CA Rennes, 3e ch. com., 19 décembre 2023, n° 21/06517
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Orient Discovery Tour (SARL)
Défendeur :
Cooper Standard France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac
Avocats :
Me Chichkine, Me Michel
La société COOPER STANDARD France (CSF) est une filiale du Groupe COOPER STANDARD AUTOMOTIVE (CSA), et a pour objet une activité d'équipementier automobile implantée en France, plus précisément à [Localité 5] (35) et [Localité 3] (76).
Ses collaborateurs sont amenés à de fréquents déplacements internationaux dont la gestion a été confiée à un prestataire extérieur, l'agence de voyage société ORIENT DISCOVERY TOUR (ODT),
En 2014, Ie Groupe COOPER STANDARD a lancé un appel d'offre mondial concernant les prestations d'organisation des déplacements professionnels des salariés de son groupe.
La société LUFTHANSA CITY CENTER (LCC) a été sélectionné pour le management de tous les voyages Europe des collaborateurs du Groupe CSA.
La société ODT TRAVEL, souhaitant conserver la clientèle de la société CSF, est alors devenue franchisée de la société LCC, selon convention du 21 mai 2015.
A compter du 1er juillet 2015, la SARL ODT a pu ainsi reprendre une relation commerciale avec la société CSF.
Au mois de juillet 2016, des disparités dans des factures et règlements de la société ODT ont été relevées par Madame [V] [L], salariée de la société CSF exerçant les fonctions de Global Travel Manager CSA.
Les 17 et 18 mai 2017, Madame [V] [L] s'est déplacée dans les locaux de la société ODT TRAVEL afin de procéder à des vérifications.
Début 2018, un contrôle des facturations de la société ODT TRAVEL aurait permis de constater que cette dernière aurait facturé de 2015 à 2018 un certain nombre de prestations complémentaires non prévues dans le contrat de franchise signé avec LCC :
> Comptemenf Export lga,
> Statistiques / Frais d'agence,
> Rapports Ibank.
Ces prestations complémentaires qui ont fait l'objet de facturations versées au dossier, ont été réglées par paiement à l'initiative de la société ODT TRAVEL en utilisant les cartes de paiement AIRPLUS mises à sa disposition par la société COOPER STANDARD FRANCE pour le paiement des prestations de voyage.
Par mail en date du 26 mars 2018, Madame [V] [L], a demandé à la société ODT TRAVEL de justifier ces facturations s'élevant sur trois années à 206.349,44 € :
- 5. 905,40 € pour l'année 2016,
- 144. 89l ,00 € pour l'année 2017,
- 55. 553,04 € pour le début 2018.
Le lendemain a été demandé le remboursement de ces sommes selon un calendrier échelonné.
Le 12 avril 2018, la société ODT TRAVEL a répondu par mail qu'elle avait dû supporter d'importants coûts d'exploitation (détachement d'un salarié, investissement dans un logiciel spécifique) liés aux conditions imposées par LCC, dans le cadre du cahier des charges avec CSA.
Ces coûts auraient donc été facturés car les grilles tarifaires imposées par la société LCC ne prévoyaient pas la gratuité de ces services complémentaires importants.
La société ODT TRAVEL proposait de rembourser un tiers de ces sommes.
Aucun accord n'a pu intervenir entre les deux co-contractantes, la société ODT TRAVEL soutenant avoir réalisé des prestations complémentaires en toute transparence à la demande de la société CSF, qui pour sa part concluait à la seule application de la grille tarifaire de LCC, tout en maintenant ne pas avoir eu connaissance de prestations complémentaires.
Par acte du 12 septembre 2019, la société CSF a assigné la société ODT TRAVEL en remboursement de l'indû.
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :
- dit que la société COOPER STANDARD France est recevable et bien fondée en ses demandes,
- condamné la société ODT TRAVEL à payer à la société COOPER STANDARD France la somme de 206 349 € au titre de la répétition de l'indu, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- accordé des délais de paiement sur 24 mois à la société ODT TRAVEL avec une clause de déchéance,
- débouté la société ODT TRAVEL de ses demandes,
- débouté la société CSF du surplus de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire,
- condamné la société ODT TRAVEL au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société ODT TRAVEL aux dépens.
