CA Paris, 1re ch. sect. des urgences, 9 décembre 1987, n° 87/10601
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Acadi (GIE)
Défendeur :
Thomson Answare (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gélineau-Larrivet
Conseillers :
M. Pierre, M. Brissier
Avoués :
SCP Verdun et Gastou, Me Moreau
Avocats :
Me Bousquet, Me Serra
LA COUR,
La Cour statue sur le contredit formé par le G.I.E. ACADI à un jugement du 20 mai 1987 par lequel le Tribunal de Grande Instance de Paris l’a débouté de son action en nullité de la clause compromissoire insérée au contrat principal conclu avec la société THOMSON ANSWARE le 22 décembre 1981, et se déclarant incompétent pour statuer sur les demandes de résiliation présentées par ce groupement, l’a renvoyé à se mieux pourvoir :
Il est référé à la décision entreprise pour un exposé détaillé des faits, de la procédure antérieure et des motifs retenus par les premiers juges. Seuls les points suivants doivent être rappelés et, au besoin, précisés :
Neuf charges d’agents de change constituent le G.I.E ACADI dont l’objet est ainsi défini par l’article 2 des statuts :
« En vue de faciliter et de développer l’activité économique d’Agents de Change de ses membres, d’améliorer les résultats de cette activité, le Groupement a pour objet la représentation de ses membres pour :
« 1°) Etudier les problèmes informatiques communs aux Charges d’Agents de Change.
« 2°) Assurer la représentation des charges d’agents de change auprès de tout prestataire de service informatique et en particulier du centre informatique de la compagnie des Agents de Change. »
« 3°) Contrôler le bon fonctionnement et assurer la surveillance des installations informatiques qu’ils utilisent en commun pour leurs propres besoins. »
« 4°) Passer tout contrat avec des prestataires de service informatique en vue d’étudier, d’acheter ou de louer tous programmes adaptés à la gestion informatique des charges, faire assurer leur exploitation, leur maintenance et leurs modifications. »
« 5°) Et d’une manière générale faire le nécessaire pour tout ce qui concerne les problèmes informatiques communs aux membres du G.I.E. »
« 6°) Le Groupement pourra participer à la création et au fonctionnement de tout organisme dont l’objet serait compatible avec celui défini au présent article. »
Il est indiqué dans l’inscription au registre du commerce que l’activité d’ACADI n’est pas commerciale ;
Dans le cadre de ses activités le G.I.E. a conclu avec la société THOMSON ANSWARE plusieurs conventions en vue de la fourniture d’un ensemble de logiciels destinés notamment à l’automatisation des charges ainsi qu’à la gestion de diverses ressources informatiques exploitées en commun :
Contrat du 22 décembre 1981, modifié par avenants des 22 décembre 1982 et 30 mai 1984, relatif à la fourniture d’un logiciel. Ce contrat comporte une clause compromissoire (article 19) déterminant avec précision les modalités pratiques de l’arbitrage.
Contrat du 30 avril 1984, en vue de l’adaptation du logiciel, de gestion des charges et concernant la modification ou la réalisation d’un ensemble de logiciels. L’article 15 de cette convention donne compétence, en cas de litige au Tribunal de Commerce de Paris.
Contrat du 15 juin 1984, par lequel ACADI confiait en sous-traitance à son co-contractant l’implantation des logiciels sur site utilisateur. Il est précisé qu’en cas de désaccord persistant, le litige serait porté devant Le “Tribunal compétent”.
Contrat du 19 octobre 1984, par lequel la société THOMSON ANSWARE s’engageait à dispenser aux membres du G.I.E. une formation sur logiciel et qui ne comporte aucune clause attributive de compétence.
Plusieurs différends sont nés entre les parties et le Président du Tribunal de Commerce, saisi par ACADI dans le cadre du second contrat, a désigné deux experts qui ont reçu une mission d’investigation très large, dépassant le cadre de cette convention, et ont déjà déposé un pré-rapport.
Par la suite, la société THOMSON ANSWARE a mis en oeuvre la procédure d’arbitrage et le G.I.E. a répliqué en assignant son adversaire devant le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a rendu la décision entreprise.
