CJUE, 9e ch., 11 janvier 2024, n° C-440/22 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.)
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bonichot
Juges :
M. Rodin (rapporteur), Mme Rossi
Avocat général :
M. Rantos
Avocats :
Me Rating, Me Vahida
LA COUR (neuvième chambre)
1 Par son pourvoi, Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.) (ci-après « Wizz Air ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 mai 2022, Wizz Air Hungary/Commission (TAROM; aide au sauvetage) (T 718/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:276), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2020) 1160 final de la Commission, du 24 février 2020, concernant l’aide d’État SA.56244 (2020/N) – Roumanie – Aide au sauvetage de TAROM (JO 2020, C 310, p. 3, ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 Les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1, ci-après les « lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration ») prévoient, à leur point 38, ce qui suit :
« Lors de l’appréciation de la compatibilité d’une aide notifiée avec le marché intérieur, la Commission examinera si tous les critères suivants sont remplis :
a) contribution à un objectif d’intérêt commun bien défini : une mesure d’aide d’État doit viser un objectif d’intérêt commun conformément à l’article 107, paragraphe 3, du traité (section 3.1) ;
[...]
f) prévention des effets négatifs non désirés sur la concurrence et les échanges entre parties contractantes : les effets négatifs de l’aide doivent être suffisamment limités pour que l’équilibre général de la mesure soit positif (section 3.6) ;
[...] »
3 La section 3.1 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, intitulée « Contribution à un objectif d’intérêt commun », comporte un point 43 rédigé comme suit :
« Étant donné l’importance qu’ont les sorties du marché pour le processus de croissance de la productivité, le simple fait d’empêcher une entreprise de sortir du marché ne suffit pas à justifier le recours à une aide. Il convient de démontrer clairement que l’aide poursuit un objectif d’intérêt commun étant donné qu’elle a pour objet d’éviter des difficultés sociales ou de remédier à la défaillance du marché (section 3.1.1) en rétablissant la viabilité à long terme de l’entreprise (section 3.1.2). »
4 Sous la section 3.1.1, intitulée « Démonstration de difficultés sociales ou de la défaillance du marché », le point 44 de ces lignes directrices prévoit :
« Les États membres doivent démontrer que la défaillance du bénéficiaire serait susceptible d’entraîner de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché, en particulier en montrant :
[...]
b) qu’il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire et qu’un concurrent (par exemple un fournisseur national d’infrastructures) pourrait difficilement assurer à la place du bénéficiaire ;
[...] »
5 La section 3.1.2 desdites lignes directrices, intitulée « Plan de restructuration et retour à la viabilité à long terme », dispose :
« 45. Une aide à la restructuration au sens des présentes lignes directrices ne peut servir uniquement à fournir une aide financière destinée à combler les pertes antérieures, sans s’attaquer aux causes de ces pertes. En conséquence, dans le cas d’une aide à la restructuration, la Commission [européenne] exigera que l’État membre concerné présente un plan de restructuration réaliste, cohérent et de grande envergure destiné à rétablir la viabilité à long terme du bénéficiaire. Une restructuration peut comporter un ou plusieurs des éléments suivants : la réorganisation et la rationalisation des activités du bénéficiaire sur une base plus efficiente, ce qui suppose généralement un désengagement des activités déficitaires, la restructuration d’activités existantes dont la compétitivité peut être restaurée et, parfois, une diversification vers des activités nouvelles et rentables. Elle englobe aussi habituellement une restructuration financière prenant la forme d’apports de capitaux réalisés par de nouveaux actionnaires ou des actionnaires existants et de réductions de dettes accordées par les créanciers existants.
46. L’octroi de l’aide doit donc être subordonné à la mise en œuvre du plan de restructuration qui aura été, pour toutes les aides ad hoc, validé par la Commission.
47. Le plan de restructuration doit rétablir la viabilité à long terme du bénéficiaire dans un délai raisonnable et sur la base d’hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d’exploitation futures, lesquelles doivent exclure toute nouvelle aide d’État non prévue par le plan de restructuration. La période de restructuration doit être aussi courte que possible. Le plan de restructuration doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires et inclure, en particulier, les informations énumérées dans la présente section (3.1.2).
[...] »
6 Figurant sous la section 3.6, intitulée « Effets négatifs », la section 3.6.1 des mêmes lignes directrices, relative au « Principe de non-récurrence », prévoit ce qui suit :
« 70. Afin de réduire l’aléa moral, les incitations à une prise de risques excessive et les distorsions de concurrence potentielles, les aides ne doivent être octroyées aux entreprises en difficulté que pour une seule opération de restructuration. C’est le principe du “one time, last time” ou de non-récurrence. La nécessité pour une entreprise qui a déjà bénéficié d’aides conformément aux présentes lignes directrices d’obtenir une aide supplémentaire de ce type montre que les difficultés de l’entreprise sont de nature récurrente ou n’ont pas été traitées de manière adéquate lors de l’octroi de l’aide initiale. Les interventions répétées de l’État sont susceptibles d’entraîner des problèmes d’aléa moral et des distorsions de concurrence qui sont contraires à l’intérêt commun.
71. Lorsqu’il notifie à la Commission un projet d’aide au sauvetage ou à la restructuration, l’État membre doit préciser si l’entreprise concernée a déjà bénéficié d’une aide au sauvetage, d’une aide à la restructuration ou d’un soutien temporaire à la restructuration dans le passé, y compris d’aides de cette nature éventuellement octroyées avant l’entrée en vigueur des présentes lignes directrices et toute aide non notifiée. Si tel est le cas et si moins de dix ans se sont écoulés depuis l’octroi de l’aide, depuis que la période de restructuration a pris fin ou depuis que la mise en œuvre du plan de restructuration a cessé (selon l’événement survenu en dernier), la Commission n’autorisera pas de nouvelle aide conformément aux présentes lignes directrices.
[...] »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
7 Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.
8 La Compania Naţională de Transporturi Aeriene TAROM SA (ci-après « Tarom ») est une compagnie aérienne roumaine opérant à partir d’une plate-forme aéroportuaire unique, située à l’aéroport international OTP Henri-Coandă de Bucarest (Roumanie). Elle est principalement active dans le transport aérien de passagers, de fret et de courrier. Au début de l’année 2020, Tarom employait 1 795 personnes et possédait une flotte de 25 aéronefs. Tarom exploitait des lignes tant nationales qu’internationales.
9 Le 19 février 2020, la Roumanie a notifié à la Commission un plan d’aide au sauvetage de Tarom, constitué d’un prêt pour financer les besoins en liquidités de celle-ci d’un montant de 175 952 000 lei roumains (RON) (environ 36 660 000 euros), remboursable à la fin d’une période de six mois avec une possibilité de remboursement partiel anticipé (ci-après la « mesure en cause »).
10 Le 24 février 2020, la Commission a adopté la décision litigieuse, dans laquelle elle a constaté, notamment, que la situation financière de Tarom s’était significativement détériorée au cours des cinq années précédentes et a souligné que les pertes cumulées sur la période 2004-2019 s’élevaient à 3 362 130 000 RON (environ 715 350 000 euros), dépassant ainsi plus de la moitié du montant du capital de Tarom.
11 S’agissant de la situation des réseaux de transport en Roumanie, la Commission a relevé que l’état général et la fiabilité des réseaux ferroviaire et routier roumains étaient médiocres et que le transport aérien restait essentiel pour le développement régional dans ce pays, notamment les liaisons intérieures exploitées par Tarom.
12 La Commission a encore indiqué que, selon la Roumanie, la sortie du marché de Tarom ne permettrait pas d’assurer les vols relatifs aux réservations déjà effectuées, sans que les concurrents de Tarom puissent reprendre à court terme les liaisons concernées, et qu’elle affecterait un grand nombre d’entreprises dont, principalement, les aéroports domestiques.
13 Dans son examen de la mesure en cause, en premier lieu, la Commission a considéré que celle-ci constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
14 En second lieu, la Commission a vérifié si la mesure en cause était compatible avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
15 Premièrement, aux considérants 52 à 57 de la décision litigieuse, la Commission a considéré que Tarom était une entreprise en difficulté au sens des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration.
16 Deuxièmement, aux considérants 58 à 65 de la décision litigieuse, la Commission a relevé que les informations fournies par la Roumanie démontraient que la mesure en cause remplissait la condition prévue aux points 43 à 52 de ces lignes directrices selon laquelle une aide d’État doit contribuer à un objectif d’intérêt commun.
17 Troisièmement, aux considérants 66 à 77 de la décision litigieuse, la Commission a considéré que la mesure en cause était appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi, à savoir éviter la défaillance de Tarom.
18 Quatrièmement, aux considérants 78 à 85 de cette décision, la Commission a considéré que la mesure en cause était proportionnée aux besoins de liquidités de Tarom sur une période de six mois.
19 Cinquièmement, aux considérants 86 à 89 de la décision litigieuse, la Commission a conclu que le principe de non-récurrence des aides, prévu aux points 70 à 74 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, était respecté.
