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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 1 juin 2022, n° 20/03324

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

L’Eclipse (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

M. Mellet, Mme Deguette

TJ d'Evreux du 29 sept. 2020

29 septembre 2020

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte authentique du 20 juin 1998, Mme Marie-Thérèse B.-R. a donné à bail à la Sarl Les Bibans des locaux commerciaux situés [...], à usage de restaurant dansant, vente à emporter, spécialités, pour neuf ans à compter du 20 juin 1998.

Le 13 juin 2000, la Sarl Les Bibans a cédé le fonds de commerce à la Sarl La Romantica, dont les parts sociales étaient réparties par moitié entre M. Frédéric W. et M. Dahmane G., gérant.

Par jugement du 23 novembre 2006, le tribunal de commerce d'Evreux a entériné le plan de redressement par voie de continuation de la Sarl La Romantica, placée en redressement judiciaire le 1er décembre 2005. La Scp G.-D., mandataires judiciaires, a été nommée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Le 24 janvier 2008, la commission de sécurité, après une visite des locaux le 13 décembre 2007, a émis un avis défavorable à la poursuite d'exploitation avec la condition de faire établir dans les deux mois un diagnostic sécurité.

Par jugement du 31 janvier 2008, le tribunal de commerce d'Evreux a prononcé la résolution du plan de redressement judiciaire de la Sarl Romantica, ouvert une procédure de liquidation judiciaire, autorisé la poursuite de l'activité pour deux mois et désigné la Scp G.-D. représentée par Me Jean-Claude G. en qualité de liquidateur.

Suivant courrier adressé le 27 mars 2008 à Me D., M. Frédéric W., dont la Sarl Mos Clôture et Maçonnerie partageait ses locaux avec la Sarl La Romantica, a proposé d'acheter le fonds de commerce de celle-ci au prix de 30 000 euros.

Par acte authentique des 31 octobre et 5 novembre 2008, Me Jean-Claude G. ès qualités a cédé à la Sarl L'Eclipse, représentée par son associé unique et gérant

M. Frédéric W., les éléments subsistants du fonds de commerce. Un prix de 28 800 euros a été réglé.

Suivant acte authentique des 17 et 25 juin 2009, Mme Marie-Thérèse B.-R. et la Sarl L'Eclipse ont résilié le bail du 20 juin 1998 et ont convenu d'un bail commercial pour neuf ans à compter du 12 juin 2009.

Le 13 décembre 2012, la commission de sécurité, qui a effectué une visite le 31 octobre 2012, a émis un avis défavorable, pour risque avéré, à la poursuite de l'exploitation de l'établissement de la Sarl l'Eclipse en raison de sa non-conformité aux règles de prévention en matière d'incendie et de panique.

Par jugement du 30 janvier 2014, le tribunal de commerce d'Evreux a clôturé la procédure de liquidation judiciaire de la Sarl La Romantica pour insuffisance d'actif.

Suivant arrêté du 12 janvier 2017, le maire de Louviers a ordonné la fermeture administrative de l'établissement L'Eclipse à compter du 16 janvier 2017.

Par actes d'huissier de justice du 12 décembre 2017, la Sarl L'Eclipse a fait assigner la Scp D.Z. venant aux droits de la Scp G.-D. et Mme Marie-Thérèse B.-R. devant le tribunal de grande instance d'Evreux en indemnisation de ses préjudices et en remboursement par sa bailleresse des loyers indûment reçus.

Le 19 avril 2018, Mme Marie-Thérèse B.-R. a fait délivrer à la Sarl L'Eclipse un commandement de payer visant la clause résolutoire en raison de loyers et de charges impayés d'un montant de 46 068,82 euros au 31 mars 2018.

Par jugement du 29 septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a :

- déclaré irrecevable l'action de la Sarl à associé unique L'Eclipse, enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le numéro 508 538 485, à l'égard de Mme Marie-Thérèse B.-R.,

- débouté la Sarl à associé unique L'Eclipse de ses demandes à l'égard de la Scp D.-Z.,

- constaté le jeu de la clause résolutoire au 19 mai 2018 et la résiliation du bail à compter de cette date aux torts de la Sarl L'Eclipse,

- condamné la Sarl à associé unique L'Eclipse, enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le numéro 508 538 485, à payer la somme de 51 582,33 euros à Mme Marie-Thérèse B.-R.,

- condamné la Sarl à associé unique L'Eclipse, enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le numéro 508 538 485, à payer la somme de 2 500 euros à Mme Marie-Thérèse B.-R.,

- condamné la Sarl à associé unique L'Eclipse, enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le numéro 508 538 485, à payer la somme de 2 500 euros à la Scp D.-Z.,

- condamné la Sarl à associé unique L'Eclipse, enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le numéro 508 538 485, à payer les dépens, avec recouvrement direct au profit de Me B. en vertu de l'article 699 du code de procédure civile,

- débouté l'ensemble des parties du surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 20 octobre 2020, la Sarl L'Eclipse a formé un appel contre ce jugement.

EXPOSÉ DES MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 15 janvier 2021, la Sarl L'Eclipse demande de voir en application des articles 1240, 1112-1 et 1719 du code civil :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire et juger à titre principal que la Scp D.Z. a engagé sa responsabilité délictuelle et, à titre subsidiaire, sa responsabilité contractuelle à son égard,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire et déclarer recevable son action à l'encontre de Mme Marie-Thérèse B.-R.,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire, juger que Mme Marie-Thérèse B.-R. a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard et débouter celle-ci de sa demande reconventionnelle,

En conséquence :

- condamner la Scp D.Z. et Mme Marie-Thérèse B.-R. in solidum à lui verser la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

- condamner Mme Marie-Thérèse B.-R., en sa qualité de bailleur, à lui verser la somme de 141 114,42 euros correspondant aux loyers indûment payés et ordonner la suspension du paiement des loyers jusqu'à la délivrance d'un bien conforme,

- condamner la Scp D.Z. et Mme Marie-Thérèse B.-R. in solidum à lui verser la somme de 55 200 euros, en denier et quittance, en réparation de la perte d'exploitation liée à la faute du bailleur et du mandataire judiciaire, et à titre subsidiaire, désigner un expert aux fins d'évaluation de ce préjudice,

En tout état de cause :

- débouter les défendeurs de leurs demandes,

- condamner respectivement la Scp D.Z. et Mme Marie-Thérèse B.-R. à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laisser les entiers dépens à la charge des défendeurs.

Elle reproche à la Scp D.Z. de ne pas l'avoir informée au moment de la cession du fonds de commerce de la Sarl La Romantica le 31 octobre 2008 de l'avis défavorable de la commission de sécurité du 24 janvir 2008. Elle estime que ce manquement est directement à l'origine de la perte d'exploitation qu'elle a subie depuis la fermeture administrative de son établissement le 16 janvier 2017 et d'un préjudice financier pour la remise aux normes de celui-ci.

Elle soutient que son action contre Mme Marie-Thérèse B.-R. n'est pas prescrite. Elle lui fait grief d'avoir manqué à son obligation de délivrance conforme du local à son usage commercial en violation de l'article 1719 du code civil. Elle précise que Mme Marie-Thérèse B.-R. ne peut pas s'exonérer de cette obligation par la clause selon laquelle le preneur prend les lieux en l'état, que ce manquement justifie l'exception d'inexécution de l'obligation de payer ses loyers. Elle lui reproche aussi de ne pas l'avoir informée de l'avis défavorable de la commission de sécurité du 24 janvier 2008 et de ne pas avoir fait réaliser, avant la cession du fonds de commerce, les travaux exigés par la commission de sécurité.

