CA Bordeaux, 1re ch. civ., 11 janvier 2024, n° 23/02805
BORDEAUX
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Optima Brand Design (SARL)
Défendeur :
Maison Villevert (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
Mme Vallée, M. Breard
Avocats :
Me Taillard, Me Castagnon, Me Tricoire, Me Auckenthaler
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La SAS Maison Villevert, société de négoce de spiritueux, a confié à la SARL Optima Brand Design (ci-après Optima) dont le gérant est M. [X] [D], société de conseil en packaging, design produit et outils de communication, la création de l'univers graphique des bouteilles de spiritueux commercialisées sous les marques propres de la société Maison Villevert telles que G'Vine, June, Excellia, La Quintinye Vermouth Royal, La Guilde Du Cognac et Nouaison.
Après avoir collaboré pendant une vingtaine d'années, un litige va survenir en 2021 entre ces deux sociétés, suite à une mise en concurrence faite par la société Maison Villevert à propos de travaux sur la marque G'Vine, la société Optima reprochant à la société Maison Villevert une rupture brutale de leurs relations commerciales.
Dans ce contexte, en septembre 2021, la société Optima a proposé à la société Maison Villevert de formaliser une cession de ses droits d'auteurs sur les créations réalisées, sauf pour la marque La Guilde Du Cognac, pour laquelle la cession était déjà intervenue. La société Maison Villevert s'est opposée à cette offre.
Le 4 octobre 2021, la société Optima a mis en demeure la société Maison Villevert de lui régler des indemnités de rupture et de se positionner sur l'offre de cession de ses droits d'auteur. La société Maison Villevert a maintenu son opposition, exposant qu'il résultait de la nature des commandes et de la connaissance de la destination contractuelle des travaux commandés que les éventuels droits d'Optima avaient fait l'objet d'une cession implicite.
Le 22 novembre 2021, la société Optima a mis en demeure la société Maison Villevert de cesser toute utilisation de leurs créations protégées par le droit d'auteur.
C'est dans ces conditions que, reprochant à la société Maison Villevert de ne pas avoir accepté l'offre de cession de droits d'auteur pour les créations portant sur l'univers graphique et le packaging de cinq marques réalisées dans le cadre de cette collaboration dédiée au marketing et design des spiritueux et dont elle poursuit l'exploitation, M. [D] et la société Optima Brand Design, en tant que cessionnaire des droits patrimoniaux de son gérant, l'ont, par acte du 20 avril 2022, fait assigner devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en contrefaçon de droits d'auteur.
Par arrêt du 28 février 2023, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux :
- faisant injonction sous astreinte à la société Maison Villevert de communiquer à la société Optima les éléments suivants relatifs à chacun des produits G'Vine, La Quintinye, Excellia, June et Nouaison, pour ce qui concerne les marchés réalisés en France et à l'étranger sur les 5 dernières années :
* les quantités produites, commercialisées et livrées,
* le chiffre d'affaires réalisé,
* la marge réalisée,
- rejetant la demande d'interdiction de reproduction, représentation et adaptation des créations litigieuses et destruction de mobiliers reproduisant ces créations et d'interdiction de dépôt de marque.
Par conclusions devant le juge de mise en état du 18 avril 2023, la société Maison Villevert a soulevé l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon intentée par la société Optima et M. [D].
Par ordonnance contradictoire du 5 juin 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- dit que l'action en contrefaçon et en nullité de marques introduite par la société Optima est irrecevable pour défaut de qualité à agir,
- dit que l'action en contrefaçon et en nullité de marques introduites par M. [D] est irrecevable pour défaut de qualité à agir,
- rejeté les demandes reconventionnelles de la soiété Optima et de M. [D],
- constaté en conséquence l'extinction de l'instance et le dessaisissement du tribunal,
- condamné in solidum la société Optima et M. [D] à payer la société Maison Villevert la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Optima et M. [D] aux dépens.
Le juge de la mise en état a estimé, en substance :
- d'une part, qu'il était compétent pour statuer sur la fin de non recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de la société Optima en raison d'une cession implicite des droits patrimoniaux à la société Maison Villevert sur les créations,
- d'autre part, que les droits de la société Optima ont été cédés implicitement à la société Maison Villevert en raison de la nature et du contexte des commandes en cause, ainsi qu'au vu des échanges écrits entre les parties,
- enfin, que M. [D], gérant de la société optima, ne démontre pas sa qualité d'auteur et est donc irrecevable à agir en contrefaçon.
