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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 14 décembre 2023, n° 23/00281

BASSE-TERRE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Roule Ma Poule (S.C.I.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robail

Conseillers :

Mme Clédat, M. Habu Groud

Avocat :

Me Mougey

TJ Pointe-à-Pitre, du 10 mars 2023

10 mars 2023

Par acte sous seing privé du 13 mai 2007, à effet du 1er juin 2007, la SARL L.G.L. a donné à bail commercial à 'la société Caraïbes Presse, représentée par M. [S] [R]', un local situé [Adresse 2] à [Localité 6], moyennant un loyer mensuel hors taxes de 1.600 euros.

Par acte du 08 juin 2021, la société civile immobilière (SCI) Rowi a vendu à la SCI Roule Ma Poule un terrain sur lequel avait été édifié un bâtiment comportant 5 locaux à usage commerciaux de bureaux et dépôts situé [Adresse 3] à [Localité 7].

Le 10 décembre 2021, la SCI Roule Ma Poule, agissant en qualité de bailleur, a fait délivrer à la 'SARL Caraïbes Presse' un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 13 mai 2007, afin d'obtenir le paiement de la somme de 7.365 euros au titre des loyers impayés de juin 2021 à septembre 2021.

Le 28 février 2022, la SCI Roule Ma Poule a fait délivrer un nouveau commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail commercial, mais cette fois à 'M. [R] [G] [S] [X] exerçant sous l'enseigne Caraïbes Press', afin d'obtenir le paiement de la somme de 10.499 euros au titre des loyers impayés de juin 2021 et septembre 2021 à février 2022.

Par acte d'huissier du 07 juin 2022, la SCI Roule Ma Poule a assigné M. [R], exerçant sous l'enseigne Caraïbes Press, devant le président du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre statuant en référé afin de voir principalement :

- constater l'acquisition de la clause résolutoire au 28 mars 2022,

- ordonner l'expulsion de M. [R], sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance,

- condamner M. [R] à lui payer à titre provisionnel :

- 9.304,02 euros au titre des loyers impayés et de la clause pénale,

- 1.567 euros TTC par mois à titre d'indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2022 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés,

- 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse, M. [R] a demandé au juge des référés de débouter la SCI Roule Ma Poule de toutes ses demandes et de dire n'y avoir lieu à référé dès lors qu'il affirmait avoir soldé intégralement sa dette, et même être créancier d'un solde de 61,98 euros. A titre subsidiaire, il a sollicité l'octroi de délais de paiement.

Par ordonnance du 10 mars 2023, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé et a condamné la SCI Roule Ma Poule aux dépens après avoir retenu :

- que M. [R] avait pris l'engagement de régler sa dette de manière échelonnée le 07 février 2022,

- qu'il avait procédé à plusieurs versements à compter du 14 février 2022,

- qu'il restait redevable de la somme de 1.109 euros sur le montant dû au 07 février 2022,

- que toutefois, le commandement de payer avait été délivré quelques jours après l'accord amiable conclu entre M. [R] et l'huissier de justice en charge du recouvrement de la dette,

- que la SCI Roule Ma Poule ne justifiait pas en l'état du compte de M. [R] et ne versait aucun décompte actualisé,

- que les demandes de provisions formées à l'encontre de M. [R] se heurtaient donc à une contestation sérieuse.

La SCI Roule Ma Poule a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 27 mars 2023, en indiquant que son appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.

La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 11 septembre 2023, suivant ordonnance du président de chambre du 04 mai 2023.

Dès le 06 avril 2023, la SCI Roule Ma Poule avait fait signifier la déclaration d'appel et ses conclusions remises au greffe le 04 avril 2023 à M. [R], en visant les articles 905-1 et 905-2 du code de procédure civile.

Le 12 mai 2023, après avoir reçu l'avis d'avoir à signifier donné par le greffe le 04 mai 2023, la SCI Roule Ma Poule a fait procéder à une nouvelle signification de la déclaration d'appel à M. [R].

Ce dernier n'a pas constitué avocat, alors que la signification du 12 mai 2023 avait été faite à sa personne. Le présent arrêt sera donc réputé contradictoire.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 11 septembre 2023, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 17 décembre 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 04 avril 2023 et signifiées le 06 avril 2023, la SCI Roule Ma Poule demande à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance dont appel et toutes ses dispositions et, statuant à nouveau:

- de déclarer sa demande recevable et bien fondée,

- de renvoyer les parties à se pourvoir sur le fond mais dès à présent, et par provision:

- de constater que, par le jeu de la clause résolutoire, le bail liant les parties est résilié depuis le 28 mars 2022 et que M. [R] occupe le local à usage commercial sans droit ni titre,

- en conséquence, d'ordonner son expulsion et celle de tous occupants de son chef dans le mois de la décision à intervenir, avec au besoin le concours de la force publique, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter 'de la signification de l'ordonnance à intervenir',