Par dernières conclusions notifiées le 12 avril 2021, la Scp D.Z. sollicite de voir en vertu des articles 122 et 146 du code de procédure civile, 1240, 2222 et 2224 du code civil :

- dire et juger la Sarl L'Eclipse irrecevable en ses demandes contractuelles à son encontre et comme prescrite en ses actions et demandes,

- subsidiairement, débouter celle-ci de ses demandes,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la Sarl L'Eclipse à son égard et condamné celle-ci à lui payer la somme de

2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- y ajoutant, au titre des frais irrépétibles et dépens d'appel, condamner la Sarl L'Eclipse à lui payer 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens, avec application de l'article 699 du même code au profit de Me Yannick E., membre de la Selarl Yannick E. Christian H. Grégoire L., avocat.

Elle avance qu'elle n'était pas informée de la visite de l'établissement par la commission de sécurité le 13 décembre 2007, ni de l'avis défavorable émis par cette dernière le 24 janvier 2008, qu'elle n'a pas été destinataire du courrier recommandé du 5 février 2008 qui en a informé la Sarl La Romantica, que la Sarl L'Eclipse n'en produit pas l'accusé de réception. Elle ajoute que les termes de l'acte de cession du fonds de commerce ne peuvent pas lui être opposés et sont inexacts ; que M. Frédéric W. avait une connaissance très précise de la situation et de la nécessité de réaliser d'importants travaux, notamment de remise aux normes, pour pouvoir exploiter et qui ont justifié la faiblesse du prix ; que la fermeture administrative de l'établissement résulte exclusivement de la carence de la Sarl L'Eclipse qui a réalisé des travaux non conformes aux normes de sécurité et sans autorisation administrative et s'est abstenue de réaliser les travaux préconisés par la commission de sécurité en 2012. Elle précise enfin que la demande de dommages et intérêts de 35 000 euros revient à revendiquer la gratuité du fonds de commerce et que les résultats comptables de la Sarl L'Eclipse ont toujours été déficitaires.

Par dernières conclusions notifiées le 7 février 2022, Mme Marie-Thérèse B.-R. sollicite de voir, en application des articles 561 et suivants du code de procédure civile, 1713 et suivants, 2224, du code civil, et L.145-60 du code de commerce :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la Sarl L'Eclipse à son égard et constaté le jeu de la clause résolutoire au 19 mai 2018 et la résiliation du bail à compter de cette date aux torts de la Sarl L'Eclipse,

Pour le surplus,

- réformer le jugement du tribunal judiciaire d'Evreux du 29 septembre 2020 en ce qu'il limite la condamnation de la Sarl L'Eclipse à lui payer la somme de

51 582,33 euros,

Statuant à nouveau,

- condamner la Sarl L'Eclipse à lui verser une somme de 66 747,90 euros TTC au titre des arriérés de loyers, outre la somme de 9 763 euros à titre de remboursement de la taxe foncière,

- condamner la Sarl L'Eclipse à lui verser, en sus de celle octroyée en première instance, une somme de 3 500 euros en couverture d'une partie de ses frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit au recouvrement direct au profit de la Scp S.D.M., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'action de la Sarl L'Eclipse est prescrite. Elle conteste tout manquement à son obligation de délivrance conforme, le local commercial loué ayant pu être normalement exploité au moins de 2013 à 2016. Elle soutient que la fermeture de l'établissement est liée à la seule carence du preneur lequel a réalisé des travaux, postérieurement à l'entrée dans les lieux, sans la moindre autorisation, ce qui a motivé l'avis défavorable de la commission de sécurité du 13 décembre 2012, qu'à titre très subsidiaire, le remboursement des loyers constituerait un enrichissement sans cause et les préjudices réclamés ne sont pas fondés.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 février 2022.

MOTIFS

Sur la mise en cause de la responsabilité de la Scp D.Z.

- Sur sa recevabilité

La Scp D.Z. soulève l'irrecevabilité de cette action aux motifs que la Sarl L'Eclipse, qui est en mesure de produire les pièces ayant trait à l'avis défavorable de la commission de sécurité du 24 janvier 2008, et dont le gérant était également l'un des deux associés de la Sarl La Romantica, en était informée dès cette époque, que tout au moins elle l'a été depuis la date de cession du fonds de commerce et au plus tard lors de la visite de la commission de sécurité le 31 octobre 2012.

