CA Poitiers, 1re ch., 9 décembre 2023, n° 23/01544
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bayer Health Care (SAS)
Défendeur :
Mutuelle d'Assurances des Professionnels, MACSF (SA), Viatris Santé (SAS), Sandoz (SAS), Mutuelle MGEN
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monge
Conseillers :
Mme Verrier, M. Orsini
Avocats :
Me Clerc, Me Robert, Me Guillon, Me Renner
EXPOSÉ :
[U] [Z] s'est vu diagnostiquer en 2013 de multiples méningiomes, dont le plus gros lui a été retiré par exérèse lors d'une intervention chirurgicale pratiquée le 14 novembre 2013, qu'elle a suspectés d'avoir pour cause le médicament 'Androcur' ou ses génériques qu'elle prenait sur prescription médicale à raison de 50 mg par jour depuis 1991.
Faisant valoir qu'elle n'avait été informée de ces risques entre 2008 et 2013 ni par son médecin traitant le docteur [N] [T], ni par son pharmacien le docteur [R], ni par le laboratoire pharmaceutique Bayer qui fabriquait le médicament, ni par les autorités de santé, alors qu'une étude parue dans la presse spécialisée avait mis en lumière dès 2008 le risque accru de développer des méningiomes lié à la prise de ce médicament, Mme [Z] a fait assigner par actes des 12, 14, 18, 19 et 26 juin 2019 devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Poitiers la SAS Bayer, la SAS Bayer HealthCare, M. [T], M. [R], l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), le Ministre des Solidarités et de la Santé, la Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale (MGEN) et la Caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne (CPAM 86), afin de voir ordonner une expertise médicale sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile en suggérant de désigner pour y procéder le docteur [V] [M], neurochirurgien inscrit sur la liste des experts agréés par la cour d'appel de Paris.
Par ordonnance réputée contradictoire du 31 juillet 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Poitiers a dit n'y avoir lieu à référé du chef de la prescription invoquée par Bayer HealthCare; ordonné une expertise aux frais avancés de Mme [Z] et désigné pour y procéder un collège d'experts composé d'un neurochirurgien en la personne du docteur [M], d'un pharmacologue et d'un endocrinologue ; rejeté la demande de mise hors de cause de la SAS Bayer ; et laissé provisoirement les dépens et frais irrépétibles à la charge de ceux qui les avaient exposés.
Cette ordonnance a été confirmée en toutes ses dispositions par la cour d'appel de Poitiers dans un arrêt du 16 juin 2020 qui a fait l'objet de la part de la société Bayer d'un pourvoi en cassation qui a été rejeté le 10 novembre 2021.
Les experts ont déposé le 19 avril 2021 leur rapport en date du 15 avril 2021, concluant à l'absence de consolidation de l'état de Mme [Z].
Ce rapport énonçait que Mme [Z] se serait vu délivrer la spécialité princeps Androcur commercialisée par Bayer entre octobre 1991 et novembre 2004, puis de décembre 2004 à l'année 2013 des spécialités génériques.
Le 19 avril 2021, Mme [Z] saisissait le juge des référés pour que les opérations d'expertise soient étendues aux sociétés Viatris Santé (anciennement Mylan) et Sandoz.
Par ordonnance du 16 novembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire ordonnait l'extension des opérations auxdites sociétés.
Sur appel de la société Sandoz, la cour de céans a, par arrêt du 12 juillet 2022, infirmé cette ordonnance au motif que les opérations d'expertise judiciaire que [U] [Z] demandait à voir étendre aux sociétés Mylan et Sandoz étant closes depuis le jour même de son assignation, l'extension sollicitée n'était plus possible.
