CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 19 décembre 2023, n° 23/08285
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Courtage 24 (SARL)
Défendeur :
Meilleurtaux (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chazalette
Conseillers :
Mme Lefevre, Mme Georget
Avocats :
Me Teytaud, Me Bellet, Me Boccon Gibod, Me Simon, Me Syed
La société Meilleurtaux et la société Courtage 24 ont pour objet social le courtage en opérations de banque, de service de paiement et d'assurance. Les associés de la société Courtage 24 sont également associés dans deux autres sociétés de courtage, les sociétés Courtage 24 pourpre et Courtage 47, franchisées de la société Meilleurtaux.
Après deux contrats de franchise signés en 2011 et en 2016 arrivés à leur terme, la société Meilleurtaux et la société Courtage 24 ont conclu, le 27 novembre 2020, une nouvelle convention d'une durée de cinq années, la société Meilleurtaux concédant à la société Courtage 24 le droit et l'obligation de prester les services au sein et à partir de l'Agence sous l'enseigne (Meilleurtaux.com) sur le territoire défini contractuellement en annexe, selon le Savoir-faire (soit selon l'acte, les connaissances pratiques et méthodes formalisées notamment dans le manuel opératoire relatif à l'exploitation d'une agence) en bénéficiant de l'assistance du franchiseur.
Selon l'article 23, l'Agence désigne l'agence située à l'adresse suivante : [Adresse 1] - [Localité 3].
Le territoire est défini à l'annexe 1 de la convention qui contient l'énonciation des codes postaux des communes de [Localité 3], [Localité 26], [Localité 12], [Localité 19], [Localité 31], [Localité 15], [Localité 21], [Localité 20], [Localité 6], [Localité 36], [Localité 5], [Localité 16], [Localité 33], [Localité 22], [Localité 35], [Localité 13], [Localité 18], [Localité 27], [Localité 30], [Localité 23], [Localité 9], [Localité 28], [Localité 7], [Localité 25], [Localité 24], [Localité 11],[Localité 8], [Localité 10] , [Localité 17], [Localité 34] et [Localité 32].
Aux termes de l'article 13.2 du contrat, le franchisé s'interdit de créer, diriger ou participer directement ou indirectement par lui-même ou par personne interposée, à l'exploitation d'une activité concurrente de celle du réseau, et ce pendant une durée de douze mois après la cessation des effets du contrat, quelle qu'en soit la cause et sur l'ensemble du Territoire.
Le 4 janvier 2023, la société Courtage 24, qui exerce son activité au sein de son agence de [Localité 3] et d'une annexe à [Localité 29], a mis en demeure la société Meilleurtaux d'avoir à corriger sous 30 jours sous peine de résiliation du contrat, les manquements contractuels qu'elle dénonçait, à savoir la perte et le non-remplacement des partenaires bancaires d'envergure nationale, l'absence de réelle assistance, d'évolution du savoir-faire et du concept afin de fournir au franchisé un avantage concurrentiel ainsi que la violation de l'obligation de bonne foi et de loyauté consécutive à la concurrence déloyale du site internet et de la marque, manquements contestés par la société Meilleurtaux, dans un courrier du le 3 février 2023.
Le 8 février 2023, le conseil de la société Courtage 24 adressait un courrier à la société Meilleurtaux aux termes duquel il relevait que le contrat de franchise était devenu non viable et d'exécution économiquement impossible par la faute exclusive des décisions délétères prises par Meilleurtaux au préjudice de son réseau de franchise en général, et des franchisés de [Localité 3] en particulier et concluait, aussi la société Courtage 24 (et ses associés) n'ont-ils d'autre choix que de notifier par la présente à la société Meilleurtaux la résiliation du contrat de franchise à effet immédiat à ses torts et griefs exclusifs (...) ceci étant précisé, en suite de la résiliation à effet immédiat du contrat de franchise signé le 25 juin 2021 entre les parties, telle que spécifiée plus haut, je vous annonce que la société Courtage 24 déposera l'enseigne « Meilleurtaux » et retirera les signes distinctifs de l'enseigne dans un délai raisonnable, conformément aux usages applicables en la matière.
Dans la mesure où cette résiliation est directement et exclusivement imputable à la société Meilleurtaux, je vous précise que la clause de non-concurrence stipulée à l'article 13.2 du contrat de franchise doit être considérée comme étant sans effet à l'égard de mes clients.
Le 14 mars 2023, la société Courtage 24 a engagé une action devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'il soit jugé que la résiliation du contrat de franchise est intervenue le 9 février 2023 aux torts exclusifs de la société Meilleurtaux et d'être indemnisée du préjudice qu'elle a subi du fait des manquements du franchiseur.
C'est dans ce contexte que la société Meilleurtaux a, par acte extrajudiciaire du 21 avril 2023, fait assigner la société Courtage 24 devant le président du tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, afin qu'il lui soit fait injonction sous astreinte, de cesser le trouble manifestement illicite constitué par la poursuite, dans les locaux qu'elle a conservés, de l'activité de courtage en prêts immobiliers, en contravention avec la clause de non-concurrence post-contractuelle prévue à l'article 13.2 du contrat de franchise.
Par ordonnance contradictoire du 12 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris, a :
- ordonné à la société Courtage 24 de se conformer à l'obligation de non-concurrence stipulée à l'article 13.2 du contrat résilié le 8 février 2023 pour l'activité qu'elle y exerçait et pour la période de douze mois restant à courir, sous astreinte de 1 000 euros par jour, passé le délai de 8 jours de la signification de la présente ordonnance, astreinte limitée à 30 jours, laissant au juge de l'exécution le soin d'une éventuelle liquidation ;
- condamné la société Courtage 24 à payer à la société Meilleurtaux la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance ;
- débouté la société Courtage 24 de toutes ses demandes. ;
Le 16 mai 2023, la société Courtage 24 a relevé appel de cette décision, en toutes ses dispositions. Le 23 mai 2023, la société Meilleurtaux a interjeté appel, sollicitant la réformation de l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné que l'astreinte est limitée à 30 jours.
Ces deux procédures ont été jointes, le 22 juin 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 août 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la société Courtage 24 demande à la cour, au visa des articles 873, alinéa 1, du code de procédure civile, 1128, 1169 du code civil, L. 341-2 du code de commerce et du principe de liberté du commerce et de l'industrie, d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de
- juger que
- la demande formée par la société Meilleurtaux excède l'office du juge des référés,
- cette société n'est pas fondée à exciper d'un trouble manifestement illicite dont elle est elle-même fautivement à l'origine,
- il n'existe aucun trouble manifestement illicite à raison d'une prétendue violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle invoquée par la société Meilleurtaux ;
- la société Meilleurtaux n'est pas fondée à se prévaloir d'une clause de non-concurrence dont elle ne démontre pas que les conditions de validité et de mise en œuvre sont réunies avec l'évidence qui sied en référé, et dont il est, au contraire, démontré qu'elle est manifestement non valide et inapplicable en l'espèce ;
- il n'y a lieu à référé sur les demandes de la société Meilleurtaux ;
- renvoyer la société Meilleurtaux à se pourvoir devant le juge du fond ;
- juger que la mesure sollicitée par la société Meilleurtaux est en toute hypothèse inadaptée et disproportionnée au but poursuivi ;
et en conséquence, débouter la société Meilleurtaux de ses demandes et appel incident et la condamner au paiement de la somme de 5000 euros ainsi qu'aux entiers frais et dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er septembre 2023, la société Meilleurtaux demande à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, de la déclarer la société recevable et bien fondée en son appel incident, d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a limité l'astreinte à 30 jours et statuant à nouveau, d'ordonner la cessation du trouble manifestement illicite constitué par la violation par la société Courtage 24 de l'obligation de non-concurrence post-contractuelle stipulée à l'article 13.2 du contrat, sous astreinte de 1 000 euros par jour à compter la date de prise d'effet de la résiliation du contrat le 8 février 2023 limitée au 8 février 2024. Elle soutient la confirmation de l'ordonnance pour le surplus et sollicite le rejet des demandes de la société Courtage 24 et qu'elle soit condamnée solidairement au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Sur ce,
Selon l'article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
En application de l'article 873 du même code, Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Seule une contestation affectant l'existence même du trouble ou son caractère illicite est un obstacle au prononcé des mesures qui s'imposent pour mettre fin à une situation provoquant une atteinte dommageable et actuelle aux droits ou aux intérêts légitimes du demandeur.
