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Décisions

CA Douai, 3e ch., 21 décembre 2023, n° 22/03615

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Cna Insurance Company Europe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Salomon

Conseillers :

Mme Bertin, Mme Belkaid

Avocats :

Me Martinot, Me Tiry

TJ Aras, du 1 juin 2022, n° 19/01792

1 juin 2022

La société Aristophil, créée en 2003, ayant pour activité l'achat, l'expertise de lettres et manuscrits, a proposé jusqu'en 2014 à un réseau de courtiers et de conseillers en gestion de patrimoine de commercialiser un produit dénommé « Aristophil », présenté comme un outil de diversification patrimoniale innovant sur un support culturel, consistant à acquérir en pleine propriété (convention Amadeus) ou en indivision (convention Coraly's) des collections de lettres et manuscrits anciens appartenant à la société Aristophil.

L'opération était formalisée par la conclusion de différents contrats :

- un contrat de vente entre la société Aristophil et l'investisseur ;

- une convention d'indivision, sous forme d'un acte notarié, nommant le gérant de l'indivision et destinée à organiser les rapports et les pouvoirs entre les indivisaires ;

- un contrat de garde et de conservation aux termes duquel le gérant de l'indivision confiait à la société Aristophil la garde et la conservation de la collection pendant une année renouvelable par tacite reconduction et l'indivision consentait à la société Aristophil un droit de préemption ainsi qu'une promesse unilatérale de vente.

En 2009, M. [V] [I], conseiller en gestion de patrimoine, a proposé à Mme [G] [D] de réaliser un investissement en acquérant la pleine propriété d'une collection de lettres et manuscrits anciens appartenant à la société Aristophil.

Exposé du litige

Le 24 juillet 2009, Mme [D] a ainsi signé un contrat de vente portant sur 20 parts de l'indivision « l'académie française et l'institut de France de 1634 à nos jours » pour un montant de 50 000 euros, ainsi qu'une convention de dépôt, garde et conservation de sa collection par la société Aristophil, contrat prorogé en juillet 2014, cet acte ayant été prorogé pour une nouvelle durée de 5 ans par acte sous seing privé du 13 juillet 2014.

Puis, par contrat du 7 mars 2014, Mme [D] a acquis auprès de la société Aristophil 18 parts au sein de l'indivision « [O] [N]- son œuvre » au prix de 45 000 euros et a également signé une convention de garde et de conservation de sa collection.

Mme [D] a reçu la notification de la composition de ses collections par courriers de la société Aristophil des 30 juillet 2009 et 13 mars 2014.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Aristophil le 16 février 2015, puis une procédure de liquidation judiciaire, le 5 août 2015.

Une enquête préliminaire a été diligentée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, principalement pour des faits d'escroquerie en bande organisée susceptibles d'avoir été commis depuis 2008 dans le cadre de la société Aristophil. Le 5 mars 2015, une information judiciaire a été ouverte des chefs notamment d'escroqueries en bande organisée, de pratiques commerciales trompeuses, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance.

Estimant avoir été mal informée et conseillée par M. [I] sur les investissements réalisés par son intermédiaire au sein de la société Aristophil et arguant de la perte de la totalité de ses investissements, par actes des 3 et 16 octobre 2019, Mme [D] a fait assigner M. [I] et son assureur responsabilité civile professionnelle, la société CNA Insurance Company (Europe) devant le tribunal judiciaire d'Arras afin d'être indemnisée de ses préjudices.

Par jugement du 1er juin 2022, le tribunal d'Arras a :

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société CNA Insurance Company (Europe) ;

en conséquence, déclaré recevable l'action diligentée par Mme [G] [D] ;

débouté Mme [G] [D] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 3000 euros au motif du caractère dilatoire de la fin de non-recevoir ;

dit que M. [V] [I] a manqué à ses obligations d'information et de conseil en sa qualité de conseil en gestion de patrimoine ;

dit que le caractère sérieux de la perte de chance n'est pas établi ;

en conséquence,

débouté Mme [G] [D] de ses demandes de dommages et intérêts pour perte de chance ;

débouté Mme [G] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

dit qu'il n'est pas établi que M. [V] [I] aurait été assuré auprès de la société CNA Insurance Company (Europe) ;

débouté Mme [G] [D] de sa demande de condamnation de la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de M. [V] [I] ;

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

condamné Mme [G] [D] à payer à la société CNA Insurance Company (Europe) la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Mme [G] [D] aux dépens de l'instance ;

dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration au greffe du 25 juillet 2022, Mme [G] [D] a formé appel de ce jugement en limitant sa contestation aux chefs du dispositif numérotés 2 à 12 ci-dessus.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 11 avril 2023, Mme [G] [D] demande à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le caractère sérieux de la perte de chance et la qualité d'assuré de M. [V] [I] auprès de la compagnie CNA n'étaient pas établis et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires

confirmer le jugement sur la recevabilité de l'action et sur l'existence de fautes commises par M. [V] [I]

et statuant à nouveau,

rejeter l'appel incident formé par la société CNA Insurance Company (Europe)

condamner M. [V] [I] à lui verser la somme de 84 550 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de ne pas souscrire un placement moins hasardeux

condamner M. [V] [I] à lui verser la somme de 27 625 euros au titre de l'immobilisation du capital investi

condamner M. [V] [I] à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral

condamner la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir ces condamnations à son profit par mise en œuvre des polices FN 1925 et/ou FN 1549 et/ou FN 5989

condamner in solidum M. [V] [I] et la société CNA Insurance Company (Europe) à lui verser la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel

condamner in solidum M. [V] [I] et la société CNA Insurance Company (Europe) aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses conclusions notifiées le 25 mai 2023, la société CNA Insurance Company (Europe), intimée et appelante incidente, (ci-après la Cna) demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :

* rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu'elle a soulevée

* jugé que M. [I] a manqué à ses obligations d'information et de conseil en sa qualité de conseil en gestion de patrimoine,

et de :

A titre principal :

- juger que l'action de Mme [D] est prescrite ;

- juger que la qualité d'assuré des polices n° FN 1925, n° FN 5989 et n FN °1549 de M. [I] n'est pas établie ;

- débouter Mme [D] de ses demandes à son encontre

A titre subsidiaire :

- juger que la garantie subséquente des polices n° FN 1925, n° FN 5989 et n° FN 1549 ne peut bénéficier à M. [I]

- débouter Mme [D] de ses demandes à son encontre

A titre très subsidiaire :

- juger que M. [I] a pleinement exécuté ses obligations d'information et de conseil de moyens ;

- débouter Mme [D] de toute ses prétentions ;

A titre infiniment subsidiaire :

- juger que Mme [D] échoue à démontrer subir un préjudice réparable ;

- débouter Mme [D] de toutes ses prétentions ;

A titre plus infiniment subsidiaire encore :

- Si la prétendue qualité d'assuré de la police n° FN 1925 prêtée à M. [I] venait à être établie :

- juger qu'elle ne saurait être tenue à garantir M. [I] au-delà des termes de la police n° FN 1925 souscrite auprès d'elle ;

- juger que l'ensemble des réclamations formées par les personnes ayant investi dans des collections constituées par la société Aristophil par l'intermédiaire de la société Art Courtage ou de ses mandataires, assurés par la police n° FN 1925, constituent un seul et même sinistre, soumis au plafond de garantie par sinistre prévu à la police n° FN 1925 de 2 000 000 euros et applicable au 6 février 2015

- si la qualification de sinistre sériel est écartée, juger que la condamnation à garantir M. [I] qui viendrait à être prononcée à son encontre ne pourra excéder le plafond de garantie de 2 000 000 euros par période d'assurance prévu par la police n° FN 1925

- juger que la première réclamation de Mme [D] est en date du 27 juin 2019, et relève donc, soit de la période d'assurance subséquente (s'il est jugé que la résiliation de la police n° FN 1925 est jugée régulière ou encore que la police n° FN 1925 n'a pas été renouvelée à sa date anniversaire, le 31 décembre 2015), soit de la période d'assurance 2019

- En conséquence, la condamner à garantir M. [I] des conséquences des condamnations prononcées à son encontre dans la limite du plafond de garantie de 2 000 000 euros sous déduction des condamnations qu'elle aura déjà versées au titre des autres réclamations formulées soit pendant la période subséquente, soit pendant la période d'assurance 2019, et après application de la franchise contractuelle de 3 000 euros

Ou,

- désigner tel séquestre qu'il plaira à la Cour avec pour mission de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les réclamations formées à l'encontre des assurés au titre de la police n° FN 1925 se rattachant à la même période d'assurance, en l'occurrence la période d'assurance subséquente (s'il est jugé que la résiliation de la police est régulière ou encore que la police n° FN 1925 n'a pas été renouvelée à sa date anniversaire, le 31 décembre 2015) ou, à défaut, la période d'assurance 2019 et procéder à une répartition au marc l'euro des fonds séquestrés

- Si la prétendue qualité d'assuré de la police n° FN 1549 prêtée à M. [I] venait à être établie et qu'il venait à être jugé que la police n° FN 1549 n'a pas cessé ses effets le 1er janvier 2013 :

- juger qu'elle ne saurait être tenue à garantir M. [I] au-delà des termes de la police n° FN 1549 souscrite auprès d'elle

- juger que la condamnation à garantir M. [I] qui viendrait à être prononcée à son encontre ne pourra excéder le plafond de garantie de 2.000.000 € par période d'assurance prévu par la police n° FN 1549

- juger que la première réclamation de Mme [D] est en date du 27 juin 2019 et se rattache à la période d'assurance 2019 ;

En conséquence, la condamner à garantir M. [I] des conséquences des condamnations prononcées à son encontre dans la limite du plafond de garantie de 2 000 000 euros sous déduction des condamnations qu'elle aura déjà versées au titre des autres réclamations formulées pendant la période d'assurance 2019 ;

Ou,

- désigner tel séquestre qu'il plaira à la Cour avec pour mission de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les réclamations formées à l'encontre des assurés au titre de la police n° FN 1549 se rattachant à la même période d'assurance, en l'occurrence la période d'assurance 2019 et procéder à une répartition au marc l'euro des fonds séquestrés ;

- Si la prétendue qualité d'assuré de la police n° FN 5989 prêtée à M. [I] venait à être établie :

- juger que qu'elle ne saurait être tenue à garantir M. [I] qu'après déduction de la franchise de 2 000 euros prévue par les conditions particulières de la police n° FN 5989 ;

En tout état de cause,

- condamner Mme [D] à lui payer une somme de 3.000 € euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de Maître Tiry en application de l'article 699 du code de procédure civile.

M. [V] [I], régulièrement intimé, n'a pas comparu.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

L'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile dispose que : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

L'action en responsabilité engagée par Mme [D] à l'encontre de M. [I] et de l'assureur tend à la réparation d'un préjudice de perte de chance de ne pas contracter avec la société Aristophil et de pouvoir investir les fonds dont elle disposait dans un autre placement, et est fondée sur les manquements de M. [I] à ses obligations d'information et de conseil, faisant valoir qu'elle n'aurait pas contracté si elle avait été mieux informée sur le fait d'une part que les collections étaient composées d'oeuvres surévaluées et éventuellement incessibles, faute de justification ou vérification des caractéristiques de ces pièces et d'autre part sur l'absence de garantie de rachat des collections à terme par la société Aristophil.

Le délai pour exercer l'action directe à l'encontre de l'assureur de responsabilité civile du cocontractant est identique au délai applicable à l'action en responsabilité engagée à l'encontre de ce dernier.

En matière d'action en responsabilité fondée sur le manquement du professionnel à ses obligations d'information et de conseil, la prescription court à la date de la conclusion du contrat si les mentions du contrat permettent au cocontractant d'avoir connaissance du dommage. A défaut, elle court à la date où ce dernier a eu la connaissance certaine de son dommage.

A cet égard, Mme [D] fait valoir qu'à la date de souscription du contrat, elle n'était pas en mesure de prendre conscience du fait qu'elle avait acquis la propriété de parts indivises de collections composées d'oeuvres manifestement surévaluées et éventuellement incessibles pour certaines d'entre elles et qu'elle investissait dans un placement inadapté à ses attentes en l'absence de garantie de rachat de ses parts par la société Aristophil. Elle indique en effet qu'elle n'a eu connaissance de ce que la société Aristophil serait incapable de lui racheter ses parts indivises qu'au moment de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 25 mars 2015 et qu'elle a découvert la surestimation grossière des oeuvres indivises acquises auprès de la société Aristophil que lors de l'information judiciaire ouverte à l'encontre de celle-ci le 5 mars 2015 de sorte que le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date si bien que son action est recevable.

La société Cna Insurance Company soutient quant à elle, que Mme [D] savait dès la conclusion du contrat que le placement réalisé n'était pas sécurisé, les documents contractuels ne recelant aucune ambiguïté quant au mécanisme des investissements litigieux, le contrat de vente ne faisant à aucun moment référence à un éventuel rachat des collections par la société Aristophil et le contrat de garde et de conservation prévoyant seulement la possibilité d'une option de rachat, ce rachat étant à la seule convenance de la société Aristophil. Selon elle, il n'a donc été consenti à Mme [D] qu'une promesse d'achat que la promettante restait libre d'honorer de sorte qu'il était indiqué dès le départ que la société Aristophil n'était tenue à aucune obligation de rachat. Elle considère par ailleurs que la question de la surévaluation des œuvres, alors que celles-ci étaient évaluées par des experts indépendants, est inopérante pour repousser le point de départ de la prescription dès lors qu'elle ne présente aucun lien avec l'éventuelle responsabilité de M. [I] qui ne pouvait la déceler puisque cette tromperie a été révélée après plus d'un an d'enquête effectuée par la DGCCRF. Elle en déduit que le dommage allégué par Mme [D] existait dès le jour de la souscription des contrats les 24 juillet 2009 et 7 mars 2014 de sorte que l'action en responsabilité de celle-ci est prescrite.

Sur ce,

Les placements en produits « Aristophil »  proposés à Mme [D] par M. [I] consistaient en un investissement, d'une part, au sein de l'indivision « [O] [N]-son œuvre » et d'autre part, au sein de la collection « l'académie Française et l'Institut de France » et reposaient sur un contrat portant sur l'acquisition de parts indivises, sur la conclusion concomitante avec la société Aristophil d'une convention de garde et de conservation des collections pour une durée de cinq ans aux termes de laquelle celle-ci s'engageait à les conditionner, expertiser et conserver, et garantissait leur valeur et enfin d'une convention notariée d'indivision.

La cour relève qu'aucune clause ou mention des contrats d'achats de parts, des contrats de garde et de conservation ou de la convention d'indivision, signés ou reçus par Mme [D] au moment de la souscription, ne permet effectivement d'attirer son attention sur un risque de surévaluation des œuvres dont s'agit, prétendument expertisées selon le contrat de garde par la société Aristophil, elle-même présentée par ce même contrat comme spécialisée dans l'achat, la vente, l'expertise la garde, la conservation et les expositions, la valorisation de valeurs d'art et de collections, et alors que la convention d'indivision réglementant les rapports entre les indivisaires, à laquelle les acheteurs de parts s'engagent à se conformer, fait l'objet d'un acte reçu par un notaire comportant la description de la collection ainsi que sa valeur totale.

Mme [D], qui n'entrait pas physiquement en possession des oeuvres d'art dont elle avait acquis une quote-part et était convaincue par les termes du contrat de l'intérêt de ne pas les revendre avant le terme du contrat de garde, n'a pas eu l'occasion de prendre conscience de la surévaluation qu'elle allègue avant d'être informée sur l'ouverture de la procédure collective de la société Aristophil et sur la procédure pénale ouverte le 5 mars 2015.

S'agissant de l'absence de garantie de rachat des parts par la société Aristophil, les clauses du contrat de garde et de conservation relatif à chacune des promesses de vente sont rédigées comme suit :

Clause VII du contrat « l'Académie Française et l'institut de France »

« Le propriétaire promet unilatéralement de vendre à la société la collection dont il est propriétaire au terme des 5 ans du contrat de garde, de conservation. Cette promesse a une durée de 6 mois qui court à compter du terme de la convention de dépôt.

Cette promesse de vente s'effectuera à un prix d'achat qui figure en annexe 1 ou si ce prix n'est pas fixé, à un prix déterminé par expertise.

Ce prix ne pourra en aucun cas être inférieur au prix d'achat majoré de 8,50% par an de la valeur déclarée au départ. L'expertise sera diligentée à la requête des parties par un expert dûment habilité.

Durant ces 6 mois, la société aura l'option d'acheter la collection au prix convenu ou à un prix d'expertise.

Ce prix sera au minimum supérieur de 8,50% par an au prix d'acquisition tel qu'il figure à l'annexe 1 pour la période de garde, de conservation de 5 années pleines et entières. »

Clause VI du contrat « [O] [N] »

« Le propriétaire promet unilatéralement de vendre à la société la collection dont il est propriétaire au terme du contrat de garde et de conservation.

Cette promesse a une durée de 6 mois qui court à compter du terme de la convention de dépôt.

Cette promesse de vente s'effectue à un prix de base de vente qui figure au contrat de vente. Ce prix ne peut en aucun cas être inférieur au prix d'achat, même en cas de renouvellement, majoré de 43,75 % brut par période entière de cinq ans ».

Ces clauses présentent un caractère équivoque dans la mesure où tout en insistant sur l'assurance de réaliser une plus-value en cas de revente de la collection à la société Aristophil, elles n'attirent pas l'attention de l'investisseur sur l'incertitude pesant sur la réalisation de cette plus-value alors qu'elle est laissée à la discrétion de la société Aristophil, la clause n'envisageant en effet que la possibilité du rachat de la collection.

En outre, le caractère complexe du montage juridique, au demeurant mis en exergue par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans son rapport du 6 février 2014, est révélé par la présence de trois actes signés entre des parties différentes, à savoir une convention d'indivision, un contrat de garde et de conservation et un contrat d'achat de parts dans l'indivision, et se référant les uns aux autres alors en outre que la clause de promesse de vente insérée au contrat de garde et de conservation est peu explicite de sorte qu'une absence d'information et de conseil a pu laisser croire au souscripteur que le rachat des parts par la société Aristophil au terme de la période de garde de 5 ans présentait un caractère certain, d'autant que le contrat et la convention d'indivision conféraient à la société Aristophil un droit de préemption et un pouvoir d'agrément en cas de vente à un tiers.

Quand bien même l'investisseur aurait compris que la société Aristophil ne supportait aucune obligation de rachat des œuvres, il pouvait néanmoins envisager à l'issue du contrat de les revendre à un tiers en réalisant une semblable plus-value. Or, il est établi par les enquêtes de la DGCCRF et pénale que les oeuvres proposées ont fait l'objet d'une forte surévaluation que Mme [D] ne pouvait à l'évidence connaître lors de la souscription.

La circonstance que M. [I] ait eu ou non connaissance de la surévaluation des œuvres est sans incidence s'agissant de déterminer le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité et la date à laquelle l'acquéreur a pu légitimement avoir connaissance de son dommage.

En effet, seule importe à ce stade de l'examen de la recevabilité de la demande, la date de révélation du préjudice tel qu'allégué par Mme [D] sans préjuger du bien-fondé des griefs formulés par celle-ci à l'encontre de M. [I] et de l'imputabilité du préjudice.

Ainsi, en l'état de ces éléments, Mme [D] n'a pas pu avoir connaissance, dès la souscription des placements litigieux, que la réalisation d'une plus-value en contrepartie de son investissement était totalement aléatoire.

Ce n'est qu'à partir du 27 février 2015, date à laquelle le mandataire judiciaire l'a invitée par courrier à procéder à une déclaration de sa créance au passif de la société Aristophil placée en redressement judiciaire, que Mme [D] a eu connaissance de son préjudice et de son ampleur, et s'est trouvée pleinement en mesure d'exercer son action en réparation à l'égard du conseiller en gestion de patrimoine et de l'assureur.

Il convient donc de retenir cette date comme point de départ de la prescription quinquennale de l'action en responsabilité contractuelle diligentée par Mme [D] pour manquement du conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'information et de conseil.

Ainsi, l'action de Mme [D] diligentée à l'encontre de M. [I] et de l'assureur n'est pas prescrite aux 3 et 16 octobre 2018, dates de délivrance de l'assignation au fond.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription sera donc écartée et le jugement critiqué confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité de M. [I]

M. [I] n'est pas intervenu en qualité de prestataire de services d'investissement au sens de l'article L.531-1 du code monétaire et financier, les objets d'art n'entrant pas dans la catégorie des instruments financiers tels qu'énumérés à l'article L.211-1 dudit code. Il n'est pas plus intervenu comme intermédiaire en biens divers au sens de l' article L.550-1 du même code dans sa rédaction applicable à la date de la signature des contrats litigieux dès lors que le régime des intermédiaires en biens divers était alors applicable à « toute personne qui, directement ou indirectement, par voie de publicité ou de démarchage, propose à titre habituel à des tiers de souscrire des rentes viagères ou d'acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n'en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat offre une faculté de reprise ou d'échange et la revalorisation du capital investi ». Or, les contrats en cause ont pour objet la garde et la conservation lesquelles ne peuvent être assimilées à un acte de gestion et la société Aristophil ne garantit pas plus la reprise des oeuvres, objets des contrats, mais se réserve la possibilité d'acquiescer à la promesse de vente de l'acquéreur.

Dès lors et ainsi que le relève la Cna, c'est à tort que le premier juge a fait application des dispositions du code monétaire et financier.

La responsabilité du conseiller en gestion de patrimoine ne peut être recherchée que sur le fondement de l'article 1147 du code civil applicable au présent litige.

En application de ce texte, il est tenu en sa qualité de professionnel à une obligation de moyen d'information et de conseil.

Si comme le soutient à juste titre la Cna, le conseiller en gestion de patrimoine ne peut être tenu responsable des aléas inhérents aux investissements, il lui appartient en revanche de fournir lui-même au client, de façon claire et complète, tous les éléments sur le mécanisme de l'opération projetée et sur les risques inhérents à celle-ci.

A cet égard, Mme [D] reproche à M. [I] plusieurs manquements à son obligation générale d'information quant aux caractéristiques essentielles du placement et à son obligation de conseil quant à l'opportunité du placement.

Elle précise que ses demandes sont fondées sur le décalage entre la réalité de l'investissement effectué sur les conseils de M. [I], qu'elle croyait sécurisé, et les informations trompeuses sur les caractéristiques et le mécanisme de placement délivrées par ce dernier, que la réunion de ces circonstances ne lui a pas permis de mesurer pleinement la portée de son engagement au moment des souscriptions successives. La mauvaise compréhension de l'opération était nourrie par l'intermédiaire lui-même, les informations délivrées se limitant à une présentation dithyrambique de l'investissement et à l'existence de garanties alors qu'antérieurement aux souscriptions litigieuses, la presse et les communiquées de l'autorité des marchés financiers avaient relayé le caractère risqué des placements auprès de Aristophil.

La Cna fait valoir que le mécanisme des investissements litigieux était exposé de manière claire et dépourvue d'ambiguïté et qu'il était compréhensible même des investisseurs profanes comme Mme [D]. Selon elle, le conseiller a présenté les investissements litigieux qu'à titre de diversification patrimoniale et s'est assuré que Mme [D] n'y allouerait qu'une part limitée de son patrimoine.

Sur ce,

Sur l'obligation d'information

La charge de la preuve de l'exécution de l'obligation d'information pèse sur le conseiller en gestion de patrimoine.

Mme [D], qui indique que M. [I] a préconisé la diversification de son assurance-vie existante, s'est vu remettre, au moment de la souscription de l'investissement du 27 juillet 2009, une fiche de préconisation et une fiche de déontologie qu'elle a signées faisant apparaitre que :

- il est rappelé que « l'Art et l'assurance-vie sont des opérations de long terme. Il est donc recommandé de s'assurer de disposer de liquidités suffisantes pour faire face à des besoins financiers à court terme. »

- l'objectif est de valoriser un capital pour une durée d'investissement de 5 ans avec perception de revenus à terme

- le poids de l'investissement proposé représente moins de 10 % de son patrimoine global

- il est précisé que l'investissement proposé comprend un risque faible.

- elle a reconnu avoir reçu les « informations données au client sur les conséquences fiscales et/ou financières de l'opération »

- elle a confirmé que les préconisations de son conseiller sont conformes à sa situation familiale et patrimoniale et à ses besoins et exigences

- elle a certifié avoir reçu de son conseiller les informations nécessaires à la compréhension du contrat

La convention de garde et de conservation relative à cet investissement dans l'indivision « l'Académie française et l'Institut de France de 1634 à nos jours » prévoit dans son article VII que :

« le propriétaire promet unilatéralement de vendre à la société Aristophil la collection dont il est propriétaire au terme des 5 ans du contrat de dépôt, de garde et de conservation

Cette promesse a une durée de 6 mois qui court à compter du terme de la convention de dépôt

durant ces 6 mois, la Société aura l'option d'acheter la collection au prix convenu ou à un prix d'expertise

ce prix sera au minimum supérieur de 8,50 % par an au prix d'acquisition tel qu'il figure à l'Annexe 1 pour une période de garde et de conservation de 5 années pleines et entières.

Par ailleurs, contrairement à l'analyse du premier juge et aux assertions de la Cna, il est établi que le contrat de vente de parts d'indivision [O] [N]-son œuvre du 7 mars 2014 a été établi en présence de M. [V] [I] qui l'a signé aux côtés de Mme [D] (pièce 2.9).

Le contrat de garde et de conservation adossé au contrat dit « Corpus scriptural » du 7 mars 2014 portant sur l'acquisition de parts indivises de la collection « [O] [N]- son oeuvre » prévoit en son article VI que :

« le propriétaire promet unilatéralement de vendre la collection dont il est propriétaire au terme du contrat de garde et de conservation

cette promesse a une durée de 6 mois qui court à compter du terme de la convention de dépôt

cette promesse de vente s'effectue à un prix de base de vente qui figure au contrat de vente. Ce prix ne peut être inférieur au prix d'achat, même en cas de renouvellement, majoré de 43,75 % brut par période entière de 5 ans. »

La Cna produit par ailleurs un document intitulé « dossier connaissance client » (pièce A) que Mme [D] a nécessairement complété préalablement à la souscription des contrats litigieux et qui a pour objet de permettre au conseiller de recueillir des informations relatives au client afin de se conformer à la réglementation en matière de lutte contre le blanchissement des capitaux et le financement du terrorisme.

Ce document comporte des renseignements sur l'identité, les données financières et patrimoniales et le profil du souscripteur dont l'objectif de l'investissement est précisé.

Il précise également en son point 4 intitulé « risque et horizon d'investissement » la part de l'investissement en art par rapport au patrimoine global et à la trésorerie du client.

A cet égard, il est mentionné que « les conventions Aristophil représentent une acquisition pouvant offrir une plus-value éventuelle à moyen ou long terme qui n'offre aucune garantie de liquidité et aucun engagement de rachat. Il est donc recommandé de disposer de liquidités suffisantes pour faire face à des besoins financiers à court et moyen terme. Cet investissement se place dans une démarche de diversification patrimoniale et ne doit en aucun cas se positionner en substitut des outils financiers classiques ».

Il résulte de l'ensemble de ces documents contractuels que le contrat de vente spécifiait bien que n'étaient vendus par la société Aristophil que des parts indivises d'une collection, que cette société s'engageait à garder et à conserver pendant la durée du contrat pour la rendre ensuite à son propriétaire au terme du contrat de garde et de conservation, lequel était conclu pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction pendant 5 ans. Il y était également mentionné que l'acquéreur s'engageait unilatéralement à vendre à la société Aristophil la collection dont il est propriétaire au terme des 5 ans du contrat de garde, cette promesse ayant une durée de trois mois à compter du terme de la convention de dépôt, durée pendant laquelle la société Aristophil disposait d'une option d'achat au prix convenu ou à un prix d'expertise, sans que cette convention garantisse un rendement.

Pour autant, le contrat de vente de parts d'indivision ne révèle à l'investisseur aucune information suffisante sur le mécanisme réel de fonctionnement des produits Aristophil notamment sur l'existence, d'une part, d'un risque de perte en capital si la collection n'est pas cédée à terme ou cédée à un prix de marché fixé de gré à gré ou à dire d' expert et, d'autre part, d'un risque d'absence de rendement si la société Aristophil ne rachète pas la collection à terme à la valeur initiale augmentée de 8,50 % par an, s'agissant du contrat portant sur le collection [N] et 43,75 % brut par période entière de 5 ans pour le contrat portant sur les produits Académie Française.

Or, M. [I] n'établit pas avoir informé Mme [D] en tant qu'investisseur non-averti, sur l'entier mécanisme de la promesse de vente stipulée aux contrats litigieux qui ne pouvait être effective qu'à la condition que la société Aristophil décide de lever l'option d'achat qui lui était donnée, et, à défaut, Mme [D] allait demeurer propriétaire d'une part indivise d'une collection de manuscrits pour laquelle il n'était prévu aucune garantie de valeur, en l'absence de dispositions contractuelles définissant le mode de valorisation.

A cet égard, le document remis à Mme [D], intitulé « les garanties Aristophil », qui prévoit une « garantie de la valeur du prix d'acquisition des lettres et manuscrits couverte par une assurance spéciale Lloyd's » pouvait laissait croire à l'acquéreur que son investissement était ainsi sécurisé.

En considération de la complexité et de l'incertitude s'attachant à un tel montage, M. [I] n'établit pas avoir apporté à Mme [D] une information précise et complète sur les produits commercialisés, alors qu'au regard de son caractère général et abstrait, la seule mention par cette dernière qu'elle reconnaît avoir bénéficié des « informations données au client sur les conséquences fiscales et/ou financières de l'opération » ne permet pas à la cour de s'assurer tant du contenu que de la pertinence de l'information effectivement délivrée.

Il est donc établi que M. [I] a failli à son obligation d'information, en ce qu'il n'a pas porté à la connaissance de Mme [D] les informations nécessaires à la compréhension pleine et entière des contrats.

Sur le devoir de conseil

Il n'est pas contesté que Mme [D], exerçant la profession de chef de rayon auprès de la société Auchan, ne disposait pas de connaissances ni de compétences dans le domaine de placements et que son épargne provenait du fonds de placement commun de son employeur.

Dès lors, M. [I] avait l'obligation de lui fournir un conseil approprié à sa situation et lui donner un conseil adapté.

Ainsi qu'il a été dit, l'investissement dans les collections de la société Aristophil correspondait à un produit complexe et atypique, reposant sur trois conventions (convention d'indivision, contrat d'achat, contrat de garde et de conservation) avec la perspective d'un rachat par la société Aristophil de la collection acquise à l'issue d'un délai déterminé de la réalisation d'une plus-value conséquent, correspondant à 8,50 % du prix de vente pour la collection [N] et 43,75 % pour la collection Académie Française.

Si le coût de l'investissement dans ces deux collections était adapté aux capacités financières de Mme [D] qui disposait d'une épargne provenant du fonds collectif de son employeur, il n'en demeure pas moins que M. [I] était tenu d'apporter un conseil approprié à Mme [D], en tant qu'investisseur non-averti, sur les risques des placements envisagés dans les conditions contractuelles que proposait la société Aristophil compte tenu du mécanisme de la promesse de vente stipulée aux contrats litigieux qui ne pouvait être effective qu'à la condition que la société Aristophil décide de lever l'option d'achat qui lui était donnée, et qu'à défaut, Mme [D] allait demeurer propriétaire d'une part indivise d'une collection de manuscrits pour laquelle il n'était prévu aucune garantie de valeur, en l'absence de dispositions contractuelles définissant le mode de valorisation.

Ainsi, quand bien même la société Aristophil affichait, au moment de la souscription des contrats litigieux, un excellent palmarès au cours des années 2012 /2014 dans son secteur d'activité (résultat de plus de 18 millions d'euros au 31 décembre 2012 et cotation B3 par la Banque de France en septembre 2014 correspondant à une capacité qualifiée de forte à honorer ses engagements financiers sur un horizon de trois ans) de telle sorte que ses produits d'investissement ne pouvaient pas être qualifiés d'investissements à haut risque et que M. [I] n'a pas été nécessairement alerté par les communiqués de l'AMF du 12 décembre 2012 appelant à la prudence les investisseurs vis à vis des placements atypiques dans la mesure où ces alertes ne visaient pas nommément les produits Aristophil, celui-ci n'était pas dispensé de son devoir de conseil quant au caractère aléatoire de la valorisation du capital de 50 000 euros pour le contrat du 24 juillet 2009 et de 45 000 euros pour celui du 7 mars 2014 placés par Mme [D] dans l'achat des produits Aristophil eu égard au mécanisme particulier des contrats, et ce d'autant qu'il connaissait le profil d'investisseur prudent de Mme [D].

En revanche, s'agissant de la surévaluation des oeuvres composant la collection acquise en indivision par Mme [D], M. [I] ne disposait d'aucun moyen, au temps de l'exécution de son obligation de conseil, pour détecter une éventuelle surévaluation. Aucun manquement ne peut donc être établi de ce chef à son encontre.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu à l'encontre de M. [I] un manquement à son devoir de conseil engageant sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du code civil.

Sur les préjudices

Sur la demande au titre de la perte de chance

Mme [D] se prévaut d'une perte de chance d'avoir souscrit un contrat de placement plus avantageux qu'elle évalue à 95 % compte tenu du montant des sommes qu'elle a pu récupérer à l'issue de ventes aux enchères, à savoir 3 374,42 euros sur les 50 000 euros investis dans la collection Académie française et 1 735,83 euros sur les 45 000 euros placés dans la collection [N].

La Cna considère que Mme [D] ne justifie d'aucun préjudice réparable en l'absence de lien de causalité entre les préjudices invoqués et les manquements reprochés à M. [I] dès lors que le préjudice subi résulte de la liquidation de la société Aristophil et des manœuvres frauduleuses de son dirigeant, circonstances que le conseiller ne pouvait prévoir. Elle ajoute que Mme [D], qui a diligenté une action en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Nice le 30 septembre 2016, à l'encontre du notaire qui a instrumenté la convention d'indivision au sein de laquelle elle a investi, ne saurait obtenir une double indemnisation des préjudices qu'elle allègue.

Sur ce,

Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'un dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé.

La perte de chance, même minime, présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être établi. Sa réparation ne peut être écartée que s'il peut être tenu pour certain que la faute n'a pas eu de conséquence sur une telle disparition.

L'éventualité favorable dont la victime d'une perte de chance doit avoir été privée peut consister en la possibilité de bénéficier d'un gain.

En l'espèce, il est établi que, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Aristophil, le commissaire-priseur, la société Aguttes, a reçu mandat de vendre aux enchères au profit des co-indivisaires les oeuvres acquises.

En effet, il ressort des courriers de M. [Z] [X], administrateur judiciaire, du 30 juillet 2019 que les ventes des collections Académie Française et [O] [N]-son oeuvre ont été réalisées au cours des sessions de ventes aux enchères publiques de décembre 2017, juin 2018 et novembre 2018.

Le produit des ventes déjà effectuées permet de constater que 5 ans après les ventes aux enchères, la part des lots vendus au titre de l'indivision « l'Académie française et l'Institut de France » a permis de distribuer à Mme [D] la somme de 3 374,42 euros et celle des lots vendus sur l'indivision « [O] [N] » la somme de 1 735,83 euros.

Le temps écoulé et le montant auquel sont valorisées les parts témoignent du risque important qu'a fait prendre M. [I] en conseillant à Mme [D] d'investir dans l'art au détriment d'une épargne plus sûre.

La circonstance que Mme [D] ait par ailleurs diligenté une action en responsabilité à l'encontre du notaire est indifférente, en l'absence de toute fraude visant à dissimuler une telle circonstance et alors qu'une victime peut valablement rechercher l'indemnisation de son préjudice auprès de plusieurs co-obligés.

Le préjudice subi par Mme [D] s'analyse comme la perte de chance de ne pas avoir investi dans les produits proposés par la société Aristophil.

Il convient de déduire la valeur des parts des œuvres lors de leur vente, valeur qui était soumise à un aléa.

En conséquence, la perte de chance subie par Mme [D] sera évaluée à la somme de 10 000 euros au paiement de laquelle M. [I] sera condamné.

Dès lors, le jugement querellé sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande indemnitaire sur le fondement de la perte de chance.

Sur la demande au titre du préjudice financier

Mme [D] invoque également un préjudice financier correspondant à la perte des fonds investis et à l'immobilisation de son capital.

La Cna soutient que ce préjudice est purement hypothétique et en toute hypothèse indéterminable puisque la totalité des œuvres acquises en indivision n'a pas été vendues aux enchères.

Toutefois, le manquement du conseiller en gestion du patrimoine à des obligations d'information et de conseil a privé Mme [D], non pas du capital investi ou du rendement qui lui avait été promis au bout de cinq années, mais de la chance de ne pas investir dans les produits Aristophil et d'avoir investi, le cas échéant, dans un produit classique et conforme à ses attentes.

Dès lors, il ne peut être pris en compte d'autre préjudice financier que celui qui résulte de la perte de chance de sorte que la demande indemnitaire en réparation de la perte des fonds et à l'immobilisation du capital sera rejetée.

Le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre du préjudice moral

Mme [D] invoque un préjudice moral résultant de la trahison de M. [I] qui lui a vanté la défense du patrimoine culturel français auquel elle était sensible alors qu'il avait uniquement le dessein de percevoir des commissions importantes.

La Cna affirme que le préjudice moral allégué n'est pas caractérisé.

Il convient de rappeler qu'au moment de la souscription des contrats litigieux, la société Aristophil jouissait d'une très bonne réputation et était présentée comme présentant de réels gages de solidité financière étant rappelé la banque de France lui a attribué, en septembre 2014, soit postérieurement aux contrats d'investissement, la cotation B » correspondant à un niveau d'activité compris entre 150 millions d'euros et 750 millions d'euros et à une capacité d'honorer ses engagements financiers à horizon de 3 ans, qualifiée de forte.

Dans ce contexte, Mme [D] ne saurait arguer d'une trahison de M. [I] résultant de la présentation tronquée de la société Aristophil qui serait à l'origine d'un préjudice moral.

Par suite, celle-ci sera déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.

Le jugement critiqué sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de garantie formée à l'encontre de la Cna

Au soutien de sa demande de garantie formée à l'encontre de la société Cna, Mme [D] affirme que la qualité d'assuré de M. [I] est certaine dès lors qu'il disposait nécessairement d'un mandat express d'une des sociétés distributrices dédiées à la commercialisation des placements Aristophil à savoir la société Script'Invest absorbée au 1er janvier 2003 par Art Courtage, ou encore la société Finestim Conseil, qui toutes étaient assurées auprès de la Cna sous la police FN 1925 ou FN 1549 pour les mandataires ou encore FN 5989 pour les sous-mandataires.

La société Cna se prévaut de l'absence de qualité d'assuré de M. [I] au titre des polices visées par l'appelante.

Sur ce,

Selon l'article L. 124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Il résulte de ces dispositions que lorsque le bénéfice du contrat qui a été souscrit auprès d'un assureur de responsabilité est invoqué, non par l'assuré, mais par la victime du dommage, laquelle est un tiers, il incombe à cet assureur de démontrer, en versant le contrat aux débats, quelle est l'étendue de sa garantie pour le sinistre objet du litige.