Appelante de ce jugement, la société ODT TRAVEL, par conclusions du 12 juillet 2022, a demandé à la Cour de :
A titre principal :
- juger que la société COOPER STANDARD FRANCE ne conteste pas la demande et la réalisation des prestations ayant entraîné les facturations litigieuses,
- juger que la société ODT TRAVEL n'a jamais ratifié la grille tarifaire ;
- juger que l'accord sur le prix conclu entre la société LUFTHANSA CITY CENTER et le Groupe COOPER STANDARD AUTOMOTIVE n'est pas opposable à la société ODT TRAVEL en raison de l'effet relatif des contrats;
- juger que le franchiseur ne peut imposer les prix pratiqués à son franchisé ; - juger que la société COOPER STANDARD FRANCE ne rapporte pas la preuve d'un accord intervenu sur la gratuité des prestations litigieuses réalisées par la société ODT TRAVEL,
- débouter la société COOPER STANDARD FRANCE de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société COOPER STANDARD FRANCE à verser à la société ODT TRAVEL la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont les frais de traduction.
A titre subsidiaire,
- confirmer l'échéancier fixé par le Tribunal.
Par conclusions du 12 avril 2022, la société CSF a demandé à la Cour de :
' Débouter la Société ORIENT DISCOVERY TOUR, agissant sous l'enseigne ODT TRAVEL de son appel ;
' Confirmer le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a condamné la Société ORIENT DISCOVERY TOUR, agissant sous l'enseigne ODT TRAVEL au paiement des sommes de 206.349 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 avril 2019 et 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Infirmer ledit jugement en ce qu'il a fixé un échéancier de paiement et débouter la Société ORIENT DISCOVERY TOUR, agissant sous l'enseigne ODT TRAVEL de sa demande de délais de paiement ;
' Y additant, condamner la Société ORIENT DISCOVERY TOUR, agissant sous l'enseigne ODT TRAVEL au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens en allouant à la SELARL CVS, le bénéfice de l'article 699 du même code ;
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il est acquis aux débats que les deux parties étaient en relation d'affaires depuis plusieurs années quand l'appel d'offre organisé à un niveau international par le groupe COOPER STANDARD les a obligées à mettre fin à leur courant d'affaire, la société COOPER STANDARD FRANCE ayant l'obligation de contracter avec le prestataire choisi par le groupe dont elle fait partie.
Le prestataire choisi a été la société de droit allemand Lufthansa City Center International Gmbh (LCC).
Il est aussi acquis aux débats que les deux parties étant satisfaites de leur relation d'affaire, elles souhaitaient toutes deux la conserver.
La société ODT a alors effectué des démarches pour devenir franchisé de la société LCC, démarches appuyées par la société COOPER STANDARD FRANCE, qui a indiqué à LCC qu'elle souhaitait conserver ce prestataire.
Le contrat de franchise entre ODT et LCC a été signé au mois de mai 2015.
Il contient une partie spécifiquement consacrée aux clients professionnels et oblige notamment le franchisé à remplir des fichiers de données spécifiques pour ces clients (LCC Data Base System).
Dans l'annexe 'attachments to the Business travel licence Agreement', il est écrit au paragraphe c: 'products & services' , point 1.c.4 que le franchisé a l'obligation de rédiger des rapports mensuels d'activités et des statistiques par clients et selon la demande de ces derniers.
Dans l'offre faite par LCC au groupe COOPER STANDARD a été adressée une base tarifaire indiquant que ces rapports seraient fait gratuitement. (La base tarifaire contient la rémunération des agences prestation par prestation).
Les sommes dont la société COOPER STANDARD FRANCE demande la répétition sont la facturation de ces prestations par la société ODT, ainsi que cette dernière l'explique dans son courriel du 12 avril 2018 :
'en 2014, la société COOPER STANDARD a souhaité aligner nos prestations sur la base d'un cahier des charges contrôlé par la société LCC;
Nous avons donc dû faire face à la nécessité de réaliser diverses prestations statistiques et d'analyse pour le traittement des données, qui ont été régulièrement adressées à chacun des intervenants que ce soit LCC ou COOPER STANDARD (...) Ces prestations concernaient le traitement et l'analyse des dépenses, voyageur par voyageur et prestation par prestation, dans un environnement informatique déterminé par LCC ainsi que le traitement et l'analyse de tous les paiements réalisés, ligne par ligne, voyageur par voyageur, prestation par prestation, le tout devant être regroupé par catégories, par dates pour tous les paiements, voyageurs et prestations. Ces demandes ont nécessité d'une part d'investir dans un logiciel, d'autre part de détacher un salarié afin de renseigner les fichiers et saisir les données'.
La société ODT continue son courriel en écrivant que ces prestations ont été réalisées pour le compte de la société COOPER STANDARD et doivent ainsi lui être payées.
Elles résultent pourtant directement du contrat de franchise signé avec la société LCC.
Ensuite, la société ODT plaide que les tarifs proposés à la société COOPER STANDARD lui seraient inopposables car elle ne les a pas ratifiés.
Toutefois, la société ODT est devenue franchisée de la société LCC avec comme objectif premier de pouvoir conserver la société COOPER STANDARD comme client.
Elle savait que le maintien des relations contractuelles exigeait nécessairement sa soumission aux règles de la franchise LCC et aux accords convenus, aux termes de l'appel d'offre, entre les sociétés LCC et COOPER STANDARD INTERNATIONAL.
A cet égard, si la société ODT plaide qu'un franchiseur ne peut imposer de tarif à ses franchisés sauf atteinte à la liberté du commerce, ce raisonnement trouve ses limites lorsque le client n'est pas apporté dans le réseau par le franchisé mais par le franchiseur lui-même, comme en l'espèce, et que ce dernier a fait des offres au client.
Il serait contraire à la liberté du commerce d'obliger le franchisé à contracter avec ce client s'il n'entend pas accepter ces offres mais inversement, si le franchisé décide d'accepter ce client, il ne peut s'abstraire des offres faites par le franchiseur.
Il est constant que les relations entre les sociétés LCC et COOPER STANDARD FRANCE se sont mises en place sans qu'ait été signé un contrat cadre, lequel n'est intervenu qu'en 2019, et que cette carence a entraîné des difficultés.
Néanmoins, la société ODT connaissait l'existence des propositions tarifaires de la société LCC puisque celles-ci ont été appliquées sur les autres points.
D'autre part, les frais dont il est demandé la répétition n'ont pas fait l'objet de paiements volontaires par la société COOPER STANDARD FRANCE mais
ont fait l'objet de débits directement par la société ODT sur le compte de la société COOPER STANDARD FRANCE grâce à des cartes de crédits dénommées AIRPLUS, mises à sa disposition par la société COOPER STANDARD (une carte AIRPLUS par site COOPER STANDARD).
Il est exact et démontré que la société COOPER STANDARD a accepté de payer par virement ces frais pour 2015, suite aux factures lui ayant été adressées, considérant qu'ils étaient antérieurs au démarrage du nouveau système LCC.
Les frais postérieurs ont été donc directement prélevés par la société ODT au moyen des cartes AIRPLUS.
Il lui appartient dès lors de démontrer qu'elle était en droit d'effectuer ces prélèvements.
Sur ce point, si même la société ODT estimait ne pas être tenue par le tarif proposé par son franchiseur et devoir facturer à sa cliente les divers rapports exigés par la société LCC, il lui appartenait d'en avertir la société ODT et lui indiquer qu'elle ne pourrait réaliser ces prestations sans les facturer.
Elle ne pouvait, alors qu'elle s'était volontairement insérée dans l'exécution d'une convention plus globale conclue entre les sociétés LCC et COOPER STANDARD, sans avoir obtenu l'accord préalable de sa cliente, débiter ces frais qui se sont élevés certains mois à plus de 20.000 euros.
Or, il n'est justifié d'aucun accord de la société COOPER STANDARD pour payer de tels frais à la société ODT.
D'autre part, le mode de calcul de ces frais n'est pas précisé et est incompréhensible au regard des montants en jeu :
- notamment, les frais étant des frais de reporting des prestations voyages, ils devraient être plus ou moins proportionnels au montant de ces prestations: plus des prestations ont été réalisées, plus les rapports et statistiques sont longs à établir: or, ils varient pour l'année 2016 de 2,4% du montant des prestations en février 2016 à 113% pour le mois d'août ou 25% pour le mois de décembre 2016,
- ensuite, ces frais ont crû de manière exponentielle sans qu'il soit soutenu que tel a été le cas des prestations de voyage : la société ODT a en effet débité, au titre de ces frais, sur les cartes AIRPLUS :
- 5.905,40 euros en 2016,
- 144.891 euros en 2017,
- 55.553,04 euros pour les trois premiers mois de l'année 2018, avant que la société COOPER STANDARD n'y mette fin.
