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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 19 décembre 2023, n° 19/04848

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Advance Immobilier (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Moulayes, Mme Martin de La Moutte

Avocats :

Me Jolibert, Me Guignon

T. com. Toulouse, du 30 sept. 2019, n° 2…

30 septembre 2019

Faits et procédure

La société Advance Immobilier, anciennement sous franchise Orpi et depuis le 1er janvier 2018 sous franchise [L] [B], développe une activité d'agence immobilière.

Madame [O] [N] a signé avec cette société un contrat d'agent commercial en date du 8 février 2016.

Par courrier recommandé du 8 janvier 2018, Madame [N] a notifié à la société Advance Immobilier la résiliation de son contrat d'agent commercial avec effet immédiat et sans préavis aux torts exclusifs de son mandant, et l'a mise en demeure de lui régler la somme de 57 889 € au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce.

La société Advance Immobilier s'est défendu, par courrier du 26 janvier 2018, d'avoir fait obstacle à l'exercice de sa mission par l'agent commercial, et a refusé de payer l'indemnité sollicitée.

Par acte du 20 avril 2018 Madame [N] a fait délivrer assignation devant le tribunal de commerce de Toulouse à la société Advance Immobilier, afin de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs du mandant, et d'obtenir le paiement d'une indemnité.

Par jugement du 30 septembre 2019, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial entre [O] [N] et la société Advance Immobilier ;

- débouté [O] [N] de sa demande de versement par la société Advance Immobilier d'une indemnité de rupture ; 

- débouté la société Advance Immobilier de sa demande de versement d'une indemnité de procédure abusive ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné [O] [N] aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 7 novembre 2019, [O] [N] a relevé appel du jugement. L'appel porte sur les chefs du jugement qui ont :

- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial entre [O] [N] et la société Advance Immobilier ;

- débouté [O] [N] de sa demande de versement par la société Advance Immobilier d'une indemnité de rupture ;

- condamné [O] [N] aux entiers dépens.

La clôture était prévue pour le 6 décembre 2021.

L'affaire, fixée initialement au 4 janvier 2022, a finalement été appelée à l'audience du 6 décembre 2022, puis du 17 octobre 2023.

La clôture est intervenue le 18 septembre 2023.

Prétentions et moyens

Vu les conclusions n°2 notifiées le 31 août 2020 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de [O] [N] demandant, au visa des articles L. 134-4, L. 134-12, L. 134-13 et R. 132-4 du code de commerce, de :

- réformant le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse le 30 septembre 2019,

- juger que la résiliation du contrat d'agent commercial liant [O] [N] à la société Advance Immobilier a été justifiée par des circonstances imputables à cette dernière,

- en conséquence, condamner la société Advance Immobilier à payer à [O] [N] la somme de 66 264€ au titre de l'indemnité compensatrice de la rupture du contrat,

- condamner la société Advance Immobilier à payer à [O] [N] la somme de 3 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Madame [N] affirme avoir été progressivement écartée de la société, lors du passage de la franchise Orpi à celle [L] [B], et suite à l'annonce de son état de grossesse ; elle évoque notamment son éviction du processus de formation aux nouveaux outils de travail, et de la diffusion des messages groupés relatifs au fonctionnement de la société, ainsi que l'absence de réception des supports commerciaux de la nouvelle enseigne nécessaires à l'exercice de sa mission.

Ainsi, elle affirme que sa décision de mettre fin à son contrat d'agent commercial ne résulte que de circonstances imputables au mandant, et qu'elle est en droit d'obtenir une indemnité compensatrice.

Vu les conclusions notifiées le 2 juin 2020 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Advance Immobilier demandant, au visa des articles 1102 et suivants et 1240 du code civil, L. 134-1 et suivants du code de commerce, 696, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

- confirmer la décision prononcée ;

- ce faisant,

- dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial relève de la seule volonté de [O] [N] ;

- dire et juger que la société Advance Immobilier n'a commis aucun manquement ;

- débouter [O] [N] de l'intégralité de ses demandes et prétentions ;

- réformant la décision sur le surplus et statuant sur appel incident,

- condamner [O] [N] au paiement d'une somme de 1 500€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice supporté du fait d'une action menée de manière légère et abusive ;

- la condamner au paiement d'une somme de 3 500€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

La société Advance Immobilier conteste toute volonté d'éviction de son agent commercial, et réfute les éléments versés aux débats par l'appelante ; elle affirme que celle-ci ne démontre pas une faute marquée et évidente du mandant, susceptible d'ouvrir droit à une indemnité.

Elle forme par ailleurs appel incident des dispositions du premier jugement l'ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

MOTIFS

Sur le droit à indemnité de l'agent commercial,

Il ressort des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'article L. 134-13 2° de ce même code vient préciser que cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.

Il appartient à l'agent commercial, demandeur de l'indemnité de rupture, de démontrer que la cessation de son activité était intervenue à l'initiative du mandant, ou, à défaut, qu'elle était justifiée par des actes imputables à celui-ci.

Madame [N] attribue la cessation de son activité au comportement fautif du mandant, à qui elle reproche de ne pas l'avoir mise en mesure d'exercer ses fonctions.

Elle rappelle que l'article L. 134-4 du code de commerce impose au mandant de mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

L'article R. 132-4 de ce même code précise cette obligation de la manière suivante : « le mandant met à la disposition de l'agent commercial toute documentation utile sur les produits ou services qui font l'objet du contrat d'agence. Il communique à l'agent commercial les informations nécessaires à l'exécution du contrat. »

Il ressort de l'examen des pièces soumises à l'appréciation de la Cour que Madame [N] ne rapporte pas la preuve d'une déloyauté du mandant ayant fait obstacle à l'exercice de son activité.

La Cour relève que la société Advance Immobilier s'est trouvé en phase de transition entre deux franchises, entre les mois d'août 2017 et janvier 2018.

Pour autant, jusqu'au 1er janvier 2018, les agents commerciaux et salariés d'Advance Immobilier pouvaient encore utilement avoir recours aux outils de travail et supports commerciaux d'Orpi.

Ainsi Madame [N] ne peut pas valablement soutenir avoir été empêchée de travailler jusqu'au 1er janvier 2018, alors qu'elle disposait des outils suffisants.

Elle produit d'ailleurs elle-même des attestations démontrant qu'elle a continué à faire signer des mandats et à conclure des ventes en usant des outils Orpi, jusqu'à la fin du mois de décembre 2017.

La Cour ne retient pas plus l'argumentaire de Madame [N] relatif à son éviction volontaire du fonctionnement de la société à compter de l'annonce de son état de grossesse au mois de juillet 2017.

Elle ne démontre pas en effet une quelconque opposition des dirigeants de l'agence immobilière à sa demande d'aménagement de son temps de travail formulée par courrier électronique du 24 juillet 2017 ; le mandant lui a par ailleurs rappelé par message électronique du 9 novembre 2017 que les travaux engagés dans les locaux ne faisaient pas obstacle à de bonnes conditions de travail, et qu'elle était en mesure de s'organiser selon sa volonté.

Elle ne démontre pas plus avoir été évincée de la circulation des informations au sein de l'agence ; si elle n'a pas été destinataire de deux messages électroniques adressés à l'ensemble des partenaires de l'agence immobilière, la Cour constate non seulement que le mandant a lui-même corrigé son erreur s'agissant du message à adresser aux clients sur le changement d'enseigne, mais également qu'elle a bien reçu plusieurs autres messages sur cette période.

La preuve n'est donc pas rapportée d'une éviction volontaire et générale du circuit d'information de l'agence immobilière.

Elle n'a pas plus été évincée de l'offre de formation, à laquelle le mandant démontre qu'elle a participé en septembre et en octobre 2017.

Deux des attestations produites par Madame [N] visent son absence lors d'une formation organisée vers la fin du mois de novembre 2017, mais la Cour constate que celle-ci était en arrêt maladie du 18 novembre au 1er décembre 2017.

