CA Nîmes, 2e ch. C, 11 janvier 2024, n° 21/03871
NÎMES
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme DODIVERS
Conseillers :
Mme MALLET, Mme STRUNK
Avocats :
Me POMIES RICHAUD, Me POLLARD, Me LECAT
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 14 avril 2017, M. [M] [L] et Mme [W] [B] épouse [L] ont acquis de Monsieur [V] [S] et Madame [X] [Y] un fonds de commerce de café-restaurant exploité à [Localité 4], lieudit [Localité 5].
Il est précisé dans l'acte au paragraphe « bail commercial » : « le cédant étant propriétaire des locaux dans lequel est exploité le fonds vendu, il a consenti un bail commercial sous-seing-privé au cessionnaire, le 10 avril 2017 pour une durée de neuf ans à compter du 10 avril 2017 pour se terminer le 9 avril 2026 moyennant un loyer annuel de 9300 € hors-taxes. »
L'immeuble objet de ce bail commercial concerne les locaux appartenant aux vendeurs et jouxtant la propriété de M. et Mme [A].
M. [K] [A] et Mme [P] [A] (les consorts [A]), ont consenti deux baux dérogatoires à M. et Mme [L] portant sur une terrasse et deux pièces attenantes au rez-de-chaussée d'un immeuble cadastré section [Cadastre 2] d'une durée ferme de 6 mois chacun allant respectivement du 1er avril 2017 au 30 septembre 2017 pour le premier et du 1er mai 2018 au 30 octobre 2018 pour le second.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 mars 2019, le conseil de M. et Mme [L] a notamment entendu voir reconnaître l'existence d'un bail commercial.
Exposant que les précédents propriétaires du fonds de commerce ont bénéficié, à partir du 1er juin 2015 et jusqu'à la cession du fonds intervenue le 14 avril 2017, de la mise à disposition continue de la terrasse et des locaux adjacents, s'étant maintenus dans les lieux après la date d'échéance du bail dérogatoire le 1er juin 2016, M. et Mme [L] ont, par acte d'huissier du 20 juillet 2020, saisi le tribunal judiciaire de Privas afin principalement de dire et constater l'existence d'un bail commercial selon les dispositions d'ordre public qui régissent la matière à leur bénéfice ayant commencé à courir le 1er juin 2015 pour se terminer le 31 mai 2024 moyennant la somme mensuelle de 150 euros et de condamner M. et Mme [A] à leur verser une certaine somme au titre des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice, outre une somme au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire du 21 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Privas a :
- débouté M. [M] [L] et Mme [W] [B] épouse [L] de l'ensemble de leurs demandes,
- rejeté toute prétentions plus amples ou contraires,
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [M] [L] et Mme [W] [B] épouse [L] aux dépens.
Par déclaration du 25 octobre 2021, M. et Mme [L] ont relevé appel de ce jugement.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 15 février 2023, auxquelles il est expressément référé, M. et Mme [L] demandent à la cour de :
Vu les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Privas le 21 septembre 2021 en ce qu'il a :
* débouté M. [L] et Mme [B] épouse [L] de l'ensemble de leurs demandes notamment celles tendant à se prévaloir d'un bail commercial à leur profit et à obtenir une indemnité d'éviction,
* condamné M. [L] et Mme [W] [B] épouse [L] aux dépens,
statuant de nouveau,
- déclarer la demande de Monsieur et Madame [L] recevable et bien fondée, et en conséquence :
- dire et constater l'existence d'un bail commercial selon les dispositions d'ordre public qui régissent la matière au bénéfice de Monsieur et Madame [L] ayant commencé à courir le 1er juin 2015 pour se terminer le 31 mai 2024 moyennant la somme de 150 euros mensuel,
- condamner Monsieur et Madame [A] à verser la somme de 15.000 euros au titre des dommages-intérêts,
- condamner Monsieur et Madame [A] à payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur et Madame [A] aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 15 avril 2022, auxquelles il est expressément référé, Mme [P] [A] et M. [K] [A] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 21/09/2021 par le tribunal judiciaire de Privas sous le RG 20/02126 et statuant à nouveau,
Vu les articles L 145-1 et L 145-5 du code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
à titre principal,
- dire et juger qu'aucun contrat de bail commercial n'a été conclu entre Monsieur et Madame [A] et Monsieur et Madame [S] en leur qualité d'anciens propriétaires du fonds de commerce cédé à Monsieur et Madame [L],
- dire et juger qu'aucun contrat de bail commercial n'a été conclu entre Monsieur et Madame [A] et Monsieur et Madame [L],
ce faisant,
- dire et juger que le statut des baux commerciaux ne saurait trouver application,
en conséquence,
- débouter Monsieur et Madame [L] de l'intégralité des demandes, fins et prétentions présentées à l'encontre de Monsieur et Madame [A],
à titre subsidiaire,
- dire et juger que Monsieur et Madame [L] ne justifient pas de l'existence d'un quelconque préjudice.
se faisant,
- débouter Monsieur et Madame [L] de l'intégralité des demandes, fins et prétentions présentées à l'encontre de Monsieur et Madame [A],
en tout état de cause,
- condamner Monsieur et Madame [L] à verser à Monsieur et Madame [A] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l'instance.
La clôture de l'instruction de la procédure est intervenue le 16 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION:
Selon l'article L145-5 du code de commerce,
« Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.
Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier.
Lorsque le bail est conclu conformément au premier alinéa, un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location.
Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire. »
Les appelants soutiennent qu'à l'expiration du bail dérogatoire invoqué par les intimés pour une occupation du 1er juin 2015 au 31 mai 2016, outre qu'il a été contracté avec le « Café restaurant du Pont », société radié en 2013, l'occupation de la terrasse et du local adjacent s'est poursuivie après cette date, qu'ainsi ce maintien dans les lieux des précédents propriétaires après la date d'échéance du bail dérogatoire et en l'absence de tout document attestant d'un nouveau bail dérogatoire ou d'une volonté des époux [A] de mettre fin à la possession des lieux, il s'est opéré un nouveau bail régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce et donc soumis au régime des baux commerciaux.
Les intimés répliquent que les époux [L] ne démontrent pas d'une part qu'un bail commercial aurait été conclu entre les anciens propriétaires du fonds de commerce et les époux [A] et d'autre part qu'ils seraient titulaires d'un bail commercial conclu directement avec ces derniers.
Ils ajoutent que les époux [L] ne rapportent pas la preuve que les lieux revendiqués auraient été occupés de manière continue depuis le 1er juin 2015 et qu'un loyer aurait été versé à cet effet.
Il résulte des pièces produites aux débats qu'un bail dérogatoire a été conclu entre les anciens propriétaires du fonds de commerce et M. et Mme [A] commençant à courir le 1er juin 2015 pour se terminer le 31 mai 2016.
Ce bail précise également concernant la cession du bail « Toute cession du présent droit au bail, totale ou partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite. »
L'intention des parties de ne pas soumettre le bail aux statuts des baux commerciaux régis par les articles L 145-1 et suivants du code de commerce est clairement établie.
Quant à la nullité du bail non soulevée mais sous-entendue par les appelants, il convient de rappeler que la nullité concernant les conditions de formation du contrat est une nullité relative qui ne peut être invoquée que par les parties au contrat et non les tiers, étant de plus soumis à une prescription quinquennale.
Pour démontrer la poursuite de l'occupation de la terrasse et du local adjacent par les anciens propriétaires du fonds de commerce jusqu'à la cession du fonds de commerce aux époux [L], ces derniers versent aux débats les attestations de M. [O] [C] et de M. [T].
M. [C], commercial pour la société « Ardèche Boisson Distribution » déclare avoir livré et fait livrer des commandes de boissons à M. [V] [S] au [3] à [Localité 4] dont le dépôt se trouvait en face du bar restaurant dans les locaux adjacents à la terrasse pour les années 2015 et 2016, et depuis avril 2017.
Pour autant, il convient de constater que ces dates de livraison correspondent précisément aux périodes d'exécution du bail dérogatoire de 2015 puis des baux dérogatoires de 2017 et 2018, ne rapportant dès lors pas la preuve d'une occupation des lieux postérieure à leurs échéances.
Par ailleurs, la seule occupation des lieux non accompagnée du paiement d'un loyer ne suffit pas à caractériser l'existence d'un bail commercial verbal qui suppose l'accord des parties sur la chose et le prix du loyer.
Or, en l'espèce, les époux [L] se contentent d'affirmer sans le justifier que leurs vendeurs, à supposer même qu'ils occupaient les lieux, payaient aux époux [A] un quelconque loyer.
Quant à l'attestation de M. [T], il évoque l'existence de négociations entre M. [J], ancien propriétaire du fonds de commerce et M. [I], auteur des époux [A], pour l'exploitation de la terrasse et le local attenant.
Cependant, ce dernier ne fait état que de dires qu'il n'a pu lui-même constater et il n'indique à aucun moment l'existence d'un quelconque loyer, condition essentielle pour la reconnaissance de l'existence d'un bail commercial.
De même, postérieurement à l'expiration du bail de 2018, les époux [L] n'occupaient plus la terrasse et les locaux adjacents, puisque selon les déclarations sur l'honneur de M. [L] lui-même, il a loué à M. [J] une cave puis à compter de septembre 2019 un garage à la SCI Jaspar.
Il ressort également du procès-verbal de constat d'huissier du 5 avril 2019 que la terrasse et le local de l'immeuble voisin appartenant aux époux [A] étaient libres de toute occupation.
En conséquence, en l'absence de preuve de l'occupation des locaux contre paiement d'un loyer à l'échéance des baux dérogatoires de 2015 et de 2018, les dispositions de l'article L145-5 alinéa 2 du code de commerce ne peuvent trouver application en l'espèce.
Aucun bail commercial n'ayant été démontré antérieurement à la cession du fonds de commerce aux époux [L], les vendeurs n'ont pu leur transmettre plus de droit qu'ils en avaient eux-mêmes.
L'acte de cession du 14 avril 2017 ne fait d'ailleurs nullement mention d'un tel bail commercial sur la terrasse et les locaux de l'immeuble appartenant aux époux [A], encore confirmé par la signature par les époux [L] de deux baux dérogatoires avec les époux [A] postérieurement à la vente, confirmant la volonté des parties de ne pas se soumettre aux statuts des baux commerciaux.
Eu égard à la présente décision, la demande de dommages et intérêts des époux [L] n'est pas justifiée.
En conséquence, pour ces motifs, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de l'ensemble de leurs demandes.
Les dispositions du jugement déféré concernant les dépens et les frais irrépétibles de première instance, seront confirmées.
En application de l'article 696 du code de procédure civile, les appelants qui succombent supporteront les dépens d'appel.
Il n'est pas inéquitable de laisser supporter aux intimés leurs frais irrépétibles d'appel. Ils seront déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [M] [L] et Mme [W] [B] épouse [L] aux dépens d'appel,
Déboute Mme [P] [A] et M. [K] [A] de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel.