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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 11 janvier 2024, n° 22/15550

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

C'Line (SARL)

Défendeur :

Belgrano (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gerard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Caminade, Me Guatteri, Me Miloudi

T. com. Antibes, du 3 juin 2022, n° 2021…

3 juin 2022

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 30 mars 2021 la société Belgrano, fournisseur en fleurs et plantes, a assigné devant le tribunal de commerce d'Antibes, la société C'Line, exploitant deux établissements en qualité de fleuriste à Cannes sous l'enseigne Roni afin d'obtenir le paiement de la somme de 39 370,58 euros au titre de factures impayées.

A titre reconventionnel la société C'Line a fait valoir que le tribunal de commerce d'Antibes n'avait pas le pouvoir juridictionnel de connaître du litige l'opposant à la société Belgrano dès lors qu'était invoqué un moyen tiré de l'article L. 442-1 du code de commerce relatif aux pratiques restrictives de concurrence rendant irrecevables les demandes de la société Belgrano. Subsidiairement la société C'Line a sollicité que le tribunal de commerce d'Antibes se déclare incompétent au profit du tribunal de commerce de Marseille.

Sur le fond, elle a sollicité que la société Belgrano soit déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Par jugement du 3 juin 2022 le tribunal de commerce d'Antibes a :

Débouté la société C'Line de sa demande sur l'irrecevabilité des demandes pour défaut de pouvoir de juger du tribunal de commerce d'Antibes et de renvoi devant le tribunal de commerce spécialisé de Marseille, 

S'est déclaré compétent pour connaître du litige,

Ordonné la réouverture des débats et renvoyé les parties à plaider sur le fond à l'audience du vendredi 2 septembre 2022 à 8h30,

Dit que la notification du jugement vaut convocation des parties,

Réservé tous droits et moyens et demandes

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Le 16 juin 2022 la société C'Line a interjeté appel du jugement devant la cour d'appel de Paris et après s'être désistée de son recours, a interjeté appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence par acte du 23 novembre 2022.

Par ordonnance du 28 novembre 2022 la société C'Line a été autorisée à assigner à jour fixe pour l'audience du 15 juin 2023.

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Par assignation en date du 13 décembre 2022 la société C'Line a fait citer la société Belgrano devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour voir:

Vu les articles 2241 et 2242 du code Civil,

Vu l'article 49 du code de Procédure Civile,

Vu les articles, L. 442-1 1°, L. 442-4 III et D. 442-2 du code de commerce,

Vu l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire,

Vu les articles 699 et 700 du code de Procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces communiquées,

A titre liminaire,

Juger que le délai pour interjeter appel du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Antibes le 3 juin 2022 n'a pas expiré ;

Juger qu'elle est compétente pour statuer sur l'appel interjeté par la société C'Line ;

En conséquence,

Juger recevable l'appel interjeté par la société C'Line.

A titre principal,

Juger que le tribunal de commerce d'Antibes a méconnu l'étendue de son pouvoir juridictionnel, en statuant sur le bien-fondé du moyen de défense relatif aux pratiques restrictives de concurrence évoquées par la société C'Line ;

Juger que le tribunal de commerce d'Antibes aurait dû prononcer l'irrecevabilité de l'action diligentée par la société Belgrano dès sa connaissance de l'argumentation soulevée par l'appelante et relative aux pratiques restrictives de concurrence ;

A titre subsidiaire,

Juger que le moyen développé en première instance par l'appelante est relatif aux pratiques restrictives de concurrence ;

En tout état de cause et en conséquence,

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a débouté l'appelante de sa demande d'irrecevabilité résultant du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce d'Antibes sur les pratiques restrictives de concurrence ;

Statuant à nouveau,

Juger que le moyen en défense relatif aux pratiques restrictives de concurrence constitue un cas d'irrecevabilité ;

Juger que constitue une fin de non-recevoir, le moyen relatif aux pratiques restrictives de concurrence développé par l'appelante en première instance, devant une juridiction non spécialisée, mettant fin ainsi à l'instance ;

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il s'est déclaré compétent. ;

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a ordonné la réouverture des débats ;

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a renvoyé les parties à plaider sur le fond à l'audience du vendredi 2 septembre 2022 à 8h30 ;

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a dit que la notification du présent jugement vaut convocation aux parties ;

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a réservé tous droits, moyens et demandes ;

Réformer le jugement n° 2021 001269 rendu par le tribunal de commerce d'Antibes, en ce qu'il a dit les dépens, en ce compris les frais de greffe, liquides à la somme de 60,22 euros TTC, dont 10,04 euros de TVA;

Condamner l'intimée à verser à l'appelante la somme de 7.000 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner l'intimée à verser à l'appelante les entiers dépens de l'instance qui seront distraits au profit de Me Caminade, Avocat, sous sa due affirmation.

La société C'Line précise à titre liminaire qu'au visa des articles 2241 et 2242 du code civil son appel est recevable dès lors que le délai d'appel ayant été interrompu par la saisine de la cour d'appel de Paris, elle ne peut se voir opposer une expiration du délai d'appel devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle ajoute que la cour d'appel d'Aix-en-Provence est compétente pour connaître des recours à l'encontre du tribunal de commerce d'Antibes quand bien même cette juridiction aurait statué à tort sur le moyen relatif aux pratiques restrictives de concurrence.

A titre principal, la société C'Line fait valoir que le tribunal de commerce a méconnu l'étendue de son pouvoir juridictionnel en l'état des articles L. 442-1 1°, L. 442-4 III et D. 442-2 du code de commerce donnant compétence au tribunal de commerce de Marseille en la matière, et qu'il ne lui appartenait pas de juger du bien-fondé du moyen de défense soulevé.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 25 octobre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Belgrano (SARL) demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-1 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

- Confirmer le jugement du tribunal en ce qu'il s'est déclarent compétent pour connaître du litige ;

- Débouter la société C'Line de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société C'Line à payer à la société Belgrano la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ;

La société Belgrano réplique que ses demandes sont fondées sur le droit des contrats et sont donc recevables, seules les demandes reconventionnelles de l'appelante, qui relèvent de la compétence exclusive de juridictions spécialisées, doivent être déclarées irrecevables.

Par ailleurs, la société Belgrano rappelle que son action est fondée sur le paiement de factures et que les agissements parasitaires dénoncés par la société C'Line concernent une autre société qui n'est pas partie à la procédure.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel :

En application de l'article 2241 du code civil la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. Par ailleurs, en application de l'article 2242 du même code, l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

Ainsi, il a été jugé qu'une déclaration d'appel, serait-elle formée devant une cour d'appel incompétente, interrompt le délai d'appel.

Il en résulte qu'en l'état de la saisine initiale de la cour d'appel de Paris, et du désistement d'instance en cours devant cette juridiction, le délai d'appel de la société C'Line n'a pas expiré, de sorte que l'appel interjeté par cette société est recevable.

Sur la compétence :

L'article D. 442-3 du code de commerce a réservé l'examen des litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence à certaines juridictions commerciales spécifiquement désignées à l'annexe 4-2-1 et bénéficiant ainsi d'une compétence d'attribution exclusive.

Il en résulte que lorsque le droit des pratiques restrictives est invoqué comme moyen de défense, le juge territorialement compétent pour connaître de la demande en paiement principale ne peut examiner le bien-fondé de ce moyen de défense, quels que soient les développements ou la pertinence des éléments invoqués à l'appui de ce moyen.

Ainsi, la juridiction saisie, si elle n'est pas une juridiction désignée par l'article D. 442-3 précité, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l'interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l'attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l'affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.

En l'espèce, et au vu des conclusions de première instance de la société C'Line, invoquant expressément un moyen tiré de l'article L. 442-1 du code de commerce relatif aux pratiques restrictives de concurrence pour s'opposer aux demandes en paiement formées par la société Belgrano, il appartenait au premier juge de se déclarer incompétent sans pouvoir apprécier au préalable le bien-fondé de ce moyen.

Compte-tenu de l'interdépendance des demandes, il y a lieu d'infirmer le jugement attaqué et de renvoyer le litige pour le tout au tribunal de commerce de Marseille considérant qu'en première instance, le défendeur n'a pas formulé d'autre prétention que le rejet de la demande principale, excluant la possibilité de dissocier les demandes.

L'équité commande de juger que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit recevable l'appel interjeté par la société C'Line,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Antibes le 3 juin 2022,

Statuant à nouveau,

Renvoie l'affaire pour le tout au tribunal de commerce de Marseille,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens, tant de première instance qu'au titre de la procédure d'appel.