La Sarl L'Eclipse ne réplique pas à cette fin de non-recevoir.

L'article 2224 du code civil précise que la prescription des actions mobilières se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, un exemplaire du procès-verbal de la commission de sécurité ayant visité l'établissement le 13 décembre 2007 a été adressé à la Sarl La Romantica par lettre recommandée avec avis de réception du 6 février 2008 selon cachet postal.

L'avis de réception n'est pas versé aux débats. Aucun autre élément n'est produit pour établir que M. W., associé de la Sarl La Romantica et exploitant un local voisin à la même adresse, a réceptionné ce courrier et en a pris connaissance.

Par ailleurs, l'acte de cession du fonds de commerce des 31 octobre et 5 novembre 2008 ne fait aucune allusion à l'avis défavorable de la commission de sécurité du 24 janvier 2008.

La Sarl L'Eclipse a eu connaissance de l'existence de cet avis uniquement à la lecture du rapport de visite de la commission de sécurité du 31 octobre 2012 dont elle a été destinataire par le biais d'un courrier du maire de Louviers daté du 28 décembre 2012. C'est à cette date qu'elle a pu estimer avoir subi un dommage du fait de l'absence d'information sur ce premier avis défavorable de la commission de sécurité. La Scp D.Z. ne peut pas affirmer sans preuve que, par le biais de son gérant M. W., la Sarl L'Eclipse a eu connaissance de ce renseignement lors de la visite de la commission de sécurité le 31 octobre 2012.

Le délai de prescription quinquennal a donc commencé à courir à compter du 28 décembre 2012 et a été valablement interrompu par l'assignation délivrée par la Sarl L'Eclipse à la Scp D.Z. le 12 décembre 2017. Cette action est recevable.

- Sur son bien-fondé

La Sarl L'Eclipse invoque à titre principal la responsabilité délictuelle de la Scp D.Z., liquidateur judiciaire, pour manquement, dans le cadre de la cession du fonds de commerce, à son obligation de renseignement et de conseil sur l'existence de l'avis défavorable émis par la commission de sécurité le 24 janvier 2008.

En application de l'ancien article 1382 du code civil en vigueur au jour de l'assignation, il appartient à l'appelante de rapporter la preuve d'une faute du mandataire du cédant, du préjudice qu'elle allègue et du lien de causalité entre cette faute et son préjudice.

En l'espèce, aux dates de la visite des locaux par la commission de sécurité le 13 décembre 2007, de l'établissement, de son avis défavorable le 24 janvier 2008 et de la notification de cet avis à la Sarl La Romantica le 6 février 2008, la Scp D.Z. exerçait les fonctions de commissaire à l'exécution du plan de redressement par voie de continuation entériné le 23 novembre 2006. M. G. était toujours le gérant de la Sarl La Romantica. Il a été maintenu en fonction par le tribunal de commerce jusqu'au 31 mars 2008.

Aucun élément ne prouve que la Scp D.Z. a eu connaissance de cette visite et de cet avis de la commission de sécurité, et/ou de difficultés quant à la sécurité des locaux, soit directement, soit indirectement par le biais de M. G.. Le courrier du 6 février 2008 a été libellé à l'enseigne de la Sarl La Romantica.

Néanmoins, à la page 18 de l'acte de cession du fonds de commerce, a été insérée la clause suivante relative à l'hygiène et la sécurité : 'Le CEDANT déclare :

- Que les normes d'hygiène et de sécurité du fonds de commerce sont en conformité avec les prescriptions légales,

- Que les lieux où est exploité le fonds de commerce n'ont pas fait l'objet d'une visite de contrôle par la commission de sécurité créée par le décret sus-indiqué et qu'il n'a reçu aucune injonction quelconque d'avoir à faire des travaux.

Toutefois, LE CESSIONNAIRE fera son affaire personnelle de la mise aux normes desdits locaux, sachant qu'à ce jour, aucune visite n'est intervenue et qu'une mise aux normes des services sanitaires peut être exigée, nonobstant toute fermeture dudit local.'.

À la page 17, au titre de ses obligations générales, le cédant a déclaré 'n'avoir fait l'objet d'aucune injonction administrative et notamment aux réglementations d'hygiène et de sécurité.'.

Même si l'obligation d'information pesant sur le liquidateur judiciaire est une obligation de moyens, celui-ci était tenu de vérifier la réalité de l'information qu'il donnait au cessionnaire de manière aussi affirmative sur l'absence d'une visite de l'établissement par la commission de sécurité. Il lui incombait, avant la cession, de se renseigner sur l'état du fonds de commerce en interrogeant les services compétents et/ou le gérant pour s'assurer que celui-ci n'avait pas fait l'objet d'une telle visite de contrôle.

Cette imprudence est fautive.

La Sarl L'Eclipse précise qu'elle a subi une perte d'activité de 55 200 euros représentant son chiffre d'affaires pour un an, ainsi qu'un préjudice financier s'élevant à 35 000 euros pour la remise aux normes de son établissement, tous deux causés par la fermeture administrative de celui-ci le 16 janvier 2017 laquelle est directement liée au manquement de la Scp D.Z., que la nécessité d'effectuer les travaux de remise aux normes découle de l'avis de la commission de sécurité du 24 janvier 2008 dont elle n'a pas eu connaissance.

Toutefois, comme l'a exactement relevé le premier juge, l'arrêté du 12 janvier 2017 par lequel a été prononcée la fermeture administrative de l'établissement à compter du 16 janvier 2017, soit neuf ans après l'avis défavorable du 24 janvier 2008, ne vise aucunement celui-ci. Cette mesure a été motivée par les éléments négatifs suivants :

- l'avis défavorable à la poursuite de l'exploitation pour risque avéré du 13 décembre 2012 à la suite de la visite de la commission de sécurité le 31 octobre 2012,

- l'avis défavorable à la levée des réserves et à la levée de l'avis défavorable émis par la commission de sécurité le 26 mai 2016,

- le refus de l'autorisation de travaux sollicitée émis par le maire de Louviers dans un courrier daté du 10 juin 2016,

- le caractère insuffisant de la réponse apportée par M. W. à la lettre de mise en demeure avant fermeture qui lui a été remise le 29 juillet 2016,

- les constatations de non-conformité contenues dans le rapport de vérification réglementaire établi par l'Apave le 23 septembre 2016,

- l'absence d'échéancier pour la réalisation des travaux nécessaires.

A partir du 28 décembre 2012 lorsque la Sarl L'Eclipse a eu connaissance de l'avis défavorable du 24 janvier 2008, elle n'a pas entrepris tous les travaux adéquats. Elle a procédé au remplacement des extincteurs et à la remise aux normes électriques en septembre 2016 et n'a fait chiffrer les autres travaux nécessaires que courant novembre 2016, soit plus de trois ans et demi après.

De plus, la commission de sécurité avait relevé le 31 octobre 2012 que, depuis son rachat en 2008, l'intérieur du bâtiment avait fait l'objet d'un nouvel aménagement par le nouveau propriétaire, sans autorisation du maire et sans avis préalable de la commission de sécurité.

En dépit des avertissements du maire de Louviers qui lui ont été adressés entre le 1er septembre 2014 et le 29 juillet 2016, de l'entrevue avec M. W. le 23 juin 2016 et de plusieurs contacts téléphoniques avec le service technique, la Sarl L'Eclipse n'a pas, en connaissance de cause du risque de fermeture de son établissement, régularisé la situation administrative de celui-ci par le dépôt auprès des services de la mairie d'un dossier de sécurité et par la réalisation d'un rapport de vérification réglementaire par un organisme agréé par le ministre de l'intérieur.

La faute commise par la Scp D.Z. n'est donc pas à l'origine de la fermeture administrative de l'établissement exploité par la Sarl L'Eclipse.

Ensuite, cette dernière ne peut pas réclamer le montant des travaux de remise aux normes. Même dans l'hypothèse où elle aurait eu connaissance de l'avis défavorable de la commission de sécurité du 24 janvier 2008, la charge finale de ces travaux pesait sur elle comme prévu par le contrat de cession.

Elle ne peut pas davantage solliciter l'indemnisation d'une perte d'exploitation liée à la fermeture de son établissement. D'une part, elle ne prouve pas ce dommage par des éléments objectifs comptables. D'autre part, jusqu'au 16 janvier 2017, elle a exercé son activité sans avoir fait réaliser les travaux de remise aux normes nécessaires et estimés à plus de 37 000 euros aux termes des devis qu'elle produit. Les résultats déficitaires qu'elle a réalisés pour les exercices 2013 (- 16 756,43 euros) et 2014 (- 6612,51 euros), au vu de son bilan comptable simplifié qu'elle verse uniquement pour ces deux exercices, n'ont donc pas pu être générés par cette prétendue dépense qu'elle n'a pas faite.

Enfin, elle n'est pas fondée à obtenir la réparation d'une perte de chance de ne pas avoir conclu le contrat de cession du fonds de commerce avec la Sarl Romantica ou de l'avoir conclu à un prix moindre. Elle n'en établit pas le caractère certain. Dans sa proposition d'achat de 30 000 euros faite à Me D. par courrier du 27 mars 2008, M. W. prenait en compte la dégradation de l'activité du restaurant et de l'entretien des bâtiments, la nécessité d''un investissement conséquent notamment dans la remise aux normes de la cuisine et le renouvellement du matériel, la sécurité (issues de secours), le remplacement des ouvertures, le chauffage, la toiture, l'isolation, l'assainissement ...'. Il n'est pas démontré que la minoration du prix final de 28 800 euros, déjà égale à plus de 50 % du prix auquel la Sarl La Romantica avait acquis ce fonds de commerce le 13 juin 2000 à hauteur de 76 224,51 euros

(500 000 francs), aurait été encore plus importante.

La preuve du dommage et du lien de causalité entre celui-ci et la faute n'étant pas apportée, les réclamations présentées contre la Scp D.Z. seront rejetées. Le jugement du tribunal sera confirmé en ce qu'il a statué en ce sens. Les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l'intimée n'étant pas réunies, la demande subsidiaire de réalisation d'une expertise judiciaire pour déterminer le montant du préjudice prétendument lié à une perte d'exploitation ne doit pas être examinée.

A titre subsidiaire, la Sarl L'Eclipse met en cause la responsabilité contractuelle de la Scp D.Z., mandataire de la Sarl La Romantica, pour non-respect de son devoir d'information découlant des termes de l'acte de cession.

Cependant, aucun lien contractuel ne lie la Scp D.Z., agissant ès qualités de liquidateur judiciaire du cédant, et la Sarl L'Eclipse. En outre, celle-ci a conclu le contrat de cession uniquement avec la Sarl La Romantica qu'elle n'a pas mis en cause. Seul le fondement de la responsabilité extracontractuelle de la Scp D.Z. est applicable.

Le jugement du tribunal ayant rejeté le fondement contractuel de cette action sera donc confirmé.

Sur la mise en cause de la responsabilité de Mme B.-R.

- Sur sa recevabilité

Mme B.-R. oppose la prescription biennale de l'action formée contre elle et qui a commencé à courir dès le 13 décembre 2007, date de la visite de la commission de sécurité dont la Sarl La Romantica a nécessairement eu connaissance. Elle ajoute en tout état de cause que le délai de prescription a couru à compter de la signature du bail le 25 juin 2009, date à laquelle la Sarl L'Eclipse est devenue titulaire de l'action et a eu connaissance de l'état de l'immeuble par le biais de son gérant, associé de la Sarl La Romantica, gérant de la société Mos Clôture et Maçonnerie, et occupant de l'habitation des 1er et 2ème étages. Elle précise qu'au plus tard le délai a couru à compter du 10 décembre 2012, date à laquelle la Sarl L'Eclipse a été invitée par le maire de Louviers à régulariser sa situation.

La Sarl L'Eclipse répond que la prescription quinquennale de droit commun est seule applicable et que son point de départ ne peut être fixé qu'à la date de sa connaissance de la non-conformité.

L'article L.145-60 du code de commerce prévoit que toutes les actions exercées en vertu du bail commercial se prescrivent par deux ans.

Or, en l'espèce, la Sarl L'Eclipse ne met pas en cause les manquements contractuels de sa bailleresse dans le cadre de l'application du statut des baux commerciaux, mais dans celui de son obligation de délivrance conforme du local commercial loué prévue par l'article 1719 du code civil. C'est donc le délai de cinq ans de la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil qui est applicable.

Contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, l'action de la Sarl L'Eclipse a commencé à courir, non pas à la date de la signature du bail commercial le 25 juin 2009, mais au jour où elle a eu connaissance de l'avis défavorable de la commission de sécurité émis le 24 janvier 2008, dès lors que celui-ci n'a pas été mentionné dans le bail commercial, ni porté à sa connaissance avant la réception du rapport de visite de la commission de sécurité du 31 octobre 2012 y faisant allusion.

Ayant eu cette information le 28 décembre 2012 et ayant assigné Mme B.-R. le 12 décembre 2017, soit avant le terme de la prescription le 28 décembre 2017, la Sarl L'Eclipse est recevable. Le jugement contraire sur ce point sera infirmé.

- Sur son bien-fondé

Selon l'article 1719 du code civil, le bailleur est notamment tenu de délivrer au preneur la chose louée.

Cette obligation de délivrance implique que soit mis à disposition du preneur un local conforme à sa destination commerciale.

En l'espèce, il est constant que la Sarl L'Eclipse a pu exploiter son établissement de restaurant dancing jusqu'à la prise d'effet de la décision de fermeture administrative le 16 janvier 2017, soit plus de sept ans et demi après la signature du bail.

Il ressort de l'acte de cession du fonds de commerce, à la page 8, qui reproduit les termes du droit au bail cédé à la Sarl L'Eclipse, qu''Il est expressément convenu entre le propriétaire et le locataire, que tous les travaux qui seraient imposés par quelque autorité que ce soit, pour mise en conformité des locaux avec de nouvelles règles d'hygiène, de salubrité ou de sécurité, seront à la charge du preneur.'.

Cette clause a été reprise dans les termes suivants, à la page 8 du bail commercial conclu en juin 2009 entre Mme B.-R. et la Sarl L'Eclipse : 'la charge de tous les travaux qui pourraient être nécessaires pour adapter les locaux loués ou les mettre en conformité avec la réglementation existante (notamment les 'travaux de sécurité') seront exclusivement supportés par le LOCATAIRE.'.

La Sarl L'Eclipse ne peut pas soutenir que cette clause ne lui serait opposable que pour les travaux exigés par l'administration postérieurement à la cession, alors même que son gérant était également associé de la Sarl La Romantica, précédent preneur, et qu'il occupait à titre d'habitation les 1er et 2ème étages et, en qualité de gérant de la société Mos Clôture et Maçonnerie, une partie de l'ensemble immobilier. Il appartenait à la Sarl La Romantica, et non pas à la bailleresse, d'effectuer les travaux adéquats conformément à ses obligations de preneur.

Par ailleurs, la Sarl L'Eclipse ne démontre pas qu'au jour de la conclusion du bail en juin 2009, Mme B.-R. avait connaissance de l'avis défavorable de la commission de sécurité du 24 janvier 2008.