Par actes des 24 et 31 mai et 3 juin 2022, Mme [Z] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Poitiers la SAS Bayer HealthCare, la SAS Viatris (anciennement Mylan), la SAS Sandoz, M. [T], la MACSF, M. [R], la MADP, la CPAM 86 et la MGEN aux fins, notamment, statuant sur le fondement de la responsabilité de droit commun (article 1240 du code civil) et des droits subjectifs résultant du respect dû à la personne humaine (articles 16 et 16-3 du code civil)
* de voir juger qu'elle a subi un préjudice pour défaut d'information, préjudice moral distinct des atteintes corporelles
* de voir juger qu'indépendamment de la perte de chance d'arrêter le traitement de confort ou de bénéficier d'un suivi permettant de déceler plus tôt l'existence ou pas des méningiomes, le manquement des défendeurs à leur obligation d'informer Mme [Z] des risques courus ouvre pour elle, lorsque le risque se réalise, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'elle a pu subir du fait qu'elle n'était pas préparée à cette éventualité
* de voir juger qu'elle a perdu une chance de ne pas pouvoir arrêter son traitement de confort ou de réaliser les examens qui lui auraient permis de déceler plus tôt l'existence ou pas des méningiomes
* de voir juger que le défaut d'information à l'origine de la perte de chance donnera lieu à la réparation intégrale des préjudices corporels subis par Mme [Z] dès lors que le risque s'est réalisé
*de voir juger que les laboratoires ont manqué à leur obligation d'information à son égard
-en ne fournissant pas une notice présentant les effets indésirables graves, invalidants, irréversibles dès 2006
-en n'informant pas les consommateurs du médicament par un étiquetage approprié sur les modifications de la notice qui sont passées inaperçues
-en restant taisants jusqu'en 2019 sur les effets secondaires connus et en n'usant pas des moyens de communications permis par les textes en vigueur, ce qui constitue une abstention fautive aux conséquences particulièrement graves
* de voir juger que le docteur [T], son médecin traitant, a commis une faute en ne l'informant pas des effets secondaires nouveaux, connus, graves, invalidants et irréversibles du traitement qu'il lui prescrivait régulièrement
-que son pharmacien le docteur [R] a commis une faute en ne se mettant pas en relation avec le médecin traitant et en n'informant pas des risques connus particulièrement graves de la prise prolongée d'acétate de cyprotérone
En conséquence :
* de voir condamner la SAS Bayer HealthCare, la SAS Viatris (anciennement Mylan), la SAS Sandoz, M. [T], la MACSF, M. [R] et la MADP
- à lui verser 20.000 euros au titre du défaut d'information
-les sommes à venir étant pour le moment réservées dans l'attente du rapport d'expertise sur les préjudices définitifs après consolidation
* de voir condamner la SAS Bayer HealthCare, la SAS Viatris (anciennement Mylan), la SAS Sandoz, M. [T], la MACSF, M. [R] et la MADP à lui payer 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
* de voir condamner les mêmes aux dépens de la procédure au fond, incluant les dépens de référé de première instance y compris les frais d'expertise et les dépens de référé d'appel
* de juger que les responsabilités seront partagées à hauteur de
.70% solidairement entre les laboratoires
.15% pour le docteur [T] solidairement avec son assureur
.15% pour le docteur [R] solidairement avec son assureur.
Mme [Z] a saisi le juge de la mise en état le 24 octobre 2022 d'un incident visant
-d'une part, à voir ordonner sous astreinte la communication des PSUR des six années précédant l'année 2006
-d'autre part, d'ordonner une expertise médicale de sa personne aux frais de la société Bayer HealthCare avec désignation d'un collège composé du professeur [M] et des docteurs [L] et [O].
La société Bayer HealthCare a de son côté saisi le juge de la mise en état par conclusions du 20 décembre 2022 de conclusions d'incident tendant à voir déclarer irrecevable comme éteinte et prescrite au sens des articles 1245-15 et 1245-16 du code civil l'action de Mme [Z].
Elle s'est opposée à la demande de communication des PSUR, sollicitant subsidiairement que la mesure soit limitée aux PSUR de la spécialité pharmaceutique Androcur et pour les seules années 2000 à 2004.
