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Décisions

CA Grenoble, ch. soc. -A, 9 janvier 2024, n° 21/04260

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 21/04260

9 janvier 2024

C1

N° RG 21/04260

N° Portalis DBVM-V-B7F-LCFA

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la AARPI NOVIA

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 09 JANVIER 2024

Appel d'une décision (N° RG F19/00420)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 22 septembre 2021

suivant déclaration d'appel du 07 octobre 2021

APPELANT :

Monsieur [A] [Y]

[Adresse 2],

[Localité 3]

représenté par Me Clément SALINES de l'AARPI NOVIA, avocat au barreau de PARIS,

INTIMEE :

S.A.S. [O] FRERES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me Karine BELLONE de la SELAS C2J AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS, substituée par Me Clotilde LEQUEUX, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère,

Monsieur Frédéric BLANC, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 novembre 2023,

Mme Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère, chargée du rapport, et , Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, en présence de M. David SPOSATO, Adjoint administratif stagiaire, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 09 janvier 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 09 janvier 2024.

Exposé du litige :

M. [A] [Y] a été embauché le 12 juin 2017 par contrat à durée indéterminée en qualité de directeur « Innovation produits » , au sein de la société [O] Frères, spécialisée dans la transformation et conservation de fruits.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des industries de produits alimentaires élaborés.

M. [Y] a été placé en arrêt de travail pour maladie de manière discontinue à compter du 31 décembre 2017, puis de manière continue à compter du 6 novembre 2018.

Le 13 mai 2019, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 22 mai 2019, auquel il s'est présenté.

Le 3 juin 2019, M. [Y] s'est vu notifier son licenciement pour absence prolongée perturbant le fonctionnement de l'entreprise.

M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Valence en date du 22 octobre 2019, aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir les indemnités afférentes.

Par jugement du 22 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Valence a :

- Débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

- Débouté la SAS [O] Frères de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M. [Y] aux éventuels dépens de l'instance.

La décision a été notifiée aux parties par courriers recommandés réceptionnés le 27 septembre 2021 pour la SAS [O] Frères et le 29 septembre 2021 pour M. [Y].

M. [Y] en a interjeté appel le 7 octobre 2021.

La SAS [O] a interjeté appel incident par voie de conclusions.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 01 juillet 2022, M. [Y] demande à la cour d'appel de :

« - Fixer le salaire de référence à la somme de 8 959,23 euros,

- Constater l'absence de toute perturbation liée à l'absence prolongée de M. [Y] imposant son remplacement définitif,

- Constater que le licenciement est fondé sur l'état de santé de M. [Y],

En conséquence :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence en ce qu'il a jugé recevable les demandes de rappels de congés payés de M. [Y],

Pour le surplus :

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence et, le réformant :

- Dire et juger que le licenciement de M. [Y] est nul,

- Condamner la société [O] Frères à :

- 161 266,14 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul (18 mois de salaire);

- 4.872,15 euros de rappel de congés payés ;

- 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir de 50 euros d'astreinte par document ;

- Les intérêts légaux à compter de la saisine ;

- La condamnation de la société aux entiers dépens. »

Par conclusions notifiées par voie électronique le 05 avril 2022, la SAS [O] Frères demande à la cour d'appel de :

« - Juger recevable la société [O] Frères en son appel incident et ses demandes ;

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence du 22 septembre 2021, en ce qu'il a jugé que la demande de M. [Y] au titre du rappel de congés payés est irrecevable ;

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Valence du 22 septembre 2021, en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse et n'est pas nul et a débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

Statuant à nouveau et en tout état de cause :

- Juger que la demande de M. [Y] au titre du rappel de congés payés est irrecevable ;

- Débouter M. [Y] de sa demande de condamnation de la Société [O] Frères à lui verser un rappel de salaire au titre des congés payés ;

- Fixer le salaire mensuel moyen de M. [Y] à la somme de 8.677,24 € bruts ;

- Juger que le licenciement de M. [Y] n'est pas nul ;

- Juger que le licenciement de M. [Y] repose sur une cause parfaitement réelle et sérieuse ;

- Débouter M. [Y] de sa demande de condamnation de la société [O] Frères à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- Débouter M. [Y] de sa demande de condamnation de la société [O] Frères sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouter M. [Y] de sa demande de condamnation de la société [O] Frères à lui remettre une attestation Pôle Emploi et un reçu pour solde de tout compte rectifiés conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 € par document et par document ;

- Débouter M. [Y] de sa demande tendant à ce que les éventuelles condamnations mises à la charge de la société [O] Frères soient assorties de l'intérêt au taux légal à compter de la saisine prud'homale ;

- Débouter M. [Y] de sa demande de condamnation de la société [O] Frères à supporter les entiers dépens ;

Y ajoutant :

- Condamner M. [Y] à verser à la société [O] Frères la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure au titre de l'instance d'appel ;

- Condamner M. [Y] aux dépens en cause d'appel. »

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 octobre 2023.