20 Par conséquent, par la décision litigieuse, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de la mesure en cause au motif qu’elle était compatible avec le marché intérieur, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
21 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2020, Wizz Air a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
22 À l’appui de son recours, Wizz Air a soulevé quatre moyens, tirés, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation de la contribution de la mesure en cause à un objectif d’intérêt commun bien défini, le deuxième, d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation, relatives au respect du principe de non-récurrence, le troisième, de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen, et, le quatrième, d’une violation de l’obligation de motivation au sens de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.
23 Dans l’arrêt attaqué, en statuant, à titre liminaire, sur la recevabilité du recours, le Tribunal a jugé que celui-ci était recevable, dans la mesure où Wizz Air était une partie intéressée ayant un intérêt à assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’elle tirait de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, et en ce qu’elle visait, notamment par le troisième moyen du recours, à ce que soient respectés ses droits procéduraux.
24 À cet égard, le Tribunal a considéré qu’il était habilité à examiner les arguments de fond présentés par la requérante dans le cadre des deux premiers moyens afin de vérifier s’ils étaient de nature à conforter ce troisième moyen, expressément formé par elle à cette fin et ayant trait à l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
25 Après avoir examiné et écarté, en premier lieu, le troisième moyen soulevé par Wizz Air, lequel renvoyait aux deux premiers moyens, et, en second lieu, le quatrième moyen, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties au pourvoi
26 Par son pourvoi, Wizz Air demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– à titre principal, d’annuler la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens, ou
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal et de réserver les dépens de la première instance et du pourvoi.
27 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner Wizz Air aux dépens.
Sur le pourvoi
28 Au soutien de son pourvoi, Wizz Air soulève sept moyens. Le premier moyen est tiré de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la condition de l’existence d’un service important qu’il est compliqué de reproduire est remplie. Le deuxième moyen est tiré d’une application erronée des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration s’agissant des éléments de preuve de l’existence de difficultés pour un concurrent d’assurer un service à la place du bénéficiaire. Le troisième moyen est tiré d’une dénaturation manifeste des éléments de preuve lors de l’appréciation des capacités disponibles sur le marché et de la capacité des compagnies aériennes à bas coûts (ci-après les « compagnies à bas coûts ») à assurer les liaisons intérieures. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a considéré que les augmentations de capital ne pouvaient pas se rapporter à un plan de restructuration. Le cinquième moyen est tiré d’une dénaturation manifeste des éléments de preuve en ce qui concerne la durée de la période de restructuration de Tarom. Le sixième moyen est tiré d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas lieu pour la Commission de vérifier si une aide existante était devenue une aide nouvelle. Le septième moyen est tiré d’une erreur de droit en ce qui concerne l’absence d’ouverture d’une procédure formelle d’examen par la Commission.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
29 Par son premier moyen, Wizz Air soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 50 et 51 de l’arrêt attaqué, que, aux fins d’apprécier s’il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire, au sens du point 44, sous b), des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, la Commission n’était pas obligée de tenir compte de la taille du marché en cause.
30 La requérante estime que, contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal, il est nécessaire d’analyser la taille d’un marché et la part de l’entreprise bénéficiaire de l’aide sur ce marché pour déterminer si le service risquant d’être interrompu peut être qualifié d’important, car ces éléments montrent la perte qu’entraînerait la sortie de cette entreprise dudit marché. Elle fait valoir, en outre, que le point 51 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il indique, d’une part, qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la taille du marché en cause et, d’autre part, qu’un service peut être qualifié d’important même lorsqu’il est fourni sur un marché « relativement limité », est entaché de contradiction.
31 Selon la Commission, le premier moyen doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, pour le surplus, non fondé.
Appréciation de la Cour
32 À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort du point 1 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration que celles-ci énoncent les conditions qui doivent être remplies afin que les mesures d’aide au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté qui y sont visées puissent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
33 L’adoption de telles lignes directrices s’inscrit dans l’exercice, par la Commission, de sa compétence exclusive pour apprécier la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE. La Commission bénéficie, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation (voir en ce sens, notamment, arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, points 37 à 39, ainsi que du 15 décembre 2022, Veejaam et Espo, C 470/20, EU:C:2022:981, point 29).
34 En établissant, par la voie de lignes directrices, les conditions auxquelles des mesures d’aide peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur, et en annonçant, par la publication de ces lignes directrices, qu’elle appliquera les règles contenues dans celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, en ce sens que, si un État membre notifie un projet d’aide d’État qui est conforme à ces règles, la Commission doit, en principe, autoriser ce projet. Elle ne saurait, en principe, se départir desdites règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux de droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, point 40, ainsi que du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C 284/21 P, EU:C:2023:58, point 90).
