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Cass. crim., 10 janvier 2024, n° 22-86.707

COUR DE CASSATION

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Rejet

Cass. crim. n° 22-86.707

10 janvier 2024

N° B 22-86.707 F-B

N° 00017

RB5
10 JANVIER 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 JANVIER 2024

Mme [K] [G] et la société Solaime ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 27 octobre 2022, qui a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction à la demande d'une autorité judiciaire étrangère.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de Mme [K] [G] et de la société Solaime, et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les autorités judiciaires de la République de l'Inde ont adressé le 25 mai 2019 aux autorités françaises une demande d'entraide pénale visant des faits de blanchiment et de corruption liés à l'attribution par le ministère de la défense indien, à la société AgustaWestland International Ltd, le 8 février 2010, d'un contrat ayant pour objet la fourniture de douze hélicoptères à l'armée de l'air indienne pour un montant de 556 262 000 euros.

3. Elles reprochent à M. [H] [G] d'avoir influencé le processus décisionnel au profit de la société AgustaWestland International Ltd et d'avoir perçu en contrepartie environ 42 270 000 euros, par l'entremise notamment de sa société Global Services FZE.

4. L'enquête conclut que la société Global Services FZE avait transféré une somme totale de 922 185,76 euros à Mme [K] [L], ex-épouse de M. [G], ainsi qu'à la société de celle-ci, la société Solaime.

5. La société Solaime a pour gérante et associée unique Mme [K] [G].

6. A la suite de la demande de mainlevée de la saisie immobilière déposée par Mme [G] et la société Solaime et des pièces qu'elles versaient, concluant à la violation des droits de M. [G] par la procédure indienne, les autorités judiciaires indiennes ont adressé le 29 avril 2021, sur la demande du parquet national financier, des éléments relatifs aux garanties offertes par la procédure, concluant que Mme et M. [G] avaient bénéficié de droits garantissant leur accès à la procédure et leur défense et s'agissant de la détention de ce dernier, d'un traitement humain.

7. Par ordonnance du 23 novembre 2021, en exécution d'une demande d'entraide pénale du 6 mars 2020 émanant des autorités judiciaires indiennes, le juge d'instruction a saisi un bien immobilier situé à [Adresse 1], d'une valeur estimée de 2 354 000 euros, appartenant à la société Solaime.

8. Mme [G] et la société Solaime ont relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, le cinquième moyen, pris en sa seconde branche, et le septième moyen

9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu à l'issue d'une audience au cours de laquelle l'avocat général a eu la parole en dernier, alors « que dans le cadre de l'exécution d'une demande de saisie émanant d'autorités étrangères, la personne visée par ces autorités comme susceptible d'être mise en cause doit bénéficier, en France, du droit de se voir offrir la parole en dernier ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a été rendu au terme de débats pendant lesquels le ministère public a eu la parole en dernier cependant que la saisie pénale a été confirmée au regard de l'existence de poursuites visant Mme [G] et la SCI Solaime, en violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 199, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Il ressort des mentions de l'arrêt qu'ont été entendus l'avocat des tiers appelants en ses observations, puis l'avocat général en ses réquisitions.

12. Mme [G] et la société Solaime, visées par une demande d'entraide pénale émanant des autorités indiennes, qui n'allèguent pas bénéficier, dans le cadre de la procédure pénale indienne, d'un statut équivalent à celui de personne mise en examen ou de témoin assisté, ne peuvent revendiquer d'autre qualité que celle de tiers propriétaire.

13. Dès lors que la saisine des juges du second degré, délimitée par l'acte d'appel et par la qualité des appelantes sur leur contestation de la saisie pénale ordonnée par le juge d'instruction en exécution d'une demande d'entraide pénale internationale, n'impliquait pas une qualité autre que celle déclarée de tiers propriétaire, de nature à interférer sur l'ordre de parole des parties à l'audience, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

14. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale immobilière rendue en exécution d'une demande des autorités indiennes en date du 23 novembre 2021, alors « qu'aux termes de l'article 694-11 du code de procédure pénale, « la demande présentée en application de l'article 694-10 est rejetée si l'un des motifs de refus mentionnés à l'article 713-37 apparaît d'ores et déjà constitué » ; que parmi ces motifs figurent la circonstance que les faits à l'origine de la demande ne sont pas constitutifs d'une infraction selon la loi française (1°) et celle selon laquelle les biens sur lesquels elle porte ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une confiscation selon la loi française (2°) ; qu'en outre, selon l'article 18 de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l'Inde, une demande d'entraide visant à garantir la confiscation de produits d'une infraction est exécutée si, dans des conditions analogues, la législation de l'Etat requis autorise la confiscation desdits produits ; qu'il découle de ces textes que des faits qui ne peuvent plus être poursuivis en raison de la prescription de l'action publique ne peuvent conduire à l'exécution d'une demande de saisie ; qu'en accordant l'exécution d'une saisie pénale au titre de faits qui, à les supposer avérés, auraient été commis selon les termes exprès de l'arrêt attaqué, au plus tard « sur la période de juin 2009 à décembre 2012 » (arrêt, p. 9), et sans démontrer ni même alléguer l'existence d'une quelconque dissimulation, la chambre de l'instruction a méconnu les textes précités et violé les articles 6, 7, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

16. Dès lors que la prescription des faits objet des poursuites ne figure ni parmi les motifs de refus d'exécution d'une demande d'entraide pénale prévus par la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de l'Inde, signée à New Delhi le 25 janvier 1998, ni parmi ceux énumérés à l'article 713-37 du code de procédure pénale, le moyen tiré de l'existence d'un motif de refus d'exécution de la demande d'entraide pénale internationale aux fins de saisie en raison de la prescription des faits est inopérant.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale immobilière rendue en exécution d'une demande des autorités indiennes en date du 23 novembre 2021, alors « qu'il se déduit nécessairement des articles 6, § 1 et 13 de la Convention de sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, de l'article 694-10 du code de procédure pénale et de l'article 18 de la Convention franco-indienne du 25 janvier 1998, qu'une saisie pénale immobilière prononcée en exécution d'une demande d'entraide judiciaire ne peut être réordonnée tant que la décision de mainlevée de cette même saisie n'est pas devenue définitive : qu'en l'espèce, l'ordonnance de saisie pénale immobilière du 23 novembre 2021 est intervenue le lendemain d'une ordonnance qui enjoignait à l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués de lever la saisie visant le même bien sur le fondement de la même commission rogatoire internationale portant le numéro 19/40, et notifiée à l'ensemble des parties ; qu'en validant dès lors une nouvelle décision de saisie résultant d'un excès de pouvoir manifeste comme ayant été rendue par le même juge d'instruction dès le lendemain d'une décision de mainlevée, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés qui garantissent le droit à l'exécution des décisions de justice et le droit au respect des biens, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. La chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance de saisie immobilière entreprise, datée du 23 novembre 2021, après avoir constaté que le juge d'instruction avait ordonné, le 22 novembre 2021, la mainlevée de la saisie pénale portant sur le même bien.

19. Ce faisant, elle n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

20. L'ordonnance de mainlevée d'une saisie pénale s'analyse en une décision de restitution du bien saisi.

21. Les dispositions de l'article 99, alinéa 5, du code de procédure pénale revêtent d'un caractère suspensif le délai d'appel contre l'ordonnance du juge d'instruction statuant en matière de restitution d'un bien saisi.

22. Aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'oppose à ce qu'un même bien fasse concurremment l'objet de mesures de saisie distinctes.

23. Il en résulte que le juge d'instruction pouvait prescrire une mesure de saisie à l'égard d'un bien dont il avait préalablement ordonné la restitution, nonobstant le caractère suspensif du délai d'appel contre cette décision, dès lors que les deux décisions de saisie ont été prises en exécution de demandes d'entraide pénale internationale distinctes.

24. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale immobilière rendue en exécution d'une demande des autorités indiennes en date du 23 novembre 2021, alors :

« 1°/ d'une part, qu'il ressort tant de l'ordonnance de saisie pénale du 23 novembre 2021 (p. 7) que de l'arrêt confirmatif attaqué (p. 10, § 2), que l'immeuble de la SCI Solaime a été appréhendé comme « produit du blanchiment » ; que pourtant l'atteinte portée au droit de propriété de la personne condamnée ne peut excéder l'avantage économique tiré de l'infraction pénale et qui constitue la conséquence patrimoniale de sa commission ; que l'avantage économique tiré d'un blanchiment ne correspond pas aux sommes objets du placement au sens de l'article 324-1 du code pénal ; qu'en conséquence, la chambre de l'instruction qui s'est prononcée par des motifs erronés n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

26. Il résulte des énonciations de l'arrêt que la chambre de l'instruction a prescrit la saisie du bien immobilier litigieux sur le fondement de la saisie en valeur du produit de l'infraction.