Devant la Cour, ACADI fait d’abord observer que seul le premier contrat est assorti d’une clause compromissoire à laquelle les parties auraient renoncé en prenant d’autres dispositions dans les conventions ultérieures ;
Il soutient ensuite que son objet réel est civil et que son activité est conforme à cet objet. Il en déduit que le Tribunal de Grande Instance est seul compétent pour connaitre des demandes liées aux quatre contrats ;
A titre subsidiaire, il demande de déclarer le Tribunal de Commerce de Paris pour statuer sur l’intégralité de ses demandes, compte tenu de la renonciation évoquée ci-dessus, ou à tout le moins sur celles afférentes aux trois derniers contrats ;
La société THOMSON ANSWARE soulève d’abord l’irrecevabilité du contredit, les premiers juges ayant statué sur le fond. Ceci étant elle prétend que l’objet du G.I.E. est commercial par nature puisque l’activité d’ACADI serait de passer des contrats commerciaux aux lieu et places de ses membres commerçants et d’effectuer des prestations de service auprès de ceux-ci, et que le groupement a pour but d’améliorer la “profitabilité” des fonds de commerce constitués par les charges. Soulignant le caractère substantiel de la clause compromissoire, elle ajoute que les conventions la liant à ACADI sont de nature commerciale et que le G.I.E. est en réalité une société de fait qui a fonctionné comme une société en participation ;
Elle conclut donc subsidiairement, à la confirmation du jugement et sollicite 30.000 francs en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
SUR LA RECEVABILITE DU CONTREDIT
Considérant qu’il ressort de l’analyse des prétentions formulées par ACADI devant les premiers juges que le fond du litige porte sur la résiliation ou la résolution de l’ensemble des conventions conclues entre le G.I.E. et la société THOMSON ANSWARE ainsi que sur l’allocation éventuelle de dommages-intérêts ;
Qu’en revanche, la question posée par la demande en annulation de la clause compromissoire insérée dans le contrat du 22 décembre 1981 n’est qu’une question préalable qui doit être tranchée pour déterminer la compétence ;
Considérant que dans ces conditions, et conformément aux dispositions de l’article 80 du nouveau code de procédure civile, la décision des premiers juges ne pouvait être attaquée qui par la voie du contredit ;
Considérant que la société THOMSON ANSWARE s’est engagée à fournir à ACADI un ensemble de logiciels de gestion complet comportant les applications prévues dans le contrat Initial, ses avenants et le deuxième contrat, daté du 30 mars 1984 ;
Considérant que ces conventions et celles datées du 15 juin et 19 octobre 1984 sont unies par des liens si étroits que les différends nés à l’occasion de l’exécution de ses diverses obligations par la société THOMSON ANSWARE ont fait l’objet d’une mesure d’expertise unique portant sur la totalité des relations entre les parties ;
Considérant que si les premiers juges ont estimé avec raison qu’ils étaient en présence d’un même ensemble contractuel, les derniers contrats ne faisant que compléter la convention principale du 22 décembre 1982, ils en ont déduit à tort que la clause compromissoire était applicable à l’entier litige ;
Considérant en effet que les parties ont pris la précaution de spécifier dans le second contrat que le Tribunal de Commerce de Paris serait compétent en cas de contestation, et dans la convention dite “de régie” qu’en cas de désaccord le litige serait porté devant le Tribunal compétent ;
Que le fait d’avoir adopté — dans une série de conventions pouvant donner naissance à un contentieux complexe aux composantes indissociables — ces dispositions nouvelles ne peuvent au contraire être interprétées que comme l’expression de la volonté des co—contractants de renoncer à la clause compromissoire ;
Considérant que, même valablement conclue, la clause dont s’agit ne saurait dès lors recevoir application ;
Que cette constatation ne dispense cependant pas de recherche le caractère du G.I.E. ACADI afin de déterminer la juridiction compétente pour examiner les demandes de ce groupement ;
Considérant que la commercialité étant l’exception, et le G.I.E. étant donc présumé avoir un caractère civil, il incombe à la société THOMSON ANSWARE de rapporter la preuve du caractère commercial qu’il invoque ;