La société Meilleurtaux se prévaut des dispositions de l'article 13.2 du contrat de franchise, intitulé (non-concurrence) après la cessation des effets du contrat qui est ainsi rédigé :
Comme condition déterminante du Contrat, et afin de préserver le Savoir-Faire, dont les qualités imposent qu'il ne soit pas divulgué ou utilisé par un tiers au Réseau, en particulier afin de ne pas être banalisé, de ne pas risquer de perdre son caractère secret, et de ne pas affaiblir au final sa substance, les Parties ont convenu que la stipulation d'une clause de non concurrence était nécessaire à la protection du Savoir-faire et n'était pas disproportionnée par rapport à cette nécessité de préserver les intérêts du Franchiseur, du Réseau et de ses membres.
Ainsi et pendant une période de douze mois après la cessation des effets du Contrat, quelle qu'en soit la cause et sur l'ensemble du Territoire, le franchisé s'interdit de créer, diriger ou participer directement ou indirectement par lui-même ou par personne interposée, à l'exploitation d'une activité concurrente de celle du réseau, sauf autorisation préalable et écrite donnée par le franchiseur.
La violation de cette interdiction est admise et même revendiquée par la société Courtage 24, qui dès la notification de la résiliation du contrat de franchise, le 8 février 2023, a manifesté son intention de ne pas s'y soumettre et qui exploite, ainsi qu'elle l'écrit, une agence de courtage en prêt et assurances de prêt à l'agence de [Localité 3] sous l'enseigne de négotaux.
La société Courtage 24 prétend que la responsabilité de rupture du contrat de franchise incombe à la société Meilleurtaux, l'enchaînement des faits de la cause démontrant qu'elle a été contrainte à quitter le réseau et à exploiter son agence sans l'enseigne Meilleurtaux en raison de l'intransigeance et l'immobilisme du franchiseur et conclut qu'il est acquis que le bénéfice d'une clause de non-concurrence post-contractuelle ne peut être invoqué par la partie qui est fautivement à l'origine de l'événement qui la provoque.
Or au cas d'espèce, contrairement à de précédents contrats de franchise qui sont versés aux débats par la société franchisée, qui écartent l'application de la clause de non-concurrence lorsque la cessation des relations contractuelles était imputable au franchiseur, la clause sus-énoncée inclut cette hypothèse. La société Courtage 24 a librement adhéré au contrat de franchise et surtout, elle a décidé unilatéralement de ne pas honorer son engagement, se faisant ainsi elle-même justice, sans pour autant, ainsi qu'il ressort de l'assignation délivrée le 14 mars 2023, remettre en cause devant le juge du contrat la validité ou l'opposabilité de cette stipulation.
L'allégation d'un excès de pouvoir du juge des référés ne résiste pas à l'examen, dès lors que celui-ci, au regard de ce qui précède pouvait caractériser une violation par la société franchisée de l'engagement de non-concurrence post-contractuelle, sans avoir à se prononcer sur l'imputabilité et la légitimité de la rupture du contrat de franchise ou à examiner l'argumentation développée sur ces points par la société Courtage 24 et la réplique de la société Meilleurtaux.
La société Courtage 24 soutient également que le trouble ne serait pas manifestement illicite, remettant en cause au visa de l'article L341-2 du code de commerce, la validité de la clause litigieuse.
L'argumentation de la société Courtage 24 n'anéantit pas l'évidence du caractère illicite du trouble allégué, résultant de la violation de la clause litigieuse, présentée à l'acte comme une condition déterminante du contrat et qui a d'autant plus vocation à s'appliquer que sa validité ou son opposabilité ne sont pas contestées, en l'état de la procédure engagée au fond par la société Courtage 24 dès la résiliation du contrat.
