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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 9 janvier 2024, n° 21/03114

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 21/03114

9 janvier 2024

1ère Chambre

ARRÊT N°6

N° RG 21/03114

N° Portalis DBVL-V-B7F-RU2A

M. [A] [N]

C/

S.E.L.A.S. LABORATOIRES DE BIOLOGIE REUNIS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 9 JANVIER 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Pierre DANTON, lors des débats, et Madame Marie-Claude COURQUIN, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 03 octobre 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 9 janvier 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 5 décembre 2023 à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [A] [N]

né le 10 Juillet 1958 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Dominique TOUSSAINT de la SELARL TOUSSAINT DOMINIQUE, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

La SELARL LABORATOIRES DE BIOLOGIE REUNIS, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Rennes sous le n°777.738.006, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me François THOMAS-BELLIARD de la SELARL CABINET LTB, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE

1. M. [A] [N], médecin biologiste, a constitué le 16 août 1990 un laboratoire d'analyses médicales à [Localité 7], qu'il a exploité pendant 20 ans et que, par suite d'une chute de son chiffre d'affaires, il a cédé le 30 septembre 2010 à MM. [V], [D] et [E], ces deux derniers étant par ailleurs associés dans le laboratoire de Biologie Réunis (ci-après la société LBR).

2. Imputant à ladite société LBR implantée à [Localité 10] et à la société Laboratoire de Biologie Associés (ci-après la société LBA) implantée à Liffré et dirigée par M. [Y] [C], laquelle sera absorbée par la société LBR en 2010, des faits commis dès les années 1990 de détournements à son détriment des prélèvements effectués par les infirmières et infirmiers exerçant sur la commune de Liffré, assis sur un système de commissionnement en faveur desdits professionnels, M. [N] a, par assignation du 16 janvier 2013, fait convoquer la société LBR devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes aux fins d'expertise de ses préjudices.

3. Pour rappel, une conciliation avait été tentée en 1994 sous l'égide du bâtonnier [S], sans succès, de même que la saisine des ordres professionnels des médecins et des pharmaciens ne permettait pas une solution amiable de telle sorte que le 4 décembre 1997, M. [N] déposait une plainte pénale auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Rennes.

4. A la suite de l'enquête diligentée par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (ci-après la DIRECCTE), la société LBR était condamnée le 5 juillet 2012 selon la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité au paiement d'une amende de 50.000 €, avec dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire, pour avoir 'en Ille-et-Vilaine, entre le 01/01/2007 et le 30/05/2010, en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, étant une entreprise assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par des régimes obligatoires de sécurité sociale, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, proposé ou procuré des avantages en nature ou en espèces pour les montants détaillés au tableau ci-joint, aux infirmiers et infirmières dénommés au même tableau joint.'

5. La constitution de partie civile de M. [N] était toutefois déclarée irrecevable par ordonnance du 4 octobre 2012 motif pris de ce que les commissions pour les infirmiers et infirmières de [Localité 7] n'étaient pas visées dans la prévention, le tableau joint en annexe de la convocation ne retenant en effet que les professionnels des communes de [Localité 9], [Localité 3], [Localité 4], [Localité 6] et [Localité 8] qui intéressaient le laboratoire d'un autre médecin biologiste, M. [I] [J], qui avait créé son laboratoire médical à [Localité 9] le 14 janvier 2008 et l'avait exploité jusqu'en décembre 2010, et dont la constitution de partie civile était en conséquence déclarée recevable, acte lui étant donné de ce qu'il se réservait le droit de solliciter son indemnisation devant le juge civil.

6. Pour sa part, M. [N] mentionnait dans ses conclusions qu'il se réservait ce même droit de solliciter son indemnisation devant le juge civil.

7. Le 3 mai 2013, M. [N] déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Rennes. Une information judiciaire était ouverte le 28 janvier 2014 du chef d'offre par une entreprise assurant des prestations produisant ou commercialisation des produits pris en charge par des régimes obligatoires de sécurité sociale d'avantages en nature ou en espèces à des auxiliaires médicaux. La société LBR, mise en examen le 26 juin 2014, sollicitait le 9 décembre 2014 l'annulation de l'enquête de la DIRECCTE et le 1er septembre 2015 le bénéfice d'un non-lieu dès lors que, société absorbante, elle estimait ne pas devoir être tenue des agissements de la société absorbée (LBA) avant l'absorption de celle-ci en 2010.

8. Sur saisine directe par la société LBR faute de réponse dans le délai d'un mois, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes a, par arrêt du 18 décembre 2015, déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [N] et dit n'y avoir lieu à clôturer l'information dès lors que la responsabilité pénale de la société LBR était susceptible d'être engagée dans les termes de la mise en examen. Elle a par ailleurs rejeté la demande d'annulation des actes d'enquête.

10. Par arrêt du 25 octobre 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt dans sa disposition ayant dit n'y avoir lieu à clôturer l'information pour la période antérieure au 5 mai 2010. La cour d'appel de Caen, cour d'appel de renvoi, a par arrêt du 4 juillet 2017 dit n'y avoir lieu à suivre contre la société LBR pour les faits commis antérieurement au 5 mai 2010, a déclaré irrecevable la demande de M. [N] sur le recel et fait retour du dossier à la chambre de l'instruction primitivement saisie.

11. L'avis à partie a été rendu le 5 décembre 2017. Le ministère public a établi son réquisitoire définitif aux fins de non-lieu partiel et renvoi devant le tribunal correctionnel le 15 juin 2019. Le juge d'instruction a rendu une ordonnance de règlement conforme le 14 février 2020. La société LBR en a interjeté appel, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Rennes, par deux arrêts en date du 27 novembre 2020, a confirmé les ordonnances du juge d'instruction. La société LBR a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de ces deux arrêts. La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt unique en date du 14 septembre 2021, a rejeté les pourvois de la société LBR. L'affaire pénale est fixée devant le tribunal correctionnel de Rennes pour être jugée à l'audience du 11 mars 2024 à 14 h.

12. Il convient enfin de rappeler que le 2 septembre 2016, la société LBR et M. [Y] [C], cogérant associé de la société LBR, ont déposé plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction pour diffamation publique envers particuliers contre personne non dénommée devant la 17ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Les plaignants estimaient avoir été diffamés au motif que M. [N] avait indiqué que les pratiques du laboratoire violaient le secret médical et le secret professionnel.

13. Par jugement du 14 janvier 2020, la 17ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a relaxé M. [N] motif pris de ce que le courriel incriminé n'avait perdu son caractère confidentiel que du fait de l'un de ses destinataires et de tiers. La société LBR et M. [C] ont interjeté appel de ce jugement, à l'exclusion du ministère public. Par arrêt du 3 juin 2021, la cour d'appel de Paris a dit que M. [N] n'avait pas commis de faute civile et a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, déboutant M. [N] de sa demande pour procédure abusive. La société LBR et M. [C] ont formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté par arrêt de la chambre criminelle du 14 juin 2022.

14. En suite de l'assignation en référé expertise du 16 janvier 2013, le juge des référés a, par ordonnance du 4 avril 2013, confié une mission d'expertise à M. [B] [T] inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Angers, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 3 décembre 2013 qui a précisé la mission de l'expert.

15. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 28 février 2017.

16. Estimant que l'expert avait commis des irrégularités entachant son rapport de nullité, M. [N] a, par acte d'huissier du 4 avril 2019, fait assigner la société LBR devant le tribunal de grande instance de Rennes (devenu tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020) aux fins de voir :

- dire qu'il est recevable et bien fondé en sa demande de nullité du rapport d'expertise,

- prononcer la nullité de ce rapport,

- ordonner une nouvelle expertise comptable avec la mission fixée par la cour d'appel de Rennes dans son arrêt du 3 décembre 2013,

- condamner la société LBR à lui verser une provision de 120.000 €,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- condamner la société LBR à lui payer une somme de 10.000 € au titre des frais irrépétibles,

- condamner la société LBR aux entiers dépens.

17. Par jugement du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a :

- déclaré M. [N] irrecevable en sa demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire,

- condamné M. [N] à verser à la selarl LBR la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [N] aux dépens.

18. Le tribunal a retenu que M. [N] ne saisissait pas la juridiction d'une demande tendant à ce qu'elle statue au fond, en particulier sur la nature de la responsabilité, de la faute imputée, du lien de causalité avec le préjudice allégué et que l'action introduite le 4 avril 2019 en nullité du rapport d'expertise, si elle n'était pas prescrite, était en revanche irrecevable en ce qu'elle ne pouvait être tranchée que par le tribunal saisi d'une action au fond en responsabilité pour faute, ce qui n'était pas le cas d'espèce, outre que la demande de provision à valoir sur un préjudice supposait que le tribunal soit amené à statuer au moins sur le principe de la responsabilité, ce qui n'est pas demandé, tandis que la nature même de la responsabilité n'était que suggérée dans les développements consacrés à la prescription.

19. M. [N] a interjeté appel par déclaration du 17 mai 2021.

20. La selarl LBR a formé un appel incident du chef du rejet du moyen tiré de la prescription de l'action.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

21. M. [N] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions n° 7 (65 pages) remises au greffe et notifiées le 23 septembre 2023 aux termes desquelles il demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que l'action n'était pas prescrite,

- l'infirmer en ce qu'il l'a déclaré irrecevable en ses demandes et l'a condamné à verser à la selarl LBR la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant à nouveau,

- déclarer recevables l'action et les demandes de M. [N],

- évoquer afin de statuer au fond,

- juger que la selarl LBR a commis une faute en versant des commissions illicites aux infirmiers et infirmières du secteur de [Localité 7] dans l'objectif de capter l'ensemble de leurs prélèvements à son préjudice et en violant les dispositions de l'article 20-1 du décret n° 76-1004 du 4 novembre 1976, puis de l'article R. 6211-18 du code de la santé publique dans leurs rédactions applicables aux faits de l'espèce,

- condamner la selarl LBR à l'indemniser des préjudices afférents,

- avant dire droit sur ce point,

- prononcer la nullité du rapport d'expertise déposé par M. [T] le 28 février 2017,

- commettre tel nouvel expert qu'il plaira à la cour avec la mission fixée par la cour d'appel de Rennes dans son arrêt du 3 décembre 2013,

- condamner la selarl LBR à lui payer une provision de 120.000 € avec intérêts de droit à compter du rapport d'expertise déposé par M. [T] le 28 février 2017 et capitalisation desdits intérêts,

- surseoir à statuer sur le préjudice définitif dans l'attente du dépôt du rapport du nouvel expert commis,

- en tout état de cause,

- condamner la selarl LBR à lui payer une somme de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la selarl LBR aux dépens comprenant les frais d'expertise de M. [T].

22. Il produit 88 pièces.

23. Il soutient :

- qu'il a dénoncé dès les années 1990 un ramassage illégal des prélèvements mis en place par plusieurs laboratoires rennais sur la commune de [Localité 7] où il exerçait lui-même une activité de laboratoire à titre exclusif,

- que lors de la création du laboratoire LBA par M. [C] à [Localité 7] en 2003, non seulement il ne bénéficiait plus d'aucun prélèvement effectué sur [Localité 7] mais encore que le laboratoire LBA transférait massivement les prélèvements récoltés vers le laboratoire LBR en contravention de la règle selon laquelle au moins 60 % des analyses auraient dû être réalisés sur place,

- qu'il s'en est suivi pour son propre laboratoire une perte de chiffre d'affaires, passant de 560.000 € en 2002 à 350.000 € en 2008,

- que la faute de la société LBR, consistant en la mise en place de pratiques anticoncurrentielles et de corruption, a été consacrée par une décision pénale définitive rendue dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qu'il l'a explicitée dans l'assignation du 4 avril 2019 et dans ses conclusions au fond, et que, tirant les conséquences de cette condamnation, il demande une provision tandis que ses préjudices et le lien de causalité résultent tant des procès-verbaux d'enquête que du rapport d'expertise, qu'il s'agit là d'une demande en justice à laquelle le tribunal devait restituer son fondement juridique s'il l'estimait absent,

- que son action n'est pas atteinte par la prescription de 10 ans dès lors qu'il n'a connu les pratiques anticoncurrentielles que lorsqu'il a eu accès à l'enquête pénale lors de l'audience sur CRPC du 5 juillet 2012, que le référé a interrompu la prescription, de même que le dépôt du rapport d'expertise,

- que compte tenu de l'ancienneté de l'affaire, il convient que la cour d'appel en ordonne l'évocation pour trancher le fond du litige,

- que le rapport d'expertise judiciaire est entaché de nullité faute pour l'expert d'avoir respecté le principe du contradictoire, notamment en ne reconvoquant pas les parties après l'arrêt du 3 décembre 2013 ayant pourtant substantiellement modifié sa mission, pour n'avoir pas répondu à l'ensemble de la mission, ni à certains courriers, ni n'avoir réclamé les pièces utiles ou encore en se fondant sur des données erronées,

- que M. [G] [W], professeur d'université et expert agréé par la Cour de cassation, membre de la commission d'examen des pratiques commerciales de 2002 à 2012, a évalué la perte de valeur du fonds à 595.000 €, sur laquelle M. [N] demande une provision de 120.000 €.

24. La selarl LBR expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions n° 5 (52 pages) remises au greffe et notifiées le 25 septembre 2023 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande tenant à la prescription,

- statuant de nouveau,

- déclarer prescrites l'action et les demandes de M. [N],

- à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de M. [N] dès lors qu'elles se rapportaient à une demande principale de nullité du rapport,

- à titre très subsidiaire,

- débouter M. [N] de ses demandes,

- dire n'y avoir lieu à nullité du rapport d'expertise judiciaire, ni à indemnisation, ni à une nouvelle mesure d'expertise,

- en tout état de cause,

- confirmer le jugement déféré sur les frais et dépens,

- condamner M. [N] à lui verser la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- le condamner aux dépens d'appel comprenant le coût de la procédure d'expertise.

25. Elle produit 68 pièces.

26. Elle soutient que :

- dès son installation, M. [N], qui prétendait s'arroger le monopole du traitement des prélèvements sur la commune de [Localité 7], s'est coupé de la communauté médicale en raison d'une part, de son comportement agressif, emporté et asocial et d'autre part, de ses défaillances professionnelles (erreurs dans les analyses, vétusté du laboratoire) de sorte qu'avec l'accord des patients, son laboratoire n'était plus recommandé ni les prélèvements adressés,

- le commissionnement des infirmières et infirmiers libéraux n'est pas à l'origine de la baisse du chiffre d'affaires du laboratoire de M. [N],

- son action en nullité du rapport d'expertise est irrecevable pour n'être pas adossée à une action au fond portant sur le principe de la responsabilité, de la faute, du préjudice et du lien de causalité,

- elle est prescrite dès lors que M. [N] avait connaissance des faits dès 1994,

- la nullité du rapport déposé par un expert désigné sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile doit être soulevée dans l'instance au fond dans la perspective de laquelle la mesure d'instruction a été ordonnée de sorte qu'une action en nullité du rapport d'expertise exercée à titre principal n'est pas recevable,

- au cas particulier, M. [N] a soutenu tout au long de ses écritures que sa demande était une demande d'annulation du rapport d'expertise et il ne saurait, compte tenu du principe de l'estoppel, désormais se renier pour soutenir que sa demande était en réalité une demande de condamnation pour faute,

- le rapport d'expertise n'est pas nul dès lors que l'expert a bien convoqué les parties, certes à une seule réunion mais qui s'est révélée tumultueuse de sorte que l'expert n'en n'a pas reconvoqué une seconde, que l'expert a reçu communication des SNIR (documents administratifs relatifs à l'activité générale d'un médecin ou d'un acteur de la santé auprès de la CPAM d'Ille-et-Vilaine), - mais pas des journaux quotidiens légaux de M. [N] qui a refusé de les transmettre - et les a communiquées au contradictoire des parties qui, enfin, ont adressé de nombreux dires à l'expert,

- le ramassage des prélèvements s'effectuait avec l'accord des patients,

- aucun élément ne permet de retenir la responsabilité de la société LBR,

- les chiffres retenus par l'expert procèdent d'une extraction comptable et sont donc le reflet de la réalité de l'activité des laboratoires dans la cause.

* * *

25. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 26 septembre 2023.

26. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

* * *

27. Enfin, par courriel du 26 décembre 2023, il a été demandé aux parties de produire l'assignation initiale du 4 avril 2019 ainsi que l'assignation réitérée du 23 avril 2021, évoquées à de multiples reprises dans les écritures respectives mais non versées aux débats. Ces pièces ont été transmises par courriel du même jour du conseil de M. [N], communiquées immédiatement au conseil de la société LBR.

* * *

MOTIFS DE L'ARRÊT

27. À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de 'constater', 'dire' ou 'dire et juger' qui, hors les cas prévus par la loi, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile lorsqu'elles sont seulement la reprise des moyens censés les fonder.

1) Sur la recevabilité de l'action

28. L'article 175 du code de procédure civile dispose que 'La nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure'.

29. Il est de jurisprudence établie que l'exception tirée de la nullité du rapport d'expertise doit être soulevée dans l'instance au fond dans la perspective de laquelle la mesure d'instruction a été ordonnée et que dès lors, une action en nullité du rapport d'expertise exercée à titre principal n'est pas recevable (C. cass. 2ème civ. 2 décembre 2004, 02-20.205).

