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Décisions

CJUE, 4e ch., 11 janvier 2024, n° C-361/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Annulation

PARTIES

Demandeur :

Industria de Diseño Textil SA (Inditex)

Défendeur :

Buongiorno Myalert (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lycourgos

Juges :

Me Bonichot, Me Rodin, Me Rossi

Avocats :

Me Álvarez de Toledo, Me Álvarez

CJUE n° C-361/22

10 janvier 2024

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Industria de Diseño Textil SA (Inditex), par Mes F. Arroyo Álvarez de Toledo et R. Bercovitz Álvarez, abogados,

–        pour Buongiorno Myalert SA, par Me J. J. Marín López, abogado, et Mme A. Vázquez Pastor, procuradora,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. I. Herranz Elizalde, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes P. Němečková et J. Samnadda, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2023,

rend le présent

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Industria de Diseño Textil SA (Inditex) à Buongiorno Myalert SA (ci‑après « Buongiorno »), au sujet d’une prétendue violation de droits conférés par une marque nationale dont Inditex est titulaire, en raison du prétendu usage, par Buongiorno, d’un signe identique à cette marque, sans le consentement d’Inditex.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La première directive 89/104

3        L’article 5 de la première directive 89/104, intitulé « Droits conférés par la marque », énonçait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires :

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2.      Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. »

4        L’article 6 de la première directive 89/104, intitulé « Limitation des effets de la marque », disposait, à son paragraphe 1 :

« Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

[...]

c)      de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

5        La première directive 89/104 a été abrogée et remplacée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25, et rectificatif JO 2009, L 11, p. 86), entrée en vigueur le 28 novembre 2008.

 La directive 2008/95

6        L’article 5 de la directive 2008/95, intitulé « Droits conférés par la marque », prévoyait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2.      Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. »

7        L’article 6 de la directive 2008/95, intitulé « Limitation des effets de la marque », disposait, à son paragraphe 1 :

« Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires :

[...]

c)      de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

8        La directive 2008/95 a été abrogée et remplacée, avec effet au 15 janvier 2019, par la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1).

 La directive 2015/2436

9        L’article 14 de la directive 2015/2436, intitulé « Limitation des effets de la marque », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires :

[...]

c)      de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique que lorsque l’usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

 Le droit espagnol

10      Dans sa version transposant l’article 5 de la première directive 89/104, l’article 34 de la Ley 17/2001 de Marcas (loi 17/2001 sur les marques), du 7 décembre 2001 (BOE no 294, du 8 décembre 2001, p. 45579, ci-après la « loi sur les marques »), disposait :

« 1.      L’enregistrement de la marque confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser dans la vie des affaires.

2.      Le propriétaire de la marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)      d’un signe qui, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services, crée un risque de confusion dans l’esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

c)      d’un signe identique ou similaire pour des produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque cette marque est notoire ou jouit d’une haute renommée en Espagne et que l’usage du signe sans motif légitime peut indiquer un lien entre ces biens ou services et le propriétaire de la marque ou, de façon générale, lorsque cet usage tire indûment profit du caractère distinctif ou de la notoriété ou haute renommée de la marque enregistrée ou leur porte préjudice. »

11      Dans sa version initiale, l’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques a transposé dans le droit espagnol l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 et énonçait :

« Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, des éléments ci-après, si cet usage est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale :

[...]

c)      de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée. »

12      L’article 37 de la loi sur les marques a été modifié par le Real Decreto-ley 23/2018 de transposición de directivas en materia de marcas, transporte ferroviario y viajes combinados y servicios de viaje vinculados (décret‑loi royal 23/2018, portant transposition des directives en matière de marques, de transport ferroviaire et de voyages à forfait et prestations de voyage liées), du 21 décembre 2018 (BOE no 312, du 27 décembre 2001, p. 127305), afin de transposer l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436.