Par déclaration du 12 juin 2023, M. [D] et la société Optima ont relevé appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.
Par conclusions déposées le 25 octobre 2023, ils demandent à la cour de :
- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux le 5 juin 2023 en ce qu'il a dit que l'action en contrefaçon et en nullité de marques introduites par la société Optima est irrecevable pour défaut de qualité à agir; dit que l'action en contrefaçon et en nullité de marques introduites par M. [D] est irrecevable pour défaut de qualité à agir ; constate en conséquence l'extinction de l'instance et le dessaisissement du tribunal ; condamne in solidum la société Optima et de M. [D] à payer la société Maison Villevert la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamne la société Optima et de M. [D] aux dépens,
- rejeter l'appel incident formé par la société Maison Villevert,
Et statuant à nouveau,
- déclarer recevables les demandes de la société Optima, laquelle dispose d'un intérêt et de la qualité à agir en contrefaçon de droits d'auteur et en nullité des marques de la société Maison Villevert sur le fondement de ses droits patrimoniaux d'auteur,
- à titre subsidiaire, renvoyer l'affaire devant la formation de jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir tenant à l'existence supposée d'une cession implicite de l'ensemble des droits patrimoniaux d'auteur revendiqués par la société Optima au profit de la société Maison Villevert,
- déclarer recevables les demandes de M. [D], lequel dispose d'un intérêt et de la qualité à agir à l'encontre de la société Maison Villevert au titre de l'atteinte portée à son droit moral,
- déclarer irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Maison Villevert tirée de la prétendue cession implicite de droits à son profit par la société Optima,
- déclarer recevables les demandes de la société Optima et de M. [D], en contrefaçon et en nullité de marques à l'encontre de la société Maison Villevert, en l'absence de prescription de l'action et de forclusion,
- rejeter en toute hypothèse les fins de non-recevoir soulevées par la Société Maison Villevert et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- renvoyer l'affaire au fond à l'audience du tribunal judiciaire de Bordeaux,
- condamner la société Maison Villevert à payer à la société Optima la somme de 6 000 euros, et à payer à M. [D] la somme de 6 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Maison Villevert aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions déposées le 31 octobre 2023, la société Maison Villevert demande à la cour de :
- confirmer la compétence du juge de la mise en état et rejeter la demande subsidiaire de renvoi devant la formation de jugement,
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état dans toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire et d'incident,
Sur les fins de non-recevoir de défaut de qualité pour agir,
- subsidiairement, juger la société Optima et M. [D] dépourvus de qualité pour agir en raison du caractère collectif de l'oeuvre à laquelle ils ont collaboré à l'initiative et sous la direction de la société Maison Villevert qui l'a divulguée sur ses produits,
- plus subsidiairement, juger la société Optima irrecevable à agir seule au titre d'une oeuvre de collaboration,
- encore plus subsidiairement, juger que les demandes de la société Optima et de M. [D] au titre de la violation de leurs droits d'auteur sont irrecevables pour defaut de qualité à agir faute
* d'identification de ces droits ; et
* d'usage de moyens probants attestant de sa titularité des oeuvres arguées
de contrefaçon,
Sur les fins de non-recevoir de prescription et la forclusion,
- juger irrecevable car prescrite l'action en violation de droits d'auteur exploités depuis plus de 5 ans, à la connaissance de la société Optima,
- juger qu'il incombe à la société Optima d'identifier et de prouver la titularité des droits antérieurs de moins de 5 ans,
- juger irrecevables les demandes de nullité des marques de la société Optima et de M. [D] en raison :
* du défaut de titularité des droits en cause,
* subsidiairement, du défaut d'identification et de preuve de titularité des droits en cause,
* plus subsidiairement, de la prescription des actions afférentes aux droits (à
les supposer identifiés) constituant les éléments distinctifs des marques en cause ; et
* encore plus subsidiairement, de la forclusion en raison des dépôts antérieurs de plus de 5 ans comme marques, des éléments distinctifs des 4 marques en cause,
Dans tous les cas :
- condamner la société Optima à payer à la société Maison Villevert une somme supplémentaire de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et frais éventuels d'exécution,
- condamner M. [D] à payer à la société Maison Villevert une somme de 4 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions de procédure déposées le 31 octobre 2023, la société Maison Villevert demande à la cour de :
- à titre principal, reporter la date de clôture au jour de l'audience des plaidoiries et, par conséquent, déclarer recevables les conclusions n°3 et les pièces n°18, 82-1 et 82-2 de la société Maison Villevert communiquées le 31 octobre 2023,
- subsidiairement, rejeter des débats les conclusions n°3 et pièces n°58 à 62 de la société Optima et M. [D] du 25 octobre 2023 pour communication tardive et violation du principe de contradiction,
- réserver les dépens.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 09 novembre 2023.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 26 octobre 2023.
