesures sanitaires, il y a lieu de considérer qu'aucune pression ou harcèlement, à ce titre ,n'est caractérisée dans ce dossier.

Au regard de son implication et de ses résultats,

10. La cour se réfère ensuite aux courriers datés des 03 et 11 février 2021 (pièces n°9 et n°10) et fait observer qu'ils sont rédigés en termes courtois et ne contiennent aucune allégation de nature à caractériser un harcèlement moral. Tout au contraire, la cour remarque que la société L'Immobilière de Ré dans son courrier daté du 03 février 2021, constatant que les résultats de Mme [I] demeuraient très en retrait par rapport à ceux des autres effectifs, après une année 2020 bénéfique pour la société, réitère son offre de l'aider à progresser et sollicite de recueillir son avis et ses propositions pour améliorer la situation.

11. Si le courrier du 11 février 2021 dépeint un manque d'implication et une relation supposée avec la concurrence, il n'en demeure pas moins qu'aucune pression n'est perceptible dans le discours tenu par la société L'Immobilière de Ré, celle-ci expliquant qu'en raison de ce qu'elle considérait comme une faute, une discussion [d'ores et déjà réclamée dans le précédent courrier] s'imposait pour en tirer les conséquences, le mandant indiquant en outre que, désormais, ces éléments l'incitaient à ne plus la considérer comme une commerciale qu'il fallait tenter d'aider.

12. La cour ajoute que les éléments versés à la procédure par la société L'Immobilière de Ré démontrent, ainsi que cette dernière le soutient, une activité 2020 en progression avec, cependant, des résultats en retrait en qui concerne Mme [I].

13. Les demandes d'explication contenues dans les deux lettre précitées étaient légitimes et la cour indique que par des motifs pertinents, non remis en cause par les débats à hauteur d'appel et que la cour adopte, que le premier juge a rappelé dans ses motifs qu'il appartenait à Mme [I] dans le cadre du mandat d'intérêt commun la liant avec la société L'Immobilière de Ré, de répondre à ces courriers afin d'envisager une collaboration qui reste davantage conforme aux relations établies jusque-là entre le mandant et mandataire.

14. La décision sera confirmée de ce chef.

En considération d'une demande de la société L'Immobilière de Ré de rapporter son ordinateur professionnel et de la suspension d'accès au fichier C3.

15. La cour observe que sur ce point, les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.

16. Conformément aux dispositions de l'article 955 du Code de procédure civile, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties.

17. Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée de ce chef.

Au regard de la parution d'une annonce de recrutement et l'arrivée de Madame [N] [J] au sein de l'agence le 1er juin 2021

18. La cour indique, sur ce point, qu'à partir du moment où la société L'Immobilière de Ré, dans son courrier précité du 03 février 2021, entame son propos en expliquant que « malgré la perturbation de la crise COVID », « [l']activité 2020 a été très bénéfique », ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par Mme [I], le moyen selon lequel la conjoncture immobilière ne se prêtait pas un à recrutement est inopérant.

19. A la suite, et faute d'élément de preuve supplémentaire, l'affirmation selon laquelle ce recrutement n'était en réalité destiné qu'à la remplacer est, elle aussi, dénuée de fondement.

20. Ainsi, au regard de ce qui précède, Mme [I], comme devant les premiers juges, demeure défaillante à apporter la démonstration que la société L'Immobilière de Ré aurait commis des actes susceptibles de lui rendre imputable la rupture qu'elle a demandée d'acter par sa lettre du 24 mars 2021.

Sur les conséquences,

21. Faute de rupture imputable à la société L'Immobilière de Ré, la rupture du mandat d'intérêt commun est exclusivement imputable à Mme [I] de sorte qu'il y a lieu de se reporter aux dispositions des articles L. 134-12 et L. 134-13 sus-énoncés et, de manière supplétive au mandat d'agent commercial signé entre les parties le 1er juin 2012.

22. La cour constate que les articles 6-3/, 8, 9 et 10 excluent la possibilité d'une indemnité dès lors que la rupture est bien imputable à l'agent commercial, étant précisé que Mme [I] ne conteste pas avoir reçu les diverses commissions prévues en cas de rupture.

23. La décision entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur les autres demandes,

24. Il apparaît équitable de condamner Mme [I] à payer à la société L'Immobilière de Ré une indemnité de 3.000 € au titre des frais irrépétibles et de rejeter la demande formée au même titre par l'appelante.

25. Mme [I] qui échoue en ses prétentions sera condamnée aux dépens d'appel, lesquels seront directement recouvrés par Me BILLARD, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirmes-en toutes ses dispositions contestées le jugement du tribunal de commerce de La Rochelle en date du 16 septembre 2022,

Y ajoutant,

Condamne Madame [D] [I] à payer à la SARL Immobilière de Ré une indemnité de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,

Rejette les autres demandes,

Condamne Madame [D] [I] aux dépens d'appel, lesquels seront directement recouvrés par Me BILLARD, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.