- de condamner M. [R] à verser par provision la somme de 13.976,18 euros,

- de dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 10 décembre 2021,

- de prononcer la capitalisation annuelle des intérêts,

- de condamner M. [R] à lui payer une indemnité d'occupation provisionnelle (et subsidiairement un loyer et charges) à titre provisionnel de 1.564 euros TTC par mois à compter du 1er avril 2023, jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clés,

- de dire que cette indemnité d'occupation sera indexée comme l'était le loyer,

- de dire que le dépôt de garantie sera acquis au bailleur à titre de provision sur l'indemnité en réparation du préjudice subi du fait de cette résiliation,

- de condamner M. [R] à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, qui comprendront le coût des commandements de payer des 10 décembre 2021 et 28 février 2022.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter à ces conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

Conformément aux dispositions de l'article 954, M. [R], qui n'a pas conclu en cause d'appel, est réputé avoir adopté les motifs de l'ordonnance déférée.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de l'appel :

Aucun élément ne permettant d'établir que l'ordonnance de référé du 10 mars 2023 aurait été signifiée à la SCI Roule Ma Poule avant qu'elle n'en interjette appel le 27 mars 2023, son appel doit être déclaré recevable.

Sur la résiliation du bail commercial :

Conformément aux dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

S'il est constant qu'il incombe au bailleur, qui entend se prévaloir de la clause résolutoire, de rapporter la preuve de la persistance de l'infraction aux clauses du bail après l'expiration du délai de mise en demeure, il est tout aussi constant que lorsque les juges sont saisis d'une demande de constatation du défaut d'exécution dans le mois du commandement de payer les sommes dues, ils doivent déclarer acquise la clause résolutoire et, ce, même si le locataire est à jour de ses loyers au jour où ils statuent.

Par ailleurs, la renonciation du bailleur à se prévaloir du bénéfice de la clause résolutoire ne se présume pas et doit découler d'actes qui l'impliquent nécessairement et qui, accomplis volontairement et en connaissance de cause, manifestent de façon non équivoque l'intention de renoncer de leur auteur.

En l'espèce, la SCI Roule Ma Poule a fait délivrer deux commandements de payer, le premier le 10 décembre 2021 à la 'SARL Caraïbes Presse' et le second le 28 février 2022 à 'M. [R] [G] [S] [X] exerçant sous l'enseigne Caraïbes Press'.

L'appelante n'entend se prévaloir que du dernier commandement, qui seul est régulier puisque l'extrait du registre du commerce versé aux débats permet de constater que le locataire était bien M. [R], commerçant exploitant sous l'enseigne Caraïbes Press, et non une quelconque personne morale.

Par ailleurs, ce commandement visait la clause résolutoire insérée au contrat de bail et précisait bien qu'elle serait acquise à défaut de règlement de la somme due dans le délai d'un mois suivant sa date de délivrance.

Enfin, M. [R], comparant en première instance, n'a jamais contesté la qualité de bailleur de la SCI Roule Ma Poule, bien que les pièces en attestant, rappelées dans l'exposé des faits, soient lacunaires.

Pour dire n'y avoir lieu à référé, alors qu'il avait constaté que M. [R] ne s'était pas acquitté des sommes réclamées dans le mois suivant la délivrance du commandement, le premier juge a retenu que M. [R] avait pris l'engagement de régler sa dette de manière échelonnée le 07 février 2022 et que le commandement de payer avait été délivré quelques jours après l'accord amiable conclu entre le preneur et l'huissier de justice en charge du recouvrement de la dette.

Cependant, conformément à ce que soutient la SCI Roule Ma Poule en cause d'appel, aucun élément ne permet de retenir qu'elle aurait accepté le moindre échéancier de paiement.

En effet, à la lecture des écritures de M. [R] produites en première instance, il apparaît qu'il n'a jamais invoqué le moindre accord conclu avec la SCI Roule Ma Poule, ni même le moindre accord conclu avec l'huissier mandaté par cette dernière pour délivrer le commandement, puisqu'il s'est contenté de dire qu'il avait effectué plusieurs versements.

Dans ces conditions, le premier juge ne pouvait se fonder sur un accord dont l'existence n'était pas prouvée pour refuser de constater l'acquisition de la clause résolutoire.

Au contraire, en l'absence de tout élément permettant d'établir que la SCI Roule Ma Poule aurait renoncé au jeu de la clause résolutoire ou qu'elle aurait délivré le commandement de payer de mauvaise foi, il convient d'infirmer l'ordonnance déférée et, statuant à nouveau, de constater que la clause résolutoire était acquise à la date du 28 mars 2022.

M. [R] étant occupant sans droit ni titre depuis cette date, la SCI Roule Ma Poule est également fondée à obtenir son expulsion, et celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique, à défaut pour elle de libérer les lieux à première demande.

En revanche, le prononcé de l'astreinte sollicitée par la SCI Roule Ma Poule, qu'elle souhaite voir courir à compter 'de la signification de l'ordonnance à intervenir', sera écarté, puisque l'expulsion suppose au préalable la délivrance d'un commandement de quitter les lieux.

Sur les demandes de provision :

L'article 835 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier.

Cette compétence est attribuée à la cour statuant sur appel de la décision du juge des référés.