Lors de l'audience, avant tous débats au fond, les parties se sont entendues pour voir révoquer l'ordonnance de clôture et fixer la clôture de l'instruction du dossier au jour de l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les appelants, reprochent au juge de la mise en état d'avoir retenu :
- d'une part, que la société Optima n'avait pas qualité à agir au titre de ses droits patrimoniaux d'auteur sur les créations litigieuses au motif qu'elle les aurait tacitement cédés en intégralité à la société Maison Villevert (1),
- d'autre part que M. [D] n'aurait pas davantage qualité à agir au motif qu'il ne démontrerait pas être l'auteur des créations litigieuses sur lesquelles ne figureraient pas son nom (2).
1- Sur la qualité à agir de la société Optima
a) Sur la compétence du juge de la mise en état
Au préalable, les appelants font valoir que le moyen tiré d'une supposée cession implicite de ses droits au profit de la société Maison Villevert ne constitue pas une fin de non-recevoir mais un moyen de défense au fond dont le juge de la mise en état n'a pas à connaître. Ils concluent à l'irrecevabilité de la fin de non-recevoir ainsi soulevée par la société Maison Villevert et, subsidiairement, demandent à la cour de renvoyer l'affaire devant la formation de jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux pour qu'elle statue sur cette question de fond et cette fin de non-recevoir en application de l'article 789 du code de procédure civile.
La société Maison Villevert réplique que l'action en contrefaçon intentée par la société Optima suppose que cette dernière ait qualité à agir et démontre être titulaire des droits d'auteur patrimoniaux sur les créations litigieuses ; que cette question constitue une fin de non-recevoir même si elle nécessite que soit au préalable tranchée une question de fond ; que conformément à l'article 789 6° du code de procédure civile, le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur cette question de fond préalable ; que la demande de renvoi devant la formation de jugement du tribunal judiciaire, formulée pour la première fois en cause d'appel, n'est pas recevable.
Sur ce,
Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, 'lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
(...)
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état'.
En l'espèce, il est manifeste que la question de la cession implicite des droits patrimoniaux de l'auteur constitue une question de fond.
Toutefois, dans la mesure où, comme le souligne pertinemment le premier juge, elle influe directement sur la question de la titularité de ces droits si une cession est admise et, partant, sur la qualité à agir en contrefaçon et en nullité de marque pour atteinte aux droits d'auteur, dont le défaut constitue une fin de non-revoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, en application des dispositions qui précèdent, compétent pour en connaître.
Par ailleurs, si la demande de renvoi devant la formation de jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux ne constitue pas une prétention au sens des dispositions du code de procédure civile et ne peut donc être qualifiée de prétention nouvelle selon les articles 564 et suivants de ce code, elle constitue une simple possibilité procédurale offerte aux parties. Or, en décidant de ne pas faire usage de cette faculté en première instance, les appelants ne sont plus recevables, au stade de l'appel, à solliciter le renvoi du dossier devant la formation de jugement du tribunal judiciaire. Leur demande en ce sens sera par conséquent déclarée irrecevable.
b) Sur la titularité des droits patrimoniaux
La société Optima soutient tout d'abord qu'elle est titulaire des droits d'auteur patrimoniaux sur les créations revendiquées. A ce titre, elle fait valoir qu'elle bénéficie d'une présomption de titularité du fait de la divulgation des créations sous son nom et se prévaut d'une attestation de son gérant, M. [D], auteur, personne physique, attestant de la cession de ses droits patrimoniaux au profit de la société Optima. Si elle affirme que M. [D] est le seul auteur des créations litigieuses, elle précise que même à supposer qu'il s'agisse d'oeuvres collectives, l'employeur bénéficie d'une présomption de titularité de droit d'auteur.