27. C'est à tort qu'elle a procédé à une saisie en valeur du produit de l'infraction, les fonds sur lesquels porte le blanchiment ne constituant pas le produit de ce délit.

28. Cependant, il résulte des constatations de l'arrêt que la somme de 922 185,76 euros constitue l'objet du délit de blanchiment poursuivi et, dès lors, que la saisie pratiquée sur le bien immobilier s'analyse comme une saisie en valeur de l'objet de l'infraction.

29. Il s'ensuit que la cassation n'est pas encourue, la question de la requalification de la saisie ayant été mise dans le débat.

30. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

31. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale immobilière rendue en exécution d'une demande des autorités indiennes en date du 23 novembre 2021, alors « que selon l'article 694-11 du code de procédure pénale, l'exécution de la saisie pénale est refusée si l'un des motifs de refus mentionnés à l'article 713-37 du même code est constitué et que l'article 713-37 3° et 4° dispose que l'exécution de la confiscation est refusée si la décision étrangère a été prononcée dans des conditions n'offrant pas de garanties suffisantes au regard de la protection des libertés individuelles et des droits de la défense ou s'il est établi que la décision étrangère a été émise dans le but de poursuivre ou de condamner une personne notamment en raison de ses opinions politiques ; qu'en outre, l'article 4 de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l'Inde du 25 janvier 1998 dispose que l'Etat requis refuse l'entraide si la demande est de nature à porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre ou à ses autres intérêts essentiels ; qu'ainsi que le faisait valoir les exposantes dans leur mémoire dont la chambre de l'instruction était régulièrement saisie (p. 12 à 22), la procédure indienne de laquelle émane la demande d'entraide est marquée par la multiplication des violations du droit au procès équitable de M. [H] [G], lesquelles ont conduit le Groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire à appeler les autorités indiennes à le remettre en liberté d'office aux termes d'un avis du 4 mars 2021, notamment en raison du fait que M. [G] a fait l'objet de pressions de la part des autorités indiennes dans le but de le conduire aux aveux et qu'ont été violés ses droits à être jugé dans un délai raisonnable, à l'assistance d'un avocat de son choix, à la présomption d'innocence et à ne pas s'auto-incriminer ; que la chambre de l'instruction ne pouvait dès lors s'abstenir de répondre à ces questions, dont dépendait directement la possibilité d'exécuter ou non la saisie, en retenant que seul le sort de Mme [G] et de la SCI Solaime entrait dans son champ d'analyse ; qu'en se dérobant à l'examen de ces motifs de non-exécution, elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés et a violé les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

32. Pour écarter le moyen tiré de l'existence de motifs de refus d'exécution de la demande d'entraide pénale aux fins de saisie, résultant de l'absence de garanties suffisantes au regard de la protection des libertés individuelles et des droits de la défense de la décision étrangère, l'arrêt relève que la saisine est relative à l'exécution en France d'une ordonnance de saisie pénale concernant la société Solaime, dont l'intégralité des parts est détenue par Mme [G], pour des faits de blanchiment pour lesquels les flux financiers suspects ont été mis au jour par tant les autorités indiennes que par les investigations du magistrat instructeur français.

33. Les juges ajoutent que Mme [G] et la société Solaime font l'objet d'une plainte pour blanchiment et que l'ordonnance de saisie rendue le 23 août 2019 par les autorités indiennes mentionne que Mme [G], la société Solaime et M. [G] ont été convoqués à l'audience, mis en demeure préalablement à celle-ci, et avaient la possibilité de déposer des réponses écrites, seul M. [G] ayant usé de cette faculté.

34. Ils concluent que les droits de la défense et les libertés individuelles de Mme [G] et de la société Solaime ont été respectés, celles-ci ayant eu la faculté d'être assistées d'un avocat et de présenter des observations au cours de l'audience statuant sur la saisie.

35. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

36. En effet, l'insuffisance des garanties au regard de la protection des libertés individuelles et des droits de la défense offertes par les conditions dans lesquelles la décision étrangère a été prononcée, ainsi que le caractère discriminatoire du but dans lequel elle a été émise, qui constituent des motifs de refus d'exécution d'une décision de saisie rendue par une autorité étrangère, en application de l'article 713-37, 3° et 4°, du code de procédure pénale, s'apprécient au regard de la seule décision de saisie étrangère dont l'exécution est sollicitée des autorités françaises et de la personne visée par la mesure de saisie demandée.

37. Ainsi, le moyen doit être écarté.

38. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille vingt-quatre.