L'affaire, appelée à l'audience du 6 novembre 2023, a été mise en délibéré au 9 janvier 2024.

SUR QUOI :

Sur la rupture du contrat de travail :

Moyens des parties :

M. [Y] affirme que :

- Son employeur a procédé à son licenciement dès que sa période d'absence a dépassé les six mois, démontrant ainsi sa précipitation à interrompre la relation contractuelle,

- La SAS [O] Frères ne démontre pas la désorganisation de l'entreprise en son absence, et ce d'autant plus qu'une salariée était en mesure de le remplacer provisoirement,

- Son poste ne relevait pas d'une importance telle qu'une absence prolongée pouvait perturber le fonctionnement de la société,

- La rupture de son contrat de travail est fondée sur son état de santé, de sorte qu'elle est entachée de nullité.

La SAS [O] Frères soutient en réponse que :

- M. [Y] avait été embauché à un niveau élevé d'expertise et de responsabilité,

- A partir du mois de mai 2018, il a été régulièrement absent, pour des périodes importantes compte tenu des enjeux de sa fonction,

- Ses absences ont eu d'importantes répercussions dans l'entreprise et dans la direction de M. [Y], lesquelles s'en sont trouvées fortement perturbées,

- La direction dirigée par M. [Y] était divisée en 4 pôles distincts, et si l'un d'eux était sous la responsabilité de Mme [J], elle n'avait pas les compétences pour le remplacer,

- L'organisation mise en place initialement pour faire face à l'absence de M. [Y] avait montré ses limites,

- L'absence de visibilité sur le retour de M. [Y] imposait son remplacement.

Sur ce,

Selon l'article L 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

En application de ces dispositions, si l'article L. 1132-1 du code du travail fait interdiction de licencier un salarié, notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Celui-ci ne peut, toutefois, être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié.

Dans ce cas, la lettre de licenciement doit impérativement mentionner, d'une part la perturbation du fonctionnement de l'entreprise ou d'un service essentiel à son fonctionnement, et d'autre part la nécessité du remplacement définitif du salarié. Le remplacement définitif du salarié malade suppose l'embauche par l'entreprise d'un nouveau salarié en contrat à durée indéterminée selon un horaire équivalent soit avant la date du licenciement soit à une date proche de celui-ci soit après un délai raisonnable apprécié par rapport à la date du licenciement et non à celle de la fin du préavis.

La charge de la preuve des perturbations dans le fonctionnement de l'entreprise occasionnées par les absences du salarié et de son remplacement définitif incombe à l'employeur.

Lorsque le licenciement, prononcé pour absence prolongée désorganisant l'entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif de l'intéressé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le juge doit accorder au salarié qui le demande l'indemnité de préavis et les congés payés afférents.

Selon l'article 30 de la convention collective nationale pour les industries de produits alimentaires élaborés, les absences motivées par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident et notifiées par l'intéressé dans les 48 heures, sauf cas de force majeure, ne constituent pas une cause de rupture du contrat de travail. Ces absences devront être justifiées par certificat médical ou par déclaration à la sécurité sociale.

En dehors des absences dues à des accidents de travail et maladies professionnelles ayant eu leur origine dans l'entreprise, l'employeur serait fondé, sous certaines conditions, à rompre le contrat de travail en respectant la procédure de licenciement au cas où l'absence pour la maladie ou l'accident se prolongerait :

- au-delà de 6 mois pour les salariés dont l'ancienneté est inférieure à 5 ans ;

En cas de rupture du contrat de travail à l'expiration des délais prévus ci-dessus, l'intéressé bénéficie de l'indemnité de licenciement instituée à l'article 29 de la présente convention.

