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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ., 15 décembre 2023, n° 22/00784

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chevrier

Conseillers :

Mme Flauss, M. Fournie

Avocats :

Me Cauchepin, Me Despeisse, Me Seraphin

TJ Saint-Denis, du 15 févr. 2022, n° 19/…

15 février 2022

Le 28 septembre 2015, le Service Régional d'Enquête de l'Administration des Douanes a engagé une opération de contrôle des importations de la SARL [L], franchisée de la société d'habillement Du Pareil au Même (DPAM), pour la période allant du 28 septembre 2012 au 28 septembre 2015.

Par procès-verbal du 22 juillet 2016, le service régional d'enquête a notifié à la SARL [L] l'infraction qualifiée de « fausse déclaration de valeur » avec un mondant des droits éludés de 43.096 €, avoir incorporé dans la valeur en douane des marchandises importées les redevances versées à la société DPAM payées en contrepartie de la mise à disposition d'un savoir-faire commercial.

Le 8 août 2016, un avis de mise en recouvrement (AMR) de la dette douanière a été émis par le comptable de la Recette Régionale des Douanes.

Suivant acte d'huissier du 21 juin 2019, la SARL [L] a assigné la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de la Réunion devant le tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion aux fins d'obtenir l'annulation de l'AMR ainsi que la décharge de l'intégralité des sommes en principal, intérêts et majorations mises en recouvrement.

Par jugement en date du 15 février 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion a :

- Annulé la décision de l'administration douanière datée du 2 mai 2019 rejetant la contestation de la créance de la SARL [L] datée du 11 avril 2019;

- Annulé l'avis de mise en recouvrement daté du 8 août 2016,

- Prononcé la décharge de l'intégralité des sommes en principal, intérêts et majorations mises en recouvrement,

- Rejeté la demande de paiement de somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamné l'administration des douanes et droits indirects de la Réunion aux dépens.

Par déclaration au greffe de la cour du 24 mai 2022, la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de la Réunion a interjeté appel du jugement.

La clôture est intervenue suivant ordonnance du 9 mars 2023.

***

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelante déposées le 26 janvier 2023, la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de la Réunion demande à la cour de :

- Juger la Direction Régionale des douanes et des droits indirects de la Réunion recevable en son appel ainsi qu'en ses conclusions et l'y en juger bien fondée ;

- Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel incident de la SARL [L];

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saint Denis du 15 février 2022 (RG n° 19/02136) en ce que le tribunal a jugé régulière la procédure douanière de redressement et de mise en recouvrement;

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saint Denis du 15 février 2022 (RG n° 19/02136) pour le surplus;

Et statuant de nouveau,

- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la SARL [L],

- Juger réguliers et fondés l'avis de mise en recouvrement n° 0974/16/135 en date du 8 août 2016, et la décision de rejet de la direction des douanes et droits indirects de La Réunion du 2 mai 2019 suite à la contestation de créance de la SARL [L] introduite le 11 avril 2019;

- Juger en conséquence que les montants redressés mis à la charge de la SARL [L] sont intégralement dus,

En tout état de cause,

- Condamner la SARL [L] à verser la Direction Régionale des douanes et des droits indirects de la Réunion la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SARL [L] aux dépens d'instance et d'appel.

L'appelante sollicite la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a considéré régulière la procédure douanière de redressement et de mise en recouvrement.

L'appelante soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la redevance acquittée par la SARL [L] à DPAM est versée pour l'utilisation du savoir-faire commercial de DPAM mais aussi pour un savoir-faire technique et pour l'usage de plusieurs marques mentionnées à l'article 1.6 du contrat de franchise (« DU PAREIL AU MEME », « DPAM », « DP'am », « DU PAREIL' au même », « URBAN SPIRIT », « RUBBER WHEELS ») qui ne relève pas du savoir-faire commercial et qui est autonome. Elle estime, de surcroît, remplies les conditions fixées par le Code des douanes communautaires pour l'intégration dans la valeur en douane des redevances versées par la SARL [L] à la société DPAM.

***

Aux termes de ses uniques conclusions d'intimée déposées le 7 novembre 2022, la société [L] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire en ce qu'il a jugé la procédure d'enquête douanière régulière ;

- Confirmer le jugement rendu sur le fond par le Tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion le 15 février 2022 ;

- Prononcer la décharge de l'intégralité des sommes en principal, intérêts et majorations mises en recouvrement,

- Condamner l'administration douanière, en application de l'article 700 du code de procédure civile, au paiement de la somme de 2.500 € hors taxes, compte tenu qu'il serait particulièrement inéquitable au cas d'espèce de laisser cette somme à la charge du contribuable,

- Condamner l'administration douanière aux entiers dépens.

Selon l'intimée, le jugement de première instance doit être infirmé en ce qu'il n'a pas considéré que l'absence d'indication dans la convocation de l'infraction dont est soupçonnée la société [L] rendait l'enquête de l'administration douanière irrégulière et entrainait la décharge des impositions supplémentaires mises à la charge du contribuable.

L'intimée soutient également que les redevances versées sont des redevances de savoir-faire commercial qui ne sont pas à inclure dans la valeur en douane. Elle ajoute que les sommes versées ne remplissent pas les conditions pour être incluses dans la valeur en douane, la redevance n'étant pas en relation avec la marchandise à évaluer et ne constituant pas une condition de vente de la marchandise à évaluer. Par ailleurs, elle souligne la marchandise n'est pas commercialisée sous la marque pour laquelle la redevance est payée.

***

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Par message RPVA en date du 9 novembre 2023, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sous quinzaine sur la portée au présent litige de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, évoqué dans le rappel des faits et procédures des conclusions de l'appelante, à raison de la décision de condamnation définitive de l'intimée suivant jugement du tribunal de police de Saint Denis de la Réunion en date du 7 juin 2019 (pièce 9 appelante), notamment sur la recevabilité des demandes de la SARL [L].

Par note en délibéré du 23 novembre 2023, la SARL [L] énonce que le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil est prétorien et, qu'en l'espèce, l'administration douanière a introduit son action sur le fondement de l'article 357 bis du code des douanes pour le paiement de droits, sur lesquels le tribunal de police ne s'est pas prononcé. Elle précise que le premier juge ne s'est d'ailleurs pas estimé lié par la décision du tribunal de police, qui n'argumente pas sur la situation juridique complexe de prise en compte ou non de la redevance et qu'une application du principe d'autorité du pénal sur le civil conduirait à ignorer ses arguments et commettre une erreur de droit.

Aucune note en délibéré n'a été déposée par l'avocat constitué de la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de la Réunion dans le délai prescrit par la cour et les notes déposées le 23 novembre 2023 par Me Despeisse, signée de Me Maurice, et celle du 27 novembre 2023 par Me Cauchepin doivent ainsi être écartées des débats.

MOTIFS

Par citation directe délivrée le 10 avril 2019 et déposée au greffe du tribunal de police de Saint-Denis, l'agent poursuivant des douanes de St Denis a fait citer le gérant de la SARL [L] ès qualités, sur la base des éléments de la procédure douanière et du procès-verbal du 22 juillet 2016, pour avoir, au port et dans le département de la Réunion, entre le 9 janvier 2013 et le 22 juillet 2016, commis une fausse déclaration sur la valeur d'une marchandise de nature à éluder ou compromettre un droit de douane ou une taxe.

Par jugement contradictoire du 7 juin 2019, le tribunal de police de Saint Denis a déclaré la SARL [L] coupable de l'infraction et l'a condamnée en répression au paiement d'une amende douanière d'un montant total de 5.040 €, motivant sa décision comme suit:

"Attendu qu'il est reproché à la société [L] de ne pas avoir intégré les redevances de franchise payées à la société du pareil au même (DPAM) pour le calcul des droits de douane.

La société [L] fait valoir que la redevance prévue au contrat de franchise est relative à un savoir-faire commercial et non à un savoir-faire technique et ne doit donc pas être incluse dans la valeur en douane des marchandises.

Il résulte de l'article 71§ 1 c) du Code des douanes de l'Union (article 32 du Code des douanes communautaires en vigueur avant le 1er mai 2016) que la redevance doit être incluse dans la valeur en douane des marchandises si, d'une part, la redevance est en relation avec les marchandises importées et, d'autre part, constitue une condition de la vente, ce qui est le cas, pour ce second point selon l'article 136 du règlement d'exécution de la commission (REC) du 24 novembre 2015, si le vendeur ou une personne liée au vendeur requiert de l'acheteur qu'il effectue ce paiement ou si le paiement est effectué par l'acheteur pour satisfaire à une obligation du vendeur, conformément à des obligations contractuelles ou encore si les marchandises ne peuvent pas être vendues à l'acheteur ou achetées par celui-ci sans versement des redevances ou des droits de licence à un donneur de licence.

En outre, avant le 1er mai 2016, la redevance relative au droit d'utiliser une marque devait être ajoutée au prix de vente de la marchandise importée, en application de l'article 159 du DAC (dispositions d'application du code des douanes communautaires), que si la redevance concernait des marchandises revendues en l'état, que si les marchandises étaient commercialisées sous la marque pour laquelle la redevance est payée et que l'acheteur n'était pas libre de se procurer de telles marchandises auprès d'autres fournisseurs.

En l'espèce, il résulte du contrat de franchise que les redevances acquittées le sont " en contrepartie de la mise à disposition et de l'utilisation de son savoir-faire et des licences de marques » (article 17.21) et que les marchandises importées sont revêtues desdites marques et commercialisées sur le marché réunionnais ainsi que l'a reconnu M. [F], directeur du pôle gestion de la société [L], dans son audition du 27 mai 2016.

L'article 136§1 du REC prévoit que " les redevances et droits de licence sont en relation avec les marchandises importées si, en particulier, les droits transférés au titre de raccord de licence ou de redevances sont incorporés dans ces marchandises »

Des lors, les redevances acquittées sont bien en relation avec les marchandises importées.

De même, l'article 17.2.3 du contrat de franchise prévoit que lors de l'émission d'une facture relative à une commande « le montant de la redevance devra être payé par le franchisé au franchiseur en euros dans un délai de 30 jours fin de mois maximum date de facture » et l'article 23.2 précise que le franchiseur peut résilier le contrat de plein droit en l'absence de paiement des redevances par le franchisé. Lors de son audition du 28 septembre 2015, M. [F] a déclaré « je confirme le paiement d'une redevance à chaque facture et elle est calculée par rapport aux achats effectués en tenant compte de la valeur du prix de vente. C'est 12 % du prix de vente ». Il a également répondu "oui » à la question posée lors de son audition du 27 mai 2016 « Ces paiements de redevance sont-ils une condition de vente a'n que la société [L] puisse disposer des marchandises comme propriétaire '". Il apparait ainsi que le paiement des redevances est une condition de la vente des marchandises.

En outre, l'article 4.1 du contrat de franchise prévoit que " le franchisé s'approvisionnera uniquement et exclusivement auprès de DPAM ".

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que le montant des redevances de franchise devait être inclus dans le calcul de la valeur en douane des marchandises et que, tel n'ayant pas été le cas, la société [L] est coupable de fausse déclaration sur la valeur d'une marchandise de nature à éluder un droit de douane. »

Vu l'article 4 du code de procédure civile;

Les décisions pénales ont au civil autorité absolue à l'égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l'existence du fait incriminé et la culpabilité de celui auquel le fait est imputé.

Il résulte de la lecture du jugement pénal que le tribunal de police a déjà statué sur le caractère d'infraction douanière des faits contestés dans le cadre de la présente instance, tant au regard des prescriptions nationales que communautaires.

Dès lors, les contestations soulevées par la SARL [L] devant la cour pour contester le défaut de déclaration de valeur en douane à raison de la non-intégration des redevances acquittées auprès de la société d'habillement Du Pareil au Même (DPAM), sur une période litigieuse identique, se heurtent à l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant au jugement définitif du 7 juin 2019.

En conséquence, les demandes de la SARL [L] en annulation du rejet de sa contestation de créance, de l'avis de mise en recouvrement et décharge des sommes mises en recouvrement sont irrecevables.

Vu les articles 700 et 696 du code de procédure civile ;

La SARL [L], qui succombe, supportera la charge des dépens.

L'équité commande en outre de la condamner à verser à l'appelante la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière civile, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

- Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

- Déclare les demandes irrecevables ;

- Condamne la SARL [L] à verser à la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de la Réunion la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamne la SARL [L] aux dépens.