Elle s'est opposée à la demande d'expertise médicale, sollicitant subsidiairement que la mission dévolue aux experts consiste aussi à lister les PSUR communicables aux parties et d'en établir une synthèse communicable, ainsi que de dire si pour chaque période concernée, le nombre de cas de pharmacovigilance rapportés était inférieur, égal ou supérieur au nombre de cas de méningiomes attendu dans la population générale féminine, et de dire si les cas rapportés en pharmacovigilance de chaque spécialité avant 2006 permettaient à eux-seuls d'établir un lien direct, certain et exclusif entre la prise prolongée d'acétate de cyprotérone et la survenue de méningiomes ; de rejeter toute astreinte ; de mettre les frais d'expertise à la charge de Mme [Z]; d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise complémentaire. Pour le cas où une condamnation serait prononcée à son encontre, elle a demandé que celle-ci soit assortie d'une garantie suffisante.
Par ordonnance en date du 15 juin 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Poitiers a
*rejeté les moyens de prescription opposés à l'action en responsabilité de Mme [Z]
*déclaré Mme [Z] recevable
* rejeté sa demande de communication de pièces
*ordonné aux frais avancés de Mme [Z] une expertise médicale qu'il a confiée à un collège d'experts composé du professeur [M] neurochirurgien, du docteur [L] pharmacologue et du docteur [O] endocrinologue, avec mission
-d'une part, de réunir tous éléments sur la question d'un éventuel lien de causalité entre la pathologie présentée par Mme [Z] et sa prise de traitement à base d'acétate de cyprotérone au titre de génériques hors le
traitement d'Androcur, ceci dans la suite du rapport déposé le 15 avril 2021, auquel les laboratoires Viatris (anciennement Mylan) et Sandoz, et leurs assureurs respectifs, n'avaient pas été parties
-d'autre part, au titre d'une mission post-consolidation de l'état de Mme [Z] : d'examiner celle-ci, de dire si son état est consolidé et dans l'affirmative de déterminer ses préjudices dans les termes usuels
* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
* dit que les dépens de l'incident suivraient le sort de ceux afférents au fond.
La société Bayer HealthCare a relevé appel de cette ordonnance le 30 juin 2023.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique
* le 25 juillet 2023 par la SAS Bayer HealthCare
* le 11 septembre 2023 par la SAS Sandoz
* le 25 août 2023 par la société Viatris Santé, anciennement dénommée Mylan
* le 23 août 2023 par [F] [T] et la société MACSF
* le 7 septembre 2023 par [K] [X] [R] et la MADP
* le 16 août 2023 par [U] [Z]
* les 3 et 8 août 2023 par la CPAM de la Vienne.
La SAS Bayer HealthCare demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté ses fins de non-recevoir, et statuant à nouveau
-de déclarer l'action de Mme [Z] engagée à son encontre irrecevable comme éteinte et prescrite au sens des articles 1245-15 et 1245-16 du code civil
- de débouter Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions
En tout état de cause :
-de débouter toute partie de toute demande formulée à son encontre sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
-et de condamner Mme [Z] aux dépens.
Elle fait valoir que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est un régime d'ordre public qui exclut l'application d'autres régimes de responsabilité.
Elle soutient qu'il est de jurisprudence assurée que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux issues de la directive du Conseil du 25 juillet 1985 et transposées dans les articles 1245-1 et suivants du code civil sont des règles que le juge doit appliquer nonobstant le fondement visé par la partie demanderesse, dès lors que l'action en responsabilité se fonde, même implicitement, sur un défaut du produit concerné.
Elle affirme que le juge de la mise en état ne pouvait considérer, au vu de la simple citation d'un arrêt rendu en 1958, à une époque où le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'existait pas, par la cour d'appel de Pau, retenant une faute délictuelle tirée d'un manquement à une obligation particulière d'alerte, que Mme [Z] invoquait un fait distinct de ce régime d'ordre public, comme tel susceptible par exception d'y échapper, alors que tout manquement relatif aux informations contenues dans les documents réglementaires tel qu'invoqué par la demanderesse relève de la présentation du produit et donc de la question de la défectuosité telle que régie par les articles 1245-1 et suivants.
Elle cite des jurisprudences ayant statué en ce sens.
Elle récuse tout grief d'avoir manqué à son devoir de mise en garde, en objectant que la législation interdit aux laboratoires de communiquer auprès des patients à propos d'un médicament soumis à prescription obligatoire, comme l'Androcur, et soutient qu'en tout état de cause, la question du respect d'une éventuelle obligation de mise en garde n'est susceptible d'être appréciée que par référence aux informations contenues dans les documents réglementaires accompagnant la mise sur le marché, et donc du régime de l'obligation d'information pesant sur le laboratoire, qui est celui des articles 1245-1 et suivants.
Faisant valoir que les experts judiciaires constatent que la dernière délivrance d'Androcur à Mme [Z] se situe en novembre 2004, la société Bayer HealthCare soutient au visa de l'article 1245-15 du code civil selon lequel la responsabilité du producteur est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage, que l'action de Mme [Z] est irrecevable, puisque le délai de forclusion, non susceptible de suspension ou d'interruption, était expiré lorsque celle-ci a introduit son action à son encontre le 14 juin 2019.
Elle soutient que l'action de Mme [Z] est également prescrite sur le fondement de l'article 1245-16 du code civil selon lequel l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, en affirmant que c'est en novembre 2013 que Mme [Z] a disposé de tous les éléments lui permettant d'agir, savoir l'identité du producteur, le défaut allégué du produit compte-tenu du rattachement fait par ses médecins à la prise d'acétate de cyprotérone, et son dommage, puisque l'exérèse de son méningiome a eu lieu le 14 novembre 2013.
La SAS Sandoz demande à la cour
À titre principal : d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa fin de non-recevoir fondée sur la forclusion de l'action engagée par Mme SANDOZ, de déclarer celle-ci forclose en son action et de la débouter de ses demandes, fins et conclusions.
À titre subsidiaire, d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande d'une nouvelle expertise complète et prononcé en complément de la mesure d'expertise post-consolidation une mesure d'expertise limitée au lien de causalité entre la prise des spécialités génériques de la spécialité Androcur et la survenue des méningiomes de Mme [Z], et statuant à nouveau
-de prononcer une nouvelle mesure d'expertise complète
-de lui donner acte de ses protestations et réserves
-de désigner un nouveau collège d'experts composé d'un neurologue, d'un pharmacologue et d'un endocrinologue avec une mission qu'elle détaille
-d'ordonner que l'expertise soit réalisée aux frais avancés par Mme [Z].
À titre très subsidiaire, si la cour confirmait l'ordonnance en ce qu'elle a prononcé une mesure d'expertise post-consolidation et une mesure d'expertise complémentaire limitée au lien de causalité entre la prise des spécialités génériques de la spécialité Androcur et la survenue des méningiomes de Mme [Z] de lui donner acte de ses protestations et réserves
En tout état de cause, de
-confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de communication de pièces présentée par Mme [Z]
-rejeter les demandes formulées contre elle sur le fondement de l'article700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le raisonnement du juge de la mise en état est doublement erroné,
-en ce qu'il retient que Mme [Z] fonde son action sur une violation d'une obligation d'alerte et de mise en garde distincte du défaut d'information
-et en ce qu'il écarte l'application de la responsabilité du fait des produits défectueux au profit du droit commun pour en déduire que l'action de Mme [Z] n'est pas forclose.
Elle fait valoir que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est d'ordre public ; qu'il est de jurisprudence assurée que ce régime exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut s'attendre à l'exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés ; qu'un défaut d'information tel qu'allégué par Mme [Z] ne peut être invoqué que dans le cadre de l'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux ; que le juge de la mise en état ne pouvait déduire de la simple citation par la demanderesse d'un arrêt rendu le 12 mars 1958 par la cour d'appel de Pau, à une époque où ce régime légal de responsabilité n'existait pas, qu'elle invoquait une faute distincte du défaut de sécurité du produit.
Elle soutient que l'action, telle qu'elle peut seule être engagée, est prescrite, car l'article 1245-15 du code civil dispose que la responsabilité du producteur est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage, et qu'en l'espèce, où il ressort du rapport d'expertise que la délivrance de l'acétate de cyprotérone 50 mg G-GAM fabriqué par la société Sandoz à Mme [Z] s'est étalée de décembre 2004 à juin 2006, alors que celle-ci n'a agi que par assignation du 14 juin 2019.
À titre subsidiaire, la société Sandoz demande à la cour au visa de l'article 6§ 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'ordonner une nouvelle expertise complète car les expertises telles qu'ordonnées par le juge de la mise en état ne lui permettent pas de faire valoir ses droits
La société Viatris Santé, anciennement dénommée Mylan, demande à la cour d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande d'une nouvelle expertise complète et prononcé en complément de la mesure d'expertise post-consolidation une mesure d'expertise limitée au lien de causalité entre la prise des spécialités génériques de la spécialité Androcur et la survenue des méningiomes de Mme [Z] et statuant à nouveau
-de prononcer une nouvelle mesure d'expertise complète
-de lui donner acte de ses protestations et réserves
-de désigner un nouveau collège d'experts composé d'un neurologue, d'un pharmacologue et d'un endocrinologue avec une mission qu'elle détaille
-d'ordonner que l'expertise soit réalisée aux frais avancés par Mme [Z].
À titre très subsidiaire, si la cour confirmait l'ordonnance en ce qu'elle a prononcé une mesure d'expertise post-consolidation et une mesure d'expertise complémentaire limitée au lien de causalité entre la prise des spécialités génériques de la spécialité Androcur et la survenue des méningiomes de Mme [Z], de lui donner acte de ses protestations et réserves
En tout état de cause, de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de communication de pièces présentée par Mme [Z].
Elle fait valoir que les modalités d'expertises ordonnées par le juge de la mise en état ne lui permettent pas de faire valoir ses droits, a fortiori dans un débat aussi technique, alors qu'elle se trouverait contrainte de faire des observations sur un rapport déjà déposé, et que la discussion ne se ferait à son entier contradictoire que sur la seule question du lien de causalité entre la prise d'acétate de cyprotérone et la survenue des méningiomes. Elle indique à titre d'exemple, qu'elle n'a pu vérifier les dates de délivrance telles qu'elles sont mentionnées dans le rapport déposé en avril 2021. Elle soutient que seule une nouvelle mission complète lui permettra d'assurer pleinement sa défense.
[F] [T] et la société MACSF déclarent s'en remettre à prudence de justice sur le mérite des demandes des sociétés Bayer HealthCare et Sandoz.
[K] [X] [R] et la MADP demandent à la cour de confirmer les dispositions de l'ordonnance du juge de la mise en état s'agissant de la mesure d'expertise ordonnée et de ses modalités, de la charge des frais d'expertise ainsi que des dépens et de l'application de l'article 700 du code de procédure civile ; de leur donner acte de leurs plus expresses réserves et protestations d'usage s'agissant de la mesure d'expertise sollicitée par Mme [Z] ; de prendre acte de ce qu'ils s'en remettent à prudence de justice s'agissant des autres demandes de la société Bayer HealthCare et de la société Sandoz ; et de condamner les sociétés Bayer HealthCare, Sandoz et Viatris aux entiers dépens d'appel et à leur verser 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
[U] [Z] demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise et de condamner solidairement les laboratoires Bayer, Sandoz et Mylan à lui payer 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant du moyen d'irrecevabilité de son action pour prescription ou forclusion, elle indique que son action n'est pas fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux sur laquelle glose la société Bayer HealthCare ni sur un simple défaut d'information au niveau de la notice du médicament qu'elle a pris pendant des décennies, mais sur un défaut d'information distinct du défaut de sécurité du produit en cause, avec une chaîne de responsabilité de tous les acteurs en cause.
Elle fait valoir qu'en tout état de cause, c'est au juge du fond qu'il reviendra de se prononcer sur l'éventuelle application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux qui n'est pas invoqué dans son assignation, et plus généralement d'apprécier ses demandes après un débat sur le fond.
S'agissant de la question des expertises, elle s'oppose aux demandes de nouvelle expertise complète formées par les laboratoires Sandoz et Viatris, en faisant valoir qu'il est de jurisprudence assurée qu'un rapport d'expertise judiciaire peut être opposé à un tiers à l'instance au cours de laquelle il est produit, dès lors qu'il est soumis à la discussion contradictoire des parties et qu'il est corroboré par d'autres éléments de preuve. Elle considère que les droits et intérêts des laboratoires Sandoz et Viatris sont garantis et assurés par les modalités que le juge de la mise en état a prévues, leur permettant de faire toutes observations sur la précédente expertise en plus que de participer à l'expertise de consolidation.
La CPAM de la Vienne demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, de débouter la SAS Bayer HealthCare de l'ensemble de ses demandes et de la condamner en application de l'article 700 du code de procédure civile à lui verser 2.500 euros.
Elle déclare faire sienne l'argumentation du juge de la mise en état.
La MGEN, assignée par acte du 11 juillet 2023 signifié à personne habilitée.
L'ordonnance de clôture est en date du 9 octobre 2023.
Par courrier du président de la chambre civile du 26 octobre 2023, les conseils des plaideurs ont été avisés que la cour examinerait, d'office, la question de la recevabilité des conclusions d'intimés de M. [R] et de la MADP, transmises par la voie électronique plus d'un mois après la notification des conclusions de l'appelante.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION :
* sur la recevabilité des conclusions de M. [R] et de la MADP
Selon l'article 905-2, alinéa 2, du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref délai -comme en l'espèce, où l'appel porte sur une ordonnance du juge de la mise en état-l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
La société Bayer HealthCare, appelante, a notifié ses conclusions le 25 juillet 2023.
M. [R] et de la MADP ont transmis leurs conclusions d'intimés par la voie électronique le 7 septembre 2023, plus d'un mois après la notification des conclusions de l'appelante.
Ces conclusions sont donc irrecevables.
* sur le périmètre de l'appel
Le chef de décision de l'ordonnance du juge de la mise en état qui déboute Mme [Z] de sa demande tendant à voir ordonner sous astreinte la communication des PSUR des six années précédant l'année 2006 ne fait l'objet d'aucun appel, en l'occurrence incident.
La cour n'en est donc pas saisie.
Le litige porte en cause d'appel
-d'une part, sur l'appréciation de la fin de non-recevoir de prescription -ou forclusion- opposée par la société Bayer HealthCare et par la société Sandoz à l'action de Mme [Z], rejetée par le juge de la mise en état et qu'elles reprennent en cause d'appel
-et d'autre part sur les modalités de l'expertise qualifiée de 'post-consolidation' ordonnée par le juge de la mise en état, contestées par la société Sandoz et par la société Viatris Santé.
* sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription ou forclusion de l'action de Mme [Z]
Il ressort des productions -notamment du dossier médical tel que les experts judiciaires l'ont relaté et analysé- ainsi que des explications non contestées des parties- que Mme [Z] a pris quasiment sans interruption 21 jours par mois sur prescription médicale de l'acétate de cyprotérone de l'automne 1991 au mois de juillet 2013.
Si les experts indiquent dans leur rapport du 15 avril 2021 (cf p.63) qu'outre l'Androcur fabriqué par la société Bayer délivré entre octobre 1991 et le 9 novembre 2004 il est documenté que Mme [Z] a reçu des produits génériques fabriqués par Sandoz de décembre 2004 à juin 2006, puis de juillet 2006 à juillet 2009 des produits génériques fabriqués par Merck et de juillet 2009 à juin 2013 des produits fabriqués par Mylan, ces indications n'ont pas été faites au contradictoire des sociétés Sandoz et Mylan devenue Viatris Santé ; elles ne sont pas corroborées par des éléments dont il serait fait état et justifié dans le cadre de la présente instance ; le terme 'Androcur' est manifestement employé dans les pièces du dossier médical pour désigner tant le produit fabriqué sous ce nom par le laboratoire Bayer que des médicaments génériques ; et elles sont éventuellement susceptibles d'être remises en cause par l'expertise sur la nécessité de laquelle les parties s'accordent en son principe et qui s'impose de fait notamment pour permettre à ces deux sociétés de participer elles-mêmes à la détermination de l'historique des prescriptions du produit litigieux.
Ainsi, alors que seuls deux des trois laboratoires dont la responsabilité est recherchée par Mme [Z] arguent d'un moyen de prescription ou forclusion, les éléments factuels requis pour apprécier cette prescription ne sont pas tous connus et dépendent en grande partie d'une expertise dont les conclusions seront en outre susceptibles d'être contestées, y compris par voie de demande de contre-expertise.
En outre, même une fois connues les conclusions des expertises ordonnées par le juge de la mise en état, et dont le principe n'est pas discuté, il demeure que l'appréciation de la fin de non-recevoir dont arguent les sociétés Bayer HealthCare et Sandoz est conditionnée par celle de la pertinence du fondement de l'action exercée à leur encontre par Mme [Z], qui indique leur imputer au visa de l'article 1240 du code civil une faute distincte du manquement du fabricant à l'obligation de sécurité pesant sur lui en vertu des articles 1245-1 et suivants du code civil, alors que les laboratoires contestent le caractère distinct d'une telle faute si elle était avérée.
Une telle discussion, sur la pertinence du fondement même de l'action, impliquant son éventuelle requalification, échappe au pouvoir d'appréciation du juge de la mise en état.
S'ajoutent à ces considérations l'incidence de l'entrée en vigueur de la loi ayant transposé en droit français la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 en vertu de laquelle ont été créés les articles 1386-6 et suivants du code civil, devenus en vertu de l'ordonnance du 10 février 2016 les articles 1245-1 et suivants, de ce code, qu'invoquent les sociétés Bayer HealthCare et Sandoz, particulièrement en ses articles 1245-15, 1245-16 et 1245-17.
En effet, la prise par Mme [Z] de l'acétate de cyprotérone qu'elle suspecte d'être en relation de causalité avec les méningiomes diagnostiqués en 2013 pourrait s'avérer être intervenue à la fois antérieurement et postérieurement à la transposition en droit français de cette directive, qui devait intervenir conformément à son article 19 dans les trois ans de sa notification soit donc avant le 30 juillet 1988 mais qui ne l'a été que par la loi n°98-389 du 19 mai 1998, applicable aux produits mis en circulation après son entrée en vigueur au 23 mai 1988.
Pour les produits mis en circulation après le 30 juillet 1988 mais avant le 23 mai 1998, il est de jurisprudence assurée que l'interprétation de l'article 2270-1 du code civil alors applicable telle qu'elle doit être faite à la lumière de la directive s'entend que le point de départ du délai de prescription se situe à la date de la consolidation, avant laquelle le demandeur n'est pas à même de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci (Cass. Civ. 1° 15.06.2016 P n°15-20022).
Et pour les produits mis en circulation à partir du 23 mai 1998, l'article 1386-17, devenu 1245-16, du code civil, dispose que l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, la connaissance du dommage se situant pareillement à la date de la consolidation.
Or il est constant aux débats que madame [Z] n'était pas consolidée lorsqu'elle a introduit son action contre les sociétés Bayer HealthCare et Sandoz.
Et il ne peut être retenu, pour les produits mis en circulation à partir du 23 mai 1998, que l'article 1386-16, devenu 1245-17, du code civil, selon lequel sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci du fait des produits défectueux est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit, ferait obstacle à une action de la victime qui ne connaissait pas son dommage avant l'expiration de ce délai décennal, au vu de l'atteinte substantielle au droit d'accès au juge garanti par l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui en résulterait pour madame [Z], laquelle n'aurait tout simplement alors jamais été à même d'engager une action contre le producteur (cf CEDH. Sect II, 11.03.2014 Howald Moor c/ Suisse).
Ces considérations concordent à rejeter le moyen de prescription ou de forclusion invoqué par les sociétés Bayer HealthCare et Sandoz.
* sur l'expertise ordonnée
Le principe du recours à expertise n'est pas contesté en lui-même autrement que pour dire qu'il n'y a pas lieu à telle mesure si l'action de la demanderesse est déclarée irrecevable.
Une nouvelle expertise médicale de Mme [Z] en vue de recueillir les éléments techniques permettant de chiffrer les postes de son préjudice corporel est nécessaire puisque cette évaluation n'a pas été possible à ce jour faute de consolidation de son état.
Aucune des parties ne remet en cause cette nécessité.
Les modalités selon lesquelles le juge de la mise en état l'a instituée, et les termes de la mission qu'il a dévolue au collège d'experts, sont adaptés ; ils ne sont pas discutés ; et ils ne paraissent pas susceptibles de porter atteinte aux droits des sociétés Sandoz et Viatris Santé, qui en tant que parties à cette expertise reçoivent communication du rapport du 15 avril 2021 et des pièces, y compris celles, dont le dossier médical, déjà échangées entre les autres parties et communiquées aux mêmes experts avant l'institution de cette nouvelle expertise à leur contradictoire, et qui peuvent participer à l'examen et pleinement faire valoir leurs droits dans ce cadre, y compris pour faire rediscuter si elles le souhaitent les constatations et analyses contenues dans le rapport du 15 avril 2021.
Ce chef de décision afférent à l'expertise dite 'post-consolidation' sera ainsi confirmé.
S'agissant du volet technique et scientifique de l'expertise, l'ordonnance prescrit aux experts de réunir tous éléments sur la question d'un éventuel lien de causalité entre la pathologie de Mme [Z] et sa prise de traitement à base d'acétate de cyprotérone au titre de génériques hors le traitement d'Androcur, ceci dans la suite du rapport déposé le 15 avril 2021, auquel les laboratoires Viatris et Sandoz, et leurs assureurs respectifs, n'avaient pas été parties.
La présence de ces laboratoires avec leurs assureurs aux opérations ainsi ordonnées leur permettra de faire valoir pleinement leurs droits, puisqu'ils pourront à cette occasion requérir des experts qu'ils procèdent à leur contradictoire à des analyses -telles celle du dossier médical- ou à des recensions -telle celle des prescriptions d'acétate de cyprotérone, avec leurs dates et l'identité du fabricant du produit délivré à la patiente- et en l'absence de prélèvements ou de constatations qui auraient été faits hors la présence des sociétés Sandoz et Viatris Santé dans le cadre de l'expertise diligentée en 2021, il n'apparaît pas de risque que l'expertise ordonnée le 15 juin 2023 à leur contradictoire puisse se nourrir ou doive se priver d'éléments qui ne leur soient pas contradictoires.
Ce chef de décision sera donc également confirmé.
Il est en tant que de besoin précisé que si les experts commis par l'ordonnance déférée s'avéraient avoir établi en vertu de l'exécution provisoire, et déposé, leur rapport définitif, sans que les sociétés Sandoz et Viatris Santé eussent pu, l'ayant demandé, participer à la détermination de l'historique des prescriptions du produit litigieux et/ou faire rediscuter des constatations ou analyses contenues dans le rapport du 15 avril 2021, leurs opérations se trouveraient rouvertes en vertu du présent arrêt afin qu'il y soit procédé, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Poitiers restant en charge de la surveillance de telles opérations.
* sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La société Bayer HealthCare succombe en son recours et supportera donc les dépens d'appel.
Elle versera en application de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité pour frais irrépétibles à Mme [U] [Z] et à la CPAM de la Vienne.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, dans les limites de l'appel :
DÉCLARE irrecevables les conclusions d'intimés transmises par la voie électronique le 7 septembre 2023 par M. [R] et la MADP
CONFIRME l'ordonnance entreprise
PRÉCISE que si les experts commis par l'ordonnance déférée s'avéraient avoir établi en vertu de l'exécution provisoire, et déposé, leur rapport définitif, sans que les sociétés Sandoz et Viatris Santé eussent pu, l'ayant demandé, participer à la détermination de l'historique des prescriptions du produit litigieux et/ou faire rediscuter des constatations ou analyses contenues dans le rapport du 15 avril 2021, leurs opérations se trouveraient rouvertes en vertu du présent arrêt afin qu'il y soit procédé, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Poitiers restant en charge de la surveillance de telles opérations
REJETTE toutes demandes autres ou contraires
CONDAMNE la société Bayer HealthCare aux dépens d'appel
LA CONDAMNE en application de l'article 700 du code de procédure civile à payer
* 5.000 euros à Mme [U] [Z]
* 2.500 euros à la CPAM de la Vienne.