La société ODT n'a jamais répondu précisément au courrier de Mme [L] du 26 mars 2018 lui demandant de lui expliquer précisément comment étaient calculés ces frais et à quoi ils correspondaient, sa réponse du 12 avril déjà citée étant une réponse d'ordre général mais ne permettant pas d'imputer tel ou tel prélèvement à une action précise ou même tout simplement à un taux horaire de main d'oeuvre.
Tel est d'ailleurs aussi le cas des factures y afférent versées aux débats par la société ODT : les factures font une ligne, d'un montant global, sans la moindre information permettant d'en comprendre le mode de calcul.
Au demeurant, la société COOPER STANDARD conteste avoir reçu ces factures.
La société ODT plaide que Mme [L] exerçait une surveillance très attentive de la facturation et qu'elle a toujours eu connaissance des prélèvements effectués, auxquels elle ne s'opposait pas.
Cette thèse est inexacte à l'examen des courriels versés aux débats: Mme [L] exerçait effectivement une surveillance attentive sur les comptes; toutefois, les courriels révèlent qu'à plusieurs reprises, courant 2016 et courant 2017, elle indique à la société ODT qu'elle ne comprend pas ses comptes, que les relevés ne concordent pas et notamment les relevés AIRPLUS.
Mme [L] travaillait depuis des années avec la société ODT, avait toute confiance en sa partenaire, et l'avait recommandée à la société LCC.
Elle n'avait aucune raison de penser que pouvaient être débitées des prestations n'ayant pas reçu son accord exprès et ses premières interrogations portent sur des normes de numérotation à respecter (2016) pour les factures, pensant que les discordances proviennent de mauvaises numérotations.
Son courriel relevant des progrès dans la facturation de 2016 est à relier au respect de la numérotation.
En mai 2017, elle indique ne toujours pas comprendre ce qui est débité sur AIRPLUS et facturé par ailleurs, et pourquoi les montants ne concordent pas toujours, ceci malgré une visite dans les locaux d'ODT au mois de mars précédent.
Ce n'est qu'en mars 2018 que Mme [L] a pu récapituler tous les frais prélevés sur AIRPLUS, et adressé une demande d'explication, d'autant que les intitulés de ces frais soit 'LLC concept annuel Fee', 'complement export Ig', 'cplt export Iga' ou 'rapports Ibank' étaient sybillins.
Les rapport Ibank, à l'examen des pièces versées aux débats, étaient destinés à la société LCC. Cette dernière a écrit à la société COOPER STANDARD que la société ODT en retranchait les frais prélevés, ce que cette dernière conteste, versant aux débats son rapport pour la journée du 08 novembre 2016 qui les font apparaître et proposant de verser aux débats tous ses rapports quotidiens.
Pour autant ces rapports étaient adressés à LCC et non à COOPER STANDARD.
Il en résulte que la société COOPER STANDARD démontre qu'ont été prélevés sur son compte courant, par le moyen des cartes AIRPLUS, des frais ne correspondant pas à des coûts contractuellement acceptés et dont la société ODT est incapable de justifier le montant au regard des prestations dont il est certain qu'elle avait contractuellement la charge.
Selon les dispositions de l'article 1302-1 du code civil, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande en restitution de la société COOPER STANDARD et en ce qu'il a débouté la société ODT de ses prétentions.
La société ODT ayant respecté les délais de paiement lui ayant été accordé et payé les mensualités mises à sa charge par le premier juge, les délais de paiement accordés sont aussi confirmés.
La société ODT, qui succombe dans son recours, supportera la charge des dépens d'appel et paiera à la société COOPER STANDARD la somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour :
Confirme le jugement déféré,
Condamne la société ORIENT DISCOVERY TOUR aux dépens d'appel.
Condamne la société ORIENT DISCOVERY TOUR à payer à la société COOPER STANDARD FRANCE la somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.