13      Dans sa version modifiée, l’article 37, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les marques dispose :

« 1.      Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires :

[...]

c)      de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique que lorsque l’usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      Buongiorno est un fournisseur de services d’information au moyen d’Internet et des réseaux de téléphonie mobile. Au cours de l’année 2010, ce fournisseur a lancé une campagne publicitaire pour un abonnement payant à un service d’envoi de contenus multimédias par SMS, commercialisé sous le nom de « Club Blinko ». L’abonnement à ce service permettait la participation à un tirage au sort, dont l’un des prix consistait en une « carte cadeau ZARA » d’une valeur de 1 000 euros. Après avoir cliqué sur une bannière pour accéder au tirage au sort, le souscripteur voyait apparaître sur l’écran suivant le signe « ZARA » entouré d’un rectangle, évoquant le format des cartes cadeaux.

15      Inditex a introduit, devant le Juzgado de lo Mercantil nº 2 de Madrid (tribunal de commerce no 2 de Madrid, Espagne), une action en contrefaçon contre Buongiorno, pour atteinte aux droits exclusifs conférés par une marque nationale protégeant le signe « ZARA » (ci‑après la « marque ZARA »). Au soutien de cette action, fondée sur l’article 34, paragraphe 2, sous b) et c), de la loi sur les marques, Inditex a invoqué des raisons tenant, respectivement, à l’existence d’un risque de confusion et au profit tiré de la renommée de la marque ainsi qu’au préjudice porté à cette renommée.

16      Buongiorno a nié l’existence d’une violation de droits conférés par la marque ZARA, faisant valoir qu’elle avait fait ponctuellement usage de ce signe non pas en tant que marque, mais pour indiquer en quoi consistait l’un des cadeaux offerts aux gagnants du tirage au sort. Selon Buongiorno, un tel usage, « à titre de mention », relève des usages licites de signes distinctifs de tiers régis par l’article 37 de la loi sur les marques, tant dans sa version initiale que dans sa version modifiée.

17      La juridiction de première instance a rejeté le recours d’Inditex. Après avoir considéré que l’utilisation de la marque ZARA par Buongiorno ne constituait pas un usage « à titre de mention » relevant de l’article 37 de la loi sur les marques, dans sa version initiale, cette juridiction a estimé que les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe 2, sous b) et c), de la loi sur les marques n’étaient pas réunies.

18      Inditex a interjeté appel de cette décision devant l’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid, Espagne), invoquant l’existence d’une contrefaçon de la marque relevant de l’article 34, paragraphe 2, sous c), de la loi sur les marques. Cet appel a été rejeté par l’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid), qui a considéré que l’usage de la marque ZARA par Buongiorno ne portait pas atteinte à la renommée de cette marque et ne tirait pas indûment profit de cette renommée.

19      Inditex a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), qui est la juridiction de renvoi.

20      Cette juridiction indique que l’article 37, sous c), de la loi sur les marques, dans sa version initiale, applicable ratione temporis aux faits du litige au principal, constituait la transposition de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104, dont le libellé n’a pas été modifié substantiellement par la directive 2008/95.

21      Ladite juridiction précise que la version actuelle de l’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques transpose l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, cette directive ayant abrogé et remplacé la directive 2008/95.

22      La juridiction de renvoi relève que figure à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 la mention d’un comportement général, à savoir « désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque », suivie de l’expression « en particulier », elle-même suivie de la mention d’un comportement plus spécifique, à savoir « lorsque cet usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées ». Étant donné que seul le comportement plus spécifique figurait à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104, cette juridiction nourrit des doutes quant à la portée de la mention du comportement général introduite à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436. Ladite juridiction se demande si cette mention constitue une explicitation d’un élément qui figurait implicitement à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 ou si la portée des usages « à titre de mention » a été étendue par la directive 2015/2436.

23      À cet égard, la juridiction de renvoi précise que son interrogation est mise en lumière par l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 dans les arrêts du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland (C‑228/03, EU:C:2005:177), ainsi que du 8 juillet 2010, Portakabin (C‑558/08, EU:C:2010:416, points 63 et 64). Cette juridiction estime que la Cour semble avoir restreint la portée de la limitation des effets de la marque à l’usage nécessaire pour indiquer la destination d’un produit, d’autant plus lorsqu’elle a expliqué que l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 est de « permettre aux fournisseurs de produits ou de services lesquels sont complémentaires à des produits ou à des services offerts par le titulaire d’une marque, d’utiliser cette marque afin d’informer le public sur le lien utilitaire existant entre leurs produits ou services et ceux dudit titulaire de la marque ».

24      La juridiction de renvoi indique que la réponse à la question préjudicielle aura une incidence sur l’issue du litige au principal. Elle précise que, si elle fait droit au moyen du pourvoi relatif à l’interprétation et à l’application de la disposition qui confère une protection aux marques renommées, elle devra examiner si l’usage de la marque ZARA par Buongiorno relève de la limitation prévue à l’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques, dans sa version initiale, applicable ratione temporis au litige faisant l’objet du pourvoi, cette limitation étant équivalente à celle prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104. Selon la juridiction de renvoi, le comportement de Buongiorno pourrait cependant correspondre davantage au libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 qu’à celui de cet article 6, paragraphe 1, sous c).

25      Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive [89/104] doit-il être interprété en ce sens que le comportement plus général désormais visé à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive [2015/2436], à savoir l’usage “de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque”, est implicitement inclus dans la limitation du droit de marque ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

26      Inditex est d’avis que la demande de décision préjudicielle est irrecevable pour deux motifs.

27      En substance, Inditex relève, en premier lieu, que, selon la juridiction de renvoi, l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 n’est pertinente que si le pourvoi est susceptible d’être accueilli en raison d’une violation de l’article 34, paragraphe 2, sous c), de la loi sur les marques, à savoir en raison d’une atteinte à une marque renommée. Selon Inditex, l’usage de la marque d’autrui ne sera, dans ce cas, pas conforme aux « usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale », au sens de l’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques, dans sa version initiale. La réponse à la question n’étant, dès lors, pas déterminante aux fins de la décision à rendre par la juridiction de renvoi, la demande de décision préjudicielle serait irrecevable.

28      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence de la question qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 16 mars 2023, Beobank, C‑351/21, EU:C:2023:215, point 43 et jurisprudence citée).

29      Il s’ensuit qu’une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union bénéficie d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une telle question n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée [arrêt du 16 mars 2023, Saatgut-Treuhandverwaltung (KWS Meridian), C‑522/21, EU:C:2023:218, point 26 et jurisprudence citée].

30      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte sur le prétendu usage d’une marque nationale par un tiers, sans l’autorisation du titulaire de cette marque, et que les parties à ce litige s’opposent notamment quant à l’applicabilité de l’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques, dans sa version initiale. Il ressort également de la décision de renvoi que le juge national s’interroge sur la portée de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104, qui concerne la limitation des effets d’une marque nationale et qui a été transposé dans le droit espagnol par cet article 37.

31      Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 soit sans aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème soulevé présente un caractère hypothétique.

32      Par ailleurs, pour autant qu’Inditex avance que la question préjudicielle est hypothétique en raison du fait que les conditions de l’usage licite prévues à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 coïncident avec celles de l’usage relatif à une marque renommée auquel son titulaire peut s’opposer, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive, de sorte que ces deux dispositions s’excluent mutuellement, il y a lieu de relever que cette argumentation vise l’interprétation de la dernière phrase de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive. Cette argumentation d’Inditex tend, dès lors, à soulever une question d’interprétation de cet article 6, paragraphe 1, différente de celle posée par la juridiction de renvoi et il ne saurait en être déduit que la question posée présente un caractère manifestement hypothétique.

33      En second lieu, Inditex soutient que la juridiction de renvoi semble considérer que le libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 permettrait l’usage de la marque en cause dans l’affaire au principal, au motif qu’il s’agirait d’un usage « à titre de mention », à la différence de ce qui résulterait d’une interprétation littérale de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104. Elle observe que l’usage d’une marque « pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque » n’est pas en soi licite, mais doit, en outre, être conforme aux « usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale » et respecter les règles de l’épuisement du droit de marque en cas de transactions portant sur des produits d’autrui. Partant, la réponse à la question préjudicielle ne serait pas utile, car elle serait insuffisante pour résoudre la question de droit soulevée dans le litige au principal.

34      Or, la circonstance que, afin de trancher ce litige, la juridiction de renvoi puisse être tenue également d’examiner ou de prendre en considération d’autres dispositions que celles visées par sa question ne saurait conduire à considérer que celle-ci est sans rapport avec l’objet du litige et, dès lors, irrecevable.