De plus, pour les motifs explicités dans les développements précédents, cet avis défavorable n'a pas conduit à la fermeture administrative de l'établissement, laquelle est intervenue en raison des carences de la Sarl L'Eclipse dans la réalisation des travaux de remise aux normes lui incombant et dans la régularisation de la situation administrative de l'établissement.

En conséquence, les manquements contractuels reprochés à sa bailleresse ne sont pas caractérisés. La Sarl L'Eclipse, dont le moyen fondé sur l'exception d'inexécution a été écarté, sera déboutée de toutes ses demandes présentées contre elle.

Sur les demandes de Mme B.-R.

Aucun autre moyen que l'exception d'inexécution n'est avancé par la Sarl L'Eclipse pour s'opposer à la demande de confirmation du jugement en ce qu'il a constaté le jeu de la clause résolutoire au 19 mai 2018 et la résiliation du bail à compter de ladite date aux torts de la Sarl L'Eclipse, et en ce qu'il l'a condamnée à payer les arriérés de loyers et de charges. Ces dispositions seront donc confirmées.

Mme B.-R. sollicite la majoration à 76 510,90 euros du montant retenu par le tribunal à hauteur de 51 582,33 euros au titre des arriérés de loyers et de taxes foncières et du coût du commandement de payer du 19 avril 2018.

Toutefois, le décompte qu'elle produit ne correspond pas à la somme qu'elle réclame. Il précise le calcul du montant total des loyers et charges impayés au 31 mars 2018 visé dans le commandement de payer à hauteur de 46 068,82 euros. Il n'a pas été actualisé alors que le tribunal avait souligné dans ses motifs le manque d'explication de Mme B.-R. sur le montant qu'elle réclamait.

En conséquence, sera retenu le montant de 46 068,82 euros qui inclut les loyers impayés du 1er février 2017 au 31 mars 2018 et la taxe foncière 2017, auquel s'ajoute le montant de la taxe foncière pour 2018 de 5 204 euros. Ces montants ne sont pas discutés par la Sarl L'Eclipse.

Le coût du commandement de payer de 309,51 euros, qui constitue des dépens au sens de l'article 695 du code de procédure civile, ne sera pas inclus dans ce montant.

Au total, la Sarl L'Eclipse sera condamnée à payer à Mme B.-R. la somme de 51 272,82 euros. Le montant arrêté par le tribunal à hauteur de 51 582,33 euros sera infirmé.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Les dispositions du jugement sur les dépens, sauf à préciser que le coût du commandement de payer de 309,51 euros y sera inclus, et sur les frais irrépétibles, seront confirmées.

Partie perdante, la Sarl L'Eclipse sera condamnée aux entiers dépens d'appel, avec bénéfice de distraction au profit des avocats qui en font la demande.

Il n'est pas inéquitable de la condamner également à payer à chacune des intimés la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés pour cette procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

Déclare recevable l'action de la Sarl L'Eclipse formée contre la Scp D.Z.,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable l'action de la Sarl L'Eclipse contre Mme Marie-Thérèse B.-R.,

- condamné la Sarl L'Eclipse à payer à Mme Marie-Thérèse B.-R. la somme de 51 582,33 euros,

Statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable l'action de la Sarl L'Eclipse formée contre Mme Marie-Thérèse B.-R.,

Déboute la Sarl L'Eclipse de toutes ses demandes présentées contre Mme Marie-Thérèse B.-R.,

Condamne la Sarl L'Eclipse à payer à Mme Marie-Thérèse B.-R. la somme totale de 51 272,82 euros au titre des loyers et charges impayés au 31 mars 2018 et de la taxe foncière pour 2018,

Condamne la Sarl L'Eclipse à payer à Mme Marie-Thérèse B.-R. d'une part, la Scp D.Z. d'autre part, à chacune la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que le coût du commandement de payer délivré le 19 avril 2018 de 309,51 euros est inclus dans les dépens de première instance,

Condamne la Sarl L'Eclipse aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Yannick E. et de la Scp S. D. M., avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.