Considérant que le fait que les membres d’ACADI soient commerçants et qu’ils aient créé un groupement pour faciliter leurs activités commerciales est sans influence sur la nature du G.I.E. qui a une personnalité distincte et agit en son propre nom ;
Considérant que le caractère civil de l’activité mentionnée dans l’inscription au registre du commerce ne constitue qu’une présomption qui, en l’espèce, joue en faveur de la thèse soutenue par ACADI ;
Considérant que l’indication contenue dans l’article 2 de l’acte constitutif, aux termes de laquelle le groupement “a pour objet la représentation de ses membres pour ...“ signifie simplement qu’ACADI agit pour le compte de ceux qui l’ont créé ;
Que la société THOMSON ANSWARE reconnait du reste elle-même que le libellé de l’objet statutaire du G.I.E. est “totalement neutre” ;
Considérant qu’ACADI ne poursuit pas la réalisation du bénéfice - puisqu’il facture à prix coutant les services qu’il rend à ses membres — et qu’il ne dispose pas de clientèle - ceux qui utilisent ses services étant précisément ses membres — ;
Considérant qu’aux termes de l’article 2 susvisé le G.I.E. étudie les problèmes informatiques communs aux charges d’agents de change... assure la représentation de ces charges auprès de tout prestataire de service informatique... contrôle le bon fonctionnement et assure la surveillance des installations informatiques... d’une manière générale, fait le nécessaire pour tout ce qui concerne les problèmes informatiques communs aux membres du G.I.E. (points 1. 2, 3 et 5) ;
Considérant que dans le cadre ainsi défini, le G.I.E. ne conclut pas d’actes juridiques et se borne à donner à ses membres une assistance technique comme pourrait le faire un conseil en informatique ;
Que ses activités ont donc sur ces divers points un caractère à l’évidence civil ;
Considérant qu’aucune conclusion ne peut être tirée d’une participation éventuelle d’ACADI à la création et au fonctionnement des organismes visés dans le point 6 de l’article 2, les prises de participation n’étant pas des actes de commerce ;
Considérant qu’il est exact qu’ACADI a également pour activité de “passer tout contrat avec des prestataires de service informatique... .“ (point 4) ;
Que cependant les actes accomplis par le groupement le sont là sont en son nom et pour son compte — et non en la qualité de mandataire des charges d’agents de change - ce que démontrent les conventions conclues entre les parties ;
Considérant par ailleurs que les contrats passés avec la société THOMSON ANSWARE portant sur la fourniture de logiciels et sont donc des contrats d’entreprise qui ne prendraient un caractère commercial que si toutes les parties avaient la qualité du commerçant ;
Considérant qu’il apparait, en cet état, que le contrat constitutif d’ACADI ne prévoit pas l’accomplissement d’actes de commerce par celui-ci et qu’il n’existe aucun élément de nature à démontrer que les prescriptions édictées par l’article 2 n’ont pas été respectées ;
Qu’il convient au contraire de souligner que le caractère civil du G.I.E. est illustré par la décision prise en assemblée générale les 5 novembre 1985 de constituer une structure particulière pour assurer la commercialisation du produit à des tiers ;
Considérant que les arguments, selon lesquels ACADI serait organisé comme une société et aurait fonctionné comme une société de fait sont inopérantes puisque, à les supposer exacts, il resterait encore à rapporter la preuve du caractère commercial de cette société ce que la société THOMSON ANSWARE ne fait pas ;
Considérant qu’ACADI est donc fondé à se prévaloir la nullité de la clause compromissoire Insérée dans un contrat mixte et par suite, à solliciter la désignation du tribunal de Grande Instance de Paris pour connaitre des demandes formées contre la société THOMSON ANSWARE ;
Considérant qu’il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Déclare le contredit recevable et bien fondé ;
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ;
Dit que la clause compromissoire insérée dans le contrat du 22 décembre 1961 est nulle ;
Dit que Le Tribunal de Grande Instance de Parts est compétent pour statuer sur les demandes formulées par le G.I.E. ACADI ;
Condamne la société THOMSON ANSWARE aux dépens du contredit.