En l'espèce, la Cna verse au débats les documents suivants :

les conditions générales et spéciales de la police d'assurance responsabilité civile professionnelle n° FN 1925 souscrite par la société Art Courtage le 1er novembre 2008 et son avenants n°6 à effet au 7 mars 2012 ainsi qu'un avenant n°1 par lequel les parties ont convenu de la résiliation de la police à compter du 31 décembre 2014

une attestation d'assurance responsabilité civile professionnelle souscrite auprès de la Cna par la société Script'Invest sous le numéro de police FN 1549 couvrant la responsabilité du souscripteur et des agents commerciaux et courtiers ayant reçu mandat express de la société Script'Invest avec prise d'effet au 1er juillet 2008 et un avenant n°8 à effet au 1er mai 2012

les conditions générales et spéciales de la police responsabilité civile professionnelle des sous-mandataires de la société Art Courtage France n° FN 5989

La police n° FN 1925 définit l'assuré comme étant le souscripteur, à savoir la société Art Courtage et les agents commerciaux ayant reçu mandat express d'Art Courtage.

La police n° FN 1549 souscrite par la société Script'Invest définit de manière identique l'assuré.

La police n° FN 5989 garantit quant à elle la responsabilité civile professionnelle des sous mandataires de la société Art Courtage France et définit l'assuré comme étant le souscripteur, toute personne désignée comme telle aux conditions particulières et leurs représentants légaux ainsi que les préposés du souscripteur.

En premier lieu s'agissant des deux premières polices, M. [I] n'étant pas le souscripteur, il appartient à Mme [D] d'établir qu'il avait reçu mandat express de la société Art Courtage ou de la société Script'Invest de commercialiser les produits Aristophil quand bien même il s'agit d'une police « pour compte de qui il appartiendra », ce qui ne saurait résulter de la seule apposition de la signature de M. [I] en tant que « mandataire autorisé » sur les documents contractuels.

Si la qualité de mandataire de M. [I] n'est pas contestable de même que l'existence d'une garantie civile professionnelle de l'ensemble des mandataires habilités à conseiller les produits Aristophil, il est établi que le réseau de commercialisation des produits Aristophil était constitué d'entités juridiques distinctes que sont essentiellement les sociétés Art courtage France, Script'Invest et Finestim Conseil mais également les sociétés Art Invest, Art Invest 2X et autres comme cela ressort de la note d'information du 16 octobre 2014 du directeur du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) (pièce 6-10 page 7).

A cet égard, Mme [D] se prévaut des liens entre ces différentes sociétés.

Il est exact que la société Script'Invest a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 31 juillet 2013 à la suite de son absorption par la société Art Courtage.

Toutefois, si en application de l'article L. 236-3 du code de commerce, en cas de fusion entre deux sociétés par absorption de l'une par l'autre, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante, en revanche, l'assurance de responsabilité de la société absorbante, souscrite avant la fusion , n'a pas vocation à garantir le paiement d'une telle dette, dès lors que le contrat d'assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l'exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l'assurée, de la garantie accordée par l'assureur en fonction de son appréciation du risque.

Dès lors, Mme [D] ne saurait utilement arguer de la continuation des engagements souscrits dans le cadre de la police FN 1549 par la société Script'Invest qui s'imposeraient à la société Art Courtage à partir du 1er janvier 2013 et au courtier de la société Art courtage, la société Finestim.

Ainsi, Mme [D] ne démontre pas que M. [I] était liée par un mandat exprès avec la société Art Courtage ou la société Script'Invest.

La cour observe d'ailleurs que M. [I] avait remis à Mme [D] une carte de visite sur laquelle figurait sa qualité d'inspecteur qualité de la société Finestim.

En deuxième lieu, s'agissant du contrat d'assurance n° FN 5989, Mme [D] n'établit pas davantage que M. [I] est intervenu en qualité de sous-mandataire de la société Art Courtage.

Au contraire, la liste des sous-mandataires de la société d'Art Courtage et des adhésions au titre de la police n° FN 5989 communiquée par la Cna en pièce 9-2 ne fait nullement apparaitre M. [I].

En toute hypothèse, l'adhésion à cette police d'assurance n'était pas systématique et était soumise à six critères d'éligibilité (pièce Cna 9.1).

Par ailleurs, la cour observe que les produits Aristophil étaient également commercialisés par des personnes physiques liées à des sociétés tierces par contrat d'agent commercial ou contrat de partenariat (pièces Cna 6.1 et 6.2).

L'examen de la liste des courtiers de la société Art Courtage établie dans la note d'information précitée du 16 octobre 2014 du directeur de Tracfin révèle là encore l'absence de mention de M. [I].

Il n'est donc pas établi que si M. [I] a été amené à distribuer les produits de la société Aristophil, il l'a nécessairement fait dans le cadre d'un mandat exprès de la part de la société Art Courtage ou d'un sous-mandat de sorte qu'il bénéficierait d'une des garanties souscrites auprès de la société Cna.

En définitive, Mme [D] qui échoue à démontrer que M. [I] a la qualité d'assuré de la société Cna sera déboutée de sa demande de garantie formée à l'encontre de celle-ci.

Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens de cet arrêt conduit à infirmer les dispositions du jugement querellé relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile et à condamner M. [I] aux dépens de première instance et d'appel.

M. [I] sera également condamné à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et celle de 3 000 euros en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aucune considération tirée de l'équité justifie l'application de ces mêmes dispositions au profit de la société Cna dont la demande à ce titre sera rejetée.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Arras le 1er juin 2022 sauf en ce qu'il a :

dit que le caractère sérieux de la perte de chance n'est pas établi

débouté Mme [G] [D] de ses demandes de dommages et intérêts pour perte de chance

condamné Mme [G] [D] à payer à la société Cna Insurance Company (Europe) la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

condamné Mme [G] [D] aux dépens de l'instance

Statuant à nouveau de ces seuls chefs ;

Prononçant à nouveau et y ajoutant :

Condamne M. [V] [I] à payer à Mme [G] [D] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de ne pas avoir souscrit les contrats litigieux ;

Déboute Mme [G] [D] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice financier ;

Condamne M. [V] [I] à payer les dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [V] [I] à payer à Mme [G] [D] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et celle de 3 000 euros en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande formée par la société Cna Insurance Company (Europe) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.