Cass. 2e civ., 8 juin 2023, n° 21-21.669
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteur :
Mme Jollec
Avocat général :
M. Adida-Canac
Avocats :
SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 21-21.669, P 21-21.670 et Q 21-21.671 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 28 mai 2021), MM. [W], [Z] et [R], salariés de la société Map Handling - Air assistances, filiale de la société AMC Group, placée en liquidation judiciaire et reprise par la société Aviapartner Marseille, ont saisi un conseil des prud'hommes pour obtenir une modification de leur classification conventionnelle et le paiement de diverses sommes.
3. Le 7 août 2019, ils ont relevé appel des jugements du 12 juillet 2019 les ayant déboutés de leurs demandes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. MM. [W], [Z] et [R] font grief aux arrêts de dire que l'effet dévolutif de l'appel n'a pu opérer par les déclarations d'appel du 7 août 2019 assorties d'un document annexe, de dire que les déclarations d'appel tendant à la réformation du jugement, l'effet dévolutif de l'appel n'a pu opérer en l'absence de critiques expresses ou implicites des chefs des jugements entrepris et de juger en conséquence que la cour n'était saisie d'aucune demande, alors :
« 1°/ que la dévolution s'opère pour le tout si l'objet du litige est indivisible ; que l'indication des chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité n'est pas exigé lorsque l'objet du litige est indivisible ; qu'en se bornant à retenir que la déclaration d'appel ne mentionnait pas les chefs critiqués du jugement et que l'appel tendait à la réformation du jugement pour considérer que l'effet dévolutif n'avait pu s'opérer, sans vérifier si l'objet du litige était indivisible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901 et 562 du code de procédure civile ;
2°/ que l'effet dévolutif n'est exclu qu'en cas d'absence de mention des chefs du jugement expressément critiqués ; que si la mention des chefs du jugement critiqués dans une annexe à la déclaration d'appel entache celle-ci de nullité, elle ne fait pas obstacle à l'effet dévolutif de l'appel ; qu'en se bornant à retenir que l'article 901 du code de procédure civile ne prévoit pas que l'acte d'appel puisse être assorti d'un document annexe comprenant les chefs critiqués du jugement, tout en constatant que la possibilité de joindre une annexe faisant corps avec la déclaration d'appel était prévue par l'arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, expressément invoqué par MM. [Z], [W] et [R] dans leurs notes en délibéré, et que l'annexe jointe à la déclaration d'appel en l'espèce contenait bien ces chefs, de telle sorte que les prescriptions des articles 901 et 562 du code de procédure civile étaient satisfaites, la connaissance des chefs du jugement lui étant dévolue, la cour d'appel a violé les articles 901 et 562 du code de procédure civile ;
3°/ que, en outre, pour écarter l'annexe jointe à la déclaration d'appel de MM. [Z], [W] et [R], la cour d'appel a retenu que, à peine d'inversion de la hiérarchie des normes, il ne saurait être conféré à l'arrêté du 20 mai 2020 la même valeur juridique que celle du décret de procédure, de sorte qu'il ne saurait être utilement soutenu que l'arrêté en cause permette d'adjoindre une pièce annexe contenant les chefs critiqués du jugement et ainsi compléter et valider la déclaration d'appel irrégulière ; qu'en statuant ainsi, quand l'arrêté du 20 mai 2020 se borne à préciser les modalités de mise en oeuvre des dispositions de l'article 901 du code de procédure civile sans contenir une dispositions contraire, la cour d'appel a violé ce texte et l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel ;
4°/ que les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à retenir que l'obligation prévue par l'article 901-4 du code de procédure civile encadre les conditions d'exercice du droit d'appel dans le but légitime de garantir une bonne administration de la justice en assurant la sécurité et l'efficacité de la procédure, de sorte que ces règles ne portent pas atteinte en elles-mêmes à la substance du droit d'accès au juge au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, au regard des circonstances de la cause caractérisées par la possibilité offerte par l'arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, de joindre une annexe faisant corps avec la déclaration d'appel, la sanction prise de l'absence d'effet dévolutif de l'appel ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge dès lors que MM. [Z], [W] et [R] avaient indiqué les chefs du jugement critiqués dans un document faisant corps avec la déclaration d'appel, de sorte que l'obligation de l'article 901 était respectée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Le décret du 25 février 2022, invoqué par les demandeurs aux pourvois, a modifié l'article 901, 4°, du code de procédure civile en tant qu'il prévoit que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, en ajoutant dans ce texte, après les mots : « faite par acte », les mots : « comportant le cas échéant une annexe, ». L'article 6 du décret précise que cette disposition est applicable aux instances en cours.
6. Par avis du 8 juillet 2022 (n° 22-70.005 publié), la Cour de cassation a notamment dit que le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
7. Pour autant, l'instance devant une cour d'appel, introduite par une déclaration d'appel, prend fin avec l'arrêt que rend cette juridiction. Elle ne se poursuit pas devant la Cour de cassation, devant laquelle est introduite une instance distincte.
8. Il en résulte que le décret du 25 février 2022 n'est pas applicable au présent litige.
9. La Cour de cassation a jugé le 13 janvier 2022 (2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516, publié) qu'il résulte de la combinaison des articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ainsi que des articles 748-1 et 930-1 du même code, que la déclaration d'appel, dans laquelle doit figurer l'énonciation des chefs critiqués du jugement, est un acte de procédure se suffisant à lui seul ; que, cependant, en cas d'empêchement d'ordre technique, l'appelant peut compléter la déclaration d'appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.
10. L'arrêt retient, en premier lieu, que la déclaration d'appel ne comportait pas les chefs de jugement critiqués lesquels étaient mentionnés dans un document intitulé « Lettre d'appel » et que les appelants n'ont pas soutenu avoir été dans l'impossibilité de satisfaire à l'obligation d'énoncer chacun des chefs du dispositif du jugement qu'ils entendaient voir remettre en discussion devant la cour d'appel dans la déclaration elle-même.
11. L'arrêt relève, en deuxième lieu, que l'article 901 du code de procédure civile ne dispose pas que l'acte d'appel peut être assorti d'un document annexe qui comprendrait l'énoncé des chefs critiqués du jugement et qu'à peine d'inversion de la hiérarchie des normes, il ne saurait être conféré à l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, la même valeur juridique que celle du décret de procédure, de sorte qu'il ne peut être utilement soutenu que l'arrêté en cause permet d'adjoindre une pièce annexe contenant les chefs critiqués de jugement et ainsi compléter et valider la déclaration d'appel irrégulière.
12. L'arrêt retient, en troisième lieu, que l'obligation prévue par l'article 901, 4°, du code de procédure civile de mentionner les chefs de jugement critiqués, dépourvue d'ambiguïté, encadre les conditions d'exercice du droit d'appel dans le but légitime de garantir une bonne administration de la justice en assurant la sécurité et l'efficacité de la procédure d'appel et que les règles ne portent pas atteinte en elles-mêmes à la substance du droit d'accès au juge d'appel au sens des dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la première branche qui ne lui était pas demandée, en a exactement déduit qu'en l'absence d'énoncé exprès des chefs du jugement critiqués dans la déclaration d'appel, elle n'était saisie d'aucune demande.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.