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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 9 janvier 2024, n° 22/00087

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Ficbal (SC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Lawless, Me Leroy-Maubaret, Me Maubaret

TJ Bordeaux, 14 décembre 2021, n° 20/006…

14 décembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 13 décembre 1968, Mme [J] a donné à bail à M. [F] des locaux commerciaux situés dans son immeuble sis [Adresse 1] et composés principalement d'un magasin dont dépendent en outre une pièce à l'usage de salle à manger, une cuisine, deux chambres à coucher, une cour située à la suite, dont une partie servant de cabinet de toilette, deux greniers, une cave et WC.

En 1981, M. [W] [I], commerçant, a acheté le fonds de commerce de cuirs et crépins de M. [F], en ce compris le droit au bail, exploité dans les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 4] sous l'enseigne 'Tout pour la chaussure'.

Le 1er janvier 1989, ce bail a été renouvelé en faveur de M. [W] [I] pour une nouvelle période de neuf années. 

Le 1er novembre 1997, Mme [J] a mis à disposition de M. [W] [I] en guise d'habitation les deux greniers, prévus au bail, qui ont été transformés en une seule grande pièce et une pièce attenante avec vasistas et fenêtre sur l'escalier et ce, sans modification du prix de loyer.

Le 1er janvier 1998, le bail a de nouveau été renouvelé pour une période de neuf années en faveur de M. [I].

Le 6 janvier 2006, M. [W] [I] a établi un contrat de location-gérance au profit de la SARL [I], dont il était l'associé majoritaire; celle-ci exploite depuis cette date le fonds de commerce.

Par acte du 13 novembre 2009, le bail commercial a été renouvelé pour une nouvelle période de 9 années allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2018; il fait mention de la modification partielle des lieux loués, précisant que M. [W] [I] bénéficie de la mise à disposition de deux pièces avec WC au 4ème étage à gauche, qu'il s'est engagé à restituer au bailleur en cas de cession du fonds de commerce ou de son droit au bail.

Le 15 janvier 2010, les modalités du renouvellement de bail commercial ont été inscrites dans un avenant, précisant le montant du loyer applicable (13000 euros par an).

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 juin 2017, Mme [J] a adressé à M. [W] [I] une proposition d'achat de l'immeuble au prix de 2.850.000 euros, en application de l'article L.145-46-1 du code de commerce.

La société Ficbal a finalement fait l'acquisition du bien immobilier et a ensuite, par acte du 14 mars 2018, fait délivrer à M. [I] un congé pour le 31 décembre 2018, avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction, en application à titre principal des dispositions de l'article L 145-18 du code de commerce en raison de travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans le secteur ou périmètre prévu aux articles L 314-4 à L 313-4-2 du Code de 4 l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues aux dits articles).

Le congé vise à titre subsidiaire les dispositions de l'article L. 145-9 du code de commerce.

Par acte du 10 septembre 2018, la société Ficbal a fait assigner M. [W] [I] en référé devant le président du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de désignation d'un expert chargé d'évaluer l'indemnité d'éviction prévue par l'article L.145-4 du code de commerce, et l'indemnité d'occupation au 1er janvier 2019, tel que prévue par l'article L.145-28.

Par ordonnance de référé en date du 26 novembre 2018, M. [V] a été désigné en qualité d'expert, avec mission habituelle en la matière.

Dans un rapport en date du 19 février 2019, le cabinet Fidalliance mandaté par la société [I] a estimé à 430 000 euros la valeur du fonds de commerce.

Le 4 décembre 2019, l'expert judiciaire a déposé son rapport en fixant, d'une part, l'indemnité d'éviction à 135.000 euros, supérieure à la valeur du droit au bail qu'il établissait à 110 000 euros, et d'autre part,le montant des indemnités accessoires à la somme de 38.257 euros.

Par acte en date du 16 janvier 2020, la société Ficbal a fait assigner M. [I] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, pour voir fixer les indemnités dues.

Par jugement en date du 14 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- rejeté la demande de nullité du congé délivré le 14 mars 2018 par la société civile Ficbal à M. [W] [I] ;

- fixé l'indemnité d'éviction due par la société civile Ficbal à M. [W] [I] les sommes suivantes :

o Indemnité principale : 135.000 euros

o Indemnité de remploi : 13.500 euros ;

o Indemnité pour trouble commercial : 22.257 euros

o Indemnité pour frais et honoraires d'expertise comptable : 1.500 euros

o Indemnité de déménagement : 1.000 euros.

- rappelé que M. [W] [I] a droit au maintien dans les lieux situés à [Adresse 1], jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction ;

A l'expiration de ce délai de trois mois suivant le versement de l'indemnité d'éviction par la société civile FICABL, dit qu'à défaut pour M. [W] [I] ainsi que tous occupants de son chef d'avoir libéré les lieux situés [Adresse 1], il sera procédé à leur expulsion au besoin avec le recours de la force publique ;

- fixé l'indemnité d'occupation due par M. [I] à la société civile Ficbal à compter du 1 er janvier 2019 à la somme de 28.035 euros l'an hors taxe, charges en sus, et en tant que de besoin l'en condamne au paiement ;

- débouté les parties pour le surplus,

- fait masse des dépens, comprenant les dépens de l'instance en référé dont les frais d'expertise judiciaire, et condamne chacune des parties à en supporter la moitié;

- dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration en date du 7 janvier 2022, M. [W] [I] a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués.

Par conclusions notifiées le 6 avril 2022, la société [I], locataire Gérant de M. [W] [I], est intervenue au soutien de M. [W] [I].

Par dernières conclusions notifiées le 24 octobre 2023, M. [I] et la société [I], intervenante volontaire, demandent à la cour de:

Vu les dispositions des articles L145-9, L145-14, L145-18, L145-28, L145-29, L145-30 du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article L 313- 4 du code de l'urbanisme

- juger recevable M. [W] [I] à interjeter appel ;

- juger recevable la société [I] à intervenir en cause d'appel

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 14 décembre 2021,

A titre principal :

- juger que le congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction notifié par la SCI Ficbal est nul ;

En conséquence,

- ordonner la poursuite du bail commercial entre M. [W] [I] et la SCI Ficbal

- ordonner le maintien dans les lieux de M. [W] [I] et de la société [I]

A titre subsidiaire :

- juger que les valeurs retenues par le tribunal judiciaire de Bordeaux, ainsi que l'expert désigné en première instance, pour la fixation de l'indemnité d'éviction doivent être révisées ;

- fixer l'indemnité d'éviction revenant à M. [W] [I] en réparation de la perte de son fonds de commerce au jour des présentes aux sommes suivantes :

Indemnité principale : 350 000 euros

Indemnité accessoire :

Indemnité de remploi : 30 000 euros

Indemnité pour trouble commercial : 28 000 euros

Indemnités pour frais de déménagement : 1.500 euros

Indemnités accessoires sociales : 58 000 euros

- juger que les valeurs retenues par le tribunal judiciaire de Bordeaux, ainsi que l'Expert désigné en première instance, pour la fixation de l'indemnité d'occupation doivent être révisées ;

- fixer l'indemnité d'occupation en exécution depuis le 1er janvier 2019 à la somme de 26 200 euros par an ;

- ordonner le remboursement de la société Ficbal pour le trop perçu au titre de l'indemnité d'occupation depuis le 1er janvier 2019.

- rejeter toute mesure d'exécution tant qu'une décision définitive n'est pas intervenue,

En tout état de cause :

- condamner la SCI Ficbal au paiement d'une indemnité de 7.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens et aux frais

d'expertise judiciaire.

Par dernières conclusions notifiées 1er juillet 2022, la SCI Ficbal demande à la cour :

Vu notamment les articles L 145-14, L 145-28, L 145-29, L 145-30 du code de commerce ,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel sauf à:

- ordonner l'indexation de l'indemnité d'occupation au 1er janvier de chaque année sur la variation de l'indice des loyers commerciaux

- et condamner M. [W] [I] au paiement d'une indemnité de 6 000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire, la Société [I] étant également condamnée au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'intervention volontaire :

1- La société [I] soutient qu'elle dispose d'un intérêt à intervenir volontairement à l'instance d'appel, en qualité de locataire-gérante, et rappelle qu'elle n'a pas été partie ni représentée à la première instance.

2- La SCI Ficbal soutient que l'intervention volontaire est irrecevable, faute pour la société [I] de qualifier celle-ci d'intervention volontaire principale ou accessoire, et de pouvoir justifier d'un quelconque droit à son encontre.

Sur ce :

3- En application de l'article 954 du code de procédure civile, et dès lors que la SCI Ficbal n'a pas mentionné, au dispositif de ses dernières conclusions, le moyen d'irrecevabilité de l'intervention qu'elle invoque dans la partie discussion, la cour n'en est pas saisie

4- En toutes hypothèses, il convient de rappeler que, selon les dispositions de l'article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

5- En l'espèce, il ressort des productions, et en particulier du jugement entrepris, que la société [I] n'a pas pris de conclusions d'intervention volontaire devant le tribunal bien que les écritures de Monsieur [I] aient fait état de sa présence à l'instance.

6- Par ailleurs, la société [I], locataire-gérante, dispose d'un intérêt à voir rejeter les prétentions de la SCI Ficbal, en ce qui concerne la validation de congé, et à voir au contraire ordonner la poursuite du bail commercial.

7-Il convient en conséquence de déclarer recevable cette intervention volontaire, qui doit être qualifiée d'accessoire, puisqu'elle appuie seulement les prétentions de M. [I].

Sur la demande de nullité du congé :

8- M. [I] et la société [I] soutiennent que le congé délivré est nul, pour cause de motifs équivoques et frauduleux.

Ils font d'abord valoir que la société Ficbal ne démontre pas que les travaux invoqués, nécessitant selon lui l'évacuation des lieux, soient justifiés par un plan de sauvegarde ou déclarés d'utilité publique; conformément aux dispositions de l'article L. 145- 18 alinéa 2 du code de commerce.

Il ne serait pas davantage justifié que ces travaux de restauration immobilière correspondent aux conditions de l'article L.313-4 du code de l'urbanisme.

Par ailleurs, ils soulignent que le congé n'indique pas les nouvelles conditions de location.

Ils ajoutent que le bailleur ne pouvait motiver son refus de manière subsidiaire et équivoque sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce.

Ils font également valoir en second lieu que le congé est nul en raison de ces motifs frauduleux, puisque la société Ficbal n'aurait jamais eu l'intention de procéder aux travaux indiqués.

9- La société Ficbal réplique qu'elle ne sollicite pas l'application des dispositions spécifiques concernant les congés donnés pour des travaux sur des immeubles situés en secteur sauvegardé, et qu'elle agit au titre d'un congé signifié pour sa date d'expiration contractuelle, avec offre d'indemnité d'éviction conformément à l'article L. 145-14 du code de commerce.

Sur ce :

10- Selon les dispositions de l'article L. 145-9 du code de commerce, le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

11- En l'espèce, le congé délivré le 14 mars 2018 pour la date du 31 décembre 2018 (terme contractuel du bail) est fondé sur deux motifs :

- un motif principal: la réalisation de travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans le secteur où le périmètre prévu aux articles L. 313-4 à L.313-4-2 du code de l'urbanisme autorisés ou prescrits dans les conditions prévues à ces articles.

- un motif subsidiaire, fondé sur l'article L. 145 -14 du code de commerce, lequel donne au bailleur le droit de refuser le renouvellement du bail contre paiement au locataire évincé d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement; indemnité comprenant notamment la valeur marchande du fonds de commerce, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, outre les frais et droits de mutation.

Il est constant, en droit, que le congé avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction n'a pas à être motivé (en ce sens, notamment Cour de cassation, 3ème chambre civile, 8 février 2006, pourvoi n° 04-17.898). L'exigence de motivation ne concerne donc que le refus de renouvellement sans indemnité d'éviction.

12- En l'espèce, par des motifs pertinents qui ne ne sont utilement critiqués en cause d'appel et la que la cour adopte, le tribunal a écarté à juste titre toute nullité du congé, après avoir relevé à bon droit qu'il n'existait aucune équivoque sur la volonté manifestée par le bailleur de mettre fin au bail pour la date du 31 décembre 2018 correspondant au terme du contrat contre paiement d'une indemnité d'éviction.

La preuve n'est par ailleurs nullement rapportée de l'existence d'un motif frauduleux, le bailleur étant toujours en droit de s'opposer au renouvellement du bail à son terme contractuel, contre paiement d'une indemnité d'éviction.

13- Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du congé.

Sur l'indemnité d'éviction :

14- M. [I] et la société [I] contestent la valeur de l'indemnité principale d'éviction, telle que fixée par le premier juge, sur la base du rapport d'expertise judiciaire.

Ils estiment que l'indemnité principale, à savoir l'indemnité d'éviction, doit être fixée au regard du chiffre d'affaires réalisé par la société [I] en sa qualité de locataire gérant du site de [Adresse 5], qui correspond au site historique de la société à laquelle la clientèle professionnelle reste indiscutablement attachée et s'y déplace; ce qui devrait conduire à une valorisation d'un montant de 430'000 euros, conformément aux conclusions du rapport de la société d'expertise comptable Fidalliance, mandatée par ses soins.

Ils ajoutent par ailleurs que l'évaluation du droit au bail (110 000 euros) est erronée, au regard des caractéristiques des locaux loués, épicentre de [Localité 4], en bordure du [Adresse 9], ayant bénéficié de travaux de rénovation récents, modifiant radicalement la circulation des piétons, ce qui permet une zone d'échalandage de très haut niveau.

15- La société intimée réplique que le tribunal a fixé l'indemnité d'éviction principale à la somme de 135'000 euros, conformément aux dispositions légales, sur la base des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, qui a relevé à bon droit que l'activité commerciale réellement exploitée dans la boutique de la place Gambetta est à destination d'une clientèle de particuliers.

Elle ajoute que le droit au bail a été évalué à juste titre sur la base d'une estimation par une double méthode de l'économie de loyer et des comparaisons, ce qui n'est pas sérieusement critiquable.

Sur ce :

16- Selon les dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

17- Il est constant, en droit, que seul le propriétaire du fonds de commerce est créancier de l'indemnité d'éviction, à l'exclusion du locataire gérant.

18- Ainsi, par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a relevé à bon droit que M. [I], locataire, n'était pas fondé à se référer, pour la valorisation de l'indemnité d'éviction, au chiffre d'affaires ou aux résultats réalisés par son locataire-gérant, la SARL [I], auprès de sa clientèle professionnelle, dès lors que celle-ci exerce son activité de grossiste en cuirs et crépins sur trois autres sites, à [Localité 8] [Localité 6] et [Localité 7].

M. [I], qui invoque le rayonnement de son activité sur l'ensemble de la partie sud-ouest de la France, grâce à une image qualificative haut de gamme, ne démontre nullement que sa clientèle de professionnels serait attachée spécifiquement au site historique de [Adresse 5] et qu'il serait susceptible de la perdre du fait du non-renouvellement du bail, alors qu'il admet par ailleurs que les livraison ont lieu sur les autres sites exploités par la SARL [I] (ce qui inclut donc le site de [Localité 7], proche de [Localité 4]).

Le préjudice subi du fait du non-renouvellement du bail commercial doit donc être évalué sur la base de la perte du fonds de commerce de vente au détail sur le site de [Adresse 5].

19- Au titre de l'évaluation par la méthode des barèmes professionnels, l'expert a donc retenu à juste titre, comme base de calcul, le chiffre d'affaires hors taxes des ventes au détail sur trois années dans le site de la Place Gambetta, pour les années 2016, 2017 et 2018, soit en moyenne 222 573 euros HT, auquel il a appliqué un pourcentage de 60 % parfaitement justifié au regard de la fourchette variant entre 35 et 70 % du chiffre d'affaires hors taxe et de l'ensemble des caractéristiques du fonds détaillés en page 17 du rapport (emplacement satisfaisant en centre ville, niveau de rentabilité satisfaisant, chiffre d'affaires en légère baisse, caractéristiques du local commercial satisfaisants en raison d'un loyer très raisonnable, locaux décrits comme fonctionnels, attrait de l'enseigne satisfaisant en raison de son ancienneté). Le résultat ressort avec cette méthode à 133 544 euros.