Par ailleurs, l'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Pour débouter la SCI Roule Ma Poule de ses demandes de provisions, le juge des référés a retenu qu'elle ne justifiait pas du compte de M. [R] et ne versait aucun décompte actualisé, de sorte que ses demandes se heurtaient à une contestation sérieuse.

Cette argumentation était cependant erronée dans la mesure où la SCI Roule Ma Poule avait inclus le décompte de sa créance dans le corps de ses conclusions et où M. [R] ne l'avait pas contesté.

En cause d'appel, la SCI Roule Ma Poule verse aux débats, en pièce 9 de son dossier, un décompte de sa créance arrêté au 24 mars 2023 qui fait état d'un solde de loyers impayés de 7.402,93 euros.

L'obligation de M. [R] au paiement de cette somme n'étant pas sérieusement contestable, il convient de le condamner à la payer à la bailleresse à titre de provision.

En plus de cette somme, la SCI Roule Ma Poule demande à la cour de lui allouer une provision de 6.872,26 euros à valoir sur l'indemnité de 20% due au titre de la clause pénale appliquée à la totalité des loyers de juin 2021 à mars 2023, qui ont tous été réglés en retard, mais également de dire que le dépôt de garantie lui restera acquis à titre de provision sur l'indemnité qui lui est due en réparation du préjudice résultant de cette résiliation.

En vertu d'une clause intitulée 'Clause pénale', le contrat de bail prévoyait :

'A défaut de paiement de toutes sommes à son échéance, notamment du loyer et de ses accessoires, et dès mise en demeure délivrée par le bailleur ou son mandataire au preneur ou dès délivrance d'un commandement de payer ou encore après tout début d'engagement d'instance, les sommes dues par le preneur seront automatiquement majorées de 20% à titre d'indemnité forfaitaire, et ce sans préjudice de tous frais, quelle qu'en soit la nature, engagés pour le recouvrement des sommes ou de toutes indemnités qui pourraient être mises à la charge du preneur.

En outre, en cas de résiliation judiciaire ou de plein droit du présent bail, le montant du dépôt de garantie restera acquis au bailleur à titre d'indemnité minimale en réparation du préjudice résultant de cette résiliation'.

Dès lors que cette clause pénale était expressément prévue, tout comme la conservation du dépôt de garantie par le bailleur, aucune contestation sérieuse ne s'oppose à ce qu'il soit fait droit aux demandes provisionnelles formées à ce titre par la SCI Roule Ma Poule, étant précisé M. [R] n'avait émis aucune contestation en première instance à l'encontre de ces demandes, qui étaient pourtant déjà formulées.

La condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 13.976,18 euros (7.403,93 + 6.872,26) sera assortie des intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 28 février 2022, et non à compter de celui du 10 décembre 2021 compte tenu de l'erreur portant sur l'identité du preneur, précédemment rappelée.

Par ailleurs, ces intérêts seront capitalisés par année entière à compter du 28 février 2022, conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Enfin, M. [R] sera condamné à payer une indemnité d'occupation provisionnelle de 1.564 euros TTC par mois à compter du 1er avril 2023, ainsi qu'expressément demandé par le bailleur, et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, qui sera indexée comme l'était le loyer.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [R], qui succombe à l'instance, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront notamment le coût du commandement de payer du 28 février 2022, mais pas celui du commandement du 10 décembre 2021.

Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

Par ailleurs, l'équité commande de condamner M. [R] à payer à la SCI Roule Ma Poule la somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l'appel interjeté par la SCI Roule Ma Poule,

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Invite les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles en aviseront mais, dès à présent, par provision :

Constate l'acquisition, à la date du 28 mars 2022, de la clause résolutoire insérée au contrat de bail commercial du 13 mai 2007,

Ordonne l'expulsion de M. [G] [S] [X] [R] exerçant à l'enseigne Caraïbes Press, ainsi que celle de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,

Condamne M. [G] [S] [X] [R] exerçant à l'enseigne Caraïbes Press à payer à la SCI Roule Ma Poule une provision de 13.976,18 euros à valoir sur le solde de loyers impayés et la clause pénale y afférente,

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 février 2022 et que les intérêts seront capitalisés par année entière conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter de la même date,

Condamne M. [G] [S] [X] [R] exerçant à l'enseigne Caraïbes Press à payer à la SCI Roule Ma Poule une indemnité d'occupation provisionnelle, indexée conformément au loyer, d'un montant de 1.564 euros TTC par mois à compter du 1er avril 2023, jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clés,

Dit que le dépôt de garantie restera acquis au bailleur à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice induit par la résolution du bail,

Déboute la SCI Roule Ma Poule du surplus de ses demandes,

Condamne M. [G] [S] [X] [R] exerçant à l'enseigne Caraïbes Press à payer à la SCI Roule Ma Poule la somme globale de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Condamne M. [G] [S] [X] [R] exerçant à l'enseigne Caraïbes Press aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront le coût du seul commandement de payer du 28 février 2022.

Et ont signé,

La greffière, Le Président,