L'appelante ne justifie d'aucun refus du mandant de la voir participer à des actions de formation, ce dernier lui ayant au contraire assuré par message du 7décembre 2017 qu'elle bénéficierait de la documentation nécessaire le jour de ses formations.

Madame [N] produit par ailleurs trois attestations rapportant le souhait exprimé publiquement par le mandant de la voir mettre fin à son contrat d'agent commercial.

La Cour ne reconnaît aucune valeur probante à l'attestation rédigée par Madame [G], en contentieux devant le conseil de prud'hommes avec la société Advance Immobilier, étant rappelé qu'il est de jurisprudence constante que le juge apprécie souverainement l'objectivité du témoignage porté dans une attestation.

Les deux autres attestations évoquant cette volonté d'éviction de Madame [N] ne rapportent que des propos indirects, relevant de rumeurs au sein de l'entreprise, et sont contradictoires entre elles sur les dates, l'une d'elle évoquant des propos rapportés en octobre 2017 tandis que l'autre parle d'une réunion du mois de décembre 2017.

Ces attestations ne permettent pas en conséquence de rapporter la preuve d'un comportement déloyal du mandant, ayant fait obstacle à l'exercice de son activité.

Enfin, Madame [N] poursuit sur la déloyauté du mandant en invoquant les nouvelles conditions de rémunération moins favorables proposées dans les nouveaux contrats [L] [B] à compter du mois de janvier 2018 ; elle affirme toutefois dans le même temps ne jamais avoir été destinataire d'un contrat elle-même, et ne pas avoir discuté avec le mandant de celui-ci.

Dès lors, elle évoque la déloyauté du mandant sur le fondement d'une clause contractuelle hypothétique qui ne lui a jamais été soumise.

Au jour de la rupture du contrat, il n'est pas démontré que de nouvelles conditions de rémunération moins favorables lui aient été proposées par le mandant.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cour constate que Madame [N] ne rapporte pas la preuve des griefs invoqués, et de la déloyauté qu'elle reproche à la société Advance Immobilier ; dès lors, la Cour retient que la rupture du contrat d'agent commercial a été réalisée à l'initiative de Madame [N], qui n'est donc pas fondée à réclamer une indemnité compensatrice.

Le jugement du tribunal de commerce sera en conséquence confirmé, sauf en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial, alors qu'il s'agit en réalité d'une résiliation du contrat à l'initiative de Madame [N].

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive,

La société Advance Immobilier sollicite la condamnation de Madame [N] au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, reprochant à l'appelante d'avoir initié son action de manière légère, afin de discréditer la société.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le droit d'agir en justice est ouvert à tout plaideur qui s'estime lésé dans ses droits, son exercice ne dégénérant en abus qu'autant que les moyens qui ont été invoqués à l'appui de la demande sont d'une évidence telle qu'un plaideur, même profane, ne pourra pas ignorer le caractère abusif de sa démarche ou qu'il n'a exercé son action qu'à dessein de nuire en faisant un usage préjudiciable à autrui.

En l'espèce, la société Advance Immobilier ne démontre pas que Madame [N] ait fait preuve de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière de sorte que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive a été justement rejetée par le premier juge.

Il conviendra de confirmer le jugement du tribunal de commerce de ce chef.

Sur les demandes accessoires,

Madame [N], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens d'appel, et la décision de première instance de ce chef sera confirmée.

En revanche, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ; les parties seront déboutées de leurs demandes de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant en dernier ressort, de manière contradictoire, et par mise à disposition au greffe,

- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial liant [O] [N] à la société Advance Immobilier ;

Statuant à nouveau,

- Dit que la résiliation du contrat d'agent commercial entre [O] [N] et la société Advance Immobilier est intervenue à l'initiative de Madame [O] [N] ;

Y ajoutant,

- Déboute Madame [O] [N] et la Sarl Advance Immobilier de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne Madame [O] [N] aux entiers dépens d'appel ;