30. Au cas particulier, dans son assignation initiale du 4 avril 2019, M. [N] a demandé au tribunal de :

'- Prononcer la nullité du rapport d'expertise déposé par Monsieur [B] [T] le 28 février 2017,

- Ordonner une nouvelle expertise comptable avec la mission fixée par la Cour d'Appel de RENNES dans son arrêt du 3 décembre 2013,

- Condamner la société LBR à verser à Monsieur [N] une provision de 120 000 €,

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- Condamner la société LBR à payer à Monsieur [N] une somme de 10 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner la société LBR aux entiers dépens.'

31. Le juge de la mise en état a, par ordonnance du 19 mars 2020, invité M. [N] à conclure au fond, lequel a déposé ses conclusions le 5 mai 2020.

32. Ainsi que l'a retenu le premier juge, M. [N] y a conclu sur l'absence de prescription de son action, sur la critique du rapport d'expertise dans la perspective d'en solliciter l'annulation et sur une demande de provision fondée sur un principe de préjudice mais n'a pas demandé ni a fortiori conclu sur la responsabilité de la société LBR, sa faute et le lien de causalité de celle-ci avec ses préjudices.

33. Le tribunal n'a pas été saisi d'une action au fond en responsabilité pour faute, ni d'une demande de condamnation à paiement de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.

34. Prenant acte de l'irrecevabilité de sa demande prononcée par jugement du 12 avril 2021, M. [N] a réitéré son assignation 10 jours plus tard, soit le 23 avril 2021, dans laquelle il demande au tribunal, outre la reprise des mêmes chefs du dispositif que celui-ci-dessus rappelé, de 'juger que la selarl LBR a commis une faute en versant des commissions illicites aux infirmiers et infirmières du secteur de Liffré dans l'objectif de capter l'ensemble de leurs prélèvements au préjudice de Monsieur [N]'.

35. Au soutien de cette demande, il conclut dans un paragraphe B 'SUR LA FAUTE COMMISE PAR LA SOCIETE LBR' et dans un paragraphe C 'SUR LES PREJUDICES'.

36. Cette demande et ces développements ajoutés dans l'assignation réitérée démontrent qu'ils étaient effectivement absents dans l'assignation initiale. L'affaire est pendante devant le tribunal judiciaire de Rennes.

37. En appel, dans ses conclusions, M. [N] ajoute également, à l'instar de ce qu'il a ajouté au dispositif de sa seconde assignation, qu'il soit jugé que la société LBR a commis une faute et soit condamnée à l'indemniser des 'préjudices afférents'. Il formule une demande de provision d'un montant de 120.000 € à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices pour l'évaluation desquels il sollicite l'annulation de l'expertise de M. [T] et la désignation d'un nouvel expert pour réévaluer ses préjudices.

38. Il estime en effet que les chiffres retenus par M. [T], à savoir une perte de valeur de cession de 13.500 €, sont 'outrageusement minorés par rapport à la réalité' et se fonde au contraire sur l'analyse de M. [W] pour évaluer la perte de valeur de son fonds de commerce à 595.000 €.

39. Toutefois, bien que prétendant obtenir la nullité du rapport d'expertise ayant évalué ses préjudices, il ne formule pas de demande au fond de condamnation à paiement de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire et chiffrée. Le tribunal n'en a pas été saisi et la cour d'appel n'en est pas saisie non plus.

40. La demande de nullité du rapport d'expertise, dont l'objet est, non pas d'étayer un principe de responsabilité ' acquis selon M. [N] du fait de la condamnation pénale définitive ' mais bien de refaire un calcul des préjudices, ne s'inscrit donc pas dans le cadre d'une action au fond en paiement de dommages et intérêts destinés à réparer des préjudices chiffrés.

41. Il s'ensuit que l'irrecevabilité de la demande telle qu'elle a été retenue par le premier juge ne peut qu'être confirmée en appel sans qu'il y ait lieu à substituer un quelconque autre moyen à la demande de M. [N] qui l'a volontairement et sans ambiguïté limitée à une demande de nullité du rapport d'expertise et de paiement d'une seule provision.

42. Le jugement sera confirmé sur ce point.

43. En conséquence de ce qui précède, les demandes concernant la prescription, la nullité du rapport d'expertise, la désignation d'un nouvel expert et l'évocation de l'affaire sont sans objet dans le cadre de la présente instance.

2) Sur les dépens et les frais irrépétibles

44. Succombant, M. [N] supportera les dépens d'appel. Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.

45. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles dans la présente instance d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens. Les demandes à ce titre seront en conséquence rejetées et le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 12 avril 2021,

Condamne M. [A] [N] aux dépens d'appel,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE