CA Agen, ch. civ., 10 janvier 2024, n° 22/00909
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Norsilk (SAS)
Défendeur :
ISB France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauclair
Conseillers :
Mme Benon, Mme Rigault
Avocats :
Me Guilhot, Me Cressard, Me Narran, Me Preneux
EXPOSÉ DU LITIGE
Vu l'appel interjeté le 17 novembre 2022 par la SAS NORSILK à l'encontre d'un jugement du tribunal de commerce d'AGEN en date du 28 septembre 2022.
Vu les conclusions de la SAS NORSILK en date du 20 octobre 2023.
Vu les conclusions de la SAS ISB FRANCE en date du 23 octobre 2023.
Vu l'ordonnance de clôture du 25 octobre 2023, pour l'audience de plaidoiries fixée au 13 novembre 2023.
La société NORSILK (anciennement METSA WOOD FRANCE jusqu'en octobre 2015) est spécialisée dans la transformation et la commercialisation du bois à destination des industriels, des distributeurs professionnels et des grandes surfaces de bricolage.
Mme [J] [Z] y était employée en qualité de chef de secteur régional pour la division négoce de la région Sud-Ouest depuis le 21 avril 2008.
En date du 3 décembre 2015, Mme [Z] signifiait son souhait de mettre un terme à son contrat de travail par rupture conventionnelle. Le 30 décembre 2015, suite à sa demande et dans le prolongement de divers entretiens, NORSILK informait Mme [Z] de sa position favorable mais que la rupture de son contrat ne saurait intervenir avant la fin du premier trimestre 2016, délai nécessaire pour pourvoir à son remplacement. Le 3 mars 2016, Mme [Z] saisissait le conseil des prud'hommes de MARMANDE (47) aux fins de résiliation de son contrat de travail et le 13 juin 2016 était régularisée une rupture conventionnelle du contrat de travail liant les parties avec effet au 29 juillet 2016.
La société ISB FRANCE a pour activité la transformation et la commercialisation du bois et intervient notamment sur le marché des composants bois, dont les acteurs majeurs sont nombreux et caractérisés par une concurrence vive entre les fournisseurs dont NORSILK, sachant que les renégociations tarifaires avec les clients interviennent chaque début d'année.
M. [I] [V], ancien Directeur Général de NORSILK, a rejoint la société ISB France en 2015 en qualité de Directeur Commercial, puis a été promu Directeur Général en charge des activités commerciales, marketing et innovation en septembre 2017. La société ISB FRANCE a embauché Mme [Z] selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 29 août 2016 en qualité d'attachée technico-commerciale : à ce titre, Mme [Z] était, d'une part, en charge des clients les plus significatifs de la société ISB FRANCE et, d'autre part, un interlocuteur direct du directeur commercial, recevant à ce titre des informations confidentielles inhérentes à la politique commerciale (notamment tarifs fournisseurs).
Le 8 mars 2018, NORSILK, ancien employeur de M. [V], introduisait par-devant le conseil des prud'hommes de LISIEUX (14) une action à son encontre en résolution de transaction, notamment pour dol, inexécution fautive et commission d'actes de concurrence déloyale. Le 31 octobre 2018 Mme [Z] quittait la société ISB FRANCE dans le cadre d'une rupture conventionnelle. Le 17 septembre 2019, le conseil des prud'hommes de LISIEUX décidait de la radiation et du retrait de l'affaire pendante par-devant lui au motif de défaut de diligence des parties. M. [V] quittait la société ISB FRANCE en août 2019 suite à une refonte de gouvernance, y demeurant néanmoins actionnaire et membre du conseil de surveillance.
La société NORSILK, ayant constaté depuis le départ de Mme [Z] une baisse particulièrement significative de son chiffre d'affaires et la perte de certains clients dans le secteur Sud-Ouest, a présenté, en date du 15 juin 2017, une requête devant le président du tribunal de grande instance d'AGEN aux fins de rechercher, au domicile de Mme [Z], tout document relatif à son embauche par la société ISB et aux clients qui lui étaient rattachés. Le 20 juin 2017, une ordonnance fait droit à cette demande et le 29 août 2017, Maître [O] [C], huissier de justice, s'étant rendue au domicile de Mme [Z], établissait un constat mettant en évidence des échanges intervenus entre elle et Monsieur [V] alors qu'elle était toujours salariée de NORSILK.
Par lettres officielles en date des 7 et 14 septembre 2017, le conseil de la société ISB, informait celui de la société NORSILK du fait que sa cliente n'était pas concernée par le litige opposant Mme [Z] à son ancien employeur et que la saisie d'informations et de matériel appartenant à ISB, constituant un abus de procédure, ne saurait permettre toute divulgation des dites informations, lesquels devant être restituées à sa cliente.
Afin de permettre la communication des éléments saisis sur le téléphone portable et l'ordinateur personnels de Mme [Z], les pièces relatives à ses équipements professionnels ont été mises sous séquestre.
Par ordonnance de référé en date du 3 juillet 2018, le président du tribunal de grande instance d'AGEN ordonnait la remise de l'intégralité des documents et informations saisis sur les équipements professionnels susvisés, déboutant la société ISB de l'ensemble de ses demandes, notamment en rétractation d'ordonnance. Par arrêt en date du 25 mars 2019, cette cour précisait les modalités de la levée du séquestre, avec notamment la désignation de Mme [S] [K], expert judiciaire avec notamment pour mission de se faire remettre par l'huissier l'intégralité des documents et informations saisis dans le téléphone portable et l'ordinateur professionnels de Mme [Z] et de sélectionner en présence des conseils des parties les documents et informations en exécution de la requête et d'exclure tout document relatif au secret des affaires de la société ISB.
À la suite du rapport définitif de l'expert, rendu en date du 6 novembre 2019, la société NORSILK a, par assignation en date du 28 février 2020, engagé contre la société ISB une action en concurrence déloyale.
Par jugement en date du 28 septembre 2022, le tribunal de commerce d'AGEN a notamment :
- déclaré les demandes de la société NORSILK recevables mais l'a déboutée de sa demande de communication de fichiers avant dire droit.
- débouté les parties de leurs demandes respectives de dommages-intérêts.
- condamné la société NORSILK à payer à la société ISB FRANCE la somme de 5.000,00 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la société NORSILK aux entiers dépens.
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties.
- liquidé les dépens dont frais de greffe pour le jugement à la somme de 73,22 euros.
La SAS NORSILK a interjeté appel le 17 novembre 2022, la déclaration d'appel étant rédigée dans les termes suivants ; les chefs de jugement critiqués sont les suivants :
* déboute la Société NORSILK de sa demande de communication de fichiers,
* déboute également du surplus de ses demandes et notamment de ses demandes tendant à juger que la Société ISB FRANCE a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice et la voir condamner à lui payer la somme de 1 125 924 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice économique subi, une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens en ce compris les frais exposés dans le cadre de l'expertise judiciaire.
* condamne la société NORSILK à payer à la Société ISB FRANCE la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
* ordonne l'exécution provisoire,
* ainsi que sur tous autres chefs, pas forcément visés au dispositif, faisant grief à l'appelant, selon les moyens qui seront développés dans ses conclusions et au vu des pièces de première instance et de celles qui seront communiquées devant la Cour.
Par ordonnance d'incident en date du 28 juin 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable devant le magistrat de la mise en état la demande de communication des pièces formée par la société NORSILK, et condamné la société NORSILK à payer à la SAS ISB FRANCE la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'incident.
Par conclusions en date du 20 octobre 2023 la société NORSILK demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société ISB FRANCE de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouter la Société ISB France de son appel incident et de ses demandes dans ce cadre,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- et statuant à nouveau :
- avant dire droit,
- débouter la société ISB FRANCE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- ordonner à Mme [S] [K], expert judiciaire près la Cour d'appel d'AGEN, demeurant [Adresse 1] à [Localité 8], [Courriel 7] , ou à défaut, Maître [O] [C], huissier de justice de la SCP FRECHE [C], demeurant [Adresse 6] à [Localité 9], de communiquer sur trois clés USB (deux pour chacune des parties et une pour la Cour) les fichiers suivants, gardés sous séquestre dans le cadre des opérations d'expertise ordonnées par l'arrêt de la Cour d'appel d'AGEN du 25 mars 2019 (RG n° 18/00742) :
o 2-GAMME VOLIGE MI BOIS SAPIN.msg (2) : mail avec pièce jointe (fichier Excel) ;
o 3- GAMME VOLIGE MI BOIS SAPIN.msg : mail avec pièce jointe (fichier Excel) ;
o 4-GAMME VOLIGE MI BOIS SAPIN.xlsx.msg : fichier Excel joint aux précédents mails ;
o 23- TR : Gamme volige mi bois sapin(2).msg ;
o 24- TR : Gamme volige mi bois sapin.msg ;
- à défaut, constater que la production des fichiers susmentionnés, est nécessaire à la solution du litige ;
- en conséquence, ordonner la communication des fichiers susmentionnés dans leur version intégrale en vertu de l'article R. 153-6 du Code de commerce ;
- si la cour l'estime nécessaire, fixer les mesures proportionnées pour protéger le secret des affaires en application de l'article L. 153-1 du Code de commerce ;
- ordonner la communication des fichiers susmentionnés dans le respect de la procédure déterminée par la Cour ;
- à titre principal, juger que la société ISB FRANCE a commis des actes de concurrence déloyale résidant dans la désorganisation, l'appropriation illicite d'informations commerciales et techniques confidentielles de la société NORSILK puis dans le détournement de la clientèle de son concurrent ;
- en conséquence, condamner la société ISB FRANCE à verser la somme de 1.125.924 € à la société NORSILK à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- à titre subsidiaire, juger que la société ISB FRANCE a commis des actes de concurrence déloyale résidant dans l'appropriation illicite d'informations commerciales et techniques confidentielles de la société NORSILK puis dans le détournement de la clientèle de son concurrent ;
- désigner tel expert qu'il plaira à la Cour d'appel d'AGEN avec pour mission de :
o Evaluer le montant des dommages constitués de la perte de chiffre d'affaires annuel subie par la société NORSILK au titre de la désorganisation, l'appropriation d'informations confidentielles et du détournement de clientèle réalisée par la société NORSILK, entre le 1er décembre 2015 et le 31 décembre 2020, notamment concernant les enseignes POINT P, GEDIMAT LABENNE et BATILAND ;
o Evaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute subie par la société NORSILK en raison du détournement d'informations confidentielles et de sa clientèle par la société ISB FRANCE, entre le 1er décembre 2015 et le 31 décembre 2020 ;
o Se faire communiquer, par les parties ou tous tiers pouvant les détenir, tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission ;
o Entendre tout sachant qu'il estimera utile ;
o S'il estime nécessaire, se rendre sur place ;
o Mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état de ses avis et opinions à chaque étape de sa mission, puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu'il fixera avant le dépôt de son rapport et rappeler aux parties, lors de l'envoi de ce document de synthèse, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que la date à laquelle il doit déposer son rapport ;
- sursis à statuer sur le montant définitif de l'indemnisation dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.
- en tout état de cause, débouter la société ISB FRANCE de sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts ;
- débouter la société ISB FRANCE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société ISB FRANCE à verser à la société NORSILK la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société ISB FRANCE aux entiers dépens de l'instance.
Par écritures en date du 17 octobre 2023, la société ISB FRANCE demande à la cour de :
- débouter la société NORSILK de toutes ses demandes, fins et conclusions
- confirmer le jugement en date du 28 septembre 2022 en ce qu'il a :
- infirmer le jugement en date du 28 septembre 2022 en ce qu'il a débouté la société ISB FRANCE de sa demande de dommages et intérêts, et statuant à nouveau, à titre reconventionnel,
- condamner la société NORSILK à payer à la société ISB France la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la société NORSILK à payer à la société ISB France la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, condamner la société NORSILK à payer à ISB FRANCE le montant des sommes retenues par l'huissier chargé de l'exécution forcée au titre de l'article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 (tarif des huissiers), modifié par le décret n° 2001-212 du 8 mars 2001, en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société NORSILK aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par NARRAN.
Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la production de pièces :
Aux termes de l'article 138 du code de procédure civile, si, dans le cours d'une instance, une partie entend faire état d'un acte authentique ou sous seing privé auquel elle n'a pas été partie ou d'une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l'affaire d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de l'acte ou de la pièce.
Par ordonnance en date du 20 juin 2017 le président du tribunal de grande instance d'AGEN a autorisé une mesure d'instruction au domicile de Mme [Z] aux fins de rechercher les pièces et documents relatifs à son embauche par la société ISB FRANCE, une liste de clients visés à la requête et des documents divers à en-tête des parties. Les opérations se sont déroulées le 29 août 2017 et les informations découvertes ont été placées sous séquestre.
Par arrêt en date du 29 mars 2019, cette cour a désigné un expert pour examiner lesdites pièces en excluant du champ des investigations tous documents concernant la société ISB FRANCE pouvant relever du secret des affaires et sans lien direct avec la société NORSILK.
La société NORSILK sollicite la communication de divers documents relatifs à la gamme de volige mi-bois sapin.
Il ressort du rapport de l'expert judiciaire que les documents relatifs à la gamme volige mi-bois sapin ont été examinés par les conseils des parties et l'expert indique dans un encart : ce fichier excel fait état d'informations confidentielles concernant tant les sociétés ISB que NORSILK. Il porte plus précisément sur des prix de revient de la gamme volige mi-bois sapin Silverwood commercialisée par la société ISB, détaillée par références. Une analyse comparative est faite avec les produits de la société NORSILK et intègre des propositions de modifications tarifaires. Ce document détenu et établi par la salariée de la société ISB FRANCE relève du secret des affaires tant pour la société ISB FRANCE que pour la société NORSILK. L'expert, qui est d'avis de ne pas l'exclure, précise que cette pièce mixte est maîtresse, au cœur du litige qui oppose les parties, il ne la joint pas au rapport sauf si la cour en ordonnait la transmission.
Tel que le présente l'expert, le fichier litigieux n'est en relation avec la société NORSILK que parce qu'il reprend le tarif de la société NORSILK. L'essentiel de ce document réside dans les prix de revient de la gamme volige mi-bois sapin de la société ISB, dans l'analyse comparative et les propositions de modifications tarifaires de la société ISB. Ces éléments sont prépondérants, ils relèvent du secret des affaires de la société ISB au sens de l'article L. 151-1 du code de commerce.
C'est donc à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de communication. Le jugement est confirmé sur ce point.
2- Sur la concurrence déloyale :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il revient à la société NORSILK d'établir l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
La société NORSILK reproche la communication par Mme [Z] à la société ISB d'informations confidentielles lui appartenant.
Elle produit :
- le procès-verbal de constat dressé par Me [C] huissier de justice le 29 août 2017 en exécution de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance d'AGEN du 15 juin 2017. Elle déclare que ce procès-verbal relate la communication d'informations techniques commerciales et financières confidentielles internes sur les offres réalisées et l'évolution des dossiers en cours. Les pièces objet de ce procès-verbal ont été soumises à l'expert et à l'issue de ces opérations la société NORSILK se contente d'affirmations générales sans détailler les informations qu'elle considère comme étant confidentielles. La production de ce procès-verbal ne suffit pas à établir les actes de concurrence déloyale allégués.
- les photos de produits NORSILK que Mme [Z] aurait transmises à ISB ne sont pas produites.
- il n'est pas établi que Mme [Z] a remis à M. [V] une clé USB dont le contenu n'est pas indiqué.
- la liste des coordonnées des responsables d'approvisionnement de POINT P pour une zone comprenant le Lot et Garonne, la Gironde, partie de la Dordogne, des Landes, du Lot. Point P est un client de chacune des parties, ISB produit les plaquettes que lui adresse annuellement POINT P donnant les identités et coordonnées des responsables de secteur. Ces données ne sont donc pas confidentielles. Le fait que les identités diffèrent selon les pièces NORSILK et ISB ne suffit pas à caractériser le caractère confidentiel de ces listes dès lors que les produits concernés ne sont pas précisés et les dates d'établissement de ces listes ne sont pas connues.
- des e-mails de Mme [Z] des 29 et 30 juin 2016 : il s'agit d'e-mails internes à ISB par lesquels sont transmis à Mme [Z] la liste des clients qu'elle trouvera dans son portefeuille chez ISB : ASTURIENNE, CBA, DIPANO, POINT P, BATILAND, GEDIMAT et autres revendeurs de matériaux. Il s'agit d'une liste transmise par ISB à Mme [Z] et non d'une liste transmise par Mme [Z] à ISB. NORSILK n'établit pas qu'il existe parmi ces clients des clients qui lui seraient exclusifs, ils sont tous partagés. ISB établit que sur cette liste figure des clients POINT P de longue date. Il n'apparaît pas sur ces mails la divulgation par Mme [Z] d'informations confidentielles.
- sur le recrutement de M. [P] et ses missions futures : aucun élément n'est produit établissant la communication par Mme [Z] d'information confidentielle. Il est établi que M [P] était un consultant de METSA WOOD qui a continué sa mission après la modification de dénomination de cette société.
- sur la conservation de documents internes et confidentiels de la société NORSILK.
Est invoqué en outre un SMS du 22 mars 2016 portant sur des informations relatives à un concurrent commun PROTAC dont le caractère confidentiel pour NORSILK n'est pas établi.
Sur les faits postérieurs à l'embauche le 29 août 2016, de Mme [Z] par ISB :
- mail du 27 septembre 2016 : dans ce mail, Mme [Z] expose les besoins d'un client, les atouts de NORSILK sur ce marché, et 'l'angle possible pour rentrer' : cherche une volige bardage sapin 18mm... produit à développer sur fabrication spéciale par 20 m3 je n'avais pas la capacité pour lui de développer ce produit' : le premier juge a justement retenu qu'un ancien salarié ne peut se voir reprocher d'exploiter ailleurs l'expérience acquise lorsqu'il faisait partie du personnel de l'entreprise. Ces données ne sont pas confidentielles, la cible travaillait avec NORSILK pour un produit qu'ISB ne fournissait pas, la proposition de fournir un autre produit recherché par la cible n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale.
- mail du 16 décembre 2016 : NORSILK ne produit que le mail mais pas la pièces jointes portant les informations incriminées : il ressort des écritures d'ISB qui a pu avoir accès au contenu intégral du message qu'il s'agit d'une offre commerciale faite par NORSILK le 4 février 2016, qui d'une part au jour de leur communication les informations mentionnées sont obsolètes ; et qui d'autre part repose sur un « enregistrement cahier des charges client » correspondant à un profit habituel pour des lames de terrasse, profil accessible sur les sites internet des revendeurs. En outre il n'est pas établi que la communication de cette information a permis à ISB d'obtenir un marché de la société cible ESCAFFRE.
- sur la pièce dont la communication a été rejetée, il ressort de la description de cette pièce par l'expert que les informations confidentielles concernent ISB, comparées à des données connues de NORSILK.
- les documents relatifs à l'impact de la cession de METSA à MUTARES sur la clientèle ne portent que sur un constat de l'état des lieux des relations commerciales et ne constituent pas un acte de concurrence déloyale.
Au vu de ces éléments c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la faute constitutive d'un acte de concurrence déloyale n'est pas établie et a rejeté la demande de NORSILK sur ce fondement.
Le jugement est confirmé sur ce point.
3- Sur le détournement de clientèle :
Vu l'article 1240 du code civil cité ci-dessus.
Il est reproché à Mme [Z] d'avoir transmis à ISB des informations confidentielles ayant permis à cette dernière de détourner une partie de la clientèle de NORSILK.
NORSILK invoque une chute exponentielle de ses ventes dans le Sud-Ouest et la perte de certains clients, avec une chute de son chiffre d'affaires de 96 % pour l'exercice 2017.
Il a été démontré ci-dessus que les identités des responsables d'approvisionnement des clients ne constituent pas des informations confidentielles dès lors que lesdits clients les indiquent eux-mêmes à leurs fournisseurs.
Sur la chute de son chiffre d'affaires, NORSILK produit une étude portefeuille clients de B DOAT de septembre à décembre 2016 comparé à celui de Mme [Z] de septembre à décembre 2015. Cette pièce est établie par NORSILK elle-même sans visa d'une quelconque autorité de contrôle. Il en résulte que sur cette période, ce portefeuille a perdu 27 clients et en a gagné 24. Il apparaît que sur les clients gagnés, certains figurent sur la liste de responsables d'approvisionnement transmise par Mme [Z] à ISB.
Il est établi que ISB et NORSILK fournissent les mêmes clients depuis 2013 pour GEDIMAT, 2014 pour BATILAND et 2015 pour POINT P, et que le chiffre d'affaire d'ISB connaît une progression rapide alors que celui de NORSILK diminue sur la période 2013 à 2017, indépendamment du changement d'employeur de Mme [Z] dont la part dans le chiffre d'affaire de NORSILK était inférieur à 2 %.
Il est en outre établi que la cession de METSA WOOD devenue NORSILK à MUTARES a entraîné une désorganisation ayant pour conséquence une perte de confiance des clients qui justifie de la chute du chiffre d'affaire.
Ainsi le lien de causalité entre le départ de Mme [Z] la disparition de la clientèle et la chute du chiffre d'affaires n'est pas établie.
Enfin, la société NORSILK ne produit pas d'éléments comptables certifiés établissant le préjudice qu'elle invoque, en particulier sur les produits bois rabotés et les clients dont Mme [Z] avait la charge pour le Sud-Ouest, étant relevé que NORSILK communique concernant la période sur une progression de son chiffre d'affaire global.
Au vu de ces éléments en l'absence de preuve d'une faute et d'un lien de causalité, il n'est pas nécessaire d'ordonner une expertise sur le préjudice, et la demande de la société NORSILK ne peut prospérer sur le fondement du détournement de clientèle.
Le jugement est confirmé sur ce point.
4- Sur la demande reconventionnelle en dommages intérêts :
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi avec intention de nuire, légèreté blâmable ou a commis une erreur équipollente au dol, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; il semble plutôt que le litige s'inscrit dans un domaine de concurrence très vive ; la demande de la société ISB FRANCE en dommages et intérêts pour procédure abusive doit, dès lors, être rejetée.
5- Sur les demandes accessoires :
La société NORSILK succombe, elle supporte les dépens d'appel augmentés d'une somme de 10.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La distraction des dépens toujours prévue par l'article 699 du code de procédure civile n'a plus d'objet du fait de la suppression de tout tarif pour l'avocat le 8 août 2015 en première instance et le 1er janvier 2012 devant la cour.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant,
Déboute la société ISB FRANCE de sa demande en dommages intérêts.
Condamne la société NORSILK à payer à la société ISB FRANCE la somme de 10.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société NORSILK aux entiers dépens d'appel.