Elle conteste ensuite l'existence de toute cession implicite de ses droits d'auteur au profit de la société Maison Villevert, faisant valoir que même s'il existe un contrat de commande, le fait, pour l'auteur, de remettre le support au commanditaire, ne suffit pas à ce dernier pour revendiquer la titularité des droits d'auteur en l'absence de contrat de cession écrit, délimitant explicitement le domaine d'exploitation des droits cédés quant à son étendue et sa destination, dans les conditions des articles L. 131-2 et L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle. Elle souligne que si elle a cédé ses droits d'auteur à l'intimée pour les créations relatives à la gamme La Guilde du Cognac, il n'en va pas de même pour les produits G'Vine, Nouaison, La Quintinye, Excellia, June et Maison Villevert qui n'ont nullement fait l'objet d'un contrat de cession similaire et pour lesquels elle n'a jamais renoncé à l'ensemble des droits patrimoniaux d'auteur de manière perpétuelle. Elle énonce que même à supposer qu'elle ait consenti à ce que le packaging et l'univers graphique soient reproduits pour la commercialisation des bouteilles de spiritueux, cette autorisation pour cette destination précise ne saurait valoir pour une autre destination, illimitée, notamment la présentation sur les réseaux sociaux de la société Maison Villevert, sur son site internet, lors d'évènements ou pour l'adaptation en objets promotionnels. Elle ajoute que seules des prestations techniques ont été facturées, indépendamment de toute cession de droits d'auteur sur ses créations. Elle rappelle que la renonciation à un droit ne se présume pas et qu'elle n'a manifesté aucune volonté de renoncer gratuitement à ses droits d'auteur sur l'ensemble de ses créations, indiquant qu'elle a au contraire proposé à la société Maison Villevert de lui céder ses droits d'auteur, ce que cette dernière a refusé. Elle conteste également que la prétendue cession implicite ait pu être accordée à titre gratuit et vise en ce sens des clauses figurant sur ses devis et factures ainsi que le cahier des charges rédigé par la société intimée suite à l'appel d'offres de 2021, pour conclure qu'il était expressément convenu que les droits d'auteur étaient soumis à une rémunération distincte de la facturation des prestations techniques, comme c'est l'usage et la loi, peu important par ailleurs le coût des prestations techniques.
De son côté, la société Maison Villevert conclut à l'irrecevabilité de l'action de la société Optima en contrefaçon et en nullité de marques en ce que, par la cession implicite des droits patrimoniaux à son profit, elle n'a plus qualité à agir à son encontre.
Elle soutient que la société Optima, cessionnaire des droits patrimoniaux, avait une parfaite connaissance du but de reproduction des éléments de packaging commandés en vue de la production et de la commercialisation des bouteilles de spiritueux ; qu'en tant que professionnel de la communication, elle n'a élevé aucune contestation durant les 20 ans de leur collaboration et connaissait nécessairement la destination contractuelle des travaux commandés, à savoir la reproduction du packaging non seulement sur les bouteilles elles-mêmes mais aussi sur les autres outils de promotion et de commercialisation des produits. Elle ajoute que les facturations très conséquentes de la société Optima (près d'un million d'euros entre 2008 et 2021) comprenaient implicitement le droit de reproduire les travaux de celle-ci dans le cadre de la commercialisation des produits de la société Maison Villevert. Elle déduit de la nature de la commande, de la connaissance par la société Optima de la destination des travaux et de la facturation des prestations commandés, la cession implicite des droits d'auteurs pour la commercialisation des produits.
Elle affirme en outre que la clause relative à la cession des droits figurant sur les devis de la société Optima vise nécessairement les droits afférents à des prestations immatérielles et que l'acte de cession relatif aux produits de La Guilde du Cognac, en ce qu'il a régularisé expressément la cession implicite antérieure sans aucun complément de prix par rapport au prix des prestations antérieurement facturées dans un contexte de cession de marque au profit du Groupe William Grant and Sons, est la preuve que dans la commune intention des parties, les droits patrimoniaux afférents à l'ensemble des travaux de la société Optima avaient été cédés implicitement contre paiement du prix des prestations, soulignant sur ce point que la cession implicite n'était nullement gratuite.
Elle souligne que le formalisme des articles L. 131-2 et L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle est inopérant entre commerçants et ne protège que l'artiste personne physique sans bénéficier au cessionnaire de droits, ce qui est le cas de la société Optima. Elle relève qu'il n'est pas question d'une renonciation à un droit mais d'une cession implicite de droits en parfaite connaissance de cause, ce qui constitue une cession définitive et non une licence temporaire, portant sur les droits patrimoniaux d'exploitation, peu important que la reproduction intervienne sur les produits eux-mêmes ou sur des outils de promotion de ces produits. Enfin, elle précise que le fait que la propriété de l'oeuvre soit indépendante de la propriété de l'objet matériel est un argument indifférent au cas d'espèce dès lors que la société Optima n'a livré aucun objet matériel, que la société Optima n'est pas fondée à se prévaloir d'un quelconque droit de représentation au sens de l'article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle et que les offres de cession soudainement émises par l'appelante en septembre 2021 suite à un différend et après 20 ans de collaboration sans la moindre protestation, témoignent de la mauvaise foi de la société Optima.
Sur ce,
Au préalable, si la société appelante invoque le formalisme des dispositions de l'article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle selon lesquelles 'Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit.', il est constant qu'à l'encontre de la partie commerçante, la preuve certaine et précise de la transmission conventionnelle peut être faite par tous moyens. En outre, s'agissant de l'application de l'article L. 131-3 du même code selon lequel 'La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.', il est rappelé que ces dispositions, relatives à la preuve des contrats d'exploitation des droits patrimoniaux de l'auteur, ne concernent que les rapports de celui-ci et de son cocontractant et qu'elles sont ainsi étrangères à un litige opposant deux commerçants dont l'un se prétend cessionnaire d'un droit de propriété intellectuelle. Il s'évince de ces éléments que la société Optima est mal fondée à opposer les dispositions restrictives des articles L. 131-2 et L. 131-3 précités à la société intimée laquelle est par contre recevable à offrir la preuve d'une cession implicite à son bénéfice des droits d'exploitation sur les créations revendiquées.
En l'espèce, il est acquis que les commandes passées par la société Maison Villevert à la société Optima portaient sur des packagings graphiques de bouteilles de spiritueux, lesquelles étaient destinées à une production industrielle et à une commercialisation dans le monde entier.
Comme le souligne pertinemment la société intimée, la nature de la commande impliquait donc nécessairement la reproduction de ces éléments de packaging pour la production et la commercialisation des bouteilles, à défaut de quoi la société Maison Villevert ne pouvait faire aucun usage des graphismes commandés.
En sa qualité de professionnelle de la communication, la société Optima ne pouvait ignorer que le graphisme des étiquettes, les formes verrières et autres éléments de communication par elle réalisés, étaient nécessairement destinés à être diffusés et reproduits sur les bouteilles et sur les outils de promotion et de commercialisation de ces produits, étant relevé que l'utilisation, la reproduction, la diffusion et, plus généralement, l'exploitation par la société Maison Villevert de ses travaux pendant les vingt années de leur collaboration n'ont donné lieu à aucune protestation de la part de la société Optima.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société Maison Villevert est fondée à soutenir que la nature de la commande, la connaissance par la société Optima de la destination contractuelle des travaux commandés et son absence de contestation pendant de longues années, emportaient nécessairement dans la commune intention des parties, la cession implicite des droits d'exploitation pour la commercialisation des produits.
Cette analyse de la volonté des parties est confortée par :
- la rédaction des devis de la société Optima qui comportent la mention suivante:
'Cession des droits :
La société Optima Brand Design se réserve la propriété des prestations et des documents vendus jusqu'au paiement intégral du montant facturé TTC.
Les axes créatifs non retenu demeure la propriété de l'agence.'
Ainsi que le souligne justement la société intimée, la mention relative à la 'cession des droits' confirme que la facturation de la société Optima comprenait ladite cession, étant ajouté que les prestations de la société Optima étant immatérielles, la référence à la 'propriété des prestations' ne peut s'entendre que de celles des droits d'auteur liés à ces prestations et que la précision selon laquelle les créations qui ne sont pas retenues 'restent la propriété de l'agence', signifie a contrario que celles qui sont retenues deviennent la propriété du commanditaire.