35      Partant, les deux arguments présentés par Inditex pour contester la recevabilité de la demande de décision préjudicielle doivent être écartés.

36      Dans ses observations, la Commission européenne, sans toutefois clairement soutenir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, observe que la question de l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, applicable ratione temporis au litige au principal, ne se pose que si l’usage de la marque ZARA par Buongiorno constitue un usage par des tiers, dans la vie des affaires, interdit à l’article 5 de cette directive. Étant donné que la juridiction nationale de première instance ne semblerait pas avoir commis d’erreur de droit en considérant que l’usage de la marque ZARA ne relevait d’aucun des cas d’usage de la marque prévus à l’article 34 de la loi sur les marques, transposant dans le droit espagnol cet article 5, il ne serait pas nécessaire d’examiner si les conditions de l’article 37 de cette loi, transposant, dans sa version initiale, l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, sont réunies.

37      À cet égard, il convient de relever que l’argumentation de la Commission implique que la Cour se prononce sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 2008/95. Partant, elle doit être écartée pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 34 du présent arrêt.

38      Par conséquent, il y a lieu de considérer que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur la question préjudicielle

39      Il ressort de la décision de renvoi que les faits à l’origine du litige au principal se sont produits au cours de l’année 2010. La première directive 89/104 ayant été abrogée et remplacée par la directive 2008/95, entrée en vigueur le 28 novembre 2008, la disposition applicable, ratione temporis, au moment des faits du litige au principal est l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, et non pas l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104, cette seconde disposition ayant été remplacée par la première. Il importe, néanmoins, de préciser que le libellé de ces deux dispositions est identique.

40      Il ressort également de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi n’émet pas de doutes quant au fait que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, l’usage de la marque doit viser la désignation ou la mention des produits ou des services « comme étant ceux du titulaire de cette marque ». Il convient, en effet, de préciser que, si le libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 exprime désormais explicitement cette exigence, l’existence de celle-ci ressortait de la jurisprudence relative à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104 (voir, en ce sens, arrêts du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C‑228/03, EU:C:2005:177, point 33, ainsi que du 8 juillet 2010, Portakabin, C‑558/08, EU:C:2010:416, point 64).

41      Ainsi, les doutes émis par la juridiction de renvoi quant à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 découlent de la rédaction différente de la disposition qui l’a remplacé, à savoir l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, s’agissant de l’étendue de l’usage de la marque par un tiers que le titulaire de cette marque ne pourrait pas interdire, en ce que cet usage ne viserait pas seulement l’indication de la destination d’un produit commercialisé par ce tiers ou d’un service offert par celui-ci.

42      Dès lors, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de reformuler la question en ce sens que, par celle-ci, cette juridiction demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il vise tout usage de la marque dans la vie des affaires par un tiers pour désigner ou mentionner, conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, ou uniquement un usage de cette marque qui est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit commercialisé par ce tiers ou d’un service offert par celui-ci.

43      Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation (arrêt du 16 mars 2023, Towercast, C‑449/21, EU:C:2023:207, point 31 et jurisprudence citée).

44      Selon le libellé de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées.

45      En revanche, l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 énonce, tout d’abord, qu’il vise l’usage de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, puis il reprend le contenu normatif de cet article 6, paragraphe 1, sous c), précédé par l’expression « en particulier ».

46      Il ressort ainsi de la comparaison sur un plan littéral de ces deux dispositions que l’usage qui était susceptible de limiter les effets de la marque en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 constitue désormais l’une des hypothèses de l’usage licite auquel le titulaire d’une marque ne peut pas s’opposer en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436.

47      Il s’ensuit que la portée de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 est plus limitée que celle de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, en ce que cet article 6, paragraphe 1, sous c), ne vise que l’usage, dans la vie des affaires, de la marque lorsque celle-ci est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service.

48      Cette interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 est corroborée tant par les objectifs poursuivis par cette directive, et en particulier celui de cette disposition, tel qu’il a été défini par la jurisprudence, que par l’analyse de la genèse de la disposition l’ayant remplacée, à savoir l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436.

49      En premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en limitant les effets des droits que le titulaire d’une marque tire de l’article 5 de la directive 2008/95, l’article 6 de cette directive vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services dans le marché intérieur, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C‑228/03, EU:C:2005:177, point 29).

50      S’agissant plus particulièrement de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, la Cour a indiqué que l’application de cette disposition n’est pas limitée aux situations dans lesquelles il est nécessaire d’utiliser une marque pour indiquer la destination d’un produit « en tant qu’accessoires ou pièces détachées » (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C‑228/03, EU:C:2005:177, point 32). Les situations relevant du champ d’application de cet article 6, paragraphe 1, sous c), doivent, toutefois, être limitées à celles qui correspondent à l’objectif de cette disposition (arrêt du 8 juillet 2010, Portakabin, C‑558/08, EU:C:2010:416, point 64).

51      À cet égard, la Cour a précisé que l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 est de permettre aux fournisseurs de produits ou de services complémentaires à des produits ou à des services offerts par le titulaire d’une marque d’utiliser cette marque afin d’informer, de manière compréhensible et complète, le public sur la destination du produit qu’ils commercialisent ou du service qu’ils offrent ou, en d’autres termes, sur le lien utilitaire existant entre leurs produits ou leurs services et ceux dudit titulaire de la marque (voir, en ce sens, arrêts du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland, C‑228/03, EU:C:2005:177, points 33 et 34, ainsi que du 8 juillet 2010, Portakabin, C‑558/08, EU:C:2010:416, point 64).

52      Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence, le champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 vise l’usage de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque uniquement lorsque cet usage est limité à la situation dans laquelle il est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit commercialisé par ce tiers ou d’un service offert par celui-ci. Or, dans le contexte de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, une telle situation ne correspond qu’à l’une des hypothèses dans lesquelles l’usage de la marque n’est pas susceptible d’être interdit par son titulaire.

53      En second lieu, étant donné que, par sa question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 eu égard au contenu normatif de la disposition l’ayant remplacé, la genèse de cette dernière disposition peut révéler des éléments pertinents pour l’interprétation de cet article 6, paragraphe 1, sous c).

54      À cet égard, il ressort de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques [COM(2013) 162 final] qu’il a été « jugé approprié de prévoir [...] une limitation explicite visant de manière générale l’usage de la marque à titre de mention ». Ainsi, comme M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 78 de ses conclusions, les termes « approprié de prévoir » indiquaient la volonté de la Commission de proposer d’introduire une limitation des effets de la marque visant de manière générale l’usage à titre de mention et d’étendre la portée de la limitation, désormais prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, et non pas de proposer une simple clarification ou précision des contours de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104.

55      En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé au point 79 de ses conclusions, l’intention de la Commission d’étendre la portée de la limitation figurant auparavant à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 ressort de la formulation du considérant 25 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques [COM(2013) 162 final], qui indiquait que « le titulaire ne devrait pas pouvoir empêcher l’usage courant, loyal et honnête de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant les siens ».

56      Par conséquent, la genèse de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 corrobore l’interprétation selon laquelle la portée de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 est plus limitée que celle de cet article 14, paragraphe 1, sous c).

57      En l’occurrence, il revient au juge national, notamment, de déterminer, en prenant en compte l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal, si Buongiorno a, par sa campagne publicitaire lancée pour un abonnement à l’un de ses services, permettant la participation à un tirage au sort dont l’un des prix consistait en une « carte cadeau ZARA », le souscripteur voyant apparaître sur l’écran le signe « ZARA » entouré d’un rectangle, évoquant le format des cartes cadeaux, fait un usage de la marque ZARA, au sens de l’article 5 de la directive 2008/95, et, si tel est le cas, d’apprécier, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, si cet usage était nécessaire pour indiquer la destination d’un service que Buongiorno offrait ainsi que, le cas échéant, si cet usage était fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

58      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il vise un usage de la marque dans la vie des affaires par un tiers pour désigner ou mentionner, conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque uniquement quand un tel usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit commercialisé par ce tiers ou d’un service offert par celui-ci.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques,

doit être interprété en ce sens que :

il vise un usage de la marque dans la vie des affaires par un tiers pour désigner ou mentionner, conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque uniquement quand un tel usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit commercialisé par ce tiers ou d’un service offert par celui-ci.