D'autre part, au cas où l'emploi du salarié absent ne pourrait être laissé vacant pendant la durée des délais susvisés et où il s'avérerait impossible de trouver un remplaçant provisoire, l'intéressé serait avisé par lettre recommandée de son remplacement effectif et la rupture du contrat ne deviendrait définitive qu'à l'expiration de la procédure de licenciement.

Toutefois, le salarié ainsi remplacé bénéficie pendant une durée de 2 ans après la fin de son indisponibilité d'une priorité de réembauchage dans la mesure où son ancien emploi ou un emploi similaire correspondant à ses aptitudes, deviendrait disponible.

Le salarié qui désirerait bénéficier de cette priorité devrait en avertir son ancien employeur au moment de la fin de son indisponibilité.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que :

- Le contrat de travail de M. [Y] a été suspendu pour maladie de droit commun à compter du 31 décembre 2017 de manière discontinue (du 31 décembre 2017 au 08 janvier 2018, du 19 mai au 29 juin 2018, du 11 au 14 septembre 2018) puis M. [Y] a été placé en mi-temps thérapeutique du 21 septembre au 5 novembre 2018, puis le contrat de travail a été suspendu de manière continue à compter du 6 novembre 2018,

- Le 10 mai 2019, M. [Y] a adressé une prolongation de son arrêt de travail à son employeur,

- Le 13 mai 2019, l'employeur a envoyé la lettre de convocation à l'entretien préalable, débutant ainsi la procédure de licenciement.

Ainsi, M. [Y] a été absent de manière discontinue durant onze mois, puis absent de manière continue pendant six mois et une semaine, avant l'engagement de la procédure de licenciement.

Les dispositions conventionnelles instituant une protection du salarié absent pour maladie pendant six mois ont donc été respectées par l'employeur.

Il convient dès lors d'examiner le motif du licenciement au jour de la décision de rupture du contrat prise par l'employeur.

D'une première part, il résulte des pièces produites, comme le précise la lettre de licenciement en date du 3 juin 2019, que M. [Y] occupait une place importante dans la stratégie mise en place par l'entreprise.

Ainsi, la SAS [O] Frères justifie de ce que l'embauche de M. [Y] le 12 juin 2017 en qualité de directeur « Innovation produits » correspond à une création de poste décidée par la direction de l'entreprise dans un contexte où elle souhaitait faire de l'innovation produits un de ses axes stratégiques.

Elle le démontre en produisant l'ordre du jour du séminaire de direction du mois d'octobre 2016, ayant placé l'axe « Innovation produits » parmi les 5 priorités de l'entreprise afin d'assurer son maintien sur le marché, ainsi que la fiche de poste directeur « Innovation produits » établie le 20 octobre 2016, et la convention de recherche d'un directeur « Innovation produits » établie le 18 novembre 2016 avec le cabinet Arcadia.

Aussi, la SAS [O] Frères justifie de ce que, à compter de l'embauche de M. [Y] :

- Une direction « Innovation produits » a été mise en place, organisée autour de 3 puis de 4 pôles,

- La mission de M. [Y] consistait à organiser cette direction, composée de plusieurs équipes, mais aussi à animer, piloter, et gérer l'organisation de ces équipes,

- M. [O] est devenu membre du comité exécutif de l'entreprise.

La SAS [O] Frères justifie en outre que la mission portant sur la mise en œuvre cette nouvelle direction était toujours en cours lorsque les absences de M. [Y] sont intervenues. Ainsi, le salarié le précise lui-même lors de son entretien annuel d'activité en date du 30 janvier 2018, en indiquant :

- « Dans le cadre d'une prise de poste (arrivée le 12/06/2017) et d'une création de département, les objectifs ont été atteints malgré quelques difficultés rencontrées : absence d'analyse de marché et stratégique, attentisme/motivation réduite de l'équipe R&D

Il reste à poursuivre le travail pour mettre en place une organisation et des processus efficaces et délivrer le contenu attendu pour servir les ambitions de l'entreprise »

' « Sept mois après mon arrivée, je rentre dans une nouvelle phase plus en profondeur avec les sujets, ce qui va me permettre de progresser dans la compréhension des filtres / cadres de référence des personnels dans l'ajustement plus fin de mes actions pour mieux accompagner les collaborateurs dans les évolutions et la réussite des objectifs

- « Après 7 mois dans le poste, j'ai cerné l'essentiel des enjeux clefs et commencé à mettre en place la plupart des éléments nécessaires à la bonne exécution des missions pour l'atteinte des objectifs à court et moyen terme.

Il reste néanmoins de nombreux chantiers à mener et des points à optimiser pour mettre la DIP en parfait ordre de marche et délivrer les attendus visés ».

Enfin la SAS [O] Frères justifie de ce que l'absence de M. [Y], discontinue puis continue à compter du 6 novembre 2018, a causé une désorganisation du service placé sous sa responsabilité.

Ainsi, la SAS [O] Frères produit des échanges de courriels et des comptes rendus d'entretiens individuels des subordonnés de M. [Y], lesquels établissent qu'à compter de son absence courant 2018, ils se sont trouvés confrontés à un manque de cadrage et d'orientation, à l'absence de définition de nouveaux projets et au ralentissement de leur activité.

Ainsi, Mme [J], en charge d'un des pôles de la direction « Innovation produits » sollicitait l'aide des autres directeurs, et ce dès la période de mi-temps thérapeutique de M. [Y] en indiquant :

Le 9 octobre 2018 :

« Dans la liste des projets potentiels pour « occuper » la R&D et qui peuvent avoir du sens pour l'entreprise, on a pensé à ['] »

« ['] on a eu notre réunion de service lundi dernier : je ne suis pas confiante sur la suite car je ne vois pas comment [A] peut avancer plus vite (il exprime la volonté de lancer beaucoup de nouveaux dossiers et à court terme) que les mois précédents en étant à mi-temps thérapeutique et sans prioriser les chantiers du moment »

Le 13 novembre 2018 :

« Problèmes à court terme :

Qui sont les relais de NB [[A] [Y]] pour chacun des projets et des problématiques de vie du service ' ' à définir avec BD/EC + AB si désaccord ' »

« Problèmes à moyen terme :

Manque de vision (stratégie d'innovation + présence N+1 aléatoire depuis 6 mois) ' Perte de sens + motivation

Aucune stratégie en construction à laquelle se raccrocher

[']

La greffe n'a pas pris

Si on ne change rien, en plus de perdre de l'argent inutilement, l'équipe va devenir aigrie (image en interne), voire partir (perte de compétences) et probablement avec une mauvaise image de l'entreprise

Autre difficulté : aucun appui Mkg alternatif en l'absence de NB

Mkg coupé en 2 et du coup, perte d'efficacité

Pas de relais dispo à date pour reprendre le relais du Mkg strat. ['] »

Le 14 novembre 2018, la directrice des ressources humaines adressait au directeur M. [O] un résumé des entretiens des collaborateurs de M. [Y] dont il ressortait les éléments suivants :

- Mme [J] (Responsable R&D) :

« Un grand malaise au niveau du service. [']

Des sujets qui ne sont pas passés au coffre

Nécessité de passer en revue toutes les idées et de les prioriser et mettre en œuvre les moyens le cas échéant + les transformer en plan d'action (notamment études)

Attente du comex en matière de cadrage stratégique et validation des projets

Valider pour chaque le back-up (sponsor) en l'absence de [A] [[Y]]

Une difficulté à ce jour à définir qui est responsable de quoi sur un projet d'innovation [']

Nécessité de mettre en place un coffre extraordinaire en urgence et que le Comex se positionne ! ['] » ;

- Mme [A] (Chef de projet Analyse sensorielle) :

« Soulagée de l'arrêt de [A] [[Y]] clarifiant la situation (car difficile de travailler avec un Mi-temps thérapeutique)

Des difficultés de partage, de transparence, de délégation (feuilles de route/briefs) [']

Tous les projets se lancent mais plus d'interlocuteur à date, Pas de relais de [A] [Y]] sur l'analyse sensorielle [']

Attend une feuille de route, des objectifs du sens (lien avec la stratégie de l'entreprise)

Besoin de clarification sur la stratégie de l'entreprise en matière d'analyse sensorielle [']

En l'absence de [A] [[Y]], qui va présider le coffre '

En attente de retour sur le sujet de la collaboration potentielle avec le marketing |']

Attend un go pour travailler sur un projet de com externe. ['] » ;

- Mme [P] (Chargée d'études Marketing) :

« ['] A besoin du Comex pour affiner ses études (lettre de cadrage, brief plus précis) Urgence sur le projet GAIA, en attente du GO pour démarrer semaine prochaine ['] ».