- un courriel du 1er décembre 2010 dans lequel M. [D], gérant de la société Optima, commentant le livret promotionnel du produit June, écrit au dirigeant de la société Maison Villevert : 'Mais quelque part, tes BB sont un peu les miens, sauf qu'ils ne m'appartiennent plus (...)', la société Optima reconnaissant ainsi que les droits d'auteur ne lui appartiennent plus, étant observé que la phrase qui suit selon laquelle il indique 'je me dois d'avoir une réserve sur ce qui se fait avec' signifie que la société Optima a un devoir de réserve dans son éventuelle critique, ce que confirme la phrase suivante 'toutefois, vis-à-vis de toi, je pense que je ne serai pas correct si je ne te dis pas ce que je pense.'
- le contrat du 20 décembre 2017 par lequel la société Optima cède expressément l'intégralité de ses droits d'auteur afférents aux produits de la marque La Guilde du Cognac à la société Maison Villevert. Ce contrat stipule en effet que la société Optima assure la création et l'exécution de l'univers graphique et du packaging des eaux de vie de cette gamme selon une 'rémunération forfaitaire de 38.140 euros comprenant la rémunération de son travail et le paiement forfaitaire de la cession de la contribution et de l'ensemble des droits patrimoniaux y afférents', renvoyant à une annexe 2, laquelle fait référence à deux factures du 27 janvier 2016 et 12 avril 2017. Il s'ensuit que la rémunération de 38.140 euros correspondait au prix des prestations facturées par la société Optima en janvier 2016 et avril 2017, soit antérieurement à la cession de droits d'auteur de décembre 2017 laquelle n'a donc donné lieu à aucune rémunération supplémentaire et distincte, ce qui conforte la thèse de la Maison Villevert selon laquelle ce contrat de cession n'est que la régularisation d'une cession implicite antérieure ce, dans un contexte de cession par la Maison Villevert de la marque 'La Guilde du Cognac' au Groupe William Grant & Sons qui souhaitait disposer d'un document écrit confirmant la cession des droits d'auteur afférents au packaging des produits.
Au regard de ce qui précède, il est suffisamment rapporté la preuve d'une cession implicite des droits patrimoniaux d'auteur de la société Optima à la société Maison Villevert sur les créations litigieuses.
La société Optima n'étant pas titulaire des droits patrimoniaux d'auteur revendiqués, c'est à bon droit que le premier juge a estimé qu'elle était dépourvue de qualité à agir en contrefaçon et en nullité de marque à l'encontre de la société Maison Villevert.
Dès lors, et sans qu'il y ait lieu d'examiner la fin de non-recevoir soulevée à titre subsidiaire à l'encontre de la société Optima tirée de la titularité des droits d'auteur par la société Maison Villevert du fait du caractère collectif des oeuvres commandées ou de sa nature d'oeuvre de collaboration, ni les fins de non-recevoir tirées de la prescription et de la forclusion, il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré la société Optima irrecevable à agir en contrefaçon et nullité de marque à l'encontre de la Maison Villevert pour défaut de qualité à agir.
2- Sur la qualité à agir de M. [D]
M. [D] critique l'ordonnance déférée en ce qu'elle l'a déclaré irrecevable à agir en contrefaçon et nullité de marque, faute de démontrer sa qualité d'auteur. Il affirme au contraire qu'il justifie être l'unique auteur des créations réalisées par la société Optima et produit à cet effet une attestation, la description des travaux réalisés, un article de presse, les courriels échangés avec la société intimée. Il se prévaut également de ce que l'onglet 'propriétés' des fichiers des créations G'VINE créées en 2006, 2009 et 2016 mentionnent le nom '[X] [D]' avec le 'privilège : lecture et écriture' pour en déduire qu'il est le seul auteur ayant édité les fichiers de création originaux, à l'exclusion de toute personne de son 'staff' ou extérieure, lesquelles ne disposent que d'un privilège en 'lecture seulement', sans droit d'administration et de modification du fichier. Il invoque enfin le contrat de cession de droits La Guilde du Cognac du 20 décembre 2017, soulignant que la société Maison Villevert a exigé que M. [D] s'engage, non seulement en qualité de gérant de la société Optima, mais également 'en son nom personnel'.