De surcroît, ainsi que le relève la société Meilleurtaux, l'article L 341-1 du code de commerce régit les relations entre le franchiseur et un franchisé exploitant un commerce de détail, soit l'activité de vente à la clientèle de marchandises, est inapplicable au cas d'espèce, puisque la société franchisée exerce une activité de courtage.
Il convient, en deuxième lieu de constater que :
- la société Courtage 24 prétend à l'inexistence d'un savoir-faire tenu secret, dont elle a pourtant indéniablement reconnu la valeur tant dans la clause litigieuse qu'en renouvelant son engagement de franchisé, à trois reprises et en dernier lieu en 2020, et qu'elle ne procède que par affirmation et exige de la société Meilleurtaux qu'elle rapporte une preuve qui ne lui incombe pas ;
- la clause litigieuse, acceptée par la société Courtage 24 et destinée à préserver le savoir-faire et le réseau existant est limitée ainsi que l'impose la jurisprudence dans le temps (12 mois) et dans l'espace, au territoire attribué au franchisé et délimité au contrat, essentiellement rural correspondant à un bassin de population modeste pour une activité de courtage (230 000 habitants) et permet une réinstallation de la société Courtage 24, passé un rayon de 50 kilomètres, dans n'importe quelle autre commune qu'un franchisé de la société Meilleurtaux y exerce ou non son activité voire même à [Localité 29], siège de son agence annexe qui ne figure pas sur la liste des communes interdites.
En troisième lieu, est tout aussi inopérante pour caractériser une contestation sérieuse de la validité de la clause de non-concurrence, l'existence d'une clause de confidentialité qui impose à la société Courtage 24 de ne pas divulguer le savoir-faire de la société Meilleurtaux après la cessation des relations contractuelles ou celle lui interdisant de conserver les signes distinctifs du réseau et les outils mis à sa disposition.
La société Courtage 24 prétend que la mesure prise est disproportionnée, évoquant les conséquences qu'auraient une réinstallation sur la pérennité de son exploitation et la charge financière de l'astreinte. Or, le premier juge n'a fait, pour faire cesser le trouble né de l'inexécution de la clause de non-concurrence, que de lui imposer une mesure de remise en état consistant dans l'exécution, sous une astreinte comminatoire, de l'engagement auquel elle entend se soustraire, ce qui est nécessairement proportionné à l'atteinte aux droits de la société Meilleurtaux.
La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle ordonne sous astreinte à la société Courtage 24 de se conformer à l'obligation de non-concurrence stipulée à l'article 13.2 du contrat résilié le 8 février 2023 pour l'activité qu'elle y exerçait et pour la période de douze mois restant à courir et assortit cette obligation d'une astreinte.
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Le premier juge a fixé une astreinte de 1 000 euros par jour, passé le délai de 8 jours de la signification de son ordonnance, astreinte limitée à 30 jours, laissant au juge de l'exécution le soin d'une éventuelle liquidation.
Seule la durée de l'astreinte limitée à trente jours est critiquée par la société Meilleurtaux dans sa déclaration d'appel qui seule opère la dévolution en application des articles 562 et 901 du code de procédure civile. De surcroît, la société Meilleurtaux prétend à la fixation d'une astreinte à la date de la résiliation du contrat, en contravention avec les dispositions de l'article R 131-1 du code des procédures civiles d'exécution qui énonce que le point de départ de l'astreinte ne peut pas être antérieur à la date où la décision portant obligation est devenue exécutoire.
Le montant journalier de l'astreinte, dont il convient de rappeler qu'elle est indépendante des dommages et intérêts, est comminatoire et sa limitation dans le temps ne porte pas atteinte à cette finalité, puisque la société Meilleurtaux conservait la possibilité de saisir le juge de l'exécution, afin d'obtenir la fixation d'une nouvelle astreinte.
La décision déférée sera également confirmée sur la limitation initiale de l'astreinte à trente jours.
Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées. La société Courtage 24 sera condamnée aux dépens d'appel et à payer une indemnité complémentaire au titre des frais exposés par la société Meilleurtaux pour assurer sa défense devant la cour.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance rendue le 12 mai 2023 ;
Y ajoutant
Condamne la société Courtage 24 à payer à la société Meilleurtaux la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.