A l'issue de ces entretiens, Mme [H] concluait « Au global, il est nécessaire de reprendre chaque étude et de mesurer en quoi elles répondent à une attente de l'entreprise,

Prioriser les études et définir les sponsors en l'absence de [A] [[Y]].

Quelle est la position de l'entreprise et ses attentes en matière d'analyse sensorielle, Et que faisons-nous de [K] '

Faut-il revoir les effectifs de l'équipe R&D '

Faut-il revoir les effectifs de l'équipe Etude '

Qui va animer le coffre en l'absence de [A] [[Y]] '

Comment allons-nous procéder pour mettre tout cela en œuvre ' ».

La SAS Voiron frères produit encore les entretiens d'évaluation des membres de la DIP de M. [Y] pour l'année 2018, réalisés en février 2019, lesquels faisaient part de leurs difficultés du fait tant de la construction de la nouvelle direction, que de l'absence de leur directeur, et notamment :

- Mme [T], Chef de projet Développement Produit :

« Année complexe du fait du manque d'activité et d'un positionnement DIP encore en construction ».

Année dans la continuité de 2017 (peu de projets de développement, décalages lancements, ré-orientation stratégique). Une acceptation/résignation face à la lenteur de la mise en place de la DIP, lié[e] notamment aux nombreux arrêts de [A] ([[Y]]. La DIP tarde à construire son positionnement et à se légitimer rendant parfois complexe l'avancée de certains sujets (attentes en décalage, interfaces à clarifier). ['].

L'année 2019 doit être celle de la structuration de la DIP et de sa légitimation. Il est indispensable de définir le rôle de chacun au sein de la DIP, ainsi que les interfaces par rapport aux autres services ».

- Mme [E], chef de projet Recherche procédé (Pièce n°27) :

« Gestion de l'activité dans un environnement incertain et non-stabilisé.

J'ai trouvé du sens et de l'utilité sur des sujets concrets d'amélioration de l'existant mais je n'ai aucune vision de mon rôle dans la stratégie de l'entreprise au cours des prochaines années ». « Progrès : je me suis adaptée à la situation (absence de [A] [Y], absence de nouveaux sujets, absence d'avancée sur le projet Ambiant) ['] ».

« Le manque de vision et de décision sur les projets en cours (ex/ Ambiant) a limité en 2018 toute tentative de proposition en matière d'innovation process ou produit.

J'ai donc cherché à valoriser mon expérience en me portant support à la production, à la RSE et à la DBD. Même si cela ressemble à des activités « bouche-trou » ['].

Je reste cependant ancrée dans mon impression de sous-exploitation de mes compétences, expériences et capacité à faire évoluer les choses ».

- M. [Z], Technicien R&D (Pièce n°28) :

« Malgré une année compliquée concernant la DIP (absence de [A] [[Y]], équipe qui « clame haut et fort » de ne pas avoir de « travail »), j'ai mené à bien la réalisation des missions qui m'ont été confié[e]s ».

- Mme [P], chargée d'études Marketing, de retour en septembre 2018 dans l'entreprise après une période d'absence de 9 mois :

« Malgré circonstances (peu de temps disponible de NB [[A] [Y]], DB [[I] [C]], données cadrage à finaliser), j'ai été force de proposition ['].

Un projet n'a pas avancé (Etude stratégique catégorielle multinationale) faute de cadrage et car d'autres projets ont été priorisés ».

« auto-évaluation dans des circonstances spéciales et pas optimales : juste 4 mois à évaluer (retour en septembre 2018), retour compliqué avec un manager arrêté pour raisons médicales d'où des projets qui ne suivent pas une mise en place fluide ».

- Mme [A], Chef de projet Analyse sensorielle sous la supervision de M. [Y] :

« Le 2ème semestre [2018] n'a pas vu naître de nouveaux projets comme attendu ».

«['] je peine à obtenir des retours et par conséquent à comprendre les attentes actuelles vis-àvis de mon poste ['].

Dans un respect mutuel, j'espère obtenir plus de visibilité et d'engagement sur l'accompagnement du développement de l'AS ».

« Le bilan de l'année 2018 reste contrasté [']. Cela laisse place à une alternance d'espoir et de frustration qui n'est pas toujours évidente à gérer car je ne sais pas à quoi m'attendre (ni ce que j'attends) ».

