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Décisions

Cass. com., 17 janvier 2024, n° 22-15.897

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocat général :

Mme Gueguen

Avocat :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Rennes, 3e ch., du 22 mars 2022

22 mars 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 22 mars 2022) et les productions, le 12 mai 2016, MM. [M], [F], [J] et [G] [H], Mme [V] [H], MM. [I] et [R] (les consorts [H]) ont cédé aux sociétés Quiris et G2SI Ouest la totalité des parts qu'ils détenaient dans les sociétés Esole, Chayoli et Eclade.

2. L'acte de cession comportait un prix de base et un ajustement de prix calculé après l'arrêté des comptes au 30 avril 2016, égal au montant de la variation des capitaux propres de chacune des sociétés cédées. Cet acte prévoyait également qu'en cas de désaccord sur le prix, un expert serait désigné, à défaut d'accord, par le président du tribunal de commerce, conformément à l'article 1843-4 du code civil.

3. Le 29 juin 2016, les consorts [H] ont notifié une demande de complément de prix aux cessionnaires. Les parties n'étant pas parvenues à un accord, un expert a été désigné. Concomitamment, les consorts [H] ont assigné les sociétés Quiris et G2SI Ouest devant un tribunal de commerce en paiement d'un complément de prix.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa sixième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Quiris et G2SI Ouest font grief à l'arrêt de rejeter toutes leurs demandes et de les condamner à payer aux consorts [H] la somme de 187 277 euros au titre de l'ajustement du prix de cession, alors :

« 1°/ qu'il appartient au seul expert désigné en application de l'article 1843-4 du code civil de déterminer la valeur des parts, la juridiction ne pouvant y procéder elle-même ; qu'il en résulte que lorsque l'expert propose plusieurs options, le juge doit retenir l'évaluation préconisée par ce dernier ; qu'en retenant l'évaluation des titres qui n'était pas préconisée par l'expert, la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer le sens clair et précis de l'écrit ; qu'au cas présent, l'article 5.4 de la convention d'acquisition de titres en date du 12 mai 2016 stipule que l'ajustement du prix de cession sera déterminé en fonction d'un compte de réalisation pour chacune des sociétés cédées établi "selon les principes comptables en vigueur" et qu'en cas de désaccord, l'expert "devra appliquer les dispositions de la présente convention et en particulier les principes comptables en vigueur" ; qu'il s'évince clairement et précisément d'une telle stipulation contractuelle que les parties avaient entendu se conformer aux principes comptables en vigueur en droit français au jour où la convention était conclue ; qu'en énonçant que les principes comptables en vigueur visés par le contrat renvoyaient à l'évaluation comptable utilisée au sein des sociétés cédées avant la conclusion du contrat, quand bien même celle-ci n'était pas conforme aux dispositions de l'article 38 du code général des impôts, dès lors que celle-ci était celle utilisée depuis plusieurs années par les sociétés cédées et que les parties avaient convenu de ne pas modifier ces principes en vigueur au jour de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que le juge ne peut dénaturer le sens clair et précis de l'écrit ; qu'en l'espèce, le contrat de garantie du 12 mai 2016, conclu le même jour que l'acte de cession, stipule, en son article 4, que "le cessionnaire n'a consenti à l'acquisition des titres qu'à la condition que le cédant lui confirme diverses déclarations, attestations et garanties relatives aux sociétés et aux titres cédés" et [, en] son article 3.23, que "les comptes sociaux de l'exercice clos le 31 décembre 2014 sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle de son patrimoine et de son résultat. Ils ont été établis conformément aux principes comptables reconnus en France, et en appliquant les mêmes règles comptables que pour l'établissement des comptes annuels de l'exercice antérieur figurant en annexe 3.23 bis" ; qu'il s'évince clairement et précisément d'un tel écrit que l'opération de cession était conditionnée à l'établissement de comptes sociaux pour l'exercice clos le 31 décembre 2014 conformes à la réglementation comptable ; qu'en énonçant que les principes comptables en vigueur visés par le contrat renvoyaient à l'évaluation comptable utilisée au sein des sociétés cédées avant la conclusion du contrat, quand bien même celle-ci n'était pas conforme aux dispositions de l'article 38 du code général des impôts et que remettre en discussion les principes comptables en vigueur n'aurait ainsi pas pu ne viser que les comptes 2016, mais également les comptes précédents, en particulier celui de l'exercice clos le 31 décembre 2014, base même de l'opération de cession, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 1843-4, II, du code civil que si l'expert est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur des droits sociaux prévues par toute convention liant les parties, il incombe au juge d'interpréter, s'il y a lieu, la commune intention des parties à la convention.