35 Cela étant, en ce que, par son premier moyen, Wizz Air soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 50 et 51 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de l’application du point 44, sous b), des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, la Commission n’était pas obligée de tenir compte de la taille du marché en cause ou de la part du bénéficiaire de l’aide sur ce marché, il convient de relever, d’une part, que, selon ce point 44, sous b), les États membres doivent montrer, notamment, « qu’il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire ».
36 D’autre part, ainsi qu’il ressort de la phrase introductive du point 44 de ces lignes directrices, l’existence de ce risque compte parmi les éléments, énumérés de manière non exhaustive à ce point 44, sous a) à g), par lesquels les États membres peuvent démontrer de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché que serait susceptible d’entraîner la défaillance du bénéficiaire de l’aide, cette démonstration étant nécessaire à la reconnaissance d’un objectif d’intérêt commun poursuivi par l’aide.
37 Ainsi, si la taille du marché dans lequel opère le bénéficiaire de l’aide et la part que celui-ci détient dans ce marché peuvent être des facteurs indicatifs de l’importance du service que ce bénéficiaire assure, il ne ressort ni du point 44, sous b), de ces lignes directrices ni de son contexte, que celle-ci dépendrait nécessairement de ces facteurs et que, notamment, la défaillance du bénéficiaire de l’aide ne serait susceptible d’entraîner de graves difficultés sociales ou une importante défaillance du marché qu’à la condition que le marché dans lequel il opère excède une certaine taille.
38 En effet, ainsi que le Tribunal l’a, en substance, relevé au point 51 de l’arrêt attaqué, la circonstance que le marché en cause soit relativement limité ne fait pas obstacle à ce qu’un service fourni sur ce marché puisse être qualifié d’important au sens desdites lignes directrices. Tel est le cas dans les circonstances de l’espèce où, ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 52 de l’arrêt attaqué, la cessation d’activité de Tarom, emportant un risque concret d’interruption de certains services de transport aérien de passagers en Roumanie, serait préjudiciable à la « connectivité » des régions roumaines exclusivement desservies par cette compagnie ainsi qu’à la situation économique de ces régions.
39 Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, aux points 50 et 51 de l’arrêt attaqué, que, afin d’apprécier s’il existe un risque d’interruption d’un service important qu’il est compliqué de reproduire, au sens du point 44, sous b), des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, la Commission n’était pas obligée de tenir compte de la taille du marché sur lequel Tarom opère ou de la part que détient cette compagnie sur ce marché.
40 Il ressort de ce qui précède que le premier moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
41 Par son deuxième moyen, visant les points 58, 63, 64 et 66 de l’arrêt attaqué, Wizz Air soutient, en substance, que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’appréciation des critères, prévus au point 44, sous b), des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, tenant au risque d’interruption d’un service important et aux difficultés pour les concurrents d’assurer ce service à la place du bénéficiaire de l’aide.
42 À cet égard, en ce qui concerne, premièrement, l’objet de la preuve que la Commission doit apporter en la matière, le Tribunal aurait, en premier lieu, considéré de manière erronée, aux points 63 et 64 de l’arrêt attaqué, que, pour qu’elle soit justifiée, l’aide au sauvetage devait avoir pour objectif d’éviter toute perturbation dans la fourniture d’un service important, alors que le point 44, sous b), de ces lignes directrices imposerait que l’objectif de l’aide soit d’éviter le risque « d’interruption » d’un tel service, laquelle nécessite, au-delà de la simple perturbation, une rupture ou une cessation du service.
43 En second lieu, le Tribunal aurait erronément exigé, au point 64 de l’arrêt attaqué, que les concurrents de Tarom soient en mesure de fournir « facilement » le service assuré par cette compagnie, alors que ce point 44, sous b), desdites lignes directrices prévoirait uniquement qu’il ne soit pas « difficile » pour les concurrents de fournir le service assuré par l’entreprise en difficulté.
44 En ce qui concerne, deuxièmement, les éléments de preuve que la Commission doit produire, Wizz Air soutient que le Tribunal, en jugeant au point 58 de l’arrêt attaqué que l’intérêt commercial des compagnies à bas coûts d’entrer sur le marché pour assurer la totalité des liaisons était « supposément bas », aurait eu recours à de simples suppositions, en méconnaissance de l’obligation de « démontrer clairement » que l’aide poursuit un objectif d’intérêt commun, énoncée au point 43 des mêmes lignes directrices.
45 La Commission soutient que le deuxième moyen doit être écarté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
46 S’agissant, en premier lieu, de la branche du deuxième moyen dirigée contre le point 58 de l’arrêt attaqué, il convient de relever que, à ce point, le Tribunal a constaté que, contrairement à ce que la requérante avait affirmé dans le cadre de la première branche de son troisième moyen du recours en première instance, la Commission avait apprécié, au considérant 61 de la décision litigieuse, l’éventualité du remplacement de Tarom par ses concurrents sur les liaisons intérieures exclusivement exploitées par celle-ci. Le Tribunal a, notamment, noté que la Commission avait, par ce considérant, estimé qu’il était improbable que les compagnies aériennes concurrentes présentes sur le marché roumain, qui sont principalement des compagnies à bas coûts, assureraient la totalité de ces liaisons, dont l’intérêt commercial était pour ces compagnies « supposément bas ».
47 Or, il ne résulte pas de cette description d’un élément d’appréciation de la Commission figurant dans la décision litigieuse que le Tribunal aurait eu recours à de simples suppositions ou qu’il aurait commis une erreur de droit en ce qui concerne la charge de la preuve pesant sur la Commission en vertu du point 43 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration.
48 Il convient, donc, d’écarter cette branche du deuxième moyen comme étant non fondée.
49 Dans la mesure où Wizz Air reproche au Tribunal, en second lieu, en substance, d’avoir, aux points 63, 64 et 66 de l’arrêt attaqué, retenu des critères erronés dans l’application du point 44, sous b), de ces lignes directrices, il suffit de constater que les motifs figurant à ces points, aux fins de rejeter l’argumentation de la requérante relative à la probabilité d’un remplacement du service de Tarom par ses concurrents, ne revêtent qu’un caractère surabondant.
50 Cette branche du deuxième moyen doit, dès lors, être écartée comme étant inopérante.
51 Il ressort de ce qui précède que le deuxième moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
52 Par son troisième moyen, Wizz Air reproche au Tribunal d’avoir commis une dénaturation manifeste des éléments de preuve lors de son appréciation, au point 69 de l’arrêt attaqué, des capacités de transport de passagers disponibles sur le marché roumain et de la capacité des compagnies à bas coûts à opérer sur des liaisons intérieures.
53 Le Tribunal aurait, d’abord, dénaturé des éléments de preuve en approuvant le constat erroné de la Commission quant à l’indisponibilité de capacités de transport de passagers suffisantes au motif que, à la date de la décision litigieuse, « plus de la moitié des avions au sol [...] appartenaient à Tarom ».
54 Ensuite, en jugeant que la requérante n’expliquait pas dans quelle mesure il serait rentable pour les compagnies à bas coûts d’effectuer des liaisons intérieures ne concernant qu’un nombre limité de passagers, le Tribunal aurait repris des affirmations figurant au point 58 de l’arrêt attaqué, qui ne se fonderaient que sur une simple présomption.
55 Enfin, selon Wizz Air, aucun élément de preuve ne permettait au Tribunal d’affirmer, au point 69 de l’arrêt attaqué, que les compagnies aériennes concurrentes de Tarom étaient toutes des compagnies à bas coûts.
56 Selon la Commission, le troisième moyen est, en partie, irrecevable et, pour le surplus, manifestement dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
57 Il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C 14/19 P, EU:C:2020:492, point 103 et jurisprudence citée).
58 Il s’ensuit que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C 14/19 P, EU:C:2020:492, point 104 et jurisprudence citée).
59 Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C 14/19 P, EU:C:2020:492, point 105 et jurisprudence citée).
60 En l’espèce, force est de constater que l’argumentation avancée à l’appui du troisième moyen ne permet pas de démontrer que les constats que le Tribunal a opérés au point 69 de l’arrêt attaqué, afin de rejeter l’argument tiré d’une prétendue surcapacité existant en Roumanie à la date de la décision litigieuse, reposent sur une dénaturation des éléments de preuve avancés en première instance, cette argumentation visant ainsi, en réalité, à remettre en cause l’appréciation souveraine des faits que le Tribunal a effectuée à cet effet.
61 Il convient, dès lors, d’écarter le troisième moyen comme étant irrecevable.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
62 Par son quatrième moyen, Wizz Air soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 103 de l’arrêt attaqué, que les augmentations de capital ne constituaient pas un élément du plan de restructuration d’une entreprise en difficulté.
63 En particulier, l’interprétation retenue par le Tribunal, qui exclut qu’une aide à la restructuration comprenant des volets financiers, tels que des augmentations de capital, puisse être considérée comme un élément d’un plan de restructuration, serait en contradiction flagrante avec le point 45 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, selon lequel une restructuration financière prenant la forme d’apports de capitaux peut faire partie d’un plan de restructuration, au même titre que des changements opérationnels, tels que la réorganisation et la rationalisation des activités du bénéficiaire.