- Mme [D], Responsable Financière, relevait en janvier 2019 :« R&D équipe ne va pas bien. Chef absent, absence de décision, de visibilité sur la stratégie, mode de développement] projet ' analyse du besoin ' projet capote ' frustration »

La SAS [Y] frères justifie en outre de ce que ces difficultés ont été évoquées lors des comités de direction et notamment lors de la réunion DIP en Comex du 15 novembre 2018, dont le compte rendu met encore en évidence à plusieurs reprises les interrogations sur les suites à donner aux projets suivis par M. [Y], et précise que « [R] [O] prend en charge l'ensemble des dossiers de la DIP ».

Les mêmes difficultés liées à cette absence et à la nécessité de s'adapter à une nouvelle direction étaient encore indiquées dans les évaluations des salariés de la DIP en 2020, pour l'année 2019, les salariés mentionnant alors que l'arrivée d'un nouveau directeur durant l'année 2019 avait permis « de faire progresser la situation », et « d'avoir une organisation qui commence à se dessiner ».

Ce nouveau directeur confirmait d'ailleurs les difficultés rencontrées par la direction « Innovation Produits », puisqu'en octobre 2019, il établissait un rapport après 3 mois de prise de fonctions, relevant notamment le très fort niveau d'attente de l'entreprise pour plus d'innovation à son arrivée, une prise de retard forte sur les tendances lourdes du marché, la nécessité d'accélérer le rythme d'innovations en initiant de nouveau projets, la présence d'anciens projets non actionnés, une équipe un peu en déshérence, avec peu de projets, peu de perspective et un très fort niveau d'attente pour être davantage guidée et pour redonner du contenu et de la visibilité à la direction.

Enfin, s'il n'est pas contesté par l'employeur que M. [Y] avait effectivement transmis des informations à ses équipes avant son départ au mois d'octobre 2019, et notamment des notes de cadrage, l'ensemble de ces pièces démontre que le mal être des équipes placées sous sa responsabilité était réel, que les salariés montraient de fortes attentes à l'égard de leur direction et que les mesures mises en œuvre étaient insuffisantes pour permettre aux salariés de faire face à leur mission et de se projeter dans l'avenir.

Dès lors, il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'absence de M. [Y], qui occupait un poste à fort enjeu dans l'entreprise, est à l'origine d'une perturbation de son fonctionnement et notamment du service dont il était chargé.

D'une deuxième part, la SAS [O] Frères justifie de la nécessité de procéder au remplacement définitif du salarié.

En premier lieu, M. [Y] soutient qu'il pouvait être remplacé au moins temporairement par Mme [J], en charge d'un des pôles de la direction, mais il ne produit aucun élément objectif pour en justifier, cette affirmation étant d'ailleurs à apprécier avec prudence compte tenu de l'évaluation en mars 2018 de la salariée, réalisée par M. [Y] lui-même, dans laquelle il indique que celle-ci « peut encore progresser, notamment en tant que manager ».

En outre, la SAS [O] Frères établit que Mme [J] ne pouvait en tout état de cause pas le remplacer dès lors qu'elle n'était pas employée à temps plein, mais à temps partiel à 80% du 4 juin au 30 novembre 2018, puis à 60% du 1er décembre 2018 au 31 janvier 2019, puis à nouveau à 80%. Il ressort en outre de sa dernière évaluation en novembre 2018, qu'elle avait fait part à la directrice des ressources humaines de son souhait d'une éventuelle reconversion professionnelle.

En outre, et comme l'a relevé l'employeur, il ne saurait être reproché l'absence d'organisation temporaire pour pallier à son absence, alors que l'arrêt maladie de M. [Y] était reconduit de mois en mois, ce qui donnait peu de visibilité à l'entreprise pour envisager des mesures pérennes et efficaces dans l'attente de son retour.

Sur ce point, la SAS [O] Frères produit aussi un courriel de la société Arcadia en date du 13 mai 2019, lequel indique à Mme [H] qu'un poste de directeur innovation produit établi à [Localité 4] pouvait difficilement être pourvu dans le cadre d'un CDD voire en mission de management de transition et qu'un recrutement en CDI s'imposait.

En outre, la cour observe que les solutions de management de transition évoquées par M. [Y] ne correspondaient pas à son poste, et visaient une période plus importante que celle de ses arrêts de travail.

Enfin, la SAS [O] Frères a procédé au remplacement de M. [Y] le 27 juin 2019, soit moins d'un mois après son licenciement, dans le cadre d'un recrutement à durée indéterminée.

Dès lors, la SAS [O] Frères démontre que le remplacement définitif de M. [Y], consécutif à son absence prolongée, était nécessaire.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la cour constate que la SAS [O] Frères démontre que le licenciement de M. [Y] est intervenu pour un motif réel et sérieux, étranger à son état de santé.

Par suite, sa demande de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse est rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la demande de rappel de congés payés :

Moyens des parties :

M. [Y] affirme que sa demande étant liée à l'exécution du préavis, et donc à la rupture du contrat de travail, elle est recevable.

Il ajoute que durant le préavis dont la SAS [O] Frères l'avait dispensé, la société lui a imposé à tort des congés payés du 15 juillet au 2 août 2019, lesquels auraient dû être reportés après la date de reprise du travail.

La SAS [O] Frères soutient en réponse que la demande est irrecevable comme ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Sur le fond, elle affirme que M. [Y] avait déposé sa demande de congés le 10 mars 2019, de sorte qu'elle a prolongé le préavis d'autant.

Sur la recevabilité de la demande :

En premier lieu, aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.



En application de l'article 65 du même code, constitue une demande additionnelle, toute demande par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures.



L'article 70 du même code énonce que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.



En l'espèce M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes le 22 octobre 2019, d'une contestation de la rupture de son contrat de travail.



Sa demande relative aux congés payés retenus par l'employeur durant la période du préavis, présentée dans des conclusions subséquentes, constitue donc une demande additionnelle qui se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires dès lors qu'elle est liée à la contestation de la rupture du contrat de travail.

Ainsi, la cour constate que la demande de rappel de congés payés de M. [Y] est recevable, et ce par confirmation du jugement entrepris.

Sur le bien-fondé de la demande :

En l'espèce, la SAS [O] Frères affirme que M. [Y] avait déposé une demande de 15 jours de congés, du 15 juillet au 2 août 2019, ce qui a eu pour effet de diminuer le solde de ses congés payés.

Or la cour constate que la SAS [O] Frères produit uniquement un coupon réponse adressé aux salariés, sollicitant les dates prévisionnelles de leurs congés pour l'année 2019, lequel a été rempli et signé par M. [Y] le 10 mars 2019.

Ce faisant, la SAS [O] Frères n'apporte aucun élément démontrant que les dates prévisionnelles indiquées alors par le salarié ont été confirmées, ni validées par l'employeur.

Dès lors, la SAS [O] Frères ne pouvait retenir ces dates au titre de congés payés posés par M. [Y].

Il s'ensuit que M. [Y] est fondé à demander à ce que les congés payés lui ayant été imposés de manière irrégulière ne soient pas décomptés et sollicite à bon droit une indemnité compensatrice de congés payés non pris à raison de la rupture de son contrat de travail en application de l'article L 3141-28 du code du travail (Cass. soc., 16 déc. 1968, no 67-40.304) à hauteur de 4.872,15 euros brut de rappel de congés payés abusivement décomptés du solde de tout compte.

La SAS [O] Frères est donc condamnée à payer à M. [Y] la somme de 4.872,15 euros brut au titre du rappel de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019, date de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, et ce par infirmation du jugement entrepris.

Sur la remise d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire rectifiés :

Il convient d'ordonner à la SAS [O] Frères de remettre à M. [Y] un bulletin de salaire, une attestation Pôle emploi, devenue France Travail, et les documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt.

La demande d'astreinte sera rejetée car elle n'est pas utile à l'exécution dans la présente décision.

Sur les demandes accessoires :

Il convient d'infirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et de la confirmer s'agissant des frais irrépétibles.

Il convient de laisser à chacune des parties les dépens par elle exposés en première instance et en cause d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

- Débouté M. [A] [Y] de sa demande de voir juger son licenciement nul,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS [O] Frères à payer à M. [A] [Y] la somme de de 4.872,15 euros brut au titre du rappel de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019,

CONDAMNE la SAS [O] Frères à remettre à M. [A] [Y] un bulletin de salaire, une attestation Pôle emploi devenu France Travail et les documents de fin de contrat de travail, conformes au présent arrêt,

REJETTE la demande d'astreinte,

DIT que chacune des parties supportera la charge des dépens qu'elle a engagés en première instance et en appel,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Hélène Blondeau-Patissier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,