7. En application de ces principes, l'expert peut, afin de ne pas retarder le cours de ses opérations, retenir différentes évaluations correspondant aux interprétations de la convention respectivement revendiquées par les parties, à charge pour le juge, après avoir procédé à la recherche nécessaire de la commune intention des parties, d'appliquer l'évaluation correspondante, laquelle s'impose alors à lui.

8. Ayant souverainement constaté que la commune intention des parties à la convention de cession des titres des sociétés Esole, Chayoli et Eclade avait été de ne pas modifier les principes appliqués de façon permanente lors de la comptabilisation des produits constatés d'avance par ces sociétés pour calculer la variation du prix de cession, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il convenait de condamner les cessionnaires à payer aux cédants le complément de prix fixé par l'expert en application de la méthode comptable correspondante, l'expert n'ayant exprimé aucune préférence à cet égard mais seulement indiqué la méthode comptable qu'il aurait préconisée lors de l'établissement, par les sociétés concernées, de leurs comptes annuels.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Quiris et G2SI Ouest font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que seules les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'il en résulte que l'expert désigné sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil n'est pas lié par les modalités d'évaluation du prix de cession de titres fixée par les parties, dès lors que celles-ci ne sont pas conformes à la réglementation en vigueur ; qu'en énonçant que la méthode comptable consistant à enregistrer des produits afférents à des prestations non réalisées, quoique non conforme aux dispositions de l'article 38 du code général des impôts, constituait la loi des parties en ce qu'elle était celle utilisée depuis plusieurs années par les sociétés cédées et que les parties avaient convenu de ne pas modifier ces principes en vigueur au jour de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 1843-4 du code civil ;

2°/ qu'en raison de la hiérarchie des normes, le principe de permanence des méthodes comptables d'un exercice à l'autre, consacré par le plan comptable général, ne saurait justifier que l'expert désigné sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil soit lié par une méthode comptable contraire à la loi ; qu'en estimant que la modification de la méthode comptable prévue par le contrat, "à la supposer justifiée par la nécessité de respecter les dispositions du code général des impôts, aurait en outre été à l'encontre du principe de permanence des méthodes comptables d'un exercice à l'autre", la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 1843-4 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. Après avoir retenu qu'il n'est pas justifié que l'administration fiscale soit intervenue pour reprocher aux sociétés cédées la méthode appliquée de manière permanente pour comptabiliser les produits constatés d'avance, l'arrêt énonce qu'un changement de méthode comptable pour calculer la variation de prix aurait conduit à modifier les bases sur lesquelles les parties s'étaient entendues sur le prix, cependant qu'elles avaient au contraire pris soin de préciser que la variation de prix serait calculée sur la base d'un bilan pour chacune des sociétés, arrêté au 30 avril 2016, selon les principes comptables en vigueur. Il ajoute que cette modification, à la supposer justifiée par la nécessité de respecter les dispositions du code général des impôts, aurait en outre été à l'encontre du principe de permanence des méthodes comptables d'un exercice à l'autre.

12. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui n'a pas tenu pour établi que la méthode de comptabilisation des produits constatés d'avance appliquée était contraire aux règles fiscales et s'est référée au principe de permanence des méthodes, lequel résulte de l'article L. 123-17 du code de commerce, a pu statuer comme elle l'a fait.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.