La société Maison Villevert conclut à la confirmation de l'ordonnance. Contestant les droits d'auteur revendiqués par M. [D], il souligne qu'aucune des oeuvres revendiquées, qui ne sont pas clairement identifiées selon elle, n'a été divulguée sous son nom. Elle fait valoir que les auto attestations de M. [D] sont impropres à démontrer sa qualité d'auteur. Elle conteste par ailleurs qu'il soit l'auteur des dénominations des spiritueux, des sérigraphies, des modèles de bouteilles ou de bouchon. Elle objecte également que M. [D] n'était pas le seul graphiste à avoir réalisé des travaux au sein de la société Optima et que d'autres agences ainsi que les propres salariés de M. [D] ont collaboré au packaging de ses produits.
Sur ce,
Selon l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle,
'L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code.'
En application de ces dispositions, ne peut agir en réparation des atteintes au droit moral de l'auteur sur son oeuvre et en nullité de marque pour atteinte à ses droits que celui qui justifie dans un premier temps de sa qualité d'auteur de l'oeuvre de l'esprit revendiquée.
L'auteur s'entend du créateur de l'oeuvre c'est-à-dire celui qui réalise ou exécute personnellement l'oeuvre.
L'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle énonce que 'la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.'
Comme le rappelle justement le premier juge, il résulte de ces dispositions que toute personne dont le nom a été porté à la connaissance du public, de quelque manière que ce soit, peut invoquer cette présomption, à condition que l'oeuvre ait bien été diffusée sous son nom et que les faits sur lesquels reposent cette présomption soient exempts d'ambiguité.
Or, les débats d'appel et les pièces soumises à la cour n'apportent aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'exacte évaluation du premier juge qui a retenu que M. [D] ne rapportait pas la preuve de sa qualité d'auteur des oeuvres litigieuses.
Ainsi et en premier lieu, toutes les pièces produites sont relatives à des facturations établies par la société Optima, des reproductions sur des sites internet de cette société ou des visuels portant le nom d'Optima sans que le nom de M. [D] n'y figure.
En second lieu, en application de l'article 1363 du code civil selon lequel 'nul ne peut se constituer de titre à soi-même', doit être écartée l'attestation produite en pièce 11 par laquelle M. [D] atteste être l'auteur des créations litigieuses. Est également inopérante en ce qu'elle a été établie par M. [D] lui-même, la pièce 53, intitulée 'description de l'originalité des oeuvres par [X] [D]', qui décrit par exemple, s'agissant de la 'création du packaging et univers G'VINE', l'évolution de la forme des bouteilles, des bouchons et de leur design. Enfin, la pièce 10 intitulée 'travaux préparatoires G'VINE OPTIMA' ne démontre aucunement que M. [D] est l'auteur des droits d'auteur revendiqués.
En troisième lieu, l'article de presse produit en pièce 62 qui évoque 'un packaging avec la collaboration de [X] [D] de la société spécialisée 'Optima Brand Design', un petit génie dans son domaine (également auteur du packaging de Delamain, Giffard et G'Vine)' et le courriel du 21 septembre 2021 dans lequel le dirigeant de la société Maison Villevert écrit à M. [D] : 'Tu as toutefois réalisé les univers graphiques' ne sauraient suffire à établir la qualité d'auteur de M. [D], alors qu'il est constant que ce dernier disposait d'une équipe de graphistes. Par ailleurs, le fait que seul M. [D] puisse modifier en interne les versions de G'Vine (pièce n°58) révèle que des mesures de contrôle interne étaient mises en place mais ne démontre pas une création originale de la part de ce dernier, étant observé qu'aucune pièce similaire n'est produite pour les autres produits (Nouaison, June, La Quintinye ou Excellia).
Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a déclaré M. [D] irrecevable à agir en contrefaçon et nullité de marque.
Les appelants, qui succombent, supporteront les dépens d'appel.
L'équité commande de condamner M. [D] et la société Optima à payer à la société Maison Villevert la somme de 4.000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Déclare irrecevable la demande de renvoi de l'affaire devant la formation de jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Confirme l'ordonnance déférée,
Y ajoutant,
Condamne la SARL Optima Brand Design et M. [X] [D] à payer à la SAS Maison Villevert la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Optima Brand Design et M. [X] [D] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Paule Poirel, présidente, et par Madame Sylvaine Déchamps, greffièreà laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.