64 Cette interprétation, qui n’est assortie d’aucune référence jurisprudentielle, contredirait également celle exposée au point 96 de l’arrêt attaqué.
65 La Commission soutient que le quatrième moyen est inopérant et, en tout état de cause, dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
66 Il convient de relever, à titre liminaire, que le quatrième moyen, tout comme les cinquième et sixième moyens du pourvoi, est dirigé contre certains des motifs par lesquels le Tribunal, aux points 79 à 110 de l’arrêt attaqué, a rejeté la deuxième branche du troisième moyen soulevée par Wizz Air à l’appui de son recours en première instance. Celle-ci renvoyait au deuxième moyen de ce recours, tiré, en substance, de ce que, en autorisant la mesure en cause, alors que Tarom avait bénéficié d’une série d’augmentations de capital jusqu’en 2019 en exécution d’une aide à la restructuration octroyée avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (ci-après l’« aide à la restructuration de Tarom »), la Commission avait méconnu le principe de non-récurrence, prévu au point 70 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration.
67 Selon ce principe, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 79 et 80 de l’arrêt attaqué, les aides ne doivent, en principe, être octroyées aux entreprises en difficulté que pour une seule opération de restructuration. Le point 71 de ces lignes directrices précise, dans ce contexte, notamment, que, si l’entreprise a déjà bénéficié d’une aide au sauvetage, d’une aide à la restructuration ou d’un soutien temporaire à la restructuration, ce qu’il appartient à l’État membre d’indiquer, la Commission n’autorisera pas de nouvelle aide conformément auxdites lignes directrices, si moins de dix ans se sont écoulés depuis l’octroi de l’aide, depuis que la période de restructuration a pris fin ou depuis que la mise en œuvre du plan de restructuration a cessé.
68 Dans la mesure où, par son quatrième moyen, Wizz Air soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a, à tort, considéré, au point 103 de l’arrêt attaqué, que les augmentations de capital ne constituaient pas un élément du plan de restructuration d’une entreprise en difficulté, il convient de constater que cette argumentation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
69 En effet, à ce point 103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ne procède qu’à une description et à une interprétation des points 45 à 47 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, pour conclure, au point 104 de cet arrêt, sans commettre d’erreur de droit, que celles-ci distinguent la notion de « mise en œuvre d’une mesure d’aide » de celle de « mise en œuvre d’un plan de restructuration », et pour écarter, notamment au point 105 dudit arrêt, l’argumentation de la requérante selon laquelle le plan de restructuration de Tarom avait duré jusqu’à la fin de la mise en œuvre de l’aide à la restructuration de Tarom, en 2019.
70 Dès lors, contrairement à ce que Wizz Air allègue dans le cadre de son quatrième moyen, le Tribunal n’a pas jugé, au point 103 de son arrêt, que les volets financiers d’une aide à la restructuration, tels que des augmentations de capital, ne pouvaient jamais être considérés comme faisant partie d’un plan de restructuration.
71 Il convient, dès lors, d’écarter le quatrième moyen comme étant non fondé.
Sur le cinquième moyen
Argumentation des parties
72 Par son cinquième moyen, Wizz Air soutient que le Tribunal a commis, aux points 85 et 99 de l’arrêt attaqué, une dénaturation manifeste des éléments de preuve lorsqu’il a apprécié la durée de la période de restructuration de Tarom.
73 À cet effet, Wizz Air fait valoir, en premier lieu, que le constat du Tribunal, au point 85 de l’arrêt attaqué, selon lequel les garanties de prêts octroyées par la Roumanie à Tarom ont toutes été appelées immédiatement après leur octroi, est contredit par les affirmations de la Commission contenues aux considérants 25 et 88 de la décision litigieuse.
74 En second lieu, le Tribunal aurait dénaturé des éléments de preuve en considérant, au point 99 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait apporté aucun élément de preuve ou indice selon lequel la période de restructuration, telle que définie au point 98 de cet arrêt, aurait pris fin postérieurement à l’année 2005. Ce faisant, le Tribunal aurait ignoré certains éléments de preuve que Wizz Air aurait fournis et, en conséquence, confirmé la conclusion erronée de la Commission en ce qui concerne la fin de la période de restructuration.
75 Selon la Commission, le cinquième moyen est inopérant et, en tout état de cause, dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
76 Bien que, par son cinquième moyen, Wizz Air ait invoqué une dénaturation des faits que le Tribunal aurait commise, aux points 85 et 99 de l’arrêt attaqué, en appréciant, aux fins de l’application du principe de non-récurrence, d’une part, la date pertinente de l’octroi de l’aide à la restructuration de Tarom et, d’autre part, celle de la fin de la période de restructuration, elle n’a avancé aucune argumentation juridique spécifique susceptible de démontrer, en conformité avec la jurisprudence rappelée au point 59 du présent arrêt, une dénaturation manifeste des faits et des éléments de preuve par le Tribunal.
77 En effet, une telle dénaturation ne saurait ressortir ni de la prétendue contradiction entre le point 85 de l’arrêt attaqué et certaines indications contenues dans la décision litigieuse, ni de ce que le Tribunal aurait ignoré des éléments de preuve produits par la requérante en première instance ou aurait refusé de leur accorder une valeur probante, en jugeant, au point 99 de l’arrêt attaqué, que celle-ci n’avait pas prouvé que la période de restructuration avait pris fin, en tout état de cause, moins de dix ans avant l’octroi de la mesure en cause.
78 Ainsi, le cinquième moyen vise, en réalité, à remettre en cause l’appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve que le Tribunal a effectuée aux points 85 et 99 de l’arrêt attaqué et doit, dès lors, être écarté comme étant irrecevable.
Sur le sixième moyen
Argumentation des parties
79 Par son sixième moyen, Wizz Air soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 89 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas lieu pour la Commission de vérifier si l’aide à la restructuration de Tarom, qu’elle a qualifiée d’aide existante, était devenue une aide nouvelle. Selon elle, eu égard aux informations alarmantes dont disposait la Commission, relatives aux pertes cumulées de Tarom sur la période allant de l’année 2004 à l’année 2019, le Tribunal aurait dû considérer, conformément à l’arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology (C 57/19 P, EU:C:2021:663), que la Commission était tenue d’enquêter au regard des éléments d’information qui étaient effectivement en sa possession. Elle fait valoir que, de surcroît, les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration faisaient peser sur la Commission une obligation renforcée de produire des éléments de preuve clairs.
80 Il s’ensuivrait que l’appréciation du Tribunal, au point 89 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la requérante n’avait apporté aucun élément de preuve ou indice démontrant que les conditions convenues au stade de l’octroi des garanties de prêts accordées dans le cadre de l’aide à la restructuration de Tarom avaient été modifiées pendant la période de mise en œuvre de ces garanties, serait entachée d’une erreur de droit.
81 Selon la Commission, le sixième moyen est manifestement dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
82 Il convient de relever que les motifs de l’arrêt attaqué visés par le sixième moyen s’inscrivent dans l’appréciation, par le Tribunal, de l’argumentation de la requérante en première instance tirée des doutes que la Commission aurait dû avoir quant au respect du délai d’au moins dix ans, prévu au point 71 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, depuis l’octroi de l’aide à la restructuration de Tarom. La requérante soutenait, plus particulièrement, que cette aide avait subi des modifications, notamment afin que les dettes de Tarom nées des paiements effectués par l’État roumain, en application des garanties de prêts, soient converties en augmentation de capital en faveur de cet État.
83 Dans ce contexte, le Tribunal a, d’une part, au point 88 de l’arrêt attaqué, constaté que la requérante ne contestait pas l’affirmation de la Commission selon laquelle les conditions d’appel des garanties de prêts, octroyées dans le cadre de ladite aide, ainsi que la conversion des dettes nées des paiements effectués par l’État roumain, en application de ces garanties, en augmentation du capital étaient prévues par différentes décisions et ordonnances intervenues entre l’année 1997 et l’année 2003, avant même l’adhésion de la Roumanie à l’Union.
84 D’autre part, le Tribunal a, au point 89 de l’arrêt attaqué, précisé que la requérante se bornait à cet égard à soutenir que la Commission aurait dû s’assurer que l’appel des garanties avait été effectué aux conditions initialement convenues lors de leur octroi, mais qu’elle n’avait apporté aucun élément de preuve ou indice selon lequel ces conditions auraient été modifiées au cours de la période de mise en œuvre de ces différentes garanties.
85 Or, ce faisant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en ce qui concerne la répartition de la charge de la preuve.
86 En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 43 de l’arrêt attaqué, auquel le Tribunal a renvoyé au point 89 de cet arrêt, la preuve de l’existence de doutes sur la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide en cause, qui doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de la décision de ne pas soulever d’objections que dans son contenu, doit être rapportée par le demandeur de l’annulation de cette décision, à partir d’un faisceau d’indices concordants (arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 40).
87 À cet égard, contrairement à ce que Wizz Air semble suggérer, cette répartition de la charge de la preuve ne saurait varier en fonction du type d’aide concerné et s’applique, notamment, aux aides au sauvetage ou à la restructuration telles que la mesure en cause.
88 Il s’ensuit que le sixième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
Sur le septième moyen
Argumentation des parties
89 Par son septième moyen, Wizz Air invoque une erreur de droit en ce que le Tribunal n’a pas examiné le troisième moyen du recours en première instance pour autant qu’il était tiré de la violation de ses droits procéduraux au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’existence de difficultés sérieuses justifiant l’ouverture de la procédure formelle d’examen.
90 À cet égard, premièrement, bien que Wizz Air ait soutenu que les insuffisances identifiées dans les premier et deuxième moyens établissaient l’existence de difficultés sérieuses exigeant l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, le Tribunal n’aurait examiné ces moyens que sous l’angle de l’appréciation au fond, c’est-à-dire au regard de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation des faits ou d’une erreur de droit.
91 Or, en tant que seul moyen tendant à la sauvegarde de ses droits procéduraux, le troisième moyen de son recours avait, selon Wizz Air, un contenu autonome par rapport aux deux premiers moyens du recours, étant donné que le critère d’examen est différent aux fins de la démonstration de l’existence de difficultés sérieuses, laquelle aurait dû conduire à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen.
92 Deuxièmement, le Tribunal ne saurait présumer que, dès lors qu’il avait examiné les deux premiers moyens du recours, le troisième moyen de celui-ci était vidé de son objet déclaré. En effet, sur tous les points de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a rejeté l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission, l’existence de difficultés sérieuses pourrait néanmoins être établie sur la base, notamment, des omissions et lacunes dans le raisonnement de la décision litigieuse.
93 La Commission soutient qu’il convient d’écarter le septième moyen comme étant dépourvu de fondement.
Appréciation de la Cour
94 Il convient de rappeler que, lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une aide d’État, il met en cause essentiellement le fait que cette décision a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant ce faisant ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, le requérant peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. L’utilisation de tels arguments ne saurait pour autant avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité. Au contraire, l’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être apportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9) (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C 83/09 P, EU:C:2011:341, point 59 ainsi que jurisprudence citée).
95 Il appartient à l’auteur d’une demande d’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections de démontrer que des doutes sur la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur existaient, de telle sorte que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Une telle preuve doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de cette décision que dans son contenu, à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
96 Le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de ce que cette institution a été confrontée à de sérieuses difficultés pour apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur, ce qui aurait dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 41 ainsi que jurisprudence citée).
97 En l’espèce, il y a lieu de constater, ainsi que le Tribunal l’a relevé, à titre liminaire, au point 26 de l’arrêt attaqué, que le troisième moyen du recours en première instance de Wizz Air était explicitement tiré de la violation de ses droits procéduraux au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE en ce que la Commission avait été confrontée à de sérieuses difficultés pour apprécier la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.
98 Toutefois, ainsi que le Tribunal l’a, en substance, considéré au point 28 de l’arrêt attaqué, l’existence de telles difficultés peut être recherchée, notamment, dans les appréciations de la Commission et peut, en principe, être établie par des moyens ou des arguments avancés par un requérant aux fins de contester le bien-fondé de la décision de ne pas soulever d’objections, même si l’examen de ces moyens ou arguments n’aboutit pas à la conclusion que les appréciations portées sur le fond par la Commission sont erronées en fait ou en droit (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C 431/07 P, EU:C:2009:223, points 63 et 66 ainsi que jurisprudence citée).
99 À cet égard, il ressort du recours en première instance de Wizz Air que, à l’appui du troisième moyen de ce recours, la requérante a, pour l’essentiel, renvoyé aux premier et deuxième moyens dudit recours en faisant valoir que les insuffisances et erreurs identifiées dans ces moyens établissaient l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû justifier l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, ces insuffisances ou erreurs entachant l’appréciation de la Commission au regard des points 43 et 44 des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration et au regard du principe de non-récurrence.
100 Or, il ressort de la lecture de l’arrêt attaqué, et notamment de ses points 75 et 109, que le Tribunal a effectivement examiné ces griefs, sous l’angle de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû amener la Commission à éprouver des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur et à ouvrir une procédure formelle d’examen.
101 Il ressort de ce qui procède que le septième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
102 Aucun des moyens invoqués par la requérante n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
103 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
104 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens afférents au présent pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Wizz Air Hungary Légiközlekedési Zrt. (Wizz Air Hungary Zrt.) supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.