Au titre de la méthode par marge brute, destinée à corroborer la première, il a appliqué un coefficient justifié de 4.5 (qui n'est pas utilement critiqué) qu'il a appliqué à la redevance annuelle de location-gérance, considérée comme la rentabilité potentielle du fonds de commerce, soit un résultat de 135 000 euros, qu'il convient de retenir en définitive comme valeur de l'indemnité d'éviction à la date de réalisation du préjudice, déterminée selon les usages de la profession.

20- La valeur du droit au bail calculée par l'expert et retenue par les premiers juges ressort à 110 000 euros.

Le premier juge a répondu par des motifs pertinents, que la cour fait siens, aux critiques formulées par M. [I] à l'égard de cette estimation.

Il sera ajouté que l'estimation du droit au bail faite par M. [D] (agence Vacher) dans son courrier du 18 mai 2018, comprise entre 250 000 et 300 000 euros, correspond à une destination 'tout commerce', ce qui n'est pas le cas du bail consenti à M. [I], qui ne peut être cédé qu'à un successeur dans son commerce (clause numéro 12), ce qui induit une restriction sur le type d'activité pouvant être exercée dans les locaux..

Il convient également d'écarter la contestation formulée par M. [I] en ce qui concerne la superficie prise en considération dans l'évaluation (89 m²), puisque conformément aux dispositions de l'article R.145-3 1° et 2° du code de commerce, l'expert judiciaire a pondéré les surfaces en tenant compte de l'importance de celles affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux; sans que les coefficients appliqués à chaque surface soient sérieusement contestées. La partie réservée à usage d'habitation, a donné lieu à une pondération justifiée de 0.2 compte tenu de sa situation au 4 ème étage accessible seulement par escalier, de sa superficie (20 m²) avec mansarde.

Enfin, il doit être relevé que l'appelant n'a pas précisé quelle valeur il entendait voir retenue pour le droit au bail.

21- Le premier juge a fixé à juste titre l'indemnité principale à 135 000 euros, soit la plus élevée des deux valeurs.

Sur les indemnités accessoires :

22- Par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement critiqués en cause d'appel et que la cour fait siens, le tribunal a retenu les valeurs suivantes comme indemnités accessoires, conformément aux dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce et sur la base du rapport d'expertise judiciaire :

-13500 euros au titre de l'indemnité de remploi,

- 22257 euros au titre du trouble commercial, sur la base du chiffre d'affaire moyen, soit 222573 euros HT pour les années 2016, 2017 et 2018,

- 1500 euros de frais divers (frais et honoraires de l'expert comptable),

- 1000 euros de frais de déménagement.

L'appelant ne produit aucune pièce ni élément objectif de nature à fonder sa réclamation, tendant à voir majorer ces estimations.

23- Aucune indemnité ne peut être accordée à M. [I] au titre des frais de licenciement (évalués à 58000 euros) de deux salariés qui ne sont pas les siens, mais ceux de la SARL [I], locataire-gérante, qui ne peut faire valoir aucune créance au titre de la cessation du bail, de sorte que le premier juge a rejeté à bon droit cette demande.

Sur l'indemnité d'occupation :

24- Le tribunal a retenu une valeur (non contestée) de 28035 euros pour l'indemnité d'occupation, en y appliquant un coefficient de 10% au titre de l'abattement pour précarité, que l'appelant conteste et entend voir porter à 20 % ainsi que l'expert le proposait dans son rapport.

25- Toutefois, M. [I] ne justifie pas que la procédure lui ait occasionné des inconvénients particulièrement pénalisant dans l'exercice de son commerce, nécessitant un tel abattement.

26- Le jugement sera donc confirmé y compris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à indexation de cette indemnité.

Sur les demandes accessoires :

27- Il convient d'allouer à la société Ficbal une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [I] et la société [I] supporteront in solidum les dépens d'appel ainsi que leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Donne acte à la société [I] de son intervention volontaire accessoire en cause d'appel, et déclare celle-ci recevable,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [I] et la société [I] à payer à la société Ficbal la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les autres demandes,

Condamne in solidum M. [I